Grande consolation
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Cahiers Tristan Corbière
2021, n° 4. Repolitiqué - Auteur : Desnoyers (Fernand)
- Pages : 405 à 406
- Revue : Cahiers Tristan Corbière
Grande consolation
Du haut de la butte Montmartre,
Un jour je contemplais Paris
Envahissant, grand chancre gris,
Les champs, les parcs. – « Voici la dartre ! »
Disaient les arbres rabougris.
Et ces derniers troncs héroïques,
Refoulés par les moellons,
Croisaient leurs branchages étiques,
Où tournoyaient les aquilons,
Contre les pierres et les briques.
Je voyais s’approcher toujours
Les maisons, les flèches, les dômes
Que des rayons remplis d’atomes
Incendiaient, – les toits, les tours :
J’entendais au loin leurs pas lourds.
Des tuyaux et des cheminées
Semblaient sortir le râle sourd
Que font les infâmes menées
Des exploiteurs de destinées,
Juifs d’argent et juives d’amour.
Je me disais : « Tout est notaire
« Ici bas, – ou marchand, – et l’Art
« Sans qu’on s’en doute peut se taire.
« Les architectes ont la terre
« Le poète vit par hasard.
« Il meurt pendant toute sa vie.
« Quand il a mis son âme en vers,
« Surgissent des critiques verts,
« Des pédants, enflés par l’envie,
« Qui lisent le livre à l’envers.
« Encore si la bourgeoisie,
« Si ces profils faits au charbon,
406« Ne parlait pas de poésie ;
« Mais non, il leur prend fantaisie
« De trouver parfois un vers bon !
« Faites sauter votre pensée
« Comme l’on ferait son cerveau ;
« Un monsieur à bouche pincée,
« Des bourgeois reliés en veau,
« Jugent l’œuvre aux Dieux adressée ! »
Et je faisais bondir mes vers
De la montagne sur la ville :
Mais le vin a calmé mes nerfs.
O vers qu’on a vécu, soufferts,
Laissez, laissez monsieur tranquille !
Les côtes de Beaune et de Nuits
M’apparaissent pendant les nuits.
Le soleil, joueur comme un faune,
Aime les raisins ; – je le suis
Aux côtes de Nuits et de Beaune.
Fernand Desnoyers, dans L’Almanach parisien pour l’année 1863, Paris, Eugène Pick, 1863, p. 30-31.