![André Suarès en pleine lumière - Préface](https://classiques-garnier.com/images/Vignette/YaeMS01b.png)
Préface Obole à un passeur
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : André Suarès en pleine lumière
- Pages : 9 à 12
- Collection : Études de littérature des xxe et xxie siècles, n° 109
Préface
Obole à un passeur
Yves-Alain Favre est né le 20 août 1937 à La Rochelle. Certifié de lettres classiques en 1961, agrégé en 1964, il enseigne en lycée durant neuf ans. En 1970, il est nommé assistant à la Sorbonne. En 1975, il y devient maître-assistant après avoir soutenu sa thèse principale, La Recherche de la grandeur dans l’œuvre d’André Suarès, et sa thèse complémentaire : une édition critique de Spleen du même Suarès. En 1980, il est nommé Professeur à l’université de Pau et des Pays de l’Adour. Il va y enseigner durant les douze dernières années de sa trop courte vie. Et y déployer une activité exceptionnelle. Auprès de ses étudiants. Et à travers la recherche.
En décembre 1981, Yves-Alain Favre fonde, et c’était une gageure, un Centre de Recherches consacré à la poésie contemporaine. Certes, il fut un temps où les poètes séjournaient volontiers à Pau. Le pas encore comte de Lautréamont, Francis Jammes et le futur Saint-John Perse y ont accompli une partie de leur scolarité, Paul-Jean Toulet y est né… Sous l’impulsion d’Yves-Alain Favre, cette ville et sa jeune université devinrent, près d’un siècle plus tard, le lieu de rencontres internationales où poètes et chercheurs, malgré tant de malentendus possibles, dialoguèrent de façon libre et fructueuse. De 1983 à 1992, dix colloques internationaux s’y tinrent, tous suivis, dès l’année suivante, de la publication des actes. Sept d’entre ces colloques portèrent sur l’œuvre d’un poète contemporain et présent (à une exception près) : Yves Bonnefoy en 1983, Philippe Jaccottet en 1984, Lorand Gaspar en 1987, Jean-Claude Renard en 1989, Édouard Glissant en 1990 (ce colloque eut lieu à Porto), Jacques Réda en 1991 (il ne put venir à Pau), Pierre Oster Soussouev en 1992. En 1985, c’est l’œuvre d’un précurseur, Victor Segalen, que l’on étudia. En 1988, celle d’un voisin trop oublié : Francis Jammes. En 1986, le colloque porta non sur un poète mais sur une question qu’il 10est difficile de ne pas se poser quand on s’intéresse à la poésie : celle de la traduction des poèmes.
La carrière du professeur et du chercheur n’a été évoquée qu’à grands traits. On trouvera nombre de précisions mais aussi, réalisé par des universitaires français ou étrangers et des poètes amis, un beau portrait de l’homme dans le volume intitulé Recueil en hommage à la mémoire d’Yves-Alain Favre : les textes, réunis par Christine Van Rogger Andreucci, en ont été publiés en octobre 1993 par les Presses de l’université de Pau. Lorsque Yves-Alain Favre est mort, si précocement, si brutalement, Christine Andreucci achevait sous sa direction une thèse sur Max Jacob et je commençais la mienne sur Jean Giono. Nommée professeur, cette collègue, unanimement appréciée, poursuivit l’œuvre de son directeur de thèse. Sous sa tutelle, trois nouveaux colloques internationaux eurent lieu : sur Max Jacob, Jude Stéfan et James Sacré. Après sa mort, car elle aussi nous quitta prématurément et brutalement, m’échut la responsabilité d’assurer un bref relais. Furent mises au programme les œuvres de Jacques Dupin puis d’Antoine Émaz. Conformément à une tradition bien établie, les deux poètes participèrent à ces colloques et les actes ne tardèrent pas à voir le jour. Dirigé par le professeur Jean-Yves Pouilloux, le Centre de Recherches sur la Poésie Contemporaine fut encore actif pendant quelques années avant de disparaître. Cette disparition, hélas difficile à éviter, constitue une raison de plus d’élargir la résonance de l’œuvre accomplie par le professeur Yves-Alain Favre et d’en propager le mérite.
Yves-Alain Favre était un passionné de littérature et par-dessus tout de poésie. Qu’est-ce qui l’avait conduit à cette passion ? Peut-être ce qu’il y a de mystérieux dans la création poétique, sans doute un questionnement sur le sacré. Ce que montre de manière incontestable sa bibliographie (on la trouvera, exhaustive et détaillée, au début du recueil d’hommage déjà mentionné), c’est qu’Yves-Alain Favre était un travailleur infatigable. En une vingtaine d’années, il a signé treize livres, contribué à quatre ouvrages collectifs, édité Mallarmé, Théodore de Banville, Verlaine et Marcel Aymé (tome I des Œuvres romanesques en Pléiade), dirigé des revues et des cahiers (dont les trois premiers Cahiers Suarès), réuni les actes d’une quinzaine de colloques, publié près de deux-cent-cinquante articles (une trentaine d’études sont encore inédites). Ce qui est peut-être encore plus remarquable que ce chiffre, 11c’est la diversité des sujets abordés et la variété des auteurs étudiés : Patrice de la Tour du Pin, Péguy, Rimbaud, Mallarmé, Claudel, Pierre Emmanuel, Milosz, les Romantiques allemands, Valery Larbaud, Jean Mambrino, Jean Grosjean, Jean de Boschère, Stendhal, Léon Bloy, Fromentin, Guez de Balzac, Bosco, Giono, Mauriac, Le Clézio, Jules Laforgue, Paul-Jean Toulet, Tristan Derème, Julien Gracq, Saint-John Perse, André Pieyre de Mandiargues, Jacques Audiberti, René Char, Pierre Reverdy, Pierre-Albert Birot, Louis-René des Forêts, d’autres encore, bien connus ou plus confidentiels… Pour lui rendre hommage, Pierre Oster évoque à juste titre le « don de se mouvoir dans des voies diverses, de laisser se peindre tous les visages dans la nuit des formes ».
Yves-Alain Favre était aussi, sans tapage, un orchestrateur, un entraîneur d’hommes, un éveilleur. Sa curiosité intellectuelle explique sans doute, son goût pour les rencontres, les voyages. À sa façon, n’était-il pas un Condottière ? Il a établi des relations durables entre l’université de Pau et plusieurs universités espagnoles, portugaises, italiennes ; il a donné cours et conférences dans de nombreux pays aussi différents que la Grèce et l’Islande, Israël et l’Italie ; il est allé en Chine avec Jean-Claude Renard en 1990… Un peu distant pour commencer, un peu « cérémonieux », c’était assurément un « homme de cœur et d’intelligence », capable de vraies générosités. En ont témoigné bien des collègues comme Daniel Leuwers, professeur à Sydney, et plusieurs poètes comme Jean-Claude Renard. Salah Stétié a vu juste, me semble-t-il, en notant qu’Yves-Alain Favre mariait « sans presque y toucher l’eau et le feu, la passion la plus fervente et la rigueur la plus stricte ». Ce que je n’ai pas compris tout de suite, car il était sur ce point comme sur pas mal d’autres d’une grande discrétion et d’une parfaite tolérance, c’est qu’il était un chrétien de la vieille barque. On est en droit de penser que cette foi chevillée au corps fut, avec la poésie, ce qui animait (au sens fort) l’homme et le chercheur.
Yves-Alain Favre était un passeur et un découvreur. On peut regretter qu’il n’ait pas rencontré un poète qui œuvrait tout près de Pau, dans l’ombre il est vrai, et qui n’en obtint pas moins le Grand Prix de poésie décerné par l’Académie française en… 1993 : l’abbé Jean Bégarie, Georges Saint-Clair en poésie. Il est certain que le professeur et l’abbé-poète se seraient reconnus et auraient engagé une de ces « conversations souveraines » dont a parlé René Char. Mais la mort, au début de l’été 1992, 12a sans doute interrompu nombre de projets déjà bien avancés et annulé bien des possibles.
Du moins l’immense travail accompli autour de l’œuvre d’André Suarès est-il là. L’anthologie qui suit, magistralement conçue par Antoine de Rosny, révèle la grandeur et l’actualité d’une œuvre que ce travail a mis « en pleine lumière ».
Jacques Le Gall
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-12847-2
- EAN : 9782406128472
- ISSN : 2260-7498
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12847-2.p.0009
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 30/03/2022
- Langue : Français