[Introduction]
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : André Suarès en pleine lumière
- Pages : 171 à 172
- Collection : Études de littérature des xxe et xxie siècles, n° 109
Malgré un amour pour l’Art qui tient lieu chez lui de religion, André Suarès n’a cessé d’être attentif au monde qui l’entourait et à ses sombres remous. Le hasard l’a fait naître à la veille du traumatisme de 1870, grandir au milieu des crises de la IIIe République, mûrir avec la Première Guerre mondiale, vieillir avec la Seconde. Tout épris de solitude créatrice qu’il fût, il n’eut guère le loisir d’accomplir son œuvre dans le secret paisible d’une retraite ; tout au contraire, le spectacle de l’apocalypse européenne du xxe siècle l’a poussé à s’armer de sa plume pour, en Cassandre douloureusement lucide, vociférer avec autant de vigueur que de courage contre les totalitarismes de son temps.
Il revient à Yves-Alain Favre d’avoir ébauché quelques-unes des lignes directrices des écrits politiques de Suarès. C’est l’Affaire Dreyfus qui suscite, chez Suarès, les premiers écrits polémiques sous forme de lettres publiées mais aussi de poèmes inédits : un article important à ce sujet en rend compte. Conjointement, Suarès se passionne, par l’intermédiaire des missions lointaines de son frère officier de marine, pour les questions de politique étrangère1. Les deux guerres mondiales lui arrachent ensuite la série des Commentaires sur la Guerre des Boches et le véhément recueil des Vues sur l’Europe, dirigé tout autant contre Hitler que contre Staline. Si Favre n’a pas consacré à ces derniers livres d’article particulier2, son mérite a été de mettre en perspective la pensée européenne de Suarès. Son article « Suarès et l’Europe » en souligne ainsi le double versant, politique et culturel, à l’image du deuxième volume consacré à Suarès dans LaRevue des Lettres modernes3. Des textes inédits ou peu connus (sur Garibaldi et Bismarck, aux sources de l’Europe du début du xxe siècle, mais aussi sur « Le principe européen ») ont été dévoilés, révélant des facettes ignorées de la pensée de l’auteur.
Les travaux de Michel Drouin puis de Robert Parienté ont prolongé ce défrichage et permis d’insister sur la valeur prophétique des Vues sur 172l’Europe4. La publication récente, par les soins de Stéphane Barsacq5, de certains textes politiques de Suarès parus en revue a récemment élargi le corpus suarésien et affiné notre perception de son combat.
Si l’attention extrême portée par Suarès à l’évolution politique de l’Europe au cours des années 1920-1930 a, depuis vingt ans, le plus suscité de commentaires, il ne faudrait pas oublier d’autres aspects de sa pensée politique : celle qui a notamment pour objet le destin de la France dans le concert des nations. Une œuvre comme Cirque6 se fait ainsi l’écho, sur un mode très satirique, des soubresauts de la vie politique française – mais aussi des égarements de la politique américaine. À la fin de sa vie, Suarès n’a pas non plus oublié de s’intéresser de près à la figure du général de Gaulle. À la différence d’un Maurras, dont la pensée politique s’est surtout déployée par le biais des journaux et des articles repris en livres, Suarès a mené son combat en héraut de l’Art ne dédaignant pas pourtant d’introduire la véhémence du combat dans ses écrits7 : c’est à ce paradoxe que de futurs travaux pourraient s’intéresser.
Antoine de Rosny
1 Cf. notamment les Chroniques du lieutenant X, jusqu’à présent très peu exploitées par la critique.
2 Une recension toutefois des Vues sur l’Europe à l’occasion de leur réédition dans les Cahiers Rouges chez Grasset, en 1991 (La Presse française, 4 octobre 1991).
3 Suarès et l ’ Allemagne, Paris, La Revue des Lettres modernes, Minard, 1976.
4 Cf. aussi Jarrety 2017. – Sur les textes relatifs à la Première Guerre mondiale, cf. Alexandre 2017.
5 Contre le totalitarisme, Paris, Les Belles Lettres, 2017.
6 Quoique quelques exemplaires préparatoires soient sortis de presse, Cirque reste inédit. Yves-Alain Favre en a édité des extraits (étoile-Absinthe, no 7-8, 1980, p. 35-41).
7 Cf. par exemple le beau livre posthume Présentation de la France (Manuel Bruker, 1950), où l’exaltation du territoire et de ses beautés se mêle à l’esprit de résistance et à la satire antigermanique.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-12847-2
- EAN : 9782406128472
- ISSN : 2260-7498
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12847-2.p.0171
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 30/03/2022
- Langue : Français