Author’s Note
- Publication type: Journal article
- Journal: Alkemie Revue semestrielle de littérature et philosophie
2022 – 2, n° 30. L'image - Author: Oldenburg (Jan)
- Pages: 277 to 278
- Journal: Alkemie
NOTE DE L’AUTEUR
J’ai envie de me faire sauter le cerveau. Les écouteurs dans les oreilles et Trust à plein volume. Malheureusement pas de catuaba (c’est une sorte de gin aux herbes, pour ainsi dire) sous la main pour porter la masse céphalique en ébullition par un acte fort. Demain, j’irai à Benevides pour acheter de la mouffette. La fièvre qui parcourt tout mon corps depuis une semaine ne me suffit pas. Pourquoi diable me suis-je remis à écrire ceci ? Comme si je ne savais pas que ça allait me coûter la tête. C’est toujours ainsi. Apparemment, écrire d’une façon normale n’est pas pour moi ; pour une raison que je n’arrive pas encore à comprendre, mon écriture doit toujours se faire au détriment de ma sérénité. J’écris pendant des heures, sautant allègrement les nuits de sommeil, et puis pendant la journée j’erre dans les rues de la ville comme un fantôme.
Une personne saine d’esprit me dit maintenant qu’il vaudrait mieux que j’arrête. Arrêter ça, d’un coup sec. Mais cela n’est plus possible. Maintenant que j’ai recommencé, je dois me débarrasser de cette misère. Et la seule façon de le faire, c’est en écrivant. Ce petit thriller qui ne deviendra jamais un grand film, mais qui entrera quand même dans la compétition. De l’encre sur du papier – la seule chose qui me procure encore un certain plaisir en permettant à mes pensées de dériver joyeusement. Je continuerai tantôt, pour voir si je pourrai en tirer un double Rittberger ce soir. Et puis il faudra aussi avoir un bouquet prêt pour Maria à l’occasion de la Journée mondiale de la femme. Et puis j’ai commencé à écrire cette lettre. Stupide raisin que je suis. Au lieu de moins, c’est juste plus. Pas un poil sur ma tête qui ne pense à m’arrêter. De la suie dans les aliments – uniquement lorsque la viande est brûlée, sinon non.
Pourquoi ai-je recommencé ? me suis-je demandé. Par lâcheté, ou par la folie des grandeurs, ou par un étrange mariage des deux. J’ai posté un texte dans un groupe sur internet, pour montrer que me servir 278des mots et des lettres ne me pose aucun problème et que je ne me contente pas de dénigrer les textes que d’autres mettent en avant. Bien sûr, quelqu’un dans le groupe s’est cru obligé de me demander si mon texte était destiné à devenir un manuscrit. Et j’ai dit « oui », parce que j’étais trop lâche pour expliquer que je n’écris presque plus. À cause de ce cerveau bouillant, bien sûr.
Mais c’est fait.
Une fois de plus dans ma vie, l’hallucination attaque mes cellules grises. Une fois de plus, les visions fébriles créent des monstres de papier qui m’attendent, incapables de se passer de moi longtemps. Quand j’écris, je traverse un délire bouillonnant, un enfer qui me procure un plaisir que je ne peux comparer qu’aux spasmes érotiques. Maria encore, qui murmure sans cesse à travers mes membres.
Et il fut nuit, et il se fit jour, le jour de la nuit suivante, et quelque dieu a vu que les masses étaient restées juste en dessous du point d’ébullition. Tout allait bien, le ciel était bleu jusqu’à ce que le déluge tropical de trois heures de l’après-midi exactement écrase tous les chemins visibles. Qu’est-ce que je fais ? De l’autoflagellation, particularité de la volonté de soi. Bien sûr, mon écriture est un acte d’autosatisfaction, mais cela n’a pas d’importance, car une bonne petite lessive permet d’enlever facilement les taches. Comme mes chemises peuvent être blanches (« Just how white my shirts can be ») ! Mais il ne peut pas être un homme parce qu’il ne fume pas les mêmes cigarettes que moi… Je n’arrive pas à obtenir de satisfaction (« But, he can’t be a man ‘cause he doesn’t smoke the same cigarettes as me… I can’t get no satisfaction ») – au moins les Rolling Stones, là dans mon oreille, comprennent ce dont je parle. C’est bien, parce que je suis moi-même sous la pluie.
Il est donc temps de replonger le délire dans l’encre. Ce texte tend à sa fin.
Jan Oldenburg
Traduit du néerlandais
par Marc Tiefenthal
- CLIL theme: 4028 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes de littérature comparée
- ISBN: 978-2-406-14536-3
- EAN: 9782406145363
- ISSN: 2286-136X
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-14536-3.p.0277
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 01-18-2023
- Periodicity: Biannual
- Language: French
- Keyword: writing, creation, doubts, anguish, certainty.