Comptes-rendus
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Ædificare Revue internationale d’histoire de la construction
2020 – 2, n° 8. Comptabilités de la construction - Auteurs : Arnaud (Philippe), Lamesa (Anaïs)
- Pages : 295 à 305
- Revue : Ædificare
Isabelle Chave, Étienne Faisant, Dany Sandron (éd.), Le chantier cathédral en Europe. Diffusion et sauvegarde des savoirs, savoir-faire et matériaux du Moyen Âge à nos jours, Paris, Le Passage, 2020, 428 p.
Ce volume multilingue de 428 pages – dont 18 pages de bibliographie en partie finale – richement illustré constitue les Actes d’un colloque européen « Le chantier cathédral en Europe » dirigés par Isabelle Chave, Étienne Faisant et Dany Sandron. L’idée de ce colloque fait suite à la candidature commune à cinq pays européens d’inscription au registre des bonnes pratiques de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel : des « techniques artisanales et des pratiques coutumières des ateliers de cathédrales, ou Bauhütten, en Europe : savoir-faire, transmission, développement des savoirs, innovation ». Leur sélection est effective depuis 20201. Trente-trois contributions organisées thématiquement constituent le corps du volume. On pourrait regretter un certain déséquilibre dans les contributeurs, les architectes, archivistes et historiens de l’art étant bien mieux représentés que les hommes de métiers, archéologues et anthropologues. Ce déséquilibre s’explique en grande partie par le cloisonnement entre les différents domaines de recherche sur le bâti ainsi qu’entre chercheurs et praticiens, encore très prégnant aujourd’hui. Dans leur avant-propos, Isabelle Chave et Dany Sandron reviennent sur l’impact que l’étude des cathédrales a eu sur l’archéologie ou l’analyse du bâti. Cet avant-propos est également l’occasion d’expliciter la démarche des organisateurs de ce colloque qui souhaitaient aborder les chantiers cathédraux dans une optique holistique et anthropologique. Considérés ici comme patrimoine, ils sont le résultat de phénomènes sociaux et culturels. Leur environnement technique, administratif voire juridique est étudié sur le temps long (de l’époque médiévale à nos jours) dans une démarche analogique.
En introduction Isabelle Chave s’intéresse aux ateliers de cathédrales comme patrimoine culturel immatériel (PCI) et revient sur la genèse 296du projet de classement initié par l’œuvre Notre-Dame de Strasbourg et la Münsterbauhütte d’Ulm. L’auteure souligne la variété des structures gérant actuellement ces ateliers, des métiers qui les constituent et de leur histoire. Les réseaux transfrontaliers qui existent aujourd’hui entre ces différentes organisations s’observent dès le Moyen Âge. Ce réseau sur lequel s’est appuyé le projet d’inscription a pour vocation de renouveler les pratiques de restauration, de transmettre les techniques traditionnelles et l’esprit qui fonde l’atelier artisanal tout en étant un conservatoire de leur documentation. Il a également pour objectif de valoriser ces savoirs et savoir-faire auprès d’un public varié en impliquant les différents acteurs du patrimoine.
Le premier chapitre thématique « L’Administration des chantiers dans l’histoire » compte dix contributions dont trois en allemand. Il s’ouvre par une proposition de Dany Sandron qui s’intéresse au rôle des cathédrales dans la transmission des savoirs au sein de leur diocèse. Revenant sur les hypothèses des xixe et xxe siècles, l’auteur questionne l’impact des politiques édilitaires (civiles, militaires et religieuses) au sein des diocèses sur les églises paroissiales. À l’aide d’exemples européens variés (français, espagnols, italiens), cette riche communication croise des données géographiques, artistiques et historiques pour révéler les dynamiques de circulation des savoirs et aborder différemment les chantiers de cathédrales. Mathieu Lours nous plonge ensuite dans les archives d’une instance étatique : la Commission des Secours qui apparaît en France au xviiie siècle pour une durée d’environ 50 ans (1727-1788). Ce nouvel acteur permet progressivement au pouvoir royal d’investir les chantiers de construction et de réparation des cathédrales françaises. Les archives donnent à voir l’état de certaines églises, percevoir les modalités de financements et les enjeux politiques qu’ils impliquent au niveau du chantier. E.-M. Seng et M. Silvestri abordent ensuite la réintroduction des Bauhütten ou ateliers de cathédrale en Europe aux xixe et xxe siècles. S’appuyant sur des exemples allemands et espagnols, les auteurs développent les raisons qui ont conduit à reformer certains de ces ateliers. Souvent impulsée par une volonté municipale ou nationale, cette réintroduction des Bauhütten avait un caractère identitaire fort et servait à promouvoir l’artisanat à travers la restauration de monuments « nationaux ». Rafaël-Florian Helfenstein décrit la dernière tentative d’achèvement de la cathédrale de Metz par le nouvel Empire allemand, 297après l’annexion de l’Alsace-Lorraine en 1871. C’est à travers la personnalité de l’architecte en chef, Paul Tornow, que l’auteur nous présente ce grand projet. Pourtant initié par un Empire allemand souhaitant marquer sa présence sur le territoire fraichement annexé, l’architecte messin s’appuie principalement sur les modèles français et les théories de Viollet-le-Duc. Son projet, bien que mal reçu au sein des architectes allemands, a influencé considérablement les Pères des politiques patrimoniales allemandes. Nicolas Lefort aborde ensuite l’histoire de deux ateliers de cathédrales, ceux de Strasbourg et Metz après la réintégration des territoires de l’Alsace-Lorraine par la France. Ces deux institutions connurent deux destins bien différents qui révèlent, en arrière-plan, le fonctionnement très centralisé des Monuments Historiques français et des théories appliquées par ce service lors de projets de restauration. Se concentrant sur l’œuvre Notre-Dame, Sabine Bengel nous plonge dans ces ateliers uniques en France tant par leur fonctionnement administratif que par leur histoire. Mais l’auteur rappelle que le rôle de cette institution ne se limite pas à la conservation et la restauration de la cathédrale de Strasbourg, il s’agit également d’un conservatoire des savoirs, possédant un riche patrimoine historique dont elle est la garante et la promotrice. Franz Zehetner relate l’histoire du chantier de la cathédrale Saint-Étienne de Vienne qui n’a quasiment pas connu d’interruption avant le xvie siècle. L’auteur illustre l’impact de la Bauhütte de la cathédrale sur les idées de conservation et de restauration du patrimoine viennois dès l’époque moderne. Matthias Deml propose l’histoire morcelée de l’atelier de la cathédrale de Cologne. Bien documentée pour l’époque médiévale, les données se font plus rares pour la période allant du xvie au xviiie siècle, époque à laquelle la cathédrale est en ruine. La recréation de la Bauhütte à Köln au xixe siècle et sa riche documentation illustrent les changements que connut l’institution dans son savoir-faire, sa constitution ou son mode de financement. Klára Benešovska nous transporte à Tchéquie pour relater l’histoire d’un inachevé le chantier de la cathédrale de Prague qui dura près de six siècles, marqué par des arrêts et reprises successifs liés à l’histoire de la région. Christophe Amsler clôture ce premier groupe thématique en portant son attention sur l’histoire de la fabrique publique de Lausanne (Suisse) encore active aujourd’hui et actuellement remise en question. L’étude de son histoire instruit sur l’évolution des mentalités autour de la question patrimoniale en Suisse entre le xixe et le xxe siècle.
298Le deuxième thème « Réseaux et circulation des savoirs » est construit autour de six contributions en allemand, italien et français. Stefan Bürger aborde l’institutionnalisation des premiers ateliers de cathédrales dans le monde germanophone d’un point de vue théorique. En deux temps, cette proposition revient sur la définition même du terme « Bauhütte » pour ensuite analyser des exemples de groupements d’artisans de la pierre dont l’organisation varie localement selon trois principes interdépendants : les relations avec le pouvoir de ces organisations, leur constitution légale et la gestion de leurs revenus. À travers le dépouillement de sources relatives au projet de reconstruction de monuments religieux dans les principales villes du Piémont, Silvia Beltramo met en exergue le poids grandissant des commanditaires civils dans les choix esthétiques et techniques de ces chantiers à la fin du xve siècle. Par ce nouveau mode de financement, elle explique également la disparition des complexes épiscopaux supplantés par de nouveaux modèles de bâtiment : les cathédrales. Ces deux premières contributions plus généralistes sont suivies de cas d’étude spécifiques. À défaut de sources, Arianna Carannante s’appuie sur une analyse comparatiste entre les solutions stylistiques mises en œuvre durant le chantier de la cathédrale de Lucera dans les Pouilles (Italie) et des édifices de Naples construits à la même époque. Cette recherche permet de confirmer l’origine géographique diverse (italienne et française) des maçons qui y sont employés. Ce brassage a joué un rôle dans la création d’un nouveau langage stylistique mis en œuvre dans le sud de l’Italie. En s’appuyant sur les grandes figures d’architectes de l’Europe gothique, Yves Gallet mène l’enquête sur les réseaux d’échanges de savoirs. La recherche des raisons de la circulation des architectes permet à l’auteur de pointer le rôle des réseaux de relations des commanditaires entre eux et des relations individuelles et familiales entre les architectes eux-mêmes qui aboutissent à la mise en place de véritables réseaux professionnels dont les traces remontent au xve siècle. Jean-Michel Mathonière aborde ensuite l’origine des savoirs des compagnons du Devoir. Il met en doute l’idée que le compagnonnage avait pour vocation la transmission des savoir-faire dès son origine. Une vision plus nuancée de cette hypothèse est proposée par l’anthropologue Nicolas Adell2. S’appuyant sur l’exemple du Tour de France N. Adell souligne : « Ainsi, au sein des 299différents groupements ouvriers, le voyage a pu être très tôt un outil de distinction avant de devenir ce par quoi on le légitime habituellement, à savoir une modalité de la formation technique3. » Introduisant le travail de l’association des charpentiers sans frontière et de son implication dans le chantier de la cathédrale Notre-Dame, François Calame décrit le processus de transformation du bois de chêne en ferme de charpente. S’appuyant sur les travaux du compagnon Marcel Le Port entre autres, l’auteur met en exergue les particularités du savoir-faire français dans la réalisation d’une charpente à partir du xiiie siècle. Engagé, il plaide de manière sous-jacente pour la reconstruction d’une charpente en bois à Notre-Dame. Le chapitre thématique se clôture sur les associations européennes des maîtres bâtisseurs de cathédrales et des ferronniers d’art. Wolfgang Zehetner aborde à grands traits l’organisation de ces associations d’artisans à l’époque médiévale et aujourd’hui, l’importance de la coopération de ces groupements dans les chantiers de cathédrales européens dès le Moyen Âge et réaffirme les avantages de l’existence de telles structures aujourd’hui, qui jouent un rôle fondamental dans la transmission et la conservation des savoirs théoriques et pratiques.
Le troisième chapitre thématique « Pensée et savoir-faire technique » regroupe sept communications rédigées en français, allemand et italien. Il s’ouvre sur une proposition de Stephan Albrecht sur la cathédrale Notre-Dame de Paris. L’auteur fait un bilan des études conduites de 2012 à 2016 par l’université de Bamberg sur les portails du transept. Grâce à la cartographie 3D, il a pu être démontré que les deux portails analysés ont été réalisés en parallèle par deux équipes différentes qui travaillaient en étroite collaboration. L’article suivant écrit à huit mains (David Wendland, Frédéric Degenève, Nicolas Eberhardt et María José Ventas Sierra) porte sur un élément d’architecture qui reste encore mystérieux dans sa conception : les voûtes complexes du gothique tardif (xve-xvie siècles). Le projet interdisciplinaire porté par l’université de Dresde mené en collaboration avec la fondation de l’œuvre Notre-Dame de Strasbourg a permis de reconstruire les grandes phases du processus de mise en œuvre de ces voûtes. Partant d’une « micro-histoire technique » du dispositif de montage des voussures de portails historiés français, Jean-Marie Guillouët aborde plus largement l’évolution des mentalités des artisans employés dans les chantiers de grande ampleur au tournant du xve siècle et le phénomène 300« d’individuation » de ces artisans par le biais de leur savoir-faire. En se penchant sur l’histoire des collections des dessins d’architecture produits avant l’époque moderne, Étienne Hamon offre à voir une autre facette des chantiers de cathédrales de l’époque gothique où le dessin devait jouer un rôle important mais dont peu de traces directes subsistent aujourd’hui. Jessica Gritti et Francesco Repishti présentent ensuite le riche corpus de dessins d’architecture de la cathédrale de Milan, encore mal connu. En cours de classement et d’étude, ces dessins doivent être valorisés sous la forme d’un catalogue électronique. Une autre source, les archives de l’administration des Cultes, permettent de saisir l’histoire des chantiers de restauration des cathédrales au xixe siècle. À l’occasion de cet article, Maïwenn Bourdic présente le projet « Restaurer les cathédrales au xixe siècle » et rappelle la diversité des informations procurées par ces sources. Elles jettent, en effet, un éclairage sur les rapports entre l’État et l’Église catholique, les réseaux économiques et d’échanges des savoirs à travers les entreprises engagées dans les restaurations des cathédrales. Le troisième chapitre se clôt avec la contribution de Mathilde Lavenu sur les carnets de chantiers de l’architecte Louis Jarrier (1862-1932). L’analyse de ces archives originales met en lumière différentes facettes du chantier de la cathédral de Notre-Dame de l’Assomption de Clermont-Ferrand et permet d’entrevoir comment l’architecte se représentait son chantier et identifier les hommes qui travaillaient à ses côtés.
Le quatrième chapitre « Chantiers de restauration aujourd’hui » s’ouvre sur une contribution de Lydwine Saulnier-Pernuit et Michaël Vottero dont le sujet porte sur le lapidaire de la cathédrale de Sens. Ce dépôt, alimenté jusqu’à la fin du xxe siècle, joue un rôle majeur dans la conservation de fragments de l’église Saint-Étienne. Retraçant la genèse de sa constitution, les auteurs soulignent la nécessité de continuer l’inventaire exhaustif des pièces qui y sont conservées, initié dans les années 1960 par Léon Pressouyre. Ces réserves recèlent une riche collection qui éclaire l’histoire du chantier de la cathédrale de Sens à toutes les époques. Plus technique et illustré d’exemples variés, le papier de Pierre-Yves Caillault fait le point sur l’évolution des protocoles et techniques mis en œuvre par les ateliers engagés dans la restauration et la conservation de la cathédrale de Notre-Dame de Strasbourg. L’auteur rappelle de manière utile la participation d’entreprises privées en parallèle de la Fondation de l’œuvre Notre-Dame. Frédéric Didier, architecte en chef des Monuments Historiques, nous 301livre un témoignage du sauvetage de la cathédrale Saint-Lazare d’Autun qui débuta dans les années 1990. L’article est l’occasion de faire partager aux lecteurs ses réflexions et ses choix qui ont jalonné ce chantier de longue haleine, toujours actif aujourd’hui. On ne pouvait aborder les chantiers de restauration et de conservation des cathédrales aujourd’hui sans mentionner l’apport des nouvelles technologies. C’est l’objet de la communication d’Albert Distelrath qui prend l’exemple de l’atelier de la cathédrale de Cologne. À toutes les étapes du processus de restauration, l’atelier fait appel à ces nouveaux outils pour faciliter son travail. La Bauhütte multiséculaire n’en oublie pas pour autant les techniques traditionnelles qui constituent le cœur de son identité. Petr Chotĕbor décrit une solution originale, impliquant la chancellerie du Président de la République tchèque, la ville de Prague et les maîtres d’œuvre engagés dans la restauration de la cathédrale Saint-Guy. Cette synergie, née de la disparition de la Bauhütte moderne de la cathédrale en 1933, a permis de mener de concert des recherches sur l’édifice dont l’histoire constructive est mal connue et de retrouver des informations sur l’activité des ateliers de la cathédrale dès l’époque médiévale. Les deux dernières contributions de ce quatrième chapitre sont consacrées à la cathédrale Notre-Dame de Paris. Aline Magnien met en lumière les deux pans d’un chantier cathédral à la fois romantique et scientifique, qu’il est difficile de dissocier encore maintenant. Elle évoque les acteurs engagés pour sa sauvegarde et rappelle que l’urgence de la situation n’a pas encore laissé place à la recherche scientifique. C’est de bien de cette recherche dont il question dans l’article de Pascal Liévaux et Philippe Dillmann au titre évocateur : « Quelle recherche autour de l’édifice et du chantier de restauration de Notre-Dame ? ». La communication est l’occasion de présenter les différents groupes de recherche appartenant à différentes institutions. Une collaboration étroite entre le CNRS et le Ministère de la Culture mais également entre l’ensemble des acteurs actifs du chantier de restauration a permis de mettre en place un programme de recherche hors-norme. La volonté première des scientifiques et institutions impliqués est de collecter et analyser les données générées autour du drame et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
En conclusion, Bruno Klein revient sur les termes de « cathédrale gothique ». Il rappelle à dessein que les cathédrales néo-gothiques sont dispersées à travers le monde et n’ont pas encore assez attiré l’attention 302des chercheurs. L’auteur plaide pour leur étude ; il souhaite que ce corpus de monuments reprenant le vocabulaire architectural gothique soit intégré dans les réflexions sur l’architecture gothique et moderne. Au-delà, il milite pour que les protagonistes des chantiers de cathédrales modernes soient considérés au même titre que les artisans travaillant de manière traditionnelle et qu’ainsi des échanges fructueux, « gagnant-gagnant » – pour reprendre ses propres termes – puissent voir le jour.
Par une approche diachronique, ce volume très riche permet de mieux cerner le rôle des fabriques européennes. En arrière-plan, il éclaire aussi les enjeux politiques et économiques locaux, régionaux et nationaux de ces chantiers cathédraux. Grâce aux nombreux cas d’étude, il offre aux lecteurs un inventaire des sources avec lesquels historiens, historiens d’art et architectes sont amenés à travailler. Enfin, il ouvre sur des thèmes de recherche qui mériteraient d’être davantage étudiés pour ce qu’ils sont : les restaurations et les réseaux de savoir dans le domaine de la construction aux époques moderne et contemporaine.
Anaïs Lamesa
Pensionnaire scientifique
de l’Institut français d’études anatoliennes (UMIFRE / USR 3131)
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Loïc Couton, Renzo Piano Building Workshop, Entre la science et l’art, Paris, éditions Arléa, 2021, 380 p.
Qu’est-ce qui définit le métier d’architecte ? En quoi consiste le processus de création ? Loïc Couton, architecte DPLG, a intégré l’agence parisienne de Renzo Piano en 1987, et a passé dix-huit ans auprès de 303lui, avant de s’orienter vers l’enseignement et la recherche. Il est actuellement professeur à l’École d’architecture Paris-Malaquais, et co-auteur notamment de L’histoire d’un projet, sur la métropole de Rouen4.
C’est à une découverte du Renzo Piano Building Workshop, l’agence internationale de Renzo Piano, que nous invite son nouveau livre, fruit de deux années d’écriture et de nombreuses autres années de maturation, qui intéressera bien sûr tous les étudiants en architecture, mais au-delà tous ceux qui s’intéressent à l’art de construire, et qui se demandent parfois la raison de la « désespérante stagnation de l’architecture moderne (contemporaine) », pour reprendre le titre d’une conférence déjà ancienne de Tadao Andô5.
Comme Renzo Piano, Loïc Couton pense qu’« on ne peut pas faire d’architecture sans maîtriser les techniques de construction ». L’architecture est une science, elle en a la rigueur, dit-il. Mais elle est aussi un art. Elle a recours à une technique pour engendrer une émotion. Architecture et technique doivent donc dialoguer en permanence.
Sans doute l’architecte-constructeur qu’est Renzo Piano n’est-il pas représentatif de l’ensemble de la corporation des architectes. L’ouvrage rappelle que celui-ci est né dans une famille d’entrepreneurs en bâtiment. Piano « voit dans la construction une teknê au service d’une poiésis ». En architecture, il faut concevoir ses propres instruments de travail, affirme le concepteur du Centre culturel Tjibaou en Nouvelle-Calédonie, pour qui « le résultat final est tellement fonction du procédé de construction que si ce préalable n’est pas maîtrisé, le projet initial restera à la merci des méthodes en vigueur, et l’originalité qu’il présentera par ailleurs restera tributaire d’une ingénierie extérieure à la première inspiration. »
D’où l’intérêt de l’auteur pour ces « moments » où la conceptualisation et la matérialisation agissent de concert, pour évoluer vers une « conformité identitaire » (Loïc Couton prend soin ici de ne pas employer le mot « forme »), ces épiphanies en quelque sorte, lorsque l’intention coïncide avec la réalisation dans « l’évidence d’une écriture architecturale », et qui font l’objet dans le livre d’une réflexion théorique captivante (tout 304en restant accessible) parce qu’elles sont la manifestation de l’acte créatif/constructif lui-même.
Pour y voir clair, et c’est un des grands intérêts de cet essai, l’auteur a interrogé non seulement Renzo Piano, mais aussi les collaborateurs de son Building Workshop. Parmi les témoignages passionnants, anciens ou récents, citons ceux de Bernard Plattner, associé historique de l’agence, qui a dirigé en particulier le projet du tribunal de Paris ; Jean-François Blassel, spécialiste des grands projets d’infrastructures, qui a travaillé avec l’ingénieur Peter Rice, ami et collaborateur de Piano disparu en 1992, et dont l’auteur cite et commente de nombreux extraits de l’ouvrage Mémoires d’un ingénieur6 ; ou encore l’architecte génois Giorgio Bianchi, qui collabore aujourd’hui à l’antenne parisienne de RPBW.
Loïc Couton nous livre ainsi les secrets de la méthode « pluridisciplinaire » de Piano. Assumer la technologie, sans en être esclave. Dialoguer. Le dialogue est « un principe actif de la méthode »… Créer des synergies, notamment avec l’industrie. Piano n’a jamais hésité à « entrouvrir les portes des industriels ». Partager les responsabilités. Expérimenter, y compris « avec de la colle et des ciseaux ». Savoir « gérer le temps »…
Piano et son équipe partent souvent d’un simple détail, montre Loïc Couton, qui n’hésite pas à parler d’une « vision panoramique dès le départ », allant du détail constructif aux schémas organisationnels. Dans le cas de Beaubourg, le soin porté à la fabrication de chaque pièce a permis « d’éviter la froideur et la monotonie des grandes structures en acier standardisées de l’époque […] La perception du Centre Pompidou se faisant graduellement, par l’addition progressive de différentes pièces qui le composent. » La gerberette, un des éléments de l’expressivité architecturale du bâtiment, est le résultat d’un travail de plusieurs mois entre architectes-constructeurs et industriels de la fonderie.
Concernant la Maison Hermès (à Tokyo en 2006), inspirée de la maison du docteur Dalsace de Pierre Chareau, le Renzo Piano Building Workshop a travaillé avec des industriels italiens pour inventer un nouveau pavé de verre. Pour les pièces en terre cuite utilisées sur la Potsdamer Platz à Berlin, comme pour la tour de l’IRCAM, ou l’ensemble de logements sociaux rue de Meaux à Paris, les collaborateurs de l’agence ont développé avec des briquetiers des éléments préfabriqués permettant 305de décliner différents types de panneaux de façades, en fonction des différents projets.
Les aller-retour entre les projets et les histoires qui les ont fait naître, le making-off en quelque sorte des principaux ouvrages de Piano, rendent le livre particulièrement intéressant et, c’est un exploit, agréable à lire, le choix du noir et blanc pour les illustrations conservant au texte sa primauté. Parmi les belles pages, on retiendra le plaidoyer sensible pour le dessin d’architecture. Chez Piano, le croquis a toujours représenté le premier moyen de « donner corps » aux idées architecturales, ces « hologrammes » que le croquis mieux que nul autre moyen permet d’exprimer.
On l’aura compris, le livre de Loïc Couton n’est pas seulement un témoignage de gratitude. Il est, plus qu’un livre d’architecture, un éclairage tout à fait inédit sur une aventure humaine et artistique hors du commun, parmi les plus stimulantes de ces quarante dernières années.
Philippe Arnaud7
1 https://ich.unesco.org/fr/BSP/les-techniques-artisanales-et-les-pratiques-coutumieres-des-ateliers-de-cathedrales-ou-bauhutten-en-europe-savoir-faire-transmission-developpement-des-savoirs-innovation-01558 (consulté le 8 mai 2021).
2 Nicolas Adell, Des hommes de devoir : les compagnons du Tour de France, xviiie-xxe siècle, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2008.
3 Ibidem, p. 46.
4 Loïc Couton et Jean-Jacques Terrin, Histoire d’un projet. De la demande à l’usage, Gollion, In Folio, 2019.
5 Tadao Andô, Pensées sur l’architecture et le paysage. Textes et entretien avec Yann Nussaume, Paris, Arléa, 2014.
6 Peter Rice, Mémoires d’un ingénieur, Paris, Éd. du Moniteur, 1998.
7 Philippe Arnaud est professeur agrégé de philosophie à l’Ensaama-Olivier-de-Serres à Paris, et écrivain. Il a écrit en particulier Le Rire des philosophes (Arléa, 2017).
- Thème CLIL : 3076 -- TECHNIQUES ET SCIENCES APPLIQUÉES -- Architecture, Urbanisme
- ISBN : 978-2-406-12914-1
- EAN : 9782406129141
- ISSN : 2649-177X
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12914-1.p.0295
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 23/03/2022
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français