Comptes rendus
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Ædificare Revue internationale d’histoire de la construction
2018 – 2, n° 4. Recyclage et remploi : la seconde vie des matériaux de construction - Auteurs : Bernardi (Philippe), Foulquier (Laura), Nobile (Marco Rosario), Mascarenhas-Mateus (João)
- Pages : 279 à 296
- Revue : Ædificare
Mathilde Carrive, éd., Remployer, recycler, restaurer. Les autres vies des enduits peints, Rome, École française de Rome, 2017 (Collection de l’École française de Rome – 540), 134 p., 63 fig.
Mathilde Carrive réunit dans ce volume singulier dix contributions italiennes et françaises, issues d’une journée d’étude organisée à l’École française de Rome, sur un sujet pour le moins peu commun, à savoir le réemploi, le recyclage et la restauration des enduits peints antiques. Les textes proposés sont, pour la plupart, assez courts ce qui participe du sentiment de cohésion et de vivacité qui se dégage de la lecture de l’ensemble. Les illustrations en couleur se trouvent regroupées dans un cahier de grande qualité, en fin de volume avec une bibliographie d’une quinzaine de pages qui fera sans doute référence.
Si la question de la réutilisation des déchets trouve, de nos jours, pleinement droit de cité dans l’approche des pratiques constructives antiques, médiévales et modernes, il est vrai, comme le souligne la curatrice en introduction de cet ouvrage, que la recherche s’est intéressée « plutôt aux matériaux propres au bâti, comme la pierre, la terre cuite ou le métal ». Pointant le volume représenté par les fragments d’enduits arrachés aux parois d’un édifice, lors de la réfection de son décor, ou à ses matériaux, lors d’une démolition, Mathilde Carrive nous invite à enrichir la réflexion menée sur les rebuts en prenant en considération le devenir des fragments d’enduits. Ce devenir est envisagé en deux temps qui correspondent à deux enjeux ou à deux types d’utilisation distincts. Le premier, que l’on pourrait désigner comme interne à l’Antiquité, s’intéresse aux enduits réduits à l’état de gravats et employés « pour réaliser des niveaux de préparation de sols, combler des structures ou encore faire office de caementa ». C’est ce qui compose la première partie du volume, intitulée « Rejet, remploi et recyclage des enduits fragmentaires dans l’Antiquité ». Deux articles liminaires proposent fort judicieusement des réflexions sur le cadre juridique du remploi et sur les espaces dédiés au stockage ou au rejet de ces gravats. Le statut juridique du décor peint est évoqué à partir des écrits des juristes romains classiques des 280iie et iiie siècles apr. J.-C. L’analyse qu’en livre Charles Davoine montre que ce décor était considéré non comme un attribut superficiel, mais comme un ornement attaché aux murs et, partant, comme une partie du patrimoine. Au-delà, elle évoque un certain nombre de pratiques, plus ou moins courantes, et montre que la dépose ou la modification du décor peint n’avait aucunement un caractère anodin. L’importance du thème traité dans ce volume est, de même, soulignée par la seconde contribution introductive, due à Sandra Zanella, à partir du cas de Pompéi. Reprenant la documentation pluriséculaire des fouilles de Pompéi, l’auteure sauve d’une « deuxième mort » les rebuts de construction en localisant autant que possible les décharges dans lesquelles ils furent accumulés dans l’Antiquité. Entre remblais invisibles et tas de déblais visibles se dessine une cartographie des dépôts aux dimensions parfois considérables, internes à la cité ou rejetés aux portes de celles-ci, voire en bordure de l’enceinte, chaotiques ou raisonnés. Cette étude pointe le problème majeur du stockage, largement négligé par les historiens.
Les cinq études qui suivent reviennent ensuite aux modalités d’utilisation des fragments d’enduits peints révélées par l’archéologie pour l’Antiquité. Le point fait, en introduction, par Mathilde Carrive sur le vocabulaire et l’usage des termes remploi, réutilisation ou recyclage est complété par une réflexion sur la notion de « remblai » (Coutelas et Vauxion) imposée par la nouveauté de l’objet étudié et la nécessité d’une remise en question de certains présupposés ou lieux communs. Les contributions sur Pompéi et la Gaule romaine (Coutelas et Vauxion ; Groetembril), le Vieil-Évreux (Bonelli), Ostie (David, Milani et Melega) et Aquilée (Salvadori, Didoné et Salvo) dressent par touches précises un inventaire détaillé des divers types de réutilisations possibles des enduits fragmentaires : en remblai dans les fondations et les sols ; en blocage ou en opus caementicium ; en parement ; comme granulat ; comme « pierre à chaux » ; voire même dans des dépôts votifs, comme cela a pu être observé à Pussigny ou à Pompéi. Les enduits fragmentaires prennent, à travers les multiples observations faites, toute leur dimension de matériaux de construction que leurs caractéristiques physiques (taille, poids, porosité, forme, résistance à la compression et au feu) rendent particulièrement adaptés à certains usages du fait, par exemple, de leur « effet autobloquant » ou de leur pouvoir drainant (bien mis en lumière pour Aquilée). Les usages ne se réduisent toutefois pas à une simple typologie rationnelle, car, comme le soulignent fort justement 281Arnaud Coutelas et Ophélie Vauxion, « les paramètres entrant en jeu dans le remploi des enduits fragmentaires sont multiples, liés aux qualités des matériaux et, surtout, à l’organisation, à l’économie et au contexte de chantier » (p. 44). C’est, avec l’organisation, l’économie et le contexte de chantier, une opportunité de mieux saisir dans sa complexité le monde antique de la construction que nous offre une méthodologie d’approche de la « deuxième vie » des enduits peints telle que celle proposée par Laetitia Bonelli à partir d’une expérience d’une dizaine d’années sur les chantiers du Vieil-Évreux.
Ces études balayent le caractère anecdotique que l’on a pu prêter à l’utilisation des fragments d’enduits en architecture. Elles démontrent clairement tout ce qu’une attention portée aux caractéristiques présentées par ces matériaux, mais aussi au contexte de leur (re)mise en œuvre, peut apporter à notre appréhension des pratiques constructives en les replaçant dans la réalité matérielle de villes encombrées, aux approvisionnements complexes et dans lesquelles chantiers de démolition et de construction coexistent.
C’est une tout autre approche que propose le deuxième volet de l’ouvrage qui revient sur la valeur esthétique de ces fragments à travers leur devenir aux époques moderne et contemporaine. Si les fragments d’enduits peints antiques sont toujours au centre du propos, ce sont d’autres usages que documentent les auteurs des trois articles de cette seconde partie. Gabriella Prisco envisage, à partir du cas d’Herculanum, deux pratiques en vigueur à la cour des Bourbons de Naples et consistant, d’une part, à « fragmenter l’entier » par dépose d’une partie de fresque traitée comme un véritable tableau, et de l’autre à « recomposer les fragments » par l’assemblage dans un même cadre de divers éléments sélectionnés. Pratiques fort bien documentées dans ce cas et qui ne sont pas sans évoquer, pour le médiéviste, celles mises en lumière pour les décors peints du Palais des Papes d’Avignon1. Si les questions de dépose et de transformation des fragments de peinture murale en tableautins sont reprises par Delphine Burlot, qui analyse l’évolution des goûts en la matière, la part grandissante prise par l’intérêt porté à la matérialité du fragment conduit cette auteure à aborder les questions des restaurations et dérestaurations dont les fragments peuvent faire l’objet. Objets de 282restaurations, les enduits fragmentaires sont également envisagés comme « témoins matériels du passé ». Leur étude complète l’observation des peintures en place et a nourri pour partie la démarche d’archéologie expérimentale engagée par Maud Mulliez et Aude Aussilloux-Corrrea. L’article qu’elles proposent rend compte d’une tentative de recréation d’une fresque romaine, menée dans le cadre d’une exposition s’étant tenue à Toulouse en 2014-2015. L’analyse des enduits peints fragmentaires contribue en effet, par l’observation de la composition, de l’épaisseur, de la régularité ou du nombre de couches de mortier appliquées, à une forme de restitution de la fresque antique qui n’est plus une recomposition, mais une approche de la mise en œuvre, des dosages, des gestes et de l’organisation du chantier. Par une sorte de mouvement circulaire, la recherche en revient, ainsi, à la peinture « en place », point originel des fragments sur lesquels ce bel ouvrage attire à juste titre notre attention.
On peut, à la lecture de l’ensemble de ces contributions que rejoindre les observations conclusives auxquelles se livre Irene Bragantini et d’insister avec elle sur l’intérêt présenté par une lecture ou relecture attentive des témoignages fournis par ces fragments, susceptibles de nous renseigner sur toutes les phases d’activité des chantiers. Mais aussi sur la nécessité d’une récolte attentive et d’un archivage rigoureux d’éléments dont le statut exact et la valeur nous échappent encore en grande partie. Ce volume n’a pas la prétention de proposer une somme. Il plaide pour une prise en compte élargi des matériaux de seconde main et de la place des rebuts dans les pratiques constructives anciennes. Il témoigne, ce faisant, d’une forme de maturité des recherches sur la place tenue par la réutilisation en architecture et engage à ne pas séparer trop artificiellement l’étude du décor de celui du support.
Au-delà de la prise en compte du traitement des enduits fragmentaires aux époques médiévale et moderne à laquelle il engage, ce volume alerte sur les dangers d’une hiérarchisation anachronique par une stimulante remise en question des notions de rebuts et de déblais. Ce n’est pas là la moindre de ses qualités.
Philippe Bernardi
CNRS – LaMOP, UMR 8589
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Stefan Altekamp, Carmen Marcks-Jacobs, Peter Seiler, éd., Perspektiven der Spolienforschung, 2, Zentren und Konjunkturen der Spolierung, Berlin Studies of the Ancient World, 40, Topoi, 2017.
Cet ouvrage est le tome 2 d’un travail amorcé il y a plusieurs années déjà et publié aux éditions De Gruyter en 2013. Le titre était le même, Perspektiven der Spolienforschung, mais le sous-titre, Spolierung und Transposition, éclairait les parti pris d’alors : il s’agissait d’étudier les aspects pratiques et sémantiques du remploi. Le tome 2, mis en ligne par les éditions Topoi en 2017, a pour sous-titre, Zentren und Konjunkturen der Spolierung : il se présente comme un état des lieux des recherches et des directions nouvelles que les chercheurs prennent pour non seulement étudier les œuvres proprement dites, mais aussi toutes les coulisses de leur extraction, de leur sélection, de leur conservation, de leur transformation et enfin de leur réutilisation. Car la récupération est un processus qui implique un certain nombre d’étapes dont le livre montre la complexité.
Le terme « Spolien », qui donne son titre à cet ouvrage, est issu du Latin « spolium », qui signifie « dépouille d’un animal ». Au pluriel, « spolium » devient « spolia » et désigne les dépouilles guerrières, en somme le butin de guerre. Au-delà, lorsque le terme apparaît dans l’Italie du xvie siècle, il désigne les matériaux spoliés. Les remplois étaient entendus comme de médiocres solutions à une pénurie de matériaux, conséquence directe d’une perte des savoir-faire. Le terme est donc connoté et inadéquat. Il est pourtant encore très présent dans la recherche anglo-saxonne. Et c’est ce terme que choisissent Stefan Altekamp, Carmen Marcks-Jacobs et Peter Seiler pour rassembler cet ensemble de textes très stimulants sur les pratiques de récupération. Mais ils proposent dans l’introduction d’abandonner désormais « Spolien », pourtant abondamment employé par l’historiographie allemande, pour « Wiederverwendung » (« remploi »), plus neutre.
Deux espaces sont envisagés : le Maghreb d’abord (espace pour l’instant peu défriché, mais dont les sources sont relativement nombreuses qu’elles soient juridiques ou historiques), Rome ensuite. L’ouvrage rassemble 284douze contributions en Anglais, en Français, en Italien et en Allemand qui s’intéressent à la façon dont le paysage monumental antique est perçu et exploité.
Ces pratiques de récupération génèrent des coûts, mais aussi des gains. Donc elles doivent être encadrées. Faouzi Mahfoudh, dans son article consacré au « Commerce de marbre et remplois dans les monuments de l’Ifriqiya médiévale » (p. 15-42), exploite les consultations juridiques très nombreuses destinées à légiférer sur la récupération de l’ancien. Ainsi la fatwa d’Al Burzuli est riche d’enseignements sur la façon dont la société considérait l’Antiquité : les ruines appartiennent à un temps révolu. Elles sont exploitables si, et seulement si, l’édifice était abandonné à l’arrivée des musulmans. La récupération fait table rase du passé, un passé qui n’a plus lieu d’être. Usage pragmatique donc, mais qui n’est pas incompatible avec une sensibilité à l’égard de la beauté et de la diversité de ces matériaux. Par exemple, dans la salle de prière de la Grande Mosquée de Kairouan, les colonnes sont triées par taille et par couleur et ordonnancées de façon symétrique. Stefan Altekamp (« Reuse and Redistribution of Latin Inscriptions on Stone in Post-Roman North-Africa », p. 43-65) s’intéresse à la réutilisation d’inscriptions latines dans un espace plus vaste, l’Afrique du Nord, et dans une chronologie plus large puisqu’il pousse ses investigations jusqu’au xixe siècle. Dans l’Afrique post-romaine, on ignore alors le sens de ces inscriptions (l’usage du Latin se perd) et de fait elles sont pour la plupart du temps illisibles qu’elles soient à l’envers, lacunaires ou à des niveaux trop élevés. Mais elles sont visibles pour la plupart. Tout change avec l’arrivée des Européens. Identifier et éditer ces inscriptions, c’est médiatiser le passé (européen) de ces territoires. On met en exergue les origines latines du Maghreb. C’est une réécriture de l’histoire. La colonisation désolidarise ces fragments de leur monument, de leur contexte de récupération. L’objet-remploi devient document. La patrimonialisation de l’objet-remploi bouleverse les contextes culturels et sociaux dans lesquels ils s’inséraient depuis plusieurs siècles. C’est la période coloniale qui est étudiée aussi avec Michael Greenhalgh, en Algérie plus précisément (« Sétif, Tébessa, Guelmia : The French Army and the Destruction of Roman Monuments in Algeria », p. 133-175). Le paysage monumental antique a été radicalement altéré par l’armée française qui est à l’origine de nombreuses déconstructions à des fins 285de récupération. Les documents conservés au Service historique de la Défense et de l’Armée de Terre, à Vincennes, et aux Archives nationales d’outre-mer, à Aix-en-Provence, se révèlent riches d’enseignements : ils grouillent de détails sur la façon dont ces restes sont considérés et exploités. N’oublions pas que bien souvent les auteurs de ces rapports ont bénéficié d’une solide éducation et témoignent donc d’une sensibilité à l’égard de ces vestiges dont ils ont conscience de la valeur historique. Néanmoins, malgré cette conscience, les monuments sont dépecés et la récupération bat son plein. Ce vandalisme est dénoncé à l’époque, a fortiori dans un contexte particulier, celui des premières enquêtes sur le terrain et des premières initiatives patrimoniales in situ. D’autres auteurs cherchent à comprendre le sens de ces pratiques. Simonetta Ciranna (« Pulcherrima Spolia in the Arch and Urban Space at Tripoli », p. 67-93) s’intéresse à la Libye sous la domination ottomane. L’enquête révèle un recours massif aux matériaux romains et un usage signifiant de ceux-ci. Mais que cherche-t-on à rappeler ? Le passé romain ? Ou les premiers temps musulmans où les monuments romains étaient dépecés et leurs matériaux réutilisés de façon exemplaire ? Le thème de la réutilisation du lieu est exploité avec Said Ennahid et Éric Ross (« Adding a Layer. Functioning Muslim Shrines at Archaeological Sites in Northwestern Morocco », p. 95-132), qui présentent six études de cas pour comprendre pourquoi et comment les lieux saints musulmans se sont inscrits dans le paysage monumental préexistant. C’est un sujet de recherche relativement vierge : ce phénomène de réutilisation est tout juste exploité par l’archéologie marocaine. La permanence des lieux ne veut pas dire la récupération des matériaux. Ils sont préservés néanmoins : blanchis, ils deviennent des objets dévotionnels.
La deuxième partie de l’ouvrage fait le focus sur Rome, de l’Antiquité tardive jusqu’à la Renaissance. Les nombreuses contributions montrent les transformations de la ville (et les déconstructions et les reconstructions qui vont avec) et permettent de voir quels sont les acteurs, les coûts, les aménagements… Roberto Meneghini (« Le Strade di Roma nel Medioevo », p. 283-310) montre comment, au Moyen Âge, le réseau routier atteste la logistique des pratiques de récupération puisqu’il se voit modifié pour favoriser la circulation rapide et aisée des véhicules acheminant les matériaux de récupération. Les archives nous livrent de précieuses informations sur le transport de ces matériaux issus des 286monuments romains. Les livres de paiement pour la construction de Saint-Pierre ou les livres de compte du Palais de la Chancellerie recèlent des informations précieuses sur la logistique mise en place pour transporter ces matériaux et sur les compétences spécifiques que cela requiert, d’où le recours à des spécialistes. Ainsi, Hermann Schlimme (« Antike Spolien als Baumaterial im Rom der Frühen Neuzeit : Bautechnik, Baulogistik un der Architekturentwurf mit Spolien nach Serlio », p. 311-334) rappelle que de 1451 à 1452, le pape Nicolas V (à cette époque, les pratiques de récupération sont indissociables des chantiers pontificaux) confia le transport de deux colonnes antiques des Termes d’Agrippa à la basilique Saint-Pierre à un spécialiste venu de Bologne. On tire parti de l’antique. On l’exploite à des fins urbanistiques (il faut faire place nette, redonner tout son lustre à la ville), constructives (on réutilise les matériaux), parfois décoratives (on réserve une place de choix à certains éléments qu’ils aient alors une valeur décorative, parfois politique, en tout cas signifiante). La contribution qui ouvre cette partie consacrée à Rome est celle de Patrizio Pensabene (« Architectural Spolia and Urban Transformation in Rome from the 4th to the 13th century », p. 177-233) et ce n’est pas fortuit : il propose un panorama, richement illustré, des pratiques de récupération du ive au xiiie siècle. Il propose une analyse méthodique des différentes pratiques de récupération et il note que le sens symbolique, l’ambition programmatique sont tardifs. Le sens de ces pratiques et la référence voulue à l’Antiquité sont explorés par l’article de Daniela Mondini (« Ostentation von Pracht oder Selbstbescheidung ? Antike Spolien in den hochmittelalterlichen Kirchen Roms, Konjunkturen und Intentionen », p. 235-281) sur les matériaux (bases, fûts, chapiteaux, architraves) remployés pour des dispositifs particuliers : les colonnades. À la Renaissance, cette réflexion sur l’usage de l’antique est théorisée, voire promue. Les pratiques de récupération ne sont plus seulement appréhendées au travers d’une économie des ruines, elles sont aussi au cœur d’une réflexion esthétique sur l’usage de l’ancien. Et l’article de Hermann Schlimme, que nous avons évoqué précédemment, s’arrête abondamment sur les architectes Serlio ou encore Domenico Fontana qui livrent de précieux témoignages sur la façon dont les contemporains appréhendaient l’Antiquité. Le bel article de Christine Pappelau (« The Dismantling of the Septizonium. A Rational, Utilitarian and Economic Process », p. 357-379) revient justement sur la personnalité de Domenico 287Fontana à l’occasion du démantèlement du Septizonium (commandité par le pape Sixte IV) et éclaire au-delà, à travers cette étude de cas détaillée, toute l’organisation d’un chantier de déconstruction débuté en mars 1588 (alors que le monument est déjà en ruine) et les pratiques de récupération qui l’accompagnent, jusqu’à la disparition complète du monument en avril 1589. Les comptes de Domenico Fontana, conservés aux Archives secrètes du Vatican, donnent de nombreuses informations sur le démantèlement lui-même, mais aussi sur les transformations que pouvaient subir les matériaux afin d’être transportés et stockés de façon optimale et sur l’utilisation de ces éléments. Les éléments architectoniques sont par exemple remployés à des fins décoratives, notamment ceux en marbre. Rome est un vaste chantier de déconstruction et de reconstruction et le projet sans doute le plus emblématique de cette active politique édilitaire menée par les papes est la basilique Saint-Pierre qu’éclaire l’article de Bernhard Fritsch (« The Ancient Monuments of Rome and Their Use as Suppliers of Remnants for the Construction of New St Peter’s Basilica : Building Activity in Rome during the Renaissance », p. 335-356). L’auteur insiste sur le fait qu’on a longtemps présenté ce chantier comme vorace, engloutissant les vestiges antiques. Mais ces monuments exploités étaient depuis longtemps ruinés. Il s’agit plus de déconstruction que de destruction. Et ces pratiques sont étroitement contrôlées par la papauté. Paul III, dans une bulle, fait de la Fabrique de Saint-Pierre la seule habilitée à contrôler les fouilles et à gérer les monuments antiques. Les Archives de la Fabrique de Saint-Pierre donnent des informations précieuses sur les matériaux et leur provenance : environ quarante monuments ont été exploités, principalement dans le Champ-de-Mars et le Forum impérial. Avec la Renaissance, l’esthétique va aussi piloter les pratiques de récupération et décider du devenir de certains éléments comme l’ont montré Salvatore Settis2 et Kathleen Wren Christian3 : les collections sont indissociables des pratiques de récupération dans le sens où elles sont révélatrices d’un même intérêt pour l’Antiquité. William Stenhouse (« From Spolia to Collections in the Roman Renaissance », p. 381-404) livre une stimulante réflexion sur l’épistémologie de la collection et clôt 288ainsi ce riche ouvrage qui éclaire à la fois le sens de ces pratiques, mais aussi et surtout tout l’arrière-plan logistique, longtemps laissé de côté par la recherche.
Laura Foulquier
Docteur en Histoire de l’art, chercheur associée à l’UMR 5138 ArAr, Lyon 2
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Manuel Antonio Castiñeiras González (éd.), Entre la letra y el pincel, el artista medieval. Leyenda, identidad y estatus, Almeria, Editorial Círculo Rojo, 2017.
Negli ultimi due decenni l’opinione comune sull’artista-artigiano medievale è sensibilmente mutata in direzione di una maggiore complessità dei quesiti sollevati e delle spiegazioni offerte. Il panorama fatto di poche, rare e celebri punte emergenti, collocate su un substrato generale, grigio e indistinto – composto di anonimato, di generale analfabetismo, oltre che di serialità produttiva o di tradizioni di bottega – è stato via via sostituito da un territorio più accidentato dove le posizioni intermedie si sono moltiplicate. Non si tratta solo degli effetti di una rinnovata attenzione filologica, ma delle reazioni a un dibattito sempre più approfondito che integra le fonti letterarie e documentarie con l’analisi delle iconografie (in particolare i ritratti o autoritratti, ma anche le immagini di atelier e di cantiere), oltre che con le firme e le epigrafi. Lo statuto professionale, la considerazione sociale, l’autocoscienza, le traiettorie e le strategie di affermazione sono così diventati ambiti ineludibili per una storiografia che non si accontenta delle generalizzazioni e ambisce a definire profili biografici puntuali.
289La raccolta di saggi curati da Manuel Antonio Castiñeiras González, Entre la letra y el pincel, el artista medieval. Leyenda, identidad y estatus, mette al centro lo stato della questione. Le ragioni della raccolta stanno soprattutto nella constatazione che alcuni e differenti gruppi di ricerca europei hanno affrontato e intrecciato da punti di vista diversi queste argomentazioni. Tra i team che hanno offerto decisivi apporti ricordiamo, per esempio, quello avviato da Maria Monica Donato « Opere firmate nell’arte italiana. Medioevo » o il progetto denominato « Magistri Cataloniae » che ha coinvolto enti e università spagnole. La quantità di dati emersi in queste importanti occasioni ha consentito di ridefinire il quadro generale di riferimento, partire dalla loro riclassificazione. Il libro di cui parliamo ne costituisce quindi un ottimo resoconto, affidato a esperti di differenti nazionalità. La struttura si compone di cinque sezioni. Se il tema della rappresentazione e autorappresentazione dell’artista-artigiano è affrontato dallo stesso Castiñeiras e da M. Bacci, un corposo gruppo di saggi è invece rivolto alle opere firmate e ai risvolti che la pratica comporta (adozioni di formule, decifrazione dei gradi di alfabetizzazione…) con contributi di J. Leclerque-Marx, E. Mineo, G. Ermini, A. Papadopoulos. Le altre sessioni esplorano temi più strettamente connessi alle biografie, alla pratica professionale o al ruolo della committenza (saggi di T. Le Deschault De Monredon, L. Carletti, A. Leturque, A Orriols, A.I. Rubio Mifsud, M.A. Zalbidea Muñoz, C. Favà, M. Campuzano, C. Sánchez, J. Duran-Porta, M. Rossi, A. Heyman, V. Abenza, E. Liaño). Se, in questa parte, la prevalenza delle argomentazione è rivolta a temi di natura pittorica o genericamente artistica (ma la forza di alcune ipotesi di lavoro e di sguardi può estendersi ad altri campi) è bene tuttavia rammentare i contributi più strettamente attinenti al campo della costruzione. In particolare segnaliamo il saggio di Carlos Sánchez Márquez, sull’organizzazione del lavoro nei cantieri delle cattedrali della Corona d’Aragona tra XII e XIII secolo.
Nei confini labili della produzione artistica, il mondo della costruzione e dell’architettura non costituiscono una comparto totalmente distinto, ma assumono alcune specifiche peculiarità. La più ovvia è quella della definizione di uno statuto gerarchico e l’accreditamento sociale di competenze in un campo dove la collaborazione tra soggetti è obbligatoria. I contributi del libro in oggetto si focalizzano in un ambito cronologico decisivo, agli albori di un assestamento organizzativo nel cantiere di 290architettura e alla nascita di una figura professionale riconosciuta, così come individuato e delineato anche da Enrico Castelnuovo4.
L’autorappresentazione del corpo, del busto o del volto degli artefici compare nel primo XIII secolo in casi come Santiago di Compostela o San Martino a Lucca, con una marcata caratterizzazione devozionale. E questa pratica diviene nei secoli successivi molto più diffusa di quanto si ritenga, comprovata da casi celeberrimi come Ulrich von Ensingen a Strasburgo, Anton Pilgram a Santo Stefano a Vienna o da ricerche nuove, come nel caso dei busti recentemente ritrovati e discussi nella cattedrale di Valencia: i ritratti dei maestri Francesc Baldomar e di Pere Compte, secondo l’interpretazione di Arturo Zaragoza5.
Altrettanto essenziale il compito dell’epigrafia con nome del maestro inciso, come prevedibile prova di distinzione, di autorialità e di autorevolezza. Forse in questo specifico ambito andrebbero valutate componenti aggiuntive che mettono in moto il grado di negoziazione necessaria con patrocinatori e committenti al fine di ottenere l’autorizzazione all’epigrafe, mentre essenziale – per tentare spiegazioni plausibili – è inquadrare anche il pubblico a cui la firma viene rivolta. Si tratta quindi di prendere in considerazione anche la visibilità dell’iscrizione e intuire le aspettative correlate. Tra i casi che potrei rammentare, appartenenti a epoche molto diverse, ci sono quelli del maestro René Ducloux nel portale della chiesa di San Martino a Barcellona del 1516 (probabilmente con l’intento di manifestare le sue abilità bilingue in un portale gotico e nella decorazione a grottesche), o quella del maestro Giovanni Maria Tarantino nella chiave di una singolare volta a doppio spigolo nel convento domenicano di Muro Leccese in Puglia (1583), dove la perizia costruttiva guida chiaramente l’intento autopromozionale. Un tipo di finalità non molto dissimile da quella che verosimilmente spinse nel 1228 il maestro Amal Khurshad di Ahlat a segnare il proprio nome in una delle volte dell’ospedale della moschea di Divriği nella profonda Anatolia orientale6.
291Certo concentrarsi sul « medioevo » non significa postulare una differenza, ma soprattutto ridiscutere i luoghi comuni dell’individualismo e dell’autocoscienza, apparentemente nati solo in età moderna. Esistono frontiere artificiali, ma dettate dalle necessarie specializzazioni, altre che sono figlie di preconcetti, esiste la sempre più sicura certezza, come i saggi del testo considerato dimostrano, che anche dentro macro ambiti cronologici apparentemente omogenei e convenzionalmente accettati è consigliabile procedere con prudenza, passo dopo passo, caso dopo caso, senza ricadere in postulati astratti.
Le storie sono tante, l’analisi che oggi siamo obbligati a compiere è meticolosa, attenta alle differenze di tempo, di luogo, di circostanze e di temperamento degli individui coinvolti.
Certo è anche che la diffusione di comportamenti individuali simili in luoghi distanti geograficamente, temporalmente e culturalmente, appare rientrare più nel campo vasto della psicologia e della sociologia, che nelle frontiere più rigide e meno permeabili delle civiltà.
Marco Rosario Nobile
Univ. di Palermo
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Salvatore Aprea, German Concrete. The Science of Cement from Trass to Portland, 1819-1877, Lausanne, EPFL Press, 2016, 255 p. ill.
L’auteur de l’ouvrage est architecte, chercheur en histoire de l’architecture et directeur des Archives de la construction moderne, une unité de l’Institut d’Architecture, au sein de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL). Un bel ouvrage, en couverture cartonnée, sur papier de qualité supérieure, soigneusement réalisé, illustré d’un 292grand nombre d’images (241 pour 255 pages) en couleurs et en noir et blanc, reproduisant un nombre considérable de documents d’archives, en particulier des manuscrits, dessins d’architecture, projets du génie et gravures. Le livre, publié en anglais en 2016 aux presses de l’EPFL et distribué par Routledge, fait partie de la collection Treatise on Concrete, dirigée par Roberto Gargiani. Cette dernière prétend offrir une nouvelle vision élaborée à partir d’une abondante documentation des transformations du béton au fil de l’Histoire dans toutes ses formes et utilisations. Après la parution du premier volume dédié aux relations entre archéologie et béton au xviiie siècle, deux volumes ont suivi sur l’œuvre de Louis Isadore Kahn et la quête du béton brut, entre 1949 et 1974. Le quatrième volume a exploré le travail de Pier Luigi Nervi et sa mise en valeur du potentiel du béton par le moulage in-situ et la préfabrication d’éléments en béton et en ciment armé. Ce cinquième volume de la collection fait porter notre regard sur l’Allemagne entre 1819 et 1877.
La publication est l’aboutissement de la thèse de doctorat soutenue en 2015 par l’auteur à la faculté ENAC de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne dans le cadre du programme doctoral « Architecture et science de la ville », devant un jury composé de Luca Ortelli, Stephan Holzer, Antoine Picon, Aurelio Muttoni et Roberto Gargiani en tant que directeur. Comme indiqué dans le titre, le travail explore la naissance de la science du béton durant les trois premiers quarts du xixe siècle qui ont assisté à la configuration de l’identité du nouvel État-nation européen. En ce qui concerne les raisons des deux dates qui encadrent l’étude et qui font partie du sous-titre, elles apparaissent légitimes : 1819 est l’année de la publication à Berlin de l’essai Ueber Kalk und Mörtel im Allgemeinen und den Unterschied zwischen Muschelschulen und Kalksteinmörtel insbesondere : nebst Theorie des Mörtel… par le chimiste Johann Friederich John ; 1877 est l’année de l’approbation des premières normes d’évaluation et de test du ciment Portland par la Deutsche Verein für Fabrikation von Ziegeln, Thonwaaren, Kalk und Cement (Société allemande de producteurs de briques, céramique, chaux et ciment).
L’auteur analyse donc une période fondamentale de l’histoire de la construction en Allemagne, pendant laquelle fut initié le changement de paradigme entre l’ancienne culture constructive des maçonneries à la chaux et celle du ciment Portland et du béton qui est encore dominante dans le monde d’aujourd’hui. En réalité, la Theorie des besten Mörtels293de J. Fr. John est la première étude allemande qui mobilise l’outil théorique de la chimie pour remettre en question une règle jusque-là incontestée qui s’exprimait par « la supériorité des chaux les plus pures dans le processus de fabrication des mortiers les plus durs ». Salvatore Aprea étudie ainsi le processus complexe qui débute en Allemagne avec la quête des meilleurs liants et adjuvants hydrauliques capables de remplacer la chaux aérienne et qui se termine avec la première initiative de normalisation de la production du ciment Portland produit en Allemagne.
Le livre est particulièrement pionnier parce qu’il approfondit une période peu étudiée à travers le cas allemand. À part cet intérêt capital, l’ouvrage démontre aussi avec une grande rigueur méthodologique et formelle comment cette transition a réussi grâce à une méthode complexe constituée non seulement d’intenses recherches scientifiques sur des théories et des processus de fabrication de mortiers et bétons, des expériences et des débats, mais aussi comme conditionnée par des initiatives royales, des stratégies gouvernementales et des investissements privés qui furent accompagnés de missions qu’on appellerait aujourd’hui d’espionnage industriel, dénommées alors « voyages technologiques ».
Ce travail, divisé en cinq chapitres organisés chronologiquement, guide le lecteur à travers un système enchevêtré de transferts de connaissances, d’essais de laboratoire et d’initiatives, articulé par un réseau d’acteurs placés à différents niveaux intellectuels, sociaux et économiques : chercheurs, ingénieurs, architectes, gouvernants, officiers et institutions publiques, simples entrepreneurs, entrepreneurs de travaux publics et commerçants.
Le premier chapitre « Chaux, trass, mortier, béton et pierres artificiels au tournant du xixe siècle » explique comment les arts traditionnels de bâtir furent l’objet d’amélioration pendant cette période du début de changement des cultures constructives. Différents auteurs allemands comme Gilly, Simon, Wiebeking, parfois avec l’aide des différentes administrations des états de la Confédération Germanique, influencés surtout par des essais français comme ceux de Faujas de Saint-Fond, Loriot, Fleuret ou Raynal, discutent la meilleure façon de produire des pierres factices et des mortiers hydrauliques.
Le deuxième chapitre « Nouvelles études sur la chaux hydraulique, le ciment et les mortiers » est consacré à l’importance des études chimiques 294de John sur la teneur en silice et en chaux dans la composition des mortiers et à d’autres essais sur l’utilisation du trass importé des Pays-Bas qui sont mis en contexte avec des études allemandes comme celles de Döbereiner et avec des études françaises comme celles de Guyton de Morveau et de Bertholet. Les connaissances circulent grâce à des traductions du français à l’allemand des œuvres de Vicat et de Berthier et aux débats internationaux dans les revues scientifiques comme les Annales de Chimie et Physique, le Polytechnisches Journal et le Journal für die Baukunst. Le ciment romain commence à être importé du Royaume-Uni par un commerçant de Hambourg en 1817 et grâce au lancement de concours annoncé par différentes institutions cherchant à récompenser les derniers processus de fabrication de ce ciment en Allemagne. De nouveaux procédés et brevets allemands sont enregistrés pour la fabrication de pierres artificielles à base d’argile et chaux grasse (les « Mörtel-Stein » de Sachs). Depuis 1827, dans la région de Berlin, deux producteurs fabriquent de la chaux hydraulique et de la pouzzolane artificielle. La première théorie allemande sur les pouzzolanes artificielles de Johann Nepomuk von Fuchs est replacée dans le contexte scientifique international, une fois présentée à la Holland Society de Londres en 1830.
Le troisième chapitre « Chaux hydraulique et manufacture de ciment » éclaire la thématique des premières productions de chaux hydraulique au Sud, en région bavaroise, et de ciments romains, au Nord et Nord-Ouest, à Hambourg et Kassel. Un premier manuel dédié au test, à la production et à la réception de la chaux hydraulique est publié par Panzer. À partir de 1832, la production du « Römischer cement » est une réalité et son application sur d’importants travaux sous l’eau se développe de plus en plus. Ces transformations sont illustrées par des réalisations comme l’aire en béton de l’écluse sur la rivière Lippe, en Rhénanie, réalisée par le constructeur Zimmermann, en 1828, les fondations des piles des ponts de Sonnborn (1838-1841) et de Manheim (1842-1845) ou le quai le long du fleuve Oder à Stettin (1842-1845).
La période de la première diffusion du ciment Portland en Allemagne est approfondie dans le quatrième chapitre « Fondations en béton, murs, pierres artificielles ». Seulement au début des années 1840, un commerçant de Hambourg devient le premier représentant de ciment Portland importé du Royaume-Uni. À ce nouveau liant commencent à être attribuées les meilleures propriétés de résistance, d’hydraulicité, de 295résistance au feu et de durabilité. Cette réputation du ciment Portland amènera à son utilisation croissante dans les gros travaux de fondations fluviales et maritimes, dans les ponts et le rejointoiement de maçonneries. Des tests de résistance commandés par différentes institutions, et des études chimiques comme celles de von Pettenkofer et Hopfgartner, démontrent la supériorité du ciment anglais Portland et convainquent de la nécessité de le produire en Allemagne surtout grâce à une demande croissante, provoquée par la construction de nouvelles voies ferrées.
Le dernier chapitre « Le ciment Portland et la construction en béton, des fondations aux toitures » retrace les premières productions industrielles de ciment Portland et l’élargissement de son champ d’application aux zones en élévation des constructions. La technique de coulage et de tamponnage de béton devient la méthode constructive proposée par les auteurs des traités et manuels de construction allemands avec une grande diffusion surtout pour les nouveaux exploits techniques constructifs avec caissons à air comprimé. La première fabrique allemande de ciment Portland, créée par Bleibtreu en Stettin, date de 1853. L’ample et croissante disponibilité du nouveau liant va permettre les premières industries de dérivés du béton : d’éléments préfabriqués pour décoration de façades, de tuyaux d’adduction d’eau et de drainage, de canaux, etc. Des variantes allemandes des bétons agglomérés de Coignet sont proposées par des auteurs comme Becker ou von Mihálik. Le « Kalksand », un conglomérat de chaux aérienne, sable et gravier, basé dans les techniques du pisé, mis au point par le fermier Johann Gottlieb Prochnow, connaît également une certaine diffusion de 1845 à 1860 jusqu’à sa substitution par le béton de ciment Portland coulé. Différentes méthodes sont mises au point pour mesurer la résistance des mortiers et des bétons pendant la prise et le durcissement de la matière. Finalement, Wilhem Michaelis deviendra le chercheur capable de faire le lien entre la théorie et la pratique d’utilisation du nouveau matériau.
L’analyse des principaux thèmes, traités dans chacun des chapitres, traduit la complexité et le temps mis pour la réalisation du livre de Salvatore Aprea. Comme supplément utile, il est fourni un index des noms d’auteurs et une bibliographie exhaustive des sources primaires organisée chronologiquement : articles de publications périodiques, œuvres cités et les archives allemandes consultées. L’ouvrage présente beaucoup plus que l’histoire de la science du ciment et du béton en 296Allemagne, il décode une période de transformations profondes qui se sont opérées en Allemagne à tous les niveaux des activités du bâtiment : ceux des connaissances, des techniques, des outils, de l’extraction et transformation des matériaux, de l’organisation industrielle des activités, des normes et des règles, de l’organisation des différents acteurs (ingénieurs, architectes, simples entrepreneurs, entrepreneurs de travaux publics et commerçants).
Le livre de Salvatore Aprea constitue, pour toutes ces raisons, une contribution fondamentale pour l’histoire de la construction en Allemagne et sa contextualisation internationale, une étude incontournable pour tous ceux qui étudient l’histoire de cette culture constructive.
João Mascarenhas Mateus
CIAUD – Centre de Recherche en Architecture, Urbanisme et Design – Faculté d’Architecture –
Université de Lisbonne – Portugal
1 Dominique Vingtain, Le Palais des Papes d’Avignon xviiie-xixe siècle. L’invention d’un monument historique français, Arles, Honoré Clair, 2015, notamment p. 100-107.
2 Salvatore Settis, « Continuità, distanza, conoscenza : tre usi dell’antico » dans Salvatore Settis, éd., Memoria dell’antico nell’arte italiana, Torino, Einaudi, 1981-1986, t. 3, p. 373-486.
3 Kathleen Wren Christian, Empire Without End : Antiquities Collections in Renaissance Rome (c. 1350-1527), New Haven, Yale University Press, 2010.
4 Enrico Castelnuovo, « Parum discrepans a Dedalo : i molti volti dell’architetto medievale », in Guido Beltramini et Howard Burns (dir.), L’architetto, ruolo, volto, mito, Venise, Marsilio, 2009, p. 35-48.
5 Arturo Zaragoza, « Los retratos esculpidos en el pilar este de la arcada nova de la catedral de Valencia », in Viatges a la bellesa. miscel-lània homentge a Maria Rosa Manote i Clivilles, - Retrotabulum Maior 1, Barcelone, 2015, p 197-212.
6 Sevda Atak, « Le firme degli architetti nel XII e XIII nell’architettura turco-selgiuchide in Anatolia », Lexicon. Storie e architettura in Sicilia e nel Mediterraneo, 25, 2017, p. 21-30.
- Thème CLIL : 3076 -- TECHNIQUES ET SCIENCES APPLIQUÉES -- Architecture, Urbanisme
- ISBN : 978-2-406-09276-6
- EAN : 9782406092766
- ISSN : 2649-177X
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09276-6.p.0279
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 16/09/2019
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français