Préface
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Histoire du monastère de Port-Royal
- Pages : XIII à XIX
- Réimpression de l’édition de : 2019
- Collection : Univers Port-Royal, n° 33
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PR~FACE
On s'étonnerait que le souvenir d'Augustin Gazier ne fût pas évoqué erg tête de cette Histoire ~du Monas- ~tère ~de Port-Royal. Dans ce livre écrit par sa nièce, mademoiselle Cécile Gazier, il eût reconnu avec joie le fruit de son enseignement et le reflet de sc~ croyance. Quant à moi, je ne saurais me di.spe.nser de rappeler ~c`a que je lui dois de ne pas être étranger aux choses de Port-Royal.
Augustin Gazier a été parmi nous l'authentique re- présentant de la tradition de Port-Royal. Il était de Port-Royal dans ses maximes, dans sa vie, jusque dans ses manières; il était un de ceux que les Nécrolo;es ap- pelaient «les amis de la vérité et des gens de bien. » Les <c messieurs »eussent reconnu en lui un des leurs. Ceux qui l'ont approché ont eu le privilège de se trou- ver en face d'un contemporain de Lancelot et de Ni- cole. Dans la gravité naturelle de cet homme d'autre- f ois, il n'entrait ni tristesse ni froideur, mais un ,égal respect de soi-même et d'ciutrui; aucLane trace de cette banale familiarité qui a f ini par avilir tous nos propos, corrompre, toutes nos amitiés ; et cette réserve ne ca- chait qu'à demi la plus agissante bonté.
22 XIV PRÉF iCE
C'était un bourgeois de Paris la.borieu~ et de piété sévère. Il avait quelques amis et une admirable famille. Il était le plus régulier des paroissiens de Saint-Jacques du Haut-Pas, et l'on eût dit qu'il avait tracé son propre portrait en peignant les fervents port-royalistes de
Saint-Séverin au lendemain du Concordat cc On
voyait là des fidèles très édifiants, avec leurs nombreux
enfants, à la grand'messe et aux vêpres; ils avaient à
la main de gros livres d'office; ils se tenaient debout
pendant le Credo et pendant la Préface ; ils chantaient
volontiers avec le chc~ur; ils communiaient seulement
aux grandes fêtes, et ils s'abstenaient de paraître à la
grand'messe et aux vêpres le jour du Sacré-Cour. Hors
de là, c'étaient des paroissiens comme tous les autres,
et ils avaient bien soin des pauvres. »
Tout le temps que lui laissaient ses étudiants de la Sorbonne, sa famille, ses prières et ses pauvres, il le donnait àPort-Royal :c'était sa mission, son grand' devoir et son suprême divertissement. Pour servir la ealzse de la <c vérité », il se fit historien, théologien, archéologue, même administrateur.
Tout l'avait prédestiné à cette oeuvre au baptême,. son père lui avait choisi pour patron le saint dont„ depuis deux siècles, les persécutés invoquaient le nom et révéraient la doctrine ; il avait ,grandi dans un mi- lieu port-royaliste; de singulières affinités de goût et d'humeur l'apparentaient aux hommes dont il de- vait honorer la mémoire ; mais si les ,gens de Port- Royal ont pu devenir ses maîtres, ses exemples, il lui fallut, pour se plier à de tels modèles, un fonds peu commun de sérieux et de vertu. ,
Il a été, pendant toute sa vie, le vigilant gardien de I'honneur et du patrimoine de Port-Royal.
Il a consacré son labeur d'historien et de critique à glorifier et à venger Port-Royal :pour réfuter les ca- lomnies du P. Rapin, il a édité les six volumes des
23 PRÉFACE XV
Mémoires de Godefroi Hermant, document indispen- sable à qui veut connaître les disputes religieuses du xviie siècle ; afin de confondre les historiens qui opposaient la tradition salésienne à la tradition port- royaliste, il a publié la correspondance de sainte Jeanne de Chantal et de la mère Angélique; il a invoqué le témoignage d'Arnauld contre ceux qui mettaient en doute la sincérité, de la conversion du cardinal de Retz ; il a vengé Lancelot des dédains de Sainte-Beuve; il a montré que même après la destruction du monastère, il se trouva encore des prêtres jansénistes et des reli- gieuses en qui revécut l'ancien esprit de Port-Royal ; il' a à tout jamais ruiné la légende du «crucifix jansé- niste », du Dieu aux bras étroits; il a donné une excel- lente édition de l'Ahrébé ~de l'histoire de Port-Royal de Racine, réduit à néant l'histoire romanesque des- amours de Pascal et de mademoiselle de Roannez, prouvé la fausseté du prétendu désaveu que Pascal au- rait fait de ses opinions jansénistes à son lit de mort. F,n f in il a consacré ses derniers jours, assombris par" le chagrin et les deui-ls à écrire, un grand ouvrage,
testament de sa vie sainte et laborieuse l'Histoire•
âénérale du mouvement janséniste.
L e patrimoine ternporel dont il avait la charge, se• composait des ruines de Port-Royal, de quelques re- liques et d'une magnifique collection de livres et' de manuscrits. Comment cet héritage était venu jus- qu'entre ses mains, c'est une h.i`.stoire bierz curieuse et qui mériterait d'être un jour contée dans tous ses détails.
Disons seulement que si le. paysage de Port-Royal' n'a pas été saccagé comme tant d'antres, si dans l'enclos de l'ancienne abbaye nous devinons encore ce que furent les «saintes demeures du silence ~>, 'si ]e site mélancolique et charmant conserve un peu de sa mystique beauté, si l'entrée du vallon est in-
24 _XVI YRtiFACC
terdite aux automobiles, si les amateurs de repas cham- pêtres ne viennént pas s'abreuver à la source de la .Mère Angélique, nous savons qui nous devons en re- mercier.
Les livres et les manuscrits forment un fonds ines- timable que Gazier jugeait bon d'entourer de quelque mystère. A tort ou à raison, il croyait que les ennemis, ,les éternels ennemis de Port-Royal rôdaient autour
de ta place il surveillait son arsenal. Cependant iamais il n'a refcasé à un écrivain loyal et désin- téressé la communication d'un de ces documents pré- cieux. Avec une obligeance infatigable, il mettait ces archives à la disposition, des travailleurs, même les ,plus modestes (j'en sais quelque chose) ; et par sur- croît, il leur faisait largesse de sa propre érudition qui était vaste et sûre.
F.n rappelant ici ces souvenirs je n'acquitte pas seu- lement, une dette de gratitude, je dis aussi pour quelles raisons le livre de mademoiselle Cécile .Gazier a'oit attirer l'attention de tous ceux qui s'intéressent à l'his- -toire de Port-Royal. En effet, pendant longtemps, ma- demoiselle Gazier a été associée à tous les travaux de son oncle. Grûce à elle, la vieille tradition port-roya- .liste se perpétue.
Elle possède une connaissance si intime et si pro- fonde de Port-Royal qu'elle seule pouvait tenter d'écrire un précis eom,me celui-ei.
L'Abrégé de l'histoire de Port-Royal de Racine est assurément un des chefs-d'~uvre de la prose fran- çaise : l'auteury a résumé dans la langue la plus har- monieuse et la .plus limpide les relations et les m,é- moires que les religieuses lui avaient confiés; mais son récit s'arrête à l'année 166<5. D'ailleurs, c'est moins une ouvre d'histoire qu'une défense de Port- Royal, destinée à éclairer l'archevêque , de Paris. Au ~V""Ille siècle, de zélés jansénistes ont voulu continuer
25 PLtÉEA~& ZYII
l'ouvrage inachevé de Racdne, mais ces petits livres sont ctes manuels secs et ïnccrrxnplets. Depuis:, personne n'ai essaye de tracer un tableatu rapide, mais exact et vivant des destinées• du monastère depaais lcs journée du Guichet, jusqu'à la destruction des. bâtirraents de Port-Royal des Champs.
C'èst ce mc~r~uel que mademoiselle Gazzer a voulu nous• don.reer. Elle a PZI le: grand mérite de se placer au cour de son sujet et de s'y tenir. Tslle s'est con• tentêc d'être l'historiographe du monastère. C'est toujours sur les religieuses qu'elle ramène notre atten- tion, s'appliquant à nous• montrer lo chaîne des évé- nemenfs qui ont causé las grandeur puise te déclin de l'abbaye. Elle a mis sous nos. yeux les péripéties dtr, drarrce spirituel dont cette maison de prière et de pé- nitence fut le the"cure, et a passé, sans s'y arrêter, devant les castes perspectives- qui, tout autour d.e Part- Royal`, s'ouvrent sur la société, la littérature, la vie religiéuse dc~ siècle. Setinte-I3euve a• exploré cet. im- mense izorizon. Mais, avec lui, trop• souvent nous per- dons de grue Fart-Royal lui-même, l'aretion change de lien trop souvent, IPs épisodes dispersent l'attention.
Le diznger d'un abrégé aussi strictement conçu était cIe dêgénérer en une simple chronologie. Pour y parer, i.l fallait le tapent de choisir et ordonner les faits et le don de peindre d'un mot, d'un traït taus les per- sonnages qui tinrent trri rôle dans l'histoire de Pari- Royal. Il fallait surtout donner au tableau. lcc couleur de. la vie. (:hez l'historien, nï l'érudition la plus sure ni l"art le plus consorrzmé ne sauraient remplacer l'amour des• hommes et des idées dont il a fait l'objet Fle son étude, Dr, vous ne lirez pas vingt pages de ma- demoiselle Gazier sans étre émerveillés dé la passion lui l'anime pour Port-Royal, une passion qui s'ex- prin~re rarement mais circule dans tout le réait et lui donne un accent pathétïque.
b
26 xVIII PkÉFACE
C'est la grande originalité de cette apologie de Port- Royal, elle est écrite par une catholique profondé- ment convaincue qu'il n'y eut jamais de jansénisme, ee qui revient à dire qu'elle partage les sentiments des prétendus jansénistes du xvne siècle et du xVIIIe siècle.
Sans jamais entrer dans la controverse théologique, elle se contente de plaindre et de ,glorifier ceux et celles qui ont souffert de ces âpres et inutiles disputes. b7ais, personne ne s'y trompera, elle n'appartient pas à cette sorte de port-royalisme littéraire qui a trouvé au YIx~ siècle tant de fervents parmi les incrédules.
« Qui, disait Renan, admire et aime maintenant ces grands hommes d'un autre âge (les solitaires) ? Nous autres qu'ils eussent sûrement traités de libertins. » De cette sorte de jansénisme, c'est Sainte-Beuve qui fut l'initiateur. Lui-même, à ta dernière page de son Port-Royal, s'adressant aux héros de l'admirable his- toire qu'il venait d'écrire, définissait ainsi son atti- tude : «J'ai compté les degrés de l'échelle de Jacob. Là s'est borné mon rôle, là mon fruit... J'ai été votre biographe, je n'ose dire votre peintre; hors de là je ne suis point à vous... Je ne vous ai point imités; je n'ai jamais songé à faire comme vous, à mettre au pied de la Croix (ce qui est la forme la plus sensible de l'idée de Dieu) les contraintes, les humiliations mêmes et les injustices que j'éprouvais à cause de vous et autour de vous...
Depuis lors, les curiosités et les sympathies éveillées par Sainte-Beuve se sont encore avivées. Nous ne de- mandons pas tous à Port-Royal le même enseigne- ment ou la même émotion, mais à chacun de nous il donne zzne leçon. ou suggère une méditation.
P~~i.zr le moraliste, Port-Royal est une école d'énergie et d'abnégation, fondée sur la doctrine en appar^nce lâ plus désespérante, en réalité la plus
27 PRÉFACE X1IC
propre à engendrer l'héroisme, car moins l'homme se. sentira libre, plus il tendra sa volonté.
Polar l'historien, c'est un des sommets du xvu° siè- cle; or, chaque jour, nous sentons davantage que la France en ce temps-là accomplit son chef-d'oeuvre.
A l'écrivain, Port-Royal apprend le ,go~ît et la dé- cence, car «seul, c'est encore Renan qui parle, il a connu la simple allure de la belle. antiquité, ce style qui laisse chacun à sa taille, ne donne pas les airs du génie à celui qui n'en a pas, mais comme un juste vêtement, est l'exacte mesure de la pensée, et ne cherche d'autre élégance que celle qui résulte d'une rigoureuse propriété. »
Qu'il existe encore aujourd'hui un autre ,port-roya- lisme que celui de ces moralistes, de ces historiens, de ces lettrés, nul n'en doutera lorsqu'il aura lu le livre de mademoiselle Cécile Gazier.
ANDR~ HALLAYs.
On s'étonnerait que le souvenir d'Augustin Gazier ne fût pas évoqué erg tête de cette Histoire ~du Monas- ~tère ~de Port-Royal. Dans ce livre écrit par sa nièce, mademoiselle Cécile Gazier, il eût reconnu avec joie le fruit de son enseignement et le reflet de sc~ croyance. Quant à moi, je ne saurais me di.spe.nser de rappeler ~c`a que je lui dois de ne pas être étranger aux choses de Port-Royal.
Augustin Gazier a été parmi nous l'authentique re- présentant de la tradition de Port-Royal. Il était de Port-Royal dans ses maximes, dans sa vie, jusque dans ses manières; il était un de ceux que les Nécrolo;es ap- pelaient «les amis de la vérité et des gens de bien. » Les <c messieurs »eussent reconnu en lui un des leurs. Ceux qui l'ont approché ont eu le privilège de se trou- ver en face d'un contemporain de Lancelot et de Ni- cole. Dans la gravité naturelle de cet homme d'autre- f ois, il n'entrait ni tristesse ni froideur, mais un ,égal respect de soi-même et d'ciutrui; aucLane trace de cette banale familiarité qui a f ini par avilir tous nos propos, corrompre, toutes nos amitiés ; et cette réserve ne ca- chait qu'à demi la plus agissante bonté.
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C'était un bourgeois de Paris la.borieu~ et de piété sévère. Il avait quelques amis et une admirable famille. Il était le plus régulier des paroissiens de Saint-Jacques du Haut-Pas, et l'on eût dit qu'il avait tracé son propre portrait en peignant les fervents port-royalistes de
Saint-Séverin au lendemain du Concordat cc On
voyait là des fidèles très édifiants, avec leurs nombreux
enfants, à la grand'messe et aux vêpres; ils avaient à
la main de gros livres d'office; ils se tenaient debout
pendant le Credo et pendant la Préface ; ils chantaient
volontiers avec le chc~ur; ils communiaient seulement
aux grandes fêtes, et ils s'abstenaient de paraître à la
grand'messe et aux vêpres le jour du Sacré-Cour. Hors
de là, c'étaient des paroissiens comme tous les autres,
et ils avaient bien soin des pauvres. »
Tout le temps que lui laissaient ses étudiants de la Sorbonne, sa famille, ses prières et ses pauvres, il le donnait àPort-Royal :c'était sa mission, son grand' devoir et son suprême divertissement. Pour servir la ealzse de la <c vérité », il se fit historien, théologien, archéologue, même administrateur.
Tout l'avait prédestiné à cette oeuvre au baptême,. son père lui avait choisi pour patron le saint dont„ depuis deux siècles, les persécutés invoquaient le nom et révéraient la doctrine ; il avait ,grandi dans un mi- lieu port-royaliste; de singulières affinités de goût et d'humeur l'apparentaient aux hommes dont il de- vait honorer la mémoire ; mais si les ,gens de Port- Royal ont pu devenir ses maîtres, ses exemples, il lui fallut, pour se plier à de tels modèles, un fonds peu commun de sérieux et de vertu. ,
Il a été, pendant toute sa vie, le vigilant gardien de I'honneur et du patrimoine de Port-Royal.
Il a consacré son labeur d'historien et de critique à glorifier et à venger Port-Royal :pour réfuter les ca- lomnies du P. Rapin, il a édité les six volumes des
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Mémoires de Godefroi Hermant, document indispen- sable à qui veut connaître les disputes religieuses du xviie siècle ; afin de confondre les historiens qui opposaient la tradition salésienne à la tradition port- royaliste, il a publié la correspondance de sainte Jeanne de Chantal et de la mère Angélique; il a invoqué le témoignage d'Arnauld contre ceux qui mettaient en doute la sincérité, de la conversion du cardinal de Retz ; il a vengé Lancelot des dédains de Sainte-Beuve; il a montré que même après la destruction du monastère, il se trouva encore des prêtres jansénistes et des reli- gieuses en qui revécut l'ancien esprit de Port-Royal ; il' a à tout jamais ruiné la légende du «crucifix jansé- niste », du Dieu aux bras étroits; il a donné une excel- lente édition de l'Ahrébé ~de l'histoire de Port-Royal de Racine, réduit à néant l'histoire romanesque des- amours de Pascal et de mademoiselle de Roannez, prouvé la fausseté du prétendu désaveu que Pascal au- rait fait de ses opinions jansénistes à son lit de mort. F,n f in il a consacré ses derniers jours, assombris par" le chagrin et les deui-ls à écrire, un grand ouvrage,
testament de sa vie sainte et laborieuse l'Histoire•
âénérale du mouvement janséniste.
L e patrimoine ternporel dont il avait la charge, se• composait des ruines de Port-Royal, de quelques re- liques et d'une magnifique collection de livres et' de manuscrits. Comment cet héritage était venu jus- qu'entre ses mains, c'est une h.i`.stoire bierz curieuse et qui mériterait d'être un jour contée dans tous ses détails.
Disons seulement que si le. paysage de Port-Royal' n'a pas été saccagé comme tant d'antres, si dans l'enclos de l'ancienne abbaye nous devinons encore ce que furent les «saintes demeures du silence ~>, 'si ]e site mélancolique et charmant conserve un peu de sa mystique beauté, si l'entrée du vallon est in-
24 _XVI YRtiFACC
terdite aux automobiles, si les amateurs de repas cham- pêtres ne viennént pas s'abreuver à la source de la .Mère Angélique, nous savons qui nous devons en re- mercier.
Les livres et les manuscrits forment un fonds ines- timable que Gazier jugeait bon d'entourer de quelque mystère. A tort ou à raison, il croyait que les ennemis, ,les éternels ennemis de Port-Royal rôdaient autour
de ta place il surveillait son arsenal. Cependant iamais il n'a refcasé à un écrivain loyal et désin- téressé la communication d'un de ces documents pré- cieux. Avec une obligeance infatigable, il mettait ces archives à la disposition, des travailleurs, même les ,plus modestes (j'en sais quelque chose) ; et par sur- croît, il leur faisait largesse de sa propre érudition qui était vaste et sûre.
F.n rappelant ici ces souvenirs je n'acquitte pas seu- lement, une dette de gratitude, je dis aussi pour quelles raisons le livre de mademoiselle Cécile .Gazier a'oit attirer l'attention de tous ceux qui s'intéressent à l'his- -toire de Port-Royal. En effet, pendant longtemps, ma- demoiselle Gazier a été associée à tous les travaux de son oncle. Grûce à elle, la vieille tradition port-roya- .liste se perpétue.
Elle possède une connaissance si intime et si pro- fonde de Port-Royal qu'elle seule pouvait tenter d'écrire un précis eom,me celui-ei.
L'Abrégé de l'histoire de Port-Royal de Racine est assurément un des chefs-d'~uvre de la prose fran- çaise : l'auteury a résumé dans la langue la plus har- monieuse et la .plus limpide les relations et les m,é- moires que les religieuses lui avaient confiés; mais son récit s'arrête à l'année 166<5. D'ailleurs, c'est moins une ouvre d'histoire qu'une défense de Port- Royal, destinée à éclairer l'archevêque , de Paris. Au ~V""Ille siècle, de zélés jansénistes ont voulu continuer
25 PLtÉEA~& ZYII
l'ouvrage inachevé de Racdne, mais ces petits livres sont ctes manuels secs et ïnccrrxnplets. Depuis:, personne n'ai essaye de tracer un tableatu rapide, mais exact et vivant des destinées• du monastère depaais lcs journée du Guichet, jusqu'à la destruction des. bâtirraents de Port-Royal des Champs.
C'èst ce mc~r~uel que mademoiselle Gazzer a voulu nous• don.reer. Elle a PZI le: grand mérite de se placer au cour de son sujet et de s'y tenir. Tslle s'est con• tentêc d'être l'historiographe du monastère. C'est toujours sur les religieuses qu'elle ramène notre atten- tion, s'appliquant à nous• montrer lo chaîne des évé- nemenfs qui ont causé las grandeur puise te déclin de l'abbaye. Elle a mis sous nos. yeux les péripéties dtr, drarrce spirituel dont cette maison de prière et de pé- nitence fut le the"cure, et a passé, sans s'y arrêter, devant les castes perspectives- qui, tout autour d.e Part- Royal`, s'ouvrent sur la société, la littérature, la vie religiéuse dc~ siècle. Setinte-I3euve a• exploré cet. im- mense izorizon. Mais, avec lui, trop• souvent nous per- dons de grue Fart-Royal lui-même, l'aretion change de lien trop souvent, IPs épisodes dispersent l'attention.
Le diznger d'un abrégé aussi strictement conçu était cIe dêgénérer en une simple chronologie. Pour y parer, i.l fallait le tapent de choisir et ordonner les faits et le don de peindre d'un mot, d'un traït taus les per- sonnages qui tinrent trri rôle dans l'histoire de Pari- Royal. Il fallait surtout donner au tableau. lcc couleur de. la vie. (:hez l'historien, nï l'érudition la plus sure ni l"art le plus consorrzmé ne sauraient remplacer l'amour des• hommes et des idées dont il a fait l'objet Fle son étude, Dr, vous ne lirez pas vingt pages de ma- demoiselle Gazier sans étre émerveillés dé la passion lui l'anime pour Port-Royal, une passion qui s'ex- prin~re rarement mais circule dans tout le réait et lui donne un accent pathétïque.
b
26 xVIII PkÉFACE
C'est la grande originalité de cette apologie de Port- Royal, elle est écrite par une catholique profondé- ment convaincue qu'il n'y eut jamais de jansénisme, ee qui revient à dire qu'elle partage les sentiments des prétendus jansénistes du xvne siècle et du xVIIIe siècle.
Sans jamais entrer dans la controverse théologique, elle se contente de plaindre et de ,glorifier ceux et celles qui ont souffert de ces âpres et inutiles disputes. b7ais, personne ne s'y trompera, elle n'appartient pas à cette sorte de port-royalisme littéraire qui a trouvé au YIx~ siècle tant de fervents parmi les incrédules.
« Qui, disait Renan, admire et aime maintenant ces grands hommes d'un autre âge (les solitaires) ? Nous autres qu'ils eussent sûrement traités de libertins. » De cette sorte de jansénisme, c'est Sainte-Beuve qui fut l'initiateur. Lui-même, à ta dernière page de son Port-Royal, s'adressant aux héros de l'admirable his- toire qu'il venait d'écrire, définissait ainsi son atti- tude : «J'ai compté les degrés de l'échelle de Jacob. Là s'est borné mon rôle, là mon fruit... J'ai été votre biographe, je n'ose dire votre peintre; hors de là je ne suis point à vous... Je ne vous ai point imités; je n'ai jamais songé à faire comme vous, à mettre au pied de la Croix (ce qui est la forme la plus sensible de l'idée de Dieu) les contraintes, les humiliations mêmes et les injustices que j'éprouvais à cause de vous et autour de vous...
Depuis lors, les curiosités et les sympathies éveillées par Sainte-Beuve se sont encore avivées. Nous ne de- mandons pas tous à Port-Royal le même enseigne- ment ou la même émotion, mais à chacun de nous il donne zzne leçon. ou suggère une méditation.
P~~i.zr le moraliste, Port-Royal est une école d'énergie et d'abnégation, fondée sur la doctrine en appar^nce lâ plus désespérante, en réalité la plus
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propre à engendrer l'héroisme, car moins l'homme se. sentira libre, plus il tendra sa volonté.
Polar l'historien, c'est un des sommets du xvu° siè- cle; or, chaque jour, nous sentons davantage que la France en ce temps-là accomplit son chef-d'oeuvre.
A l'écrivain, Port-Royal apprend le ,go~ît et la dé- cence, car «seul, c'est encore Renan qui parle, il a connu la simple allure de la belle. antiquité, ce style qui laisse chacun à sa taille, ne donne pas les airs du génie à celui qui n'en a pas, mais comme un juste vêtement, est l'exacte mesure de la pensée, et ne cherche d'autre élégance que celle qui résulte d'une rigoureuse propriété. »
Qu'il existe encore aujourd'hui un autre ,port-roya- lisme que celui de ces moralistes, de ces historiens, de ces lettrés, nul n'en doutera lorsqu'il aura lu le livre de mademoiselle Cécile Gazier.
ANDR~ HALLAYs.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-07830-2
- EAN : 9782406078302
- ISSN : 2491-2530
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07830-2.p.0021
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 24/09/2019
- Langue : Français