Avant-propos
- Publication type: Book chapter
- Book: Gascon et français chez les Israélites d’Aquitaine. Documents et inventaire lexical
- Pages: 13 to 14
- Collection: Works of Lexicography, n° 2
Avant-propos
La variété que le présent travail se propose de décrire n’appartient à proprement parler à aucune des catégories servant communément à qualifier la variation linguistique en français. Elle n’est pas régionale ni vraiment diatopique, car, de ses deux épicentres, urbains, de Bordeaux et Bayonne, seule une infime partie de la population en est locutrice. Elle n’est pas non plus religieuse, quoique parlée principalement par des descendants d’Israélites, puisqu’elle n’est connue que d’une infime partie des tenants de la religion juive en France. Et pour cause : parlée par quelques dizaines de personnes disséminées par-delà le pays, elle demeure comme le partage d’un vestige de communauté que plus rien ne semble unir. Or, c’est peut-être à cela que tient son existence, chacun des locuteurs s’estimant le dernier ou presque à pouvoir garder vif le foyer de cet héritage, foyer si ténu qu’il en est passé longtemps inaperçu.
Cette variété peut pourtant prétendre à bon droit à la qualité de l’un des plus intéressants états de langue aujourd’hui parlés en France. Puisant à la source de plus d’une dizaine de langues pourvoyeuses en emprunts de toute nature, elle est illustrée par des usages tout aussi divers : cryptolaliques, plaisants, rituels… Toutes caractéristiques qui rendent ardue l’étude d’un particularisme.
Notre étude se veut, autant que possible, historique, dans le sens où nous entendons replacer l’actuel parler français de ceux que nous appellerons, par commodité, les Israélites aquitains, dans la succession des états de langue antérieurs qui ont été leurs et qu’il est possible d’appréhender grâce à des vestiges livrés par des témoignages oraux et écrits. Peut-être la langue pourra-t-elle alors confirmer, préciser ou éclairer certains points de l’histoire de ses locuteurs. Tout au moins de leur identité : ici plus qu’ailleurs, les représentations linguistiques se confondent avec les identitaires. L’on parle « comme ça » non seulement parce qu’on est l’un des « Juifs portugais », mais surtout pour l’être et se signaler comme tel à ses semblables. On se constitue membre de la 14communauté, en se constituant, entre soi, communauté religieuse, et donc linguistique. Le particularisme naît de la nécessité de se singulariser. Mais aujourd’hui, des singularités qui formaient la culture, ou, osons-le, la civilisation des Israélites de rite hispano-portugais ou séphardi de Bordeaux et de Bayonne, ne restent que ces témoins, si subjectifs, que sont les mots.
Si l ’ œuvre du philologue est souvent le fruit d ’ un labeur solitaire, celle du linguiste doit autant à son œuvre qu ’ au dévouement et au temps que lui consacrent ses informateurs. Qu ’ il nous soit permis de les remercier tous ici, trop brièvement hélas, et en particulier M. Gilbert Moïse Léon, auquel va ma reconnaissance infinie, son épouse M me Léon, née Dalmeyda, et enfin tous ceux dont le concours, quel qu ’ il fût, a permis à ce travail de prendre forme.