L’action [de François le Champi] s’engagea ; elle me parut d’autant plus obscure que dans ce temps-là, quand je lisais, je rêvassais souvent, pendant des pages entières, à tout autre chose. Et aux lacunes que cette distraction laissait dans le récit, s’ajoutait, quand c’est maman qui me lisait à haute voix, qu’elle passait toutes les scènes d’amour. Aussi tous les changements bizarres qui se produisent dans l’attitude respective de la meunière et de l’enfant et qui ne trouvent leur explication dans les progrès d’un amour naissant me paraissaient empreints d’un profond mystère…
Marcel Proust, « Combray ».
[S]i longtemps après la mort de Vinteuil, une image s’agitait dans mon cœur, une image tenue en réserve pendant tant d’années […] surgissant tout à coup du fond de la nuit où elle semblait à jamais ensevelie et frappant comme un Vengeur, afin d’inaugurer pour moi une vie terrible, méritée et nouvelle, peut-être pour faire éclater à mes yeux les funestes conséquences que les actes mauvais engendrent indéfiniment, non pas pour ceux qui les ont commis, mais pour ceux qui ne font, qui n’ont cru, que contempler un spectacle curieux et divertissant, comme moi, hélas !, en cette fin de journée lointaine à Montjouvain, caché derrière un buisson, où […] j’avais dangereusement laissé s’élargir en moi la voie funeste et destinée à être douloureux du Savoir.
Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe.
Rien n’empêche qu’un seul ressouvenir fasse retrouver tous les autres.