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Extrait : « La Sécularisation en question »

 

LAÏCITÉ, RELIGIONS ET DÉBAT PUBLIC
par Jean-Louis Bianco

Quelques semaines après l’installation de l’Observatoire de la laïcité, dans une interview donnée au quotidien Le Monde, j’avais affirmé : « La tonalité générale nous permet de dire que la France n’a pas de problème avec sa laïcité. Ce concept nous paraît plus moderne et plus indispensable que jamais, et capable d’apporter des réponses aux interrogations qui traversent la société française.  » Ces propos ont été manipulés pour donner : « La France n’a pas de problème de laïcité.  » J’assume évidemment ce que j’ai réellement dit. Dans le débat public, on ne compte plus les inexactitudes, les raccourcis, les contresens ou les titres sensationnalistes. Certains médias n’hésitent pas à illustrer par des photographies de femmes en burqa un article sur le port du foulard.


LES MÉDIAS, PRINCIPAUX RELAIS DU DÉBAT PUBLIC

Nous avons dès notre premier point d’étape rédigé un appel à la prudence à destination de l’ensemble des médias. Parce que le caractère « passionné » du traitement médiatique de la laïcité risque d’empêcher toute approche rationnelle. Nous avons organisé des rencontres sur la laïcité entre chercheurs et journalistes. Dès lors que le principe de laïcité est trop souvent instrumentalisé ou méconnu, les universitaires et les experts des questions de laïcité, de religions, de libertés fondamentales savent qu’ils doivent prendre part au débat, afin d’y apporter des éléments rationnels. Les journalistes, ou du moins leurs directions éditoriales, sont encore trop nombreux à céder au culte du clash, résumant chaque question à deux positions : vous êtes « pour » ou vous êtes « contre ». Le but est d’obtenir une phrase « choc » qui finira rapidement en bandeau sur les chaînes d’information continue. Les journalistes nous ont aussi fait part de leur difficulté à synthétiser l’information sur des sujets aussi complexes que la laïcité et les faits religieux. Ils sont soumis à des contraintes qui ne leur permettent pas de prendre le recul nécessaire, ni même de garder la maîtrise de la présentation de leur article (choix de la photo, du titre, etc.). Nous avons donc proposé, à l’ensemble des écoles de journalisme, d’intervenir pour une formation sur ces questions. Notre proposition est restée jusqu’ici sans suite. Trois cas concrets :


LES FOULARDS DE CREIL OU L’EMBALLEMENT TARDIF

Le 18 septembre 1989 le principal du collège Gabriel-Havez de Creil décide « au nom du respect de la laïcité » d’exclure trois jeunes filles qui portaient le foulard depuis quelques mois. Cet événement –, mais on ne le réalisera que plus tard – marque le début d’une nouvelle phase dans la question de la laïcité en France : l’irruption dans le débat du foulard et donc de l’islam. Dans un premier temps, l’exclusion n’intéresse aucun média. Jusqu’au 3 octobre où un récit paraît dans un journal local, relayé le lendemain par Libération. Le quartier est aussitôt envahi par les journalistes. Plus de cinq cents articles paraissent dans la presse nationale entre octobre et décembre, avec un ton généralement catastrophiste. Ainsi Paris‑Match : « Sur 876 élèves de 25 nationalités, on dénombre plus de “500 musulmans” et “18 israélites”. Une mosaïque qui risque de tourner au chaos.  » Le Nouvel Observateur : « Fanatisme. La menace religieuse.  » L’Express : « L’école laïque en danger. La stratégie des intégristes.  » Et le débat politico-médiatique s’enflamme à son tour. Lettre ouverte adressée par cinq intellectuels à Lionel Jospin, alors ministre de l’Éducation nationale : « L’avenir dira si l’année du Bicentenaire aura vu le Munich de l’école républicaine.  » À quoi d’autres répliquent en parlant d’un « Vichy de l’intégration des immigrés ».

LES « AGRESSIONS VESTIMENTAIRES » VUES PAR LA PRESSE

L’affaire des shorts de Toulon

Des femmes auraient été agressées parce qu’elles portaient un short. Aussitôt une tribune dénonce sur le Figaro.fr « une police de la vertu islamiste ». En fait, il s’avère que le motif de l’agression était sexiste et pas religieux.

La jupe de Gennevilliers

Le Parisien relate l’agression d’une jeune femme « rouée de coups parce qu’elle portait une jupe ». Indignation générale. En réalité il s’agit d’une altercation sans rapport avec la religion. L’auteure de l’agression déclare d’ailleurs au tribunal qu’elle porte elle-même des jupes.

LES « AFFRONTEMENTS INTERCOMMUNAUTAIRES EN CORSE »

Le 13 août 2016, en allumant la radio, j’entends : « Affrontements intercommunautaires en Corse : la communauté corse contre la communauté maghrébine.  » Le système médiatico-politique s’enflamme aussitôt.
L’affirmation est reprise en boucle sur tous les médias et dans tous les discours politiques. Quelle est la réalité, qu’on aurait pu découvrir en recherchant tout simplement l’information ? [...]


* Référence ouvrage : « La Sécularisation en question. Religions et laïcités au prisme des sciences sociales », Collectif, Coll. Bibliothèque de science politique.