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Classiques Garnier

Note

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NOTE

Je me décide à joindre à ce volume larbre généalogique des Rougon-Macquart. Deux raisons me déterminent.

La première est que beaucoup de personnes mont demandé cet arbre. Il doit, en effet, aider les lecteurs à se retrouver, parmi les membres assez nombreux de la famille dont je me suis fait lhistorien.

La seconde raison est plus compliquée. Je regrette de navoir pas publié larbre dans le premier volume de la série, pour montrer tout de suite lensemble de mon plan. Si je tardais encore, on finirait par maccuser de lavoir fabriqué après coup. Il est grand temps détablir quil a été dressé tel quil est en 18681, avant que jeusse écrit une seule ligne ; et cela ressort clairement de la lecture du premier épisode, la Fortune des Rougon, où je ne pouvais poser les origines de la famille, sans arrêter avant tout la filiation et les âges. La difficulté était dautant plus grande, que je mettais face à face quatre générations, et que mes personnages sagitaient dans une période de dix-huit années seulement.

La publication de ce document sera ma réponse à ceux qui mont accusé de courir après lactualité et le scandale. Depuis 1868, je remplis le cadre que je me suis imposé, larbre généalogique en marque pour moi les grandes lignes, sans me permettre daller ni à droite ni à gauche. Je dois le suivre strictement, il est en même temps ma force et mon régulateur. Les conclusions sont toutes prêtes. Voilà ce que jai voulu et voilà ce que jaccomplis.

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Il me reste à déclarer que les circonstances seules mont fait publier larbre avec Une page damour, cette œuvre intime et de demi-teinte. Il devait seulement être joint au dernier volume. Huit ont paru, douze sont encore sur le chantier ; cest pourquoi la patience ma manqué. Plus tard, je le reporterai en tête de ce dernier volume2, où il fera corps avec laction. Dans ma pensée, il est le résultat des observations de Pascal Rougon, un médecin, membre de la famille, qui conduira le roman final, conclusion scientifique de tout louvrage. Le docteur Pascal léclairera alors de ses analyses de savant, le complétera par des renseignements précis que jai dû enlever, pour ne pas déflorer les épisodes futurs. Le rôle naturel et social de chaque membre sera définitivement réglé, et les commentaires enlèveront aux mots techniques ce quils ont de barbare. Dailleurs, les lecteurs peuvent déjà faire une bonne partie de ce travail. Sans indiquer ici tous les livres de physiologie que jai consultés, je citerai seulement louvrage du docteur Lucas : lHérédité naturelle3, où les curieux pourront aller chercher des explications sur le système physiologique qui ma servi à établir larbre généalogique des Rougon-Macquart.

Aujourdhui, jai simplement le désir de prouver que les romans publiés par moi depuis bientôt neuf ans4, dépendent dun vaste ensemble, dont le plan a été arrêté dun coup et à lavance, et que lon doit par conséquent, tout en jugeant chaque roman à part, tenir compte de la place harmonique quil occupe dans cet ensemble5. On se prononcera dès lors sur mon œuvre plus justement et plus largement.

ÉMILE ZOLA

Paris, 2 avril 1878

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1 Larbre généalogique primitif de 1868-1869 (premier et deuxième états) a été publié dans Les Rougon-Macquart, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. V, p. 1771-1781. On trouvera le tableau généalogique des « Rougon-Machard » (état de 1869) dans les Œuvres complètes, Cercle du livre précieux, t. II, p. 298-299. Les annexes 2 à 7 de lédition critique de La Fortune des Rougon par Gina Gourdin-Servenière offrent un excellent complément (Genève, Strategic communication, 1990). Sur les dessins de larbre, on pourra consulter également les analyses dOlivier Lumbroso dans Les Manuscrits et les dessins de Zola. LInvention des lieux, Paris, Textuel, 2002, p. 532-537, ainsi que le no 46 de la revue Genesis, publié en 2016, consacré à la question du cycle romanesque (sous la dir. dOlivier Lumbroso et Alain Pagès) : des reproductions des différents états de larbre généalogique sont proposées p. 10, 40 et 99.

2 Cet arbre généalogique sera publié en tête du Docteur Pascal en 1893. Un état intermédiaire, avec des corrections, figure dans le dossier de La Bête humaine, en 1889.

3 Traité philosophique et physiologie de l hérédité naturelle, Baillière, 1847-1850, 2 vol. Dans une interview accordée au docteur Cabanès, le romancier rappelle que « Cest [à lépoque de la publication de Thérèse Raquin et Madeleine Férat] que me tomba sous les yeux le gros bouquin de Lucas sur LHérédité naturelle ; je passais un mois à le travailler à la Bibliothèque impériale. Dès ce moment, je pris la résolution décrire une série douvrages à travers lesquels se dérouleraient les manifestations successives de lhérédité. » (« La documentation médicale dÉmile Zola », parue dans La Chronique médicale, 15 novembre 1895, p. 677.)

4 La publication du premier roman de la série, La Fortune des Rougon, débute dans Le Siècle le 28 juin 1870, elle est interrompue le 10 août pour ne reprendre, et donner sa conclusion que dans la semaine du 18 au 21 mars 1870.

5 Dans son Journal, Edmond de Goncourt le samedi 30 mars 1878 écrit : « Je nai jamais vu un homme plus exigeant, moins satisfait de lénormité de sa fortune que le nommé Zola. Charpentier me racontait quil avait passé tout un dîner à se plaindre, à geindre, à grognonner, lorsquil lui apprenait quil faisait un tirage à 15 000 de sa PAGE DAMOUR. Pendant ce temps, on apporte larbre généalogique des Rougon par Régamey. Ça été terrible, à ce quil paraît, la confection de cet arbre, et sans pouvoir jamais contenter Zola, se plaignant dune branche un peu plus haute que lautre et disant, sur un ton presque larmoyant, quon ne faisait jamais ce quil voulait. » (E. et J. de Goncourt, Journal, « Bouquins », R. Laffont, Paris, t. II, 2004, p. 772-773).