Préface
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Vies et morts des couples princiers. Les séparations conjugales dans la Maison d’Orléans
- Auteur : Crouzet-Pavan (Élisabeth)
- Pages : 13 à 21
- Collection : Bibliothèque d'histoire médiévale, n° 23
- Thème CLIL : 3386 -- HISTOIRE -- Moyen Age
- EAN : 9782406090014
- ISBN : 978-2-406-09001-4
- ISSN : 2264-4261
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09001-4.p.0013
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 11/03/2019
- Langue : Français
Préface
Depuis quatre à cinq décennies, est-il besoin de le rappeler, l’histoire de la famille a profondément renouvelé l’étude des sociétés anciennes. La reconstitution des structures de la famille, l’étude de l’idéologie et de l’imaginaire de la parenté ont constitué autant de voies qui ont été empruntées pour distinguer des configurations sociales différentes et déterminer des « modèles », des organisations familiales caractéristiques, propres à certains temps et à certains lieux. De monographies en synthèses, de débats, parfois âpres, à des réflexions plus apaisées, tout un formidable courant d’études s’est structuré. Et si l’on tend aujourd’hui, sans doute plus qu’hier, à mettre en évidence la complexité et la pluralité des modèles, à souligner la discontinuité d’une chronologie qui connaît flux et reflux, quelques lignes d’évolution n’en ont pas moins été dessinées. Même si plus personne ne décrit les sociétés aristocratiques comme suivant une marche de manière linéaire, progressive et irréversible, vers de nouveaux schémas (la primogéniture, la famille nucléaire, l’éclatement des lignages et la fin des solidarités familiales…), même si l’on insiste plutôt sur la coprésence de modes de fonctionnement différents, une attention particulière n’en a pas moins été réservée, dans cette tradition d’études, au mariage et à la formation du couple conjugal.
Qui examine le tissu social découvre en effet cette cellule fondamentale. La famille conjugale articule les rapports sociaux bien qu’elle soit loin de le faire pour tous avec la même force. Au nom même de cet ordre et de sa préservation, le mariage est conclu selon des règles qui, dans tous les milieux, imposent leurs contraintes et auxquelles les historiens de la société ont réservé une attention passionnée quand les historiens du droit, ainsi que le rappelle Stéphanie Richard dans son introduction, analysaient plutôt la définition du mariage légitime, la valeur sacramentelle du lien, la situation juridique des époux. Quant aux transactions matérielles, et en particulier au transfert de biens, liés 14à la contraction de l’union, et à sa dissolution, c’est une bibliographie foisonnante, en fabrication toujours continuée, qu’elles ont suscitée. Il n’est qu’à songer aux milliers de pages écrites ces dernières années et toutes vouées à étudier, en Italie par exemple, le fonctionnement du système dotal. En somme, les historiens ont été comme fascinés par cette institution dont les textes du temps répétaient qu’elle était par excellence celle qui créait la cohésion sociale.
Il reste que le déplacement du regard de la structure, et de son fonctionnement, vers les expériences individuelles a conduit, ces dernières années, à un changement de paradigme. Les historiens ont en effet compris que l’institution matrimoniale pouvait aussi sombrer et que certains couples, même mariés, ignoraient cette stabilité de la vie commune que le mariage aurait garantie. Il est en conséquence permis de supposer qu’à la question « qu’est-ce qu’un couple ? », les hommes et les femmes de la fin du Moyen Âge auraient pu donner, comme ceux d’aujourd’hui, des réponses contrastées. C’est qu’ils avaient affaire dans leur vie quotidienne à des couples mariés et non mariés, des couples solidaires ou au contraire désunis et déchirés, des couples qui ne cohabitaient pas alors que d’autres formaient une véritable communauté de vie. Bien qu’encadrées par les normes religieuses et civiles, les relations de couple connaissaient des formes variées, soumises qu’elles étaient aux accidents de la vie et aux jeux, historiquement ordonnés, des émotions et des affects. Ce sont là de premières remarques qui ont le mérite de rappeler que le couple, comme toutes les constructions sociales, est une donnée soumise au changement, variable aussi bien dans le temps court que dans la longue durée.
La question de la séparation des couples n’avait donc pas été ignorée par l’historiographie récente plus sensible désormais à la notion de « parenté pratique » et à l’agency des acteurs sociaux. La découverte de pépites documentaires, à l’exemple de certains registres d’officialité heureusement conservés, a permis de montrer comment certains couples pouvaient être autorisés à mettre fin à leur vie commune. Mais comme le remarque à juste titre Stéphanie Richard, toutes les catégories de population n’étaient certes pas représentées devant les officialités. Là où les archives des cours ecclésiastiques compétentes en matière de mariage ont disparu, d’autres sources ont pu également être mobilisées par les chercheurs à l’exemple, en Italie, des actes de séparation, rares au demeurant, 15passés devant notaire, ou surtout des archives criminelles – pensons à l’Aragon au xve siècle principalement. Reste qu’il faut souligner que ces sources n’existent que dans quelques espaces privilégiés et qu’elles ne documentent une fois encore que certaines catégories de la population.
Ce cheminement historiographique devait être parcouru pour marquer fortement que la question des séparations conjugales princières constituait un sujet neuf. Si l’historiographie, après s’être surtout intéressée à certains cas célèbres d’annulations de mariages royaux, a depuis quelques années parfois choisi d’envisager les ratés ou la mort des couples ordinaires, ce sont précisément des couples ordinaires, appartenant à des populations plutôt urbaines, et qui n’étaient placés ni en haut ni en bas de l’échelle sociale, qui ont été un peu éclairés. Les enjeux sociaux, politiques, diplomatiques liés à la séparation des couples, lorsque ces couples unissaient Louis de Touraine et Valentine Visconti, Charles d’Orléans et ses épouses successives, Louis XII et Jeanne de France, étaient bien sûr d’une autre nature. Ainsi s’explique, et l’on y reviendra, que ce livre constitue aussi une contribution importante à l’histoire des pratiques princières de pouvoir et du rôle des femmes dans ces pratiques. En effet, cette enquête, et là est sa deuxième originalité, place en son centre, non la seule fin des couples, l’arrêt définitif de la vie conjugale, qui est en général le moment le mieux mis en valeur par la documentation, mais toutes les formes de séparation conjugale au sein de la haute aristocratie. Toute une gamme de micro-séparations, plus ou moins longues, passagères ou définitives, intervenaient en effet à différents moments de la vie maritale, ici celle de six couples, trois générations de la deuxième maison d’Orléans.
Pourquoi cet échantillon ? Sans doute pour expliquer ce choix, faut-il d’abord en revenir au parcours de Stéphanie Richard et à ses excellents et novateurs travaux de master centrés sur le vêtement à la cour de la deuxième maison d’Orléans, des travaux qui reposaient sur un dépouillement savant des riches comptabilités princières conservées. Mais pour le justifier, il y avait encore l’ampleur de la documentation conservée pour cette famille princière, une documentation permettant, pour une historienne ayant les qualités de finesse, d’intelligence et de rigueur de Stéphanie Richard, de mener une véritable histoire pragmatique de la conjugalité puisque cette maison présentait des cas et des modalités de séparation très diversifiés. Il n’est qu’à examiner la présentation des 16sources qui ont été consultées par Stéphanie Richard, il n’est qu’à lire les notes infrapaginales qui regorgent véritablement d’informations pour mesurer à quel point a été conduite une enquête documentaire d’une très grande difficulté, une enquête archivistique qui va bien au-delà de ce qui est demandé pour une thèse aujourd’hui. Le caractère souvent un peu vieilli de la bibliographie consacrée à la seconde maison d’Orléans a aussi pesé dans la décision et l’on notera combien, sur de multiples points, ce livre revisite avec bonheur des travaux encombrés de poncifs. Cette recherche, arrivée à son terme un peu après celle de Marion Chaigne consacrée aux femmes de la seconde Maison d’Anjou, vient donc très heureusement contribuer au renouvellement en cours des études sur les aristocraties princières de la fin du Moyen Âge.
J’ai parlé d’une enquête documentaire de grande ampleur et de grande difficulté. Le terme, on va le voir, n’est pas exagéré. Stéphanie Richard a bien sûr consulté les fonds, très importants, conservés aux Archives nationales et à la Bibliothèque nationale. Mais, à la recherche des hommes et des femmes de la Deuxième Maison d’Orléans, elle a également exploré les Archives départementales du Loiret, du Loir-et-Cher, du Cher, du Calvados, de Loire-Atlantique, de Meurthe-et-Moselle, de l’Aveyron, du Tarn-et-Garonne, des Pyrénées-Atlantiques, les Archives municipales de Bourges et de Reims, les bibliothèques municipales de Blois, Reims, de Rouen, de Bourges, de Reims, de Châlons-en-Champagne et d’Albi. Elle a accompli un véritable tour de France en somme qui, comme souvent les tours de France – on parle bien sûr de la course cycliste – lui a fait quitter le territoire national, ici pour des dépouillements en Angleterre, à Londres et à Kew, en Italie, à l’Archivio di Stato de Milan et à celui de Turin, au Vatican, à l’Archivio Segreto Vaticano, aux archives de la Pénitencerie Apostolique et à la Bibliothèque du Vatican, en Autriche enfin, aux Archives d’État de Vienne. Elle a ainsi constitué un ensemble documentaire qui n’avait jamais été rassemblé avant elle, formé de sources souvent éparses et, dans tous les cas, jamais sérielles, auquel ont été encore ajoutés un très beau corpus de sources imprimées et une non moins abondante bibliographie. Stéphanie Richard a beaucoup dépouillé et beaucoup lu, et elle démontre, louable qualité en un temps où l’érudition n’est plus forcément révérée, une égale maîtrise de toute la typologie des sources utilisées : les archives comptables ou les sources juridiques, les sceaux, les testaments ou les actes administratifs. De quoi construire un livre très 17solidement bâti, de quoi nourrir une recherche neuve, de quoi proposer une réflexion qui nous fait découvrir à quel point, en dépit de l’abondante bibliographie consacrée à l’institution du mariage, nous connaissions mal les réalités mêmes du mariage et comment fonctionnaient les couples, dans ces milieux princiers, à la fin du Moyen Âge.
Les résultats de cette belle enquête apparaissent dans ce livre écrit dans une langue précise et élégante et dont la richesse thématique est mise en évidence par le plan. Le premier volet, dans un exposé extrêmement bien informé et d’une parfaite clarté, restitue les cadres théoriques de la vie conjugale et fait apparaître de manière très intéressante les tensions qui sont déjà à l’œuvre dans l’appareil conceptuel et normatif forgé au cours des siècles. Le mariage – et de belles pages sont réservés à l’analyse de ce consortium conjugal – est-il répété, impose un cadre d’existence rigide aux époux mais les désunions, et leurs répercussions, y compris sur la délicate question de la légitimité des descendants, ont bien été prises en compte par les normes de l’Église comme par les prescriptions séculières. Les conclusions qui sont dégagées de ce premier temps de la réflexion démontrent à quel point il était nécessaire de commencer par l’évocation de ce cadre juridique et conceptuel. Au sein d’un système posant l’indissolubilité comme l’un des principes fondamentaux du mariage, un espace pour la séparation des conjoints n’en a pas moins été construit. Quant aux formes de la désunion du couple, elles sont d’une extrême variabilité. On pourrait donc dire, écrit Stéphanie Richard que, dans certains cas, il ne reste plus guère au mariage que son appellation et l’interdiction de prendre un nouveau conjoint. Au terme de l’examen de ces sources prescriptives, l’union matrimoniale apparaît comme un objet hautement protéiforme.
Il y a là un constat qui remet en perspective notre vision du cadre normatif et qui nous conduit à rappeler que si les acteurs sociaux jouaient avec les normes, ces normes n’en étaient pas moins aussi déjà traversées par des tensions et des contradictions. Un tel constat permet à Stéphanie Richard d’ouvrir l’analyse des situations conjugales caractérisant les différents couples de la Maison d’Orléans. C’est la matière du deuxième chapitre du livre que de montrer que le mariage est un processus. Qui a étudié les étapes en marquant l’accomplissement dans la Venise ou la Florence du xve siècle savait qu’il n’est pas si aisé de savoir quand le mariage commence vraiment. L’union, lorsque la famille du mari veut 18s’assurer que la dot sera vraiment payée, peut être par exemple consommée avant que l’épouse, parfois des mois plus tard, ne soit menée, par la ductio, à la maison de l’époux. De telles réalités étaient beaucoup moins connues dans le cas français. Or l’exemple des couples de la Maison d’Orléans montre que le mariage est loin de correspondre à un passage simple et immédiat entre deux états. Le mariage, en réalité, revêt la forme d’un processus qui implique un passage par diverses étapes. La vie commune est souvent longuement ajournée, le couple se structure avec lenteur et la question des transactions matérielles est bien sûr au cœur de ce processus. On notera à cet égard l’intérêt des pages consacrées à la question de la dot de Valentine Visconti qui viennent dépoussiérer des travaux solides, mais un peu anciens.
L’enquête se poursuit en privilégiant un autre lieu d’observation, celui de la séparation au quotidien. Ce chapitre, impressionnant, qui repose sur la reconstitution, passionnante, des itinéraires ducaux, prouve, selon les mots de la chercheuse, que les époux vivaient une communauté d’existence incomplète. Qu’on en juge par l’exemple de Charles d’Orléans et de Marie de Clèves séparés près de huit mois entre juillet 1448 et juin 1449. Rares sont les travaux qui proposent une mesure précise du temps passé par les conjoints l’un auprès de l’autre, et l’un sans l’autre, écrit Stéphanie Richard. Ces pages, avec une sûreté méthodologique sans faille, et au prix d’un travail considérable au plus près des sources, suppléent de la plus belle manière qui soit à cette lacune et établissent, tout en documentant de manière précise l’itinérance continuelle des princes, que les princesses étaient aussi mobiles, y compris sur d’assez grandes distances. Année après année, jour après jour ou presque, Stéphanie Richard a suivi les déplacements de Louis de France, de Valentine Visconti ou de Charles d’Orléans. C’est une mention dans le Religieux de Saint Denis, dans un registre ou une liasse des Archives nationales, une notation dans un manuscrit qui informent ces itinéraires. La séparation dès lors apparaît bien comme un mode de vie conjugale. Ces couples vivent en effet souvent séparés puisqu’ils passent entre 30 et 70 % de leur temps loin de l’autre, et les conclusions de Stéphanie Richard peuvent être élargies, pour ces familles princières, à d’autres espaces1.
19Le chapitre suivant interroge avec finesse l’affectio maritalis à l’aune des lettres échangées mais aussi de tous ces présents, plus ou moins précieux, qui voyageaient sur les routes du temps et qui tissaient des liens entre l’époux et l’épouse, les parents, les amis. L’histoire des relations familiales mais aussi politiques peut également s’écrire à la lumière de ces échanges partout attestées : ici de l’esturgeon, des éperviers ou des bijoux, ailleurs des fruits, de la majolique ou des faucons… Mais si ces femmes, en l’absence de leur époux, jouissent d’une certaine indépendance financière, sous-tendue par un renforcement institutionnel de leur hôtel, et par la nature profondément économique de l’association maritale, le champ politique ne voit pas s’accomplir de telles évolutions. Ces femmes n’obtiennent pas de délégation de pouvoir, formelle ou de fait, et c’est un bel exposé d’histoire politique qui est mené par la chercheuse pour expliquer pourquoi les hommes de la Maison d’Orléans ont choisi de ne pas faire appel à leurs épouses mais plutôt à leurs frères ou, à défaut, à leurs officiers. Ces pages, riches de nuances et de suggestions, en particulier sur le règne de Charles d’Orléans, contribuent à enrichir l’important dossier, toujours en chantier, du pouvoir au féminin. On notera à cet égard que les sujets des ducs d’Orléans ne partageaient pas forcément la méfiance des hommes qui les gouvernaient. Certains suppliants, sans qu’il y ait lieu de s’en étonner, après la mort de Charles d’Orléans s’adressent ainsi à Marie de Clèves devenue régente pour son fils Louis II. Quant aux officiers de Louis II, ils ne craignent pas non plus de solliciter la duchesse, dépourvue pourtant de délégation officielle d’autorité, pendant l’emprisonnement de ce dernier.
C’est sur le conflit, en l’espèce le procès qui oppose Louis XII, tout juste devenu roi, à Jeanne de France qu’est tout entier centré le cinquième chapitre. Beau dossier en effet que celui offert à l’examen. Voilà un couple qui commence par vivre pendant plus de vingt ans de mariage en étant séparé la plupart du temps. La duchesse est en Berry, son mari à Blois ou ailleurs… Surtout, l’époux est bien décidé à se séparer de son épouse. Les deux versions des faits qui s’opposent à l’occasion des procédures de justice entamées en 1498 par Louis contre Jeanne de France sont passionnantes pour l’histoire et les représentations des pratiques conjugales. L’un, avec son absence de consentement à cette union, dit son antipathie, ce qui fait a contrario apparaître l’existence d’un modèle affectif à respecter chez les époux princiers ; l’autre proclame au 20contraire qu’il existait de l’affection, du désir charnel et une solidarité économique entre les conjoints. Ces deux versions différentes de ce que fut la vie conjugale de ce couple sont commentées avec finesse. Dans tous les cas, rares sont ceux chez les aristocrates princiers qui recourent à une procédure judiciaire. Les pratiques matrimoniales habituelles, qui conduisaient le couple à mener une existence séparée, permettaient aux couples en discorde de fonctionner. De la sorte, la plupart des époux se maintenaient loin des tribunaux. Certains toutefois n’en voulaient pas moins se défaire de leurs conjoints.
Le dernier chapitre examine donc la séparation définitive – un phénomène très rare, redisons-le – puisque le démariage, souligne à juste titre Stéphanie Richard, a des répercussions lourdes sur les relations sociales des époux et leur réseau de parents, d’amis, d’alliés. C’est la volonté d’épouser un nouveau conjoint qui explique une telle démarche. Impossible, nous dit la chercheuse, dans le milieu examiné de recourir à la « solution du self-divorce ». Impossible de recourir aux voies alternatives qui existent, y compris pour la haute noblesse, même si elles sont réfutées par le droit canon. La rupture doit être obtenue par l’option judiciaire. L’exemple du procès entre Louis XII et Jeanne de France permet de comprendre qu’un jeu habile avec les règles du droit canon est alors engagé, les époux disposant en fait de marges d’action qu’ils exploitent plus ou moins habilement, selon divers paramètres dont celui du genre, même si, on ne s’en étonnera pas, la voix féminine se fait entendre de manière un peu assourdie. De la sorte, ces dernières pages viennent compléter et nuancer l’analyse du cadre juridique et conceptuel des séparations qui ouvrait le livre.
Au sein de ce très riche exposé, nombreux sont les développements précis qui retiendront l’attention du lecteur. La grande originalité des pages qui regardent les échanges épistolaires a déjà été signalée. Intéressantes sont de même les analyses dédiées aux dépenses de Valentine Visconti. Il faut encore louer l’effort de la chercheuse pour tenter de proposer, malgré les silences des sources, quelques éléments d’information sur l’éducation reçue par Valentine Visconti, Isabelle de France et Marie de Clèves, et sur la composition de leurs bibliothèques. Valentine et Marie étaient ainsi familières des travaux de Christine de Pisan, et Valentine aurait sans doute elle-même rencontré la femme de lettres. Les développements dédiés à l’action de Valentine Visconti et de 21Marie de Clèves pendant la minorité de leurs enfants sont importants pour l’histoire du veuvage féminin et les actes de gouvernement des femmes de l’aristocratie. Mais ce ne sont là que quelques exemples des multiples apports de ce livre.
Cette recherche, bâtie sur une documentation inédite, ample et complexe, informée par une très bonne connaissance de l’historiographie récente s’attaque à une vraie question historique, et à ces questions elle apporte, grâce à la mobilisation de compétences historiques variées et à une remarquable maturité analytique, de vrais et solides éléments d’interprétation, avec une probité intellectuelle qu’il faut particulièrement louer et des choix méthodologiques assumés. Elle modifie en profondeur la vision que l’on pouvait avoir du mariage, de l’état conjugal et de la vie des couples dans les derniers siècles du Moyen Âge.
Élisabeth Crouzet-Pavan
Sorbonne Université faculté
des lettres
Centre Roland Mousnier
UMR 8596
1 É. Crouzet-Pavan, J.-C. Maire Vigueur, Décapitées. Trois femmes dans l’Italie de la Renaissance, Paris, Albin Michel, 2018.