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Classiques Garnier

[Introduction de la troisième partie]

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Minoritaires et longtemps invisibilisées dans les études portant sur les effets de la loi Astier, les filles du technique forment lune de ces « frontières » de la loi Astier quil convient dinterroger. Cette frontière du genre renvoie à dautres impasses et impensés de la loi, déclinés dans cette troisième partie. Ainsi, lenseignement agricole réformé en 1918 connaît un développement en partie différent, tandis que bien des secteurs professionnels émergents, notamment autour des métiers du care, questionnent les limites de la loi. Fabien Knittel revient sur la loi du 2 août 1918 sur la formation agricole qui prévoit une catégorie à part, celles des filles. Dans la logique de cette longue discrimination, des écoles et des cours ménagers post-scolaires doivent préparer les adolescentes à la gestion de la laiterie et de la basse-cour comme à lentretien du ménage et à la charge du bien-être des enfants. Cette combinaison, qui place la formation des jeunes filles au service du futur partenariat familial économique, conforte ainsi la lutte agrarienne nataliste comme celle menée contre lexode rural.

Dans ces « frontières », nous avons privilégié justement les petits métiers situés en bas de léchelle sociale et professionnelle des activités du care : ici les ambulanciers et ambulancières, là des assistantes de vie… Charles-Antoine Wanecq revient ainsi sur les deux voies daccès au travail du transport sanitaire, lune féminine et minoritaire organisée par la Croix-Rouge dès 1942, lautre surtout masculine et majoritaire défendue par les syndicats de professionnels. Lauteur montre combien un modèle féminin de formation ne peut lemporter pour définir les savoir-faire et compétences dune profession mixte, même si la mécanique nest pas lexclusive des hommes pas plus que la sollicitude à apporter aux personnes transportées ne lest des femmes.

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Autre rapport de force, celui qui structure les débats autour de la création en 2011 du bac professionnel « Accompagnement, soins et services à la personne » (ASSP), relatés par Nicolas Divert. Pour le ministère de lÉducation nationale, le nouveau diplôme, qui remplace le BEP « Carrières sanitaires et sociales », vise à répondre aux attentes de diplomation des élèves et des familles et doit permettre une montée en compétences des personnels. Les milieux professionnels sont quant à eux plus circonspects sur la place que doit prendre ce nouveau diplôme sur le marché du travail et ne le reconnaissent pas, lui préférant les certifications sous tutelle du ministère de la Santé. La très jeune histoire de ce diplôme illustre alors combien la professionnalisation est difficile lorsquelle concerne des activités exercées par des femmes quasi exclusivement. Et quand il sagit de femmes, combien les politiques de formation et de diplomation peuvent évoluer indépendamment de la qualification des emplois.

Enfin Maryse Lopez propose de faire un pas de côté en sintéressant à une autre frontière, disciplinaire et pédagogique cette fois, celle qui distingue les pratiques et les contenus de lenseignement professionnel davec lenseignement général. La filière professionnelle peut-elle donner lexemple en matière de modernisation de lécole ? Lexpérimentation pédagogique introduisant le contrôle continu, démarrée en 1972 et prolongée jusquen 1982, est étudiée pour ce quelle dit de la culture technique défendue alors par la filière professionnelle : recherche de lautonomie de lélève, décloisonnement des disciplines, savoir-faire valorisés par rapport aux savoirs. Cette innovation, ouverte à lentreprise et à la formation permanente, fait de lenseignement professionnel un espace propice à la rénovation des disciplines scolaires et confirme ainsi son originalité, que lintroduction de la psychopédagogie dans des écoles normales nationales dapprentissage (ENNA, créées en 1945) avait déjà démontré.