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Classiques Garnier

[Introduction de la première partie]

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Le retour sur la fabrication de la loi est indispensable pour comprendre comment un projet de loi incapable daboutir pendant près de quinze ans est finalement adopté par la Chambre dans un grand consensus. Létat des lieux auquel se livre Gérard Bodé met en évidence les réalisations déjà substantielles, les formes de stratification distinguant différents niveaux de formation et de qualification, et les segmentations entre différentes tutelles administratives. Véritables vitrines du progrès, les expositions universelles incluent depuis leurs débuts, à la suite de lexposition de Crystal Palace en 1851, les institutions denseignement technique et professionnel, et leur accordent une importance croissante. Les rapports officiels très détaillés rédigés à loccasion des expositions constituent une source indispensable à condition den déconstruire les présupposés et les objectifs.

La compréhension du paysage de lenseignement technique français au seuil du xxe siècle est également indispensable pour retracer la fabrication de la loi Astier. Les débats, jusquau début de la Grande Guerre, occupent des élus – maires, députés, sénateurs –, des fonctionnaires – membres de lAssociation française pour le développement de lenseignement technique (AFDET), bureaux et directions concernés au sein des ministères de lInstruction publique et du Commerce et de lIndustrie –, ainsi que des patrons et leurs représentants. Plusieurs points clés animent ces débats, de lopportunité dune obligation de formation professionnelle pour les jeunes au lieu opportun pour assurer cette formation, promoteurs de lécole et partisans du lieu de travail opposant leurs arguments et identifient des solutions qui, parfois, combinent lécole et le travail. Cette élaboration heurtée de la loi se nourrit aussi, comme le montre Stéphane Lembré, de très nombreuses comparaisons 46internationales, pour sinspirer de choix effectués à léchelon national ou au niveau local, ou pour sen écarter.

Cest précisément sur la mise en œuvre locale de la loi Astier dans les années 1920 que se penche Guy Brucy dans sa contribution, en confrontant les textes officiels et les conditions de mise en œuvre de la loi telles quelles apparaissent dans les archives départementales. Cette « autre histoire » de la loi Astier fait la part belle aux configurations locales qui façonnent la réception de la loi. La fréquentation des cours professionnels, laccueil réservé aux suites de la loi (création de la taxe dapprentissage, loi du 20 mars 1928 sur lapprentissage) ou la réussite aux CAP sont autant dindicateurs indissociables de laction de la direction de lEnseignement technique incarnée successivement par Edmond Labbé et Hippolyte Luc.

En abordant le cas de lartisanat, Cédric Perrin déplace le regard de la loi Astier vers la loi dite Walter-Paulin du 10 mars 1937, en vertu de laquelle les chambres de métiers se voient attribuer un pouvoir important en matière dapprentissage artisanal. Cette décision est étroitement liée dans les années 1920 et 1930 à la dynamique dorganisation de lartisanat. Les divergences restituées dans ce texte permettent dexpliquer les termes de cette loi de compromis dont le déclenchement de la guerre rend les effets à court et moyen terme difficiles à mesurer. Néanmoins, comme pour la loi Astier, cette loi Walter-Paulin ne déclenche pas un bouleversement immédiat, y compris lorsque certaines chambres de métiers ont anticipé ce nouveau cadre. Dans lensemble, lapprentissage artisanal reste une formation « essentiellement pratique », et les réticences des artisans à lorganisation de lapprentissage artisanal se traduisent dans lhostilité au CAP et la spécificité de lexamen de fin dapprentissage artisanal.