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Classiques Garnier

Préface

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Préface

Toute métamorphose représente le passage ­dun état primitif à un nouvel état, qui ­sadapte au temps, mais ne néglige pas sa nature passée. Aucun autre mot que « métamorphose » ­nexprime mieux le rôle que ­lOvidius maior a joué au Moyen Âge. Entre les mains des ­commentateurs, le poète qui a écrit sur ­lamour et les mythes devient le magus, le philosophus, mais surtout le magister ethicus capable de fournir des enseignements ­conformes à la morale chrétienne. Dans ­laccessus du ­commentaire anonyme du xive siècle transmis par le ms. Vat. Lat. 1479, dont ­lédition ­complète est publiée ici pour la première fois, on lit que la métamorphose ne signifie pas un changement de forme mais de substance (Acc. 38 : « Methamorphoseos dicitur a metha, quod est trans, et morphos, quod est mutatio, et usios, quod est substancia ») et tout au long du ­commentaire ­lauteur recherche et explique ­continuellement la moralité de chaque mythe.

La rigueur de la prose scolaire ordonne le ­contenu de la narration ovidienne selon la logique, ­lélégance des vers se perd dans ­lexpression des raisons ­quintroduit le terme quia, mais, surtout, chaque image est interprétée allégoriquement et traduite en ­concept. Le ­concept, à son tour, prend immédiatement les formes de ­lenseignement. Pour le ­commentateur médiéval, Phébus devient la sagesse et Jupiter, ­lépoux infidèle de Junon, se transforme en pater iuvans chrétien. La glose se met au service du texte ovidien et ­laccompagne pas à pas pour en révéler le sens caché, découvrir la substance sous la forme, le vrai sous la fictio, le message chrétien sous les déclarations des dieux païens. La glose donne vie, tel un démiurge ou tel ­létrange Démogorgon décrit au début du ­commentaire, à des textes ­complètement renouvelés, qui vivront de façon autonome ­jusquà ce ­quils subissent une nouvelle transformation en passant entre les mains des Humanistes.

Une autre métamorphose se dessine encore dans le commentaire du Vat. Lat. 1479. Sous la forte influence de la langue romane, le lexique 10et la syntaxe du latin sont transformés et laissent entrevoir des écarts par rapport aux normes du latin classique et des formes encore hybrides qui ­nappartiennent à aucune des deux langues, mais qui présentent les caractéristiques des deux. Même la scripta du copiste devient une sorte de laboratoire dans lequel se déroule le processus de métamorphose : le copiste ­nécrit plus cum mais ­com, selon la façon dont il prononce le mot, et il peut aussi écrire mondus pour mundus car ­daprès ­létymologie médiévale le terme dépend de moveo ; la syntaxe du dicit quod appartient déjà à la langue romane, mais caractérise aussi fortement le latin oral par lequel les magistri enseignaient en classe.

­Lédition de ce ­commentaire aux Métamorphoses est née dans le cadre du projet de recherche « Les sources de ­lOvide moralisé ». ­Lauteur anonyme de ­lOvide moralisé a réalisé une opération extraordinaire : il a fondé sa traduction et allégorisation des Métamorphoses non seulement sur le modèle ­dOvide mais aussi sur la lecture du poème que les magistri avaient faite avant lui. Il a ainsi transformé les Métamorphoses en une source prête à ­lemploi, déjà moralisée. Dans son œuvre, donc, pour laquelle ­lauteur a utilisé un ou plusieurs ­commentaires similaires à celui transmis par le Vat. Lat. 1479, le poète latin revêt les traits de ­lOvidius ethicus. Mais il reste aussi le poète, qui impose le modèle des 15 livres et le soin du vers, en même temps que la glose latine, qui devait expliquer chaque mot et puis rester anonyme et invisible, est non seulement assumée ­comme une source explicite du texte français mais pénètre aussi le vers et le texte littéraire, avec son humble habit, avec son simple nom de glose.

Je remercie L. Birrer, F. T. Coulson, P. Deleville, L. Endress, Y. Greub, F. Maillet, P. Martina, I. Salvo Garcia, C. Tassone, R. Trachsler, qui ont permis à mes fragmenta de devenir édition. Je suis reconnaissante envers M. Ferrari, L. Galasso, P. Gresti, C. M. Monti, et particulièrement envers M. Petoletti, qui transforme mon chaos en corpora, et R. Bargnesi, qui lit la poesis comme une pictura.

Lisa Ciccone

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Il n a pas toujours été facile de produire à quatre mains et en parallèle l édition et la traduction de ces gloses latines. Aussi faut-il remercier P. Deleville pour ses minutieuses relectures, de l introduction, de la traduction et, avec l aide d I. Salvo-Garcia (merci à elle aussi), des gloses interlinéaires. Merci enfin à F. Goy, qui m a aidée à traduire le début du livre III.

Marylène Possamai-Pérez