< Accessus >
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Un commentaire médiéval aux Métamorphoses. Le Vaticanus Latinus 1479, Livres I à V
- Pages : 114 à 133
- Collection : Textes littéraires du Moyen Âge, n° 56
- Série : Ovidiana textes, n° 1
- Thème CLIL : 3438 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moyen Age
- EAN : 9782406105374
- ISBN : 978-2-406-10537-4
- ISSN : 2261-0804
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10537-4.p.0114
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 17/07/2020
- Langues : Français, Latin
< ACCESSUS >
[f. 53r]
[1]In nova fert animus (1) et cetera. Com magnum volumen Ovidii pre manibus habeamus, de vita et moribus ipsius poete aliquid necesse est nobis cognoscere. Com omnes Greci ad destructionem Troie concurrissent, et Troia in cineres conversa fuisset propter raptum Elene – a Paride rapta per falsum iudicium –, cuius rei cognitio hec est : Iuno, Pallas et Venus quoddam convivium fecerunt et ad illud noluerunt convocare dominam Discordiam, quare ipsa, irata propter contemptum, ex ira commota, accepit pomum aureum et scripsit in eo ‘pulcriori detur’, et in medio convivii illud proiecit. [2] Videntes autem tres dee pomum, optaverunt illud ita quod queque optavit habere illud et videri pulcrior, unde lis orta fuit inter illas et elegerunt Iovem iudicem, ut iudicaret que illarum esset pulcrior. [3] Iupiter, videns Iunonem sponsam et sororem suam esse, et Venerem neptem suam, et Palladam filiam suam, malivolenciam uniuscuiusque nolens incurrere, noluit iudicare, sed misit illas ad Paridem, filium regis Troianorum, qui valle propinqua com ceteris coetaneis sociis suis vacas custodiebat et habebat sertum florum. [4] Com autem bos alicuius sociorum suorum vincebat certamine bovem quem custodiebat, Paris dabat illi sertum. Si autem bos suus bovem socii superaret, dabat bovi suo sertum, et sic iudex iustus erat ; quare Iupiter misit deas ad illum, ut iudicaret que illarum esset pulcrior.
1 de vita et moribus] de vita # et moribus ms. | 4 certamine ex certamne ms.
115< ACCESSUS >
[f. 53r]
[1]In nova fert animus (« mon esprit me pousse […] en nouveaux »), etc. Puisque nous avons entre les mains le gros volume d’Ovide, il nous faut connaître quelque chose de la vie et des mœurs du poète lui-même. Tous les Grecs avaient accouru pour détruire Troie, et Troie s’était effondrée dans les cendres à cause du rapt d’Hélène enlevée par Paris par suite du jugement fallacieux, fait dont on connaît le récit suivant : Junon, Pallas et Vénus firent un festin et ne voulurent pas y inviter Dame Discorde ; aussi celle-ci, irritée d’avoir été méprisée, poussée par la colère, prit une pomme d’or et inscrivit dessus « Qu’elle soit donnée à la plus belle ». Et elle la jeta au milieu de la table du festin. [2] En voyant la pomme les trois déesses voulurent l’avoir, chacune souhaitant la posséder pour être vue comme la plus belle ; un conflit s’éleva donc entre elles et elles choisirent Jupiter comme juge, pour qu’il désigne laquelle d’entre elles était la plus belle. [3] Jupiter, considérant que Junon était son épouse et sa sœur, Vénus sa petite fille1 et Pallas sa fille, ne voulut encourir le ressentiment d’aucune d’elles et refusa de juger, mais il les envoya à Pâris, fils du roi des Troyens, qui gardait ses vaches dans un val voisin accompagné de tous ses compagnons et portait une couronne de fleurs. [4] Lorsque le taureau d’un de ses compagnons triomphait au combat de son propre taureau, Pâris lui donnait la couronne. Si au contraire c’était son taureau qui triomphait du taureau de son ami, il donnait la couronne à son taureau : ainsi Pâris était un juge équitable. C’est pourquoi Jupiter lui envoya les déesses, pour qu’il juge laquelle était la plus belle.
116[5] Com autem hoc audisset Iuno, venit ad illum et dixit : ‘Dic quod ego sum pulcrior et iudica pro me, et ego faciam te diciorem hominem de toto mundo’. Pallas dixit : ‘Iudica pro me, et ego faciam te meliorem et forciorem militem de toto mundo’. Venus dixit : ‘Da mihi pomum et iudica pro me, et ego faciam te habere pulcriorem mulierem de mundo, et illam tibi dabo’. [6] Hoc audiens, Paris cogitavit apud se et dixit : ‘Ego sum satis dives et satis pulcher et satis fortis. Volo habere pulchriorem mulierem de toto mundo’. Et iudicavit sic pro Venere, et dedit illi pomum, et Venus dedit illi Helenam, uxorem Menelai regis Grecorum, et illam rapuit. [7] Hoc autem videns, Menelaus rex conspiravit com universis Grecis in morte Troianorum et in morte Priami et Ecube, et perrexerunt universi Greci et obsederunt civitatem troianam et decem annis morati fuerunt. [8] Com autem decimo anno devicta fuisset, Troiam per ignem et victoriam habuissent, Greci repatriare voluerunt. Sed Solemus, unus de militibus romanis, noluit repatriare, sed mansit com uxore sua et remansit iuxta civitatem romanam, et ibi fundavit opidum et vocavit illum Sulmo ; a nomine suo, Solemon, dictum est Sulmo opidum. [9] Et ibi genuit duos filios, et vocavit primum nomine Lucillum, et fuit primogenitus in illo opido, unde Ovidius in Tristibus : « Sulmo mihi patria gelidis uberrimus undis / milia qui decies distat ab urbe decem ». Post Lucillum natus fuit Ovidius, unde idem dicit in Tristibus : « Nec stirps prima fui ; genito sum fratre creatus, / qui tribus ante quater mensibus ortus erat ». [10] Iste autem Ovidius natus fuit anno revoluto eodem die quo frater suus, unde dicit in Tristibus : « Lucifer amborum natalibus affuit idem : / una celebrata per duo liba dies ». [11] Iste autem Lucillus eruditus fuit in iurribus et decretis, unde Ovidius in Tristibus : « Frater ad eloquium viridi tendebat ab evo, / forcia verbosi natus ad arma fori ». [12] Ovidius autem eruditus fuit in gramaticalibus, unde idem in Tristibus : « At mihi iam puero celestia sacra placebant, / inque suum furtim Musa trahebat opus ».
5 hoc] hec Nogara | 6 Grecorum] Troianorum ms. | 7 conspiravit] consparavit ms. annis ex annis a ms. | 8 Troiam Nogara] Troiana ms. noluit Nogara] voluit ms. sed2] et Nogara ibi1ex ill ibi ms. Solemon] Solemone Nogara
117[5] Lorsque Junon le sut, elle vint trouver Pâris et lui dit : « Dis que je suis la plus belle et prononce le jugement en ma faveur, et je ferai de toi l’homme le plus puissant du monde. » Pallas lui dit : « Prononce le jugement en ma faveur et je ferai de toi le combattant le meilleur et le plus courageux du monde. » Vénus lui dit : « Donne-moi la pomme et prononce le jugement en ma faveur et je te donnerai la plus belle femme du monde, j’en ferai ta femme. » [6] En entendant cela, Pâris réfléchit et se dit : « Je suis assez puissant, assez beau et assez courageux. Je veux avoir la femme la plus belle du monde. » Et il prononça le jugement en faveur de Vénus et lui donna la pomme, et Vénus lui donna Hélène, l’épouse de Ménélas roi des Achéens. Il l’enleva. [7] Voyant cela, le roi Ménélas conclut un accord avec tous les Grecs pour mettre à mort les Troyens, Priam et Hécube. Tous les Grecs se dirigèrent donc vers la cité troyenne, qu’ils assiégèrent. Le siège dura dix ans. [8] La dixième année, comme la cité troyenne avait été vaincue et incendiée et qu’ils avaient remporté la victoire, les Grecs voulurent regagner leur patrie. Solemus, un soldat romain, ne voulut pas retourner dans sa patrie. Avec sa femme, il s’installa à côté de la cité romaine et construisit une place forte qu’il appela Sulmone : c’est de son nom, Solemus, que la place forte s’appelle Sulmone. [9] Il engendra là deux fils, dont le premier reçut le nom de Lucillus ; il fut le premier né dans cette place forte. C’est pourquoi Ovide dit dans les Tristes2 : « Ma patrie Sulmone est très riche en eaux glacées ; elle est distante de la Ville de dix fois dix milles. » Après Lucillus naquit Ovide. Aussi dit-il également dans les Tristes : « Je ne fus pas le premier rejeton ; je fus conçu après la naissance de mon frère, qui était né douze mois avant moi. » [10] Ovide naquit un an après son frère jour pour jour, aussi dit-il dans les Tristes : « Une même étoile assista nos deux naissances, une même journée était fêtée par deux gâteaux. » [11] Ce Lucillus était savant dans le domaine des lois et des décrets, aussi Ovide dit-il dans les Tristes : « Dès son jeune âge mon frère aspirait à l’éloquence, il était né pour les luttes vigoureuses du forum verbeux. » [12] Ovide quant à lui était savant en grammaire, aussi dit-il encore dans les Tristes : « Mais moi, enfant déjà j’aimais le culte divin, la muse m’attirait secrètement vers son ouvrage. »
118[13] Com autem videret Solemus quod Lucillus multa lucraretur in scientia sua, Ovidius vero nichil, dixit Ovidio quod scientiam suam desineret, et in decretis curiosissime perstuderet. Hoc probat Ovidius in Tristibus : « Sepe pater dixit : ‘Studium cur inutile carpis ? / Meonias nullas inde resumis opes ». [14] Hoc audiens, Ovidius voluit gramaticalia et versificaturam deserere, sed tamen non potuit, unde in Tristibus : « Motus eram dictis, totoque Elicone relicto, / scribere cognabar verba soluta modis ». [15] Com autem, sicut dictum est, a versificatura sua vellet Ovidius cessare, non potuit ; immo quicquid dicebat, versificatum erat, unde idem in Tristibus : « Sponte sua carmen numeros veniebat ad aptos, / et quid cognabar dicere versus erat ». [16] Com autem Lucillus vixisset spacio XXti annorum, decessit, unde Ovidius ita tristis fuit ac si perdidisset dimidiam partem sui, unde Ovidius in Tristibus : « Iamque decem vite frater geminaverat annos, / com perit et cepi parte carere mei ». [17] Ovidius autem in iuventute sua accepit uxorem, et multum criminatur illam, unde in Tristibus : « Pene mihi puero nec digna nec utilis uxor, / est data que tempus per breve nupta fuit ». [18] Illa autem uxore mortua, habuit aliam, unde multum laudat illam, sed dicit quod, si diu vixisset, non diu durasset in probitate sua, unde in Tristibus : « Illi successit, quamvis sine crimine coniunx, / non tamen in nocte firma futura thoro ». [19] Quidam dicunt quod habuit terciam, et volunt probare per hos versus in Tristibus : « Ultima que mecum seros permansit in annos, / sustinuit iuste tempora seva mee ». Tum alii dicunt quod hic loquitur de serva.
15 aptos] optos ms. | 18 nocte] nostro Nogara thoro] thora ms. | 19 seros] sanctis ms., seris Nogara
119[13] Voyant que Lucillus gagnerait beaucoup dans sa science, mais qu’Ovide ne gagnerait rien, Solemus dit à Ovide de laisser tomber sa science, et de se mettre à étudier avec la plus grande curiosité le domaine juridique. Ovide montre cela dans les Tristes : « Souvent mon père me disait : pourquoi goûtes-tu une étude inutile ? Tu ne retire(ra)s aucune richesse des [travaux] méoniens3. » [14] Entendant cela, Ovide voulut abandonner les études de grammaire et de versification, mais il en fut incapable ; aussi dit-il encore dans les Tristes : « J’avais été ébranlé par ses paroles et, ayant complètement déserté l’Hélicon, je m’efforçais d’écrire des phrases libérées de la cadence. » [15] Mais alors qu’Ovide voulait cesser de versifier, comme il a été dit, il en fut incapable : tout ce qu’il disait était versifié, aussi dit-il également dans les Tristes : « Le chant venait de lui-même prendre les rythmes appropriés, et ce que j’essayais de dire était en vers. » [16] Alors que Lucillus avait vécu vingt ans, il mourut et Ovide en fut aussi triste que s’il avait perdu la moitié de lui-même ; c’est pourquoi il dit dans les Tristes : « Déjà mon frère avait atteint deux fois dix ans, lorsqu’il mourut, et je commençai à perdre une partie de mon être. » [17] Ovide dans sa jeunesse prit femme, mais il lui fait beaucoup de reproches, comme on le lit dans les Tristes : « J’étais encore presque un enfant lorsqu’on me donna une femme qui n’était ni digne de moi ni utile [au foyer], et elle ne resta pas longtemps mon épouse. » [18] Cette épouse étant morte, il en eut une autre, dont il fait un grand éloge, mais il ajoute que, si elle avait vécu longtemps, elle n’aurait pas continué à être honnête4 ; d’où dans les Tristes : « une (autre) épouse lui succéda qui, quoiqu’irréprochable, ne devait pas partager longtemps ma couche la nuit. » [19] Certains disent qu’il eut une troisième épouse et veulent le prouver par ces vers des Tristes : « La dernière, qui est restée avec moi jusque dans les dernières années, supporta comme il convenait les périodes cruelles de ma (vie)5. » Mais d’autres disent qu’il parle là d’une esclave.
120[20] Iste autem Ovidius, adhuc iuvenis, composuit librum De arte amatoria, in quo voluit docere iuvenis quomodo deberent habere amasias, et e converso. Et erat adhuc iuvenis, unde in Tristibus : « Carmina com primum populo iuvenilia feci, / barba resecta mihi bisve semelve fuit ». [21] Postea adamavit Liviam, uxorem imperatoris, quam falso nomine appellavit Corinam, quasi cor urens, unde in Tristibus : « Moverat ingenium totum cantata per orbem / nomine non vero dicta Corina mihi ». [22] Propter amorem illius fecit Librumepistolarum, ut possent iuvenes doceri quomodo debent scribere amicis suis et e converso, et multos alios libros fecit, et Ovidium quem titulavit In Ibim, et fecit illum contra invidos, et quadam interiocatione fecit OvidiumDe pulice que se interserit in secretis puellarum, unde dixit : « Parve pulex, et amara lues, inimica puellis », et cetera. [23] Et nota quod iste Ovidius electus unus de centum iudicibus romanis. Qui centum iudices constituebantur sub L et illi L sub XXV et illi XXV sub XIII et illi XIII sub tribus, et de istis tribus Ovidius fuit unus, unde dicit in Tristibus : « Et male commissa est nobis fortuna reorum ». [24] Com autem multos libellos Ovidius composuisset et in civitate romana multis titulis floruisset, quadam die, pergens per palacium regis solus, vidit imperatorem Cesarem abutentem puero. [25] Cesar autem, videns quod ipsum Ovidius cognoverat, timuit ne ipsum revelaret, et iamque propter uxorem suam habebat ipsum suspectum, et ipsum habebat in odio propter librum De arte, quia quidam se propter artem suam suspendebant, alii se cremabant, alii in aquis precipitabant propter amorem illicitum. [26] Hoc autem videns, Ovidius fecit librum De remedio amoris, sed tamen Cesar pre talibus instituit illum ire in exilium. [27] Sed, cum Ovidius cognosceret imperatorem iratum contra illum, fecit librum Methamorphoseos quem habemus pre manibus exponendum, ut posset probare, per multa experimenta et per mutationes plurimas, quod Cesar esset deus in civitate sua, unde versus finem istius operis sui continetur : « Cesar urbe sua deus est ».
21 totum Nogara] tutum ms. | 22 epistolarum Nogara] ap(isto ?)larum ms. Ovidium1] opusculum Nogara Ovidium2] opusculum Nogara pulice ex publice ms. | 23 XIII2 sub4ex XIII2 sub fortuna reorum com autem multos libellos per vacat ms. | 26 pre] propter ms. | 27 quem habemus ex quem habebat ms.
121[20] Cet Ovide, encore jeune, écrivit aussi l’Art d’aimer dans lequel il voulait apprendre aux jeunes hommes comment ils devaient avoir des maîtresses et inversement. Et il était encore jeune, c’est pourquoi il dit dans les Tristes : « Quand je lus au peuple pour la première fois mes poèmes de jeunesse, ma barbe n’avait été encore qu’une ou deux fois rasée. » [21] Ensuite il aima Livie, l’épouse de l’empereur, qu’il appelle du pseudonyme Corine, comme s’il disait cor urens, « cœur enflammé » ; c’est pourquoi il dit dans les Tristes : « Corine (ce n’est pas son vrai nom) chantée par toute la terre, avait ému tout mon esprit. » [22] À cause de son amour pour elle il écrivit le livre des Épîtres, pour que les jeunes hommes puissent apprendre comment ils devaient écrire à leurs amies et inversement, et il fit de nombreux autres livres, et un Ovide6 qu’il intitula Contre Ibis, qu’il fit contre les jaloux, et par plaisanterie il fit un Ovide intitulé Le pouce qui s’insinue dans les secrets des jeunes filles, c’est pourquoi il dit : « Petit pouce, et fléau amer, ennemi des jeunes filles » et cetera. [23] Et notons que cet Ovide fut élu parmi cent juges romains : ces cent juges étaient subordonnés à 50, eux-mêmes subordonnés à 25, et ces 25 subordonnés à 13, et enfin ces 13 subordonnés à trois, et Ovide était l’un de ces trois juges, c’est pourquoi il dit dans les Tristes : « et malheureusement le sort des accusés a été remis entre nos mains. » [24] Comme Ovide avait composé de nombreux ouvrages et était riche de nombreux titres dans la cité romaine, un jour, errant seul dans le palais royal, il vit l’empereur César abuser d’un enfant. [25] César, voyant qu’Ovide l’avait reconnu, craignit qu’il ne révélât son attitude ; il avait aussi déjà des soupçons à cause de sa femme et le haïssait à cause de son livre l’Art d’aimer parce qu’à cause de son Art certains se pendaient, d’autres se brûlaient, d’autres se précipitaient dans les eaux à cause d’un amour illicite. [26] Voyant cela, Ovide écrivit le livre Les remèdes à l’amour, mais César décida cependant qu’il partirait en exil. [27] Mais Ovide, sachant l’empereur en colère contre lui, écrivit les Métamorphoses que nous avons entre les mains et que nous devons expliquer, pour pouvoir prouver par de nombreux exemples et par un grand nombre de métamorphoses que César était un dieu dans sa cité, c’est pourquoi vers la fin de son ouvrage on lit : « César est un dieu dans sa cité. »
122[28] Verumptamen tribus supradictis causis missus fuit in exilium, unde quidam versificator dixit : « Ad loca pontina te misit, Naso, ruina / triplex : doctrina, visus et ipsa Corina ». [29] Ovidius destinatus fuit in exilium et ita imparatus quod non potuit emendare istius operis libellum, unde dicit in Tristibus : « Sunt mihi mutate ter quinque volumina forme ; / emendaturus si licuisset eram ». [30] Com esset Ovidius in exilium, fecit librum Tristium, in quo posuit statum patrie et ordinem vite sue, et rogabat amicos suos quatinus intercederent pro ipso apud Cesarem, ut mutaret exilium suum. [31] Postea fecit librum Sine titulo. Postea fecit librum De Ponto, ubi rogavit Brutum et Maximum et ceteros amicos suos quatinus exorarent imperatorem ut sibi recessum vel accessum in propriis partibus concederet. [32] Et dicunt quidam quod ad ultimum, suspenso studio suo, repatriavit. Alii dicunt quod Cesar mortuus fuit, et sic repatriavit. Quidam tamen dicunt quod numquam repatriavit, et ita in dubio remanserunt lectores. Sed, cum ad distinctionem et cognitionem libri nostri devenire cupimus, necesse est nobis causas cognoscere unicuique operi concurrentes. [33] Secundum istos versiculos : « Actor, materia, titulus, modus, utile, causa / suscepti, parti cui detur philosophie, / principio libri debent hec omnia queri ». [34] De actore satis per predictam habuimus cognitionem. Materia sua est mutationes rerum in diversas formas et formis iterum in priores naturas. [35] Titulus talis est : Publii Nasonis Metamorphoseos prius liber incipit. [36] Publius dicitur a Publio patre vel a Publia matre Nasonis. Naso dicitur a quantitate nasi vel a sagacitate. Nam, sicut canis dicitur sagax ab odore nasi et utilitate, sic iste dicitur Naso a sagacitate nasi, id est ingenii, quia valde sagax fuit in cognitione elementorum et proportione rerum, unde et Ovidius dicitur ab ovo, quasi ovum dividens, quia, sicut in ovo sunt quattuor, scilicet testa, pellicula, medullium, et albuco, sic divisit Ovidius elementa tractando de divisione IIII elementorum, que sunt terra, aer, aqua, ignis. [37] Per testam intelligimus terram, per pelliculam intelligimus aera, per albuginem intelligimus aquam, per medullium intelligimus ignem ; et de omnibus istis tractavit actor, et sic dictus fuit Ovidius ab ovo.
28 tribus ex triibus ms. | 29 imparatus Nogara] preparatus ms. | 30 ipso ex ipsa ms. | 35 est] es ms. | 36 sic ex nasic ms.
123[28] Cependant pour les trois causes énoncées ci-dessus il fut envoyé en exil, comme l’a écrit un poète : « Vers les lieux du Pont, Naso, t’a envoyé une triple cause : ta doctrine, ton regard, et Corine elle-même. » [29] Ovide fut exilé de façon tellement impromptue qu’il ne put corriger le texte de son ouvrage, si bien qu’il dit dans les Tristes : « J’ai pour toi cinq volumes sur la métamorphose ; j’étais sur le point de les corriger si cela m’avait été permis. » [30] Comme Ovide était en exil, il composa le livre des Tristes, dans lequel il décrivit l’état de la province et l’organisation de sa vie ; il demandait à ses amis d’intercéder pour lui auprès de César, pour qu’il mît fin à son exil. [31] Ensuite il écrivit le livre Sans titre, puis celui des Pontiques, dans lequel il demanda à Brutus, à Maximus et à ses autres amis de supplier l’empereur d’accorder son retour, ou son retrait dans ses propres domaines. [32] Certains disent qu’à la fin, ayant cessé d’étudier, il rentra dans sa patrie, d’autres disent que César mourut, et qu’alors il rentra. Mais certains disent qu’il ne rentra jamais, et ainsi les lecteurs sont restés dans le doute. Mais, comme nous désirons parvenir à discerner et à connaître notre livre, il nous faut savoir les causes convergentes de chaque aspect. [33] Selon ces vers : « il faut s’interroger sur l’auteur, la matière, le titre, la manière, l’utilité, la cause de l’entreprise, la partie de la philosophie à laquelle l’ouvrage se consacre, le point de départ du livre. » [34] Sur l’auteur nous avons une connaissance suffisante par tout ce qui précède. La matière du livre porte sur les transformations des choses en des formes variées et sur les formes qui reviennent à leurs premières natures. [35] Le titre est le suivant : Métamorphosesde Publius Naso, début du livre I. Publius vient du nom du père de Naso, Publius, ou de celui de sa mère, Publia. [36] Il est appelé Naso pour la grandeur de son nez ou pour sa finesse. En effet, comme le chien est dit subtil à cause du flair et de la qualité de son nez, ainsi celui-ci est dit Naso par la finesse de son nez, c’est-à-dire de son intelligence, parce qu’il était très subtil dans la connaissance des éléments et de leur proportion dans les choses. Aussi est-il appelé « Ovide » à cause de l’œuf, en d’autres termes « celui qui divise l’œuf », parce que, comme dans un œuf il y a quatre parties, à savoir la coquille, la pellicule, le jaune et le blanc, ainsi Ovide distingua les éléments en traitant de la division des quatre éléments, qui sont la terre, l’air, l’eau, le feu. [37] Par la coquille nous comprenons la terre, par la pellicule l’air, par le blanc l’eau, par le jaune le feu : c’est de tout cela que l’auteur traita, et ainsi il fut appelé Ovide à cause de l’œuf.
124[38]Methamorphoseos dicitur a metha, quod est trans, et morphos, quod est mutatio, et usios, quod ‹ est › substancia, quod liber de mutacione substancie ; Greci habent genetivum, nos ponimus ablativum. Primus liber incipit : bene dicitur primus, quia sequitur secundus ; sunt enim XV. [39] Modus suus consistit in hoc, quod semper metrice procedit. [40] Utilitas duplex est : primo quod nos simus ita obtemperati inter utramque fortunam, quod naturam nostram ullatenus deseramus, sicut dicitur Yo fecisse, que ita dedita fuit terrenis, quod dicitur mutari in bovem, quia per terrena ita occupata fuit, quod dicitur vixisse de Creatoris sui operum summitatibus penitus oblita. Alia est quod, libro lecto et cognitione illius habita, constructionem componere sciamus et rerum proportionem plurium cognoscere valeamus. [41] Ethice, id est morali, supponitur scientie, et, quia plurime dicuntur mutationes, de diversis mutationibus possumus conspicere in presenti. Primo videamus de mutatione artificiali per hos versus : « Dicitur artificis mutatio quando recedit / a silva veteri flamma remota solo ». [42] De mutatione naturali que fit post summum artificem per hos versus : « Omnia de nichilo fecit deus, omnia facta / in seriem redigens. / Mutat natura generans dum ducit inesse, / et genitum perdit res variare potens ». [43] De mutatione mistica et magica habetur sic : « Fit tipice, magice mutatio : vir leo factus, / est typice ; magice stat retro, currit aqua ». [44] De eo quod quelibet pars fabule non est exponenda habetur sic : « Omnis ficticii partes non discute : summam / elige ; quid sapiat, quid velit illa vide ».
38 ‹ est › substancia] substancia ms. liber] libet ms. de mutacione substancie] de # mutacionis substancie ms., de diversis mutationibus Nogara genetivum] genetivum # ms. | 40 quod2] quia ms. summitatibus] summitatis ms. | 41 possumus] possimus Nogara | 42 ducit ex dicit ms. ducit inesse] defit in esse Ghisalberti | 43 vir Ghisalberti] de ms., Nogara est] et ms., Nogara | 44 elige Nogara] eliarum(?) ms.
125[38] Le titre de Métamorphoses vient de meta, qui signifie « à travers », morphos qui est la transformation, et usios qui désigne la substance, ce qui (donne) « livre de la substance de la métamorphose » – le grec met le génitif (là où) nous mettons l’ablatif. « Début du premier livre » : il est à juste titre appelé premier, puisqu’un deuxième suit – il y en a quinze. [39] Sa manière consiste en ce qu’il est écrit en vers. [40] Son utilité est double : d’abord que nous pouvons être soumis à des revers de fortune, parce que nous pouvons abandonner en quelque sorte notre nature, comme, dit-on, Io le fit en se vouant aux biens terrestres, puisqu’on dit qu’elle fut changée en vache – c’est qu’elle était occupée par les choses de ce monde, au point qu’on dit qu’elle vécut en ayant totalement oublié l’excellence des œuvres de son créateur. La seconde utilité est que, après avoir lu le livre et en avoir acquis la connaissance, nous sachions reconstituer la construction et puissions connaître la proportion d’un très grand nombre de choses. [41] On subordonne (l’œuvre) à l’éthique, c’est-à-dire à la science morale et, parce que de nombreuses métamorphoses sont racontées (dans ces pages), nous pouvons examiner maintenant les différents types de métamorphose. Voyons d’abord ce qui concerne la métamorphose artificielle, grâce à ces vers : « La métamorphose est dite du fait de l’artisan quand la flamme s’écartant du sol se sépare de l’antique forêt. »7[42] (Nous pouvons voir) ce qui concerne la métamorphose naturelle qui advient par l’artisan suprême, grâce à ceux-ci : « Dieu crée tout à partir de rien, ramenant toutes les choses créées à des séries8. La nature qui engendre opère la métamorphose lorsqu’elle amène à l’être et fait périr ce qu’elle a engendré, ayant pouvoir de changer les choses. » [43] Pour ce qui concerne la métamorphose mystique et magique on a ceci : « La mutation est d’ordre symbolique ou magique lorsqu’un homme est changé en lion, et c’est de façon symbolique ou magique que l’eau remonte son cours. » [44] Sur le fait que toute partie de la fable n’est pas à expliquer on a ceci : « Ne discute pas tous les passages d’une fiction, choisis l’essentiel, vois ce qui a du sens, ce que cela veut dire. »
126[45] De proprietatibus elementorum per hos versus : « Flamma volat, volitat aer, aqua cursitat, heret / terra, sedent valles, mons tumet, arva iacent. / Ignis acutus amat subtilis, mobilis altum ; / obtusum reddit aera terra gravis. / Corpore plena sedet obtusa immobilis illa, / aer subtilis, mobilis igne levat. / Dum movet ignis aquas obtusas corpore plenas / ex terra, terre porrigit unda fidem. / Nos iuvat hic, inde proporcio mensio terna. / Dic mihi : bis duo, bis ter, tria bis tibi sint. / Sic numerus elementa ligat quo cuncta moventur, / quique iubet stabilis temporis esse vices ». [46] De quattuor temporibus habetur sic : « Vernat ver, estas exestuat, auget et estas / aptomnus, canet hispida bruma comis ». [47] De quinque zonis habetur sic : « Zona rubet media, tristantur frigore bine / estreme, geminas temperat ignis, hyems ». [48] De sole et luna habetur sic : « Sol duodena gradu festino signa pererrat, / annos et menses luna renata novat ». [49] De ventis cardinalibus et collateralibus habetur sic : « Aeris in multas partes est fractio : ventus / frigoris et tonitrus vendicat esse pater. / Eurum sol oriens, Zephirumque cadens, mediusque / Austrum, cui Boreas obstrepit ore videt. / Dum Subsolano Vulturno cingitur Eurus, / hinc Austrum stipat Affricus, hincque Nothus. / Cerei, te Zephirus deposcit, teque Favoni. / Hinc Aquilo, Borea, Chorus et inde tenet. / Quid dicam silvas iuvenes, herbasque puellas ? / Sidera quid referam pingere nocte polum ? / Quid tellure feras, volucres quid in aere, quidve / equoribus pisces regna tenere feram ? / De terra figulum finxisse Promothea primo / fabula fert hominem : res amictata latet ». [50] Quid sit fabula, quid historia, quid integumentum, quid allegoria habetur per hos versus : « Et ‹ sermo › fictus fit fabula vel quia celat, / vel quia delectat, vel quod utrumque facit. / Res est historia magnatibus ordine gesta / scriptaque venturis a memoranda viris ».
45 heret] hebet Nogara acutus ex accuus ms. altum Ghisalberti] altis ms. reddit ex redit ms. ex] et Nogara hic inde] hec numeri Ghisalberti mensio terna] mersio trina Nogara bis3] ter Ghisalberti numerus] numeris Ghisalberti esse] ire Ghisalberti | 48 annos Ghisalberti] annus ms. | 49 ventis] vetitis ms. hincque] inde Ghisalberti Cerei] Terei ms., Circine Ghisalberti dicam] referam Ghisalberti amictata] demictata ms., clamidata Ghisalberti, denotata Nogara | 50 Et] est Ghisalberti ‹ sermo › fictus Ghisalberti, Nogara] # fictus ms. fit] tibi Ghisalberti a memoranda] commemoranda Ghisalberti
127[45] Sur les propriétés des éléments, on a ces vers : « La flamme vole, l’air volète, l’eau court, la terre est immobile, les vallées sont assises, la montagne se gonfle, les sillons sont étendus. Le feu pénétrant, subtil et mobile aime les hauteurs ; la lourde terre étourdit l’air, car elle est pleine de matière et se tient étourdie et immobile ; l’air subtil et mobile est soulevé par le feu ; lorsque le feu déplace hors de la terre les eaux étourdies pleines de matière, l’onde accorde sa protection à la terre. C’est pourquoi cette proportion, cette triple mesure nous aide. Dis-moi (si) tu as deux fois deux, deux fois trois, trois fois deux fois : c’est ainsi que le nombre lie les éléments par l’action de celui qui les fait tous se mouvoir et qui ordonne aux saisons une alternance régulière. » [46] Sur les quatre saisons on a ceci : « Le printemps reverdit, l’été brûle, l’automne fait pousser la nourriture, les brumes blanchissent, hérissées de chevelures ». [47] Sur les cinq zones on a ceci : « La zone médiane est rougeoyante, les deux extrêmes sont attristées par le froid, le feu et l’hiver tempèrent les deux autres. » [48] Sur le soleil et la lune on a ceci : « le soleil traverse les douze signes d’un pas alerte chaque année, la lune renaissante renouvelle les mois. » [49] Sur les vents cardinaux et collatéraux on a ceci : « L’air est fractionné en de multiples parties : le vent du froid et du tonnerre revendique d’être le père. Le soleil levant regarde Eurus, le soleil couchant a les yeux sur Zéphyr, le soleil méridien voit Auster, auquel s’oppose le souffle bruyant de Borée. Tandis qu’Eurus est entouré de Subsolanus et Vulturnus, Affricus presse Auster d’un côté, Notus de l’autre. Zéphyr te réclame, Cercius, et toi aussi, Favonius. D’un côté Aquilon tient Borée, de l’autre c’est Corus. Pourquoi dirais-je que les arbres sont les jeunes hommes et les herbes les jeunes filles ? Pourquoi rapporterais-je que les étoiles, la nuit, donnent des couleurs au ciel ? Pourquoi raconter que les bêtes sauvages ont leur royaume sur la terre, les oiseaux dans l’air, les poissons dans les flots ? La fable rapporte que le potier Prométhée façonna l’homme avec de la terre : cette chose bien connue reste obscure. » [50] Ce qu’est la fable, ce qu’est l’histoire, ce qu’est l’intégument, ce qu’est l’allégorie, nous l’avons dans ces vers : « La fable est un discours fictif soit parce qu’elle dissimule, soit parce qu’elle est agréable, soit pour les deux raisons. Les faits sont dans l’histoire accomplis par la série des grands hommes et écrits pour être rappelés aux hommes du futur. »
128[51] Ultimo, com videret Ovidius se nullo modo ab exilio posse reverti, fecit librum De vetula intitulatom, in quo mutationem sue vite ponit, et in quo tractat de ludo scacorum, et ludit de spadonibus, et in quo pulcritudinem amice sue antique ponit, et turpitudinem vetule, que pro amica se sibi interposuit, et amorem amice sue, et ad ultimum ponit fidem suam tractans egregissime de Incarnatione Ihesu Christi et de Passione, de Resurrectione et de Assencione et de vita beate Marie Virginis et de Assumptione eius in celum. [52] Isti Creatori et Virgini similiter commendat se in fine, et rogat tam filium quam matrem, quatinus dignentur sui ipsius in fine, dum venerit ad iudicium, misereri, quia de ‹ mortuorum › resurrectione optime et probabiliter tractat. [53] Hunc librum fecit secum inhumari sub capite, quia in fide mortuus fuit ; sed, com ossa ‹ ab amicis › suis quererentur, ut apud Romam portarentur, inventus fuit ab eis liber iste qui intitulabatur sic : Pelignenssis Ovidii De vetula. « Clauditur historico sermo velamine verus : / ad populi mores allegoria tibi. / Fabula nocte tenens te polluat : integumentum / est aliter ; doctrine res tibi vera latet ».
[54]De promotheo qui primo formavit. Fabula clave patet ; tua nam doctrina, Promotheu, / informasse prius fertur in arte virum. / Celitus affirmas lucem rationis oriri / celestesque plagas com ratione peti. [55]De primo tempore. Principio mundi conflavit inclita vita ; / etas ex auro floruit absque malo. / Saturnus satur est annis ; saturatio primi / temporis. Huic hostis filius eius erat. / Tempus quod sequitur secuisse virilia patris / dicimus inque maris precipitasse chaos. Integumentum. Tempus Saturnus, ubertas mentula, proles / posteritas, venter est mare, spuma Venus. [56]De malicia subcrescente. Iam propter varios effectus asserit error / plures esse deos, est seges acta mali. / Non uno contempta deo patet etheris aula, / sed tot divorum pondere pressa labat.
51 nullo Nogara] ullo ms. ludo] lude ms. | 52 ‹ mortuorum › resurrectione fortasse Nogara] # resurrectione ms. | 53 ossa ‹ ab amicis ›fortasseNogara] ossa # ms. intitulabatur] intulabatur ms. vetula] vetula # ms. historico sermo Ghisalberti] historica serra ms. allegoria ex allegoria mori ms. nocte tenens te polluat] voce tenus tibi palliat Ghisalberti est aliter doctrine] est et doctine Nogara, clausa doctrine res Ghisalberti | 54 virum] rudes Ghisalberti affirmas Ghisalberti] affirmat ms. com] a Ghisalberti | 55 conflavit] cum flavit Ghisalberti annis] annus Ghisalberti | 56 acta] acta ex actos ms., aucta Ghisalberti contempta] contenta Ghisalberti
129[51] Finalement, comme Ovide voyait qu’il ne pouvait en aucune façon revenir d’exil, il écrivit le livre intitulé La vieille, dans lequel il raconte le changement de sa vie, dans lequel il traite du jeu des échecs, et se moque des eunuques, dans lequel il décrit la beauté de son ancienne amie, et la laideur de la vieille, qui s’interposa entre son amie et lui, et l’amour de son amie ; finalement il affirme sa foi en traitant de manière exceptionnelle de l’Incarnation et de la Passion de Jésus Christ, de sa Résurrection et de son Ascension, de la vie de la Bienheureuse Vierge Marie et de son Assomption dans le ciel. [52] À la fin il se recommande à ce Créateur et à la Vierge en même temps, et demande tant au fils qu’à la mère de le juger digne, à sa mort, de venir au Jugement, d’avoir pitié de lui, parce qu’il traite de façon honorable et louable de la Résurrection. Il fit inhumer ce livre avec lui, sous sa tête, parce qu’il mourut dans la foi, mais, lorsque ses proches vinrent chercher ses restes pour les apporter à Rome, ils trouvèrent ce livre intitulé « La vieille, par Ovide de Pellinée. » « Le vrai est enfermé sous un voile par la litanie9 historique10. Tu emploies l’allégorie à l’usage du peuple. La fable en te tenant la nuit te pollue, l’intégument peut être défini autrement par : la vérité de la doctrine t’est cachée11. »
[54]De promotheo qui primo formavit (« Prométhée qui le premier créa ») : « La fable est découverte par la clé. On dit en effet que ton enseignement, Prométhée, forma l’homme à l’art pour la première fois. Tu affirmes que la lumière de la raison s’est levée dans le ciel, et que les régions célestes sont recherchées par la raison. » [55]De primo tempore (« Le premier âge ») : « Au début du monde se forma une vie glorieuse, et fleurit un âge doré et sans mal. Saturne est saturé d’années, c’est la saturation du premier âge. Il eut son fils comme ennemi. On dit que l’âge qui suit a coupé les membres du père et les a précipités dans le chaos de la mer ». Integumentum (« Intégument ») : « Le temps est Saturne, la fertilité est le membre viril, la progéniture est la postérité, la mer est le ventre (maternel), l’écume est Vénus. » [56]De malicia subcrescente (« La méchanceté qui grandit ensuite ») : « Désormais pour différentes raisons une opinion erronée soutient qu’il y a plusieurs dieux : c’est la moisson du diable qui a été semée. La cour céleste s’ouvre, non contente d’un dieu unique, mais chancelle, écrasée par le poids de tant de divinités. »
130[57]De illo qui primo formavit statuam. Primo formavit statuam sibi Bessus ut illam / servus adoraret, paruit ergo timor. [58]De malicia. Eiecisse deos mundus sitit. Inde ruinam / primus habet, virtus mentis ab arce fugit. / Virtutes Superi, viciorum turba Gigantes, / mens humilis Phlegra, mons tibi fastus erat. [59]De Lichaone. Si lupus est Archas, lupus est feritate lupina. / Nam lupus esse potes proprietate lupi. [60]De Deucalione. Vir misisse viros et nimphas nimpha refertur / si plus in choitu seminis alter habet. / Est aqua Deucalion et ignis Pirra ; parentes / sunt lapides, lapides qui pietate carent. [61]De Phebo et Phitone. Phebus Phitonem superat, sapiensque malignum, / fallacemque virum sub ratione premit. [62]De phebo et Dane. Mentibus hec arbor sapientum virgo virescit / que quamvis fugiat victa labore viret. / Est virgo Phebi sapientia facta corona / laurus, quam cupida mente requirit homo. [63]De Yo. Flacta coste fugit Yo, vaga bos fugitiva / indiga discurrens, fine beata tamen. [64]De Argo. Argus ab arguto fertur, quia plenus ocellis / ante retro plena callidi [f. 53v] tate sapit. / Cauda pavonis tandem pinguntur ocelli / quando divicias respicit Argus homo.
58 Eiecisse Ghisalberti] effecisse ms. Phlegra Ghisalberti] flagrat ms. mons Ghisalberti] mens ms. | 60 et²] est Ghisalberti sunt ex est ms. lapides2] lapidum Ghisalberti | 63 Flacta coste] fracto teste Ghisalberti vaga Ghisalberti] vaca ms. | 64 quia] qui Ghisalberti retro Ghisalberti] reo ms.
131[57]De illo qui primo formavit statuam (« L’homme qui le premier façonna une statue ») : le premier, Bessus se fit façonner une statue pour l’adorer comme un esclave : ainsi naquit la peur. » [58]De malicia (« La méchanceté (des géants)12 ») : « Le monde a soif de chasser les dieux. Alors pour la première fois il connaît la ruine, la force de l’esprit quitte les hauteurs. Tu peux comprendre que les dieux du ciel représentaient les vertus, que les Géants figuraient la troupe des vices, que Phlégra était l’esprit à terre13, que la montagne était l’image de l’orgueil. » [59]De Lichaone (« Lycaon ») : « Si l’Arcadien14 est un loup, il est loup par sa férocité de loup. Car on peut être loup parce qu’on a le caractère d’un loup. » [60]De deucalione (« Deucalion ») : On dit que l’homme jeta des hommes et la femme des femmes si pendant le coït l’un des deux possède plus de semence15. « Deucalion est l’eau et Pyrrha est le feu, les parents sont les pierres, les pierres qui manquent de piété16. » [61]De Phebo et Phitone (« Phébus et Python ») : « Phébus surpasse Python, le sage écrase l’homme méchant et fourbe sous sa raison. » [62]De phebo et Dane (« Phébus et Daphné ») : « Cet arbre verdit pour l’esprit des sages, comme la jeune vierge qui est vigoureuse bien qu’elle fuie, vaincue par la souffrance. La Vierge est la sagesse de Phébus, le laurier tressé en couronne que l’homme recherche avec avidité. » [63]De Yo (« Io ») : « La génisse Io aux flancs qui pendent17 s’enfuit, vache fugitive, courant désespérément de tous côtés, trouvant pourtant le bonheur à la fin. » [64]De Argo (« Argus ») : « Le nom Argus vient de argutus, « pénétrant », parce que, muni d’une grande quantité d’yeux, devant et derrière la tête, [f. 53v] il a des connaissances d’une grande finesse. Ses yeux sont finalement peints sur la queue du paon quand l’homme Argus regarde les richesses. »
132[65]De telis Cupidinis. Dicitur ‘accessus’ prior ala, sequensque ‘recessus’ ; / fax, ardor tela sunt duo : velle, fuga. [66]De Mercurio. Mercurius mentes curans deus eloquiorum. / Verbi mobilitas dicitur ala duplex. / Sermonis virga vis ; est sopire tirannos / fertur, et egrotis mentibus addit opem. [67]De Siringa. Est instrumentum virge siringa virilis / com qua vesicam phisica dextra levat. [68]De Phebo et Phetonte. Phos lux dicitur et Pheton dicitur inde ; / sic splendor solis filius esse potest. / Philosophi radium generat sapienta currus ; / currum deducit, sed cadit arte rudis. [69]De Phetonte. Est recte Pheton aptomni lucidus ardor / et dempto fructu, terra cremata iacet. [70]De heliadibus. Helios Heliades nomen sumpsere sorores. / Sunt flores teneri sole parente sati.
[71] Mutationes huius libri primi sunt hee : Chaos mutatur in species varias. Terra in hominem sive a Deo sive a Promotheo. Mundus in quattuor secula (etates a speciebus metallorum nominate). Annus in quattuor tempora. Gigantes in montes. Sanguis Gigantum in homines mutatur. Terra in mare. Lapides iactu Deucalionis in homines, iactu Pirre in mulieres. Terre lutum in Phitonem serpentem. Deucalion in lupum. Phebus in amantem. Dane in laurum. Yo de casta in adulteram ; de adultera in bovem ; de bove iterum in deam. Mercurius in pastorem. Sirinx in harundinem ; harundo in fistulam ; Argus in pavonem ; et in hoc terminabitur liber iste.
65 fax Ghisalberti] falis ms. | 67 qua] quo Ghisalberti | 68 Phos] perhos ms. currus] cuius Ghisalberti | 69 recte] vero Ghisalberti et] cum Ghisalberti | 70 Helios Ghisalberti] et os ms. flores Ghisalberti] fores ms. | 71 etates] etate ms. harundo] arirido ms.
133[65]De telis cupidinis (« Les flèches de Cupidon ») : « La première aile18 est appelée ‘accueil’, la suivante ‘refus’ ; la torche, l’ardeur19, sont les deux flèches : désire, fuis20 ! » [66]De Mercurio (« Mercure ») : « Mercure mentes curans,qui soigne les esprits, est le dieu des paroles. La fluidité de son langage est dépeinte comme deux ailes. La baguette est la force du discours : on dit qu’il endort les tyrans et apporte de l’aide aux esprits malades. » [67]De Siringa (« Syrinx ») : « La seringue est un instrument fait d’une baguette solide avec laquelle les habiles physiciens21 soulagent la vessie. » [68]De Phebo et Phetonte (« Phébus et Phaéton ») : « La lumière est dite phos et le nom ‘Phaéton’ vient de là, ainsi le fils du soleil peut être l’éclat. Le trait lumineux du philosophe est engendré par la sagesse du char ; il conduit le char, mais il tombe parce qu’il ignore l’art (de le conduire). » [69]De Phetonte (« Phaéton ») : « Phaéton est bien l’éclat lumineux de l’automne ; lorsque le fruit a été cueilli, il ne reste que la terre desséchée. » [70]De heliadibus (« Les Héliades ») : « Les sœurs (de Phaéton) prirent d’Hélios leur nom ‘Héliades’. Elles sont les tendres fleurs semées par leur père le soleil. »
[71] Les métamorphoses de ce premier livre sont les suivantes : Le chaos est changé en espèces variées, la terre en homme soit par Dieu soit par Prométhée, le monde en quatre périodes (ou âges nommés d’après les espèces de métaux), l’année en quatre saisons, les Géants en montagnes ; le sang des Géants est changé en hommes, la terre en mer, les pierres jetées par Deucalion en hommes, celles jetées par Pyrrha en femmes, le limon de la terre en serpent Python22, Deucalion en loup, Phébus en amoureux, Daphné en laurier, Io de vierge en adultère, d’adultère en vache, de vache encore en déesse, Mercure en berger, Syrinx en chalumeau, le chalumeau en flûte de Pan, Argus en paon, et là-dessus se termine ce livre.
1 Il s’agirait donc ici de la deuxième Vénus, fille de la première Vénus. Voir Ovide moralisé, Livre I, 2018, tome II, p. 34, vers 651-657.
2 Ovide, Tristes, éd. Jacques André, Les Belles Lettres, 1968,Livre IV, élégie X.
3 C’est-à-dire « d’Homère », cf.Tristes, éd. citée, IV, X, 22 : « Maeonides nullas ipse reliquit opes », « le Méonien lui-même ne laissa aucune richesse ».
4 Le glossateur extrapole les mots d’Ovide, les interprète dans un sens moral – peut-être lit-il « innoxe » au lieu de « in nocte » ? Ou alors c’est simplement le mot « firma » qu’il interprète dans un sens moral et non simplement temporel.
5 Les Tristes ont le vers : « sustinuit coniunx exulis esse viri », « elle supporta d’être l’épouse d’un mari exilé » (éd. citée, X, 74).
6 Le nom de l’auteur est utilisé pour désigner l’œuvre.
7 Ici commence la reprise des Integumenta de Jean de Garlande : nous remercions Jean-Marie Fritz, qui en prépare une traduction française, d’avoir échangé avec nous ses travaux.
8 Ces deux vers sont ajoutés dans certains manuscrits « pour atténuer le platonisme de l’introduction (des Integumenta) en le christianisant. » (Paule Demats, Fabula, p. 158, n. 225).
9 Mot-à-mot « la scie ».
10 F. Ghisalberti (éd. citée) donne au v. 59 : « Clauditur historico sermo velamine verus », « le vrai discours est enfermé sous le voile de l’histoire. »
11 Ibid. : « Fabula voce tenus tibi palliat integumentum, / Clausa doctrine res tibi vera latet ».
12 Le titre complet est « De malicia gigantum ».
13 Ville où la fable place le combat des géants contre les dieux. Exemple de l’hybris des hommes au même titre que Troie (voir Joseph d’Exeter, L’Iliade, épopée du xiie siècle sur la guerre de Troie, trad. et notes F. Mora et alii, introduction J.-Y. Tilliette, Turnhout, Brepols, 2003, p. 82-83, vers 500-501.)
14 Lycaon, tyran d’Arcadie.
15 Il y a ici un raccourci dans la démonstration : « la fable raconte que l’homme jeta des (pierres qui se transformèrent en) hommes et la femme des (pierres qui se transformèrent en) femmes, parce que (le sexe de l’enfant à naître) dépend de celui des deux qui, pendant le coït, a eu le plus de semence ».
16 La « pietas »désigne à la fois la piété et la pitié.
17 « flacta coste » : mot-à-mot : « (la vache) flasque au côté ». Ghisalberti transcrit « fracto teste », (« après le meurtre du témoin – Argus ? »), en donnant comme variante « Flacco teste » (« Flaccus – Horace – étant témoin »).
18 « ala » : on attendrait « telum »… Il y a peut-être une confusion avec l’article qui suit et les deux ailes de Mercure…
19 On attendrait plutôt un mot de sens opposé, comme « frigor ».
20 Il y a une distorsion, entre « velle », infinitif, et « fuga », impératif.
21 Mot-à-mot « la physique habile ».
22 La huitième métamorphose pour Lactance Placide est « Python serpens in figuras » (ibid.).