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Classiques Garnier

Préambule Il faut parler de Jean-Louis Benoit

  • Type de publication : Article de collectif
  • Collectif : Transitions et Variations mariales
  • Auteur : Hüe (Denis)
  • Résumé : Ce préambule retrace tant l’aventure humaine que le parcours scientifique de Jean Louis Benoit, spécialiste de la piété et de la littérature mariale, poète, traducteur et professeur à l’université Bretagne Sud. Ses études, portant sur de nombreux auteurs du Moyen Âge (Gautier de Coinci, Adgar) et de la modernité (Cendrars, Proust, Flaubert, Apollinaire, Mirbeau), ont toujours été accompagnées d’un vif intérêt pédagogique.
  • Pages : 7 à 11
  • Collection : Rencontres, n° 602
  • Série : Civilisation médiévale, n° 56
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406152101
  • ISBN : 978-2-406-15210-1
  • ISSN : 2261-1851
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-15210-1.p.0007
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 22/11/2023
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Littérature mariale, Moyen Âge, littérature française, pédagogie, poésie
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PRÉAMBULE

Il faut parler de Jean-Louis Benoit

Il faut parler de Jean-Louis Benoit, car il ne le fait pas beaucoup lui-même. Léquipe qui a organisé le beau colloque à Turin ma chargé de parler de lui et de le présenter pour ouvrir ce recueil dactes ; demande collective à laquelle jai répondu sans hésiter, car effectivement il faut parler de Jean-Louis Benoit. Discret, il est noyé dans internet au milieu dhomonymes tous respectables et souvent plus éclatants : un metteur en scène, un spécialiste de Tocqueville occupent les premières places ; rien dhumiliant à cela. Il y a quelques années, lors de la remise des mélanges en son honneur à Giuseppe di Stefano, léminent professeur de littérature médiévale à McGill, lorateur avait souligné quinternet retournait principalement la figure du grand ténor italien partenaire de la Callas. Mésaventure de lhomonymie, qui convient peut-être trop à la figure du médiéviste que nous honorons ici, qui cherche si peu à se mettre en avant, et quil convient de mettre en lumière.

Car le collègue et ami à qui sadressent ces lignes est bien des choses en même temps, quil convient de rappeler ; un littéraire et un enseignant tout dabord. Je lai vu arriver à lUniversité de Rennes recommandé par Jean-Claude Lozach Meur ; alors quil enseignait dans le secondaire, il avait accepté une charge de cours pour les agrégatifs. Agrégé normalien de Saint-Cloud, grammairien scrupuleux, pédagogue attentif, nous avons appris à le connaître, plus par les étudiants qui saluaient sa rigueur et sa disponibilité : léloignement comme sa charge de travail limitaient les interactions. Il venait alors dachever avec Philippe Ménard sa thèse sur Gautier de Coinci ; travail très fin et profond, qui révélait, outre lexcellent connaisseur de la langue, sa sensibilité poétique et sa ferveur mariale. Mais cest autour de questions de grammaire et dhistoire de la langue quil marquait les étudiants, éventuellement en publiant en ligne sur notre site des travaux comme « lindicatif dans le Merlin de 8Robert de Boron (§ 17-47), à travers trois tiroirs : présent, imparfait, passé simple » : à mes yeux de littéraire, un exemple de dévouement. Sil a peu publié en grammaire, on sera émerveillé de la diversité des intérêts de Jean-Louis Benoit qui, par goût autant que par un itinéraire qui la fait passer par le secondaire, a publié sur de nombreux auteurs et de nombreux sujets, de Cendrars à Proust, Flaubert, Apollinaire, Mirbeau… Nous avons tendance à catégoriser les chercheurs et à les ranger dans des niches plus ou moins grandes, du médiéviste au spécialiste de lœuvre de jeunesse dAlain-Fournier ; Jean-Louis Benoit, tout modeste et silencieux quil est, occupe plusieurs places, et est peut-être et avant tout un littéraire, qui connaît ses auteurs, les pratique, les commente et les partage, toujours de façon accessible, mais sans facilité.

Pédagogue attentif, il a été recruté à lUniversité de Bretagne Sud, à Lorient, où il a pu donner sa mesure et marquer les étudiants, organiser des manifestations mémorables – ceux qui y ont participé ont le souvenir de son beau colloque sur Marie en 2013, foisonnant, passionnant et superbement organisé, scandé par un inoubliable récital de cornemuse et bombarde dans le grand amphi de lUniversité.

Mais cest le film dont il a conçu le scénario qui révèle le mieux le travail quil a pu faire avec ses étudiants et des lycéens. Leur faire lire et déclamer, parfois avec la prononciation de lépoque, des extraits majeurs de la littérature médiévale (Mort de Roland, extraits du Pathelin et bien dautres) dans des costumes anciens représente en soi un beau défi, mais le faire dans le décor moderne et parfaitement réel des locaux de lUBS provoque à la fois le choc des cultures et la synthèse de celles-ci. Le Moyen Âge est inscrit dans notre histoire et notre mémoire, il fait partie de notre vie dès quon sattache à lactualiser – entendons à lintégrer dans notre présent – et lintégrer contribue à enrichir mémoire et sensibilité, et ça été sa mission denseignant de mettre en œuvre cette évidence ; cela en sassociant avec un professeur de cinéma, en travaillant avec des lycéens : un réel travail de passeur.

Il a été également la cheville ouvrière du colloque sur la Vierge organisé à lInstitut Catholique de Rennes, auquel je nai pu assister. Cest que sa familiarité avec la dévotion mariale le pousse à aborder inlassablement les textes qui lévoquent ; il avait commencé avec Gautier de Coinci, il ma contacté ensuite pour poursuivre son enquête avec Adgar : jai eu le plaisir de laccompagner dans cette démarche au cours 9de son Habilitation à Diriger des Recherches sur le Gracial. Le texte est original à plus dun titre, premier recueil de miracles écrits en français (en anglo-normand pour être plus précis), il marque à la fois son insularité et la spécificité de sa dévotion ; mais surtout, il compose le premier une guirlande mariale dont Jean-Louis Benoit montre la richesse et la sensibilité. Nous avons pu partager alors le goût pour cette poésie et la façon dont se développait la poésie mariale, et le cérémonial de sa soutenance a été un beau moment déchanges et de partage.

Cet intérêt pour la poésie mariale constitue un axe fort de la recherche de Jean-Louis Benoit, et on le voit se poursuivre tout au long de son abondante production ; ses publications sont toujours celles dun lecteur fin et sensible, à même de recourir à lérudition si nécessaire ou à une analyse grammaticale serrée, mais toujours plus attentif à ce quévoquent les textes. Cest une notation de lumière, parfois qui est mise en évidence, cest le sentiment, la sensation que les mots suscitent qui est à chaque fois offert au regard : il nest pas question danalyser en profondeur, mais de donner à réfléchir et presque à ressentir.

Nous nous trouvons à un moment très précis où simbriquent la littérature et la ferveur religieuse ; certes, des poèmes, des hymnes, des traités ont irrigué tout le haut Moyen Âge ; mais en latin, savants, ambitieux, et souvent virtuoses plus que touchants. Adgar est le premier à raconter des histoires, à offrir à un auditoire populaire – entendons par là non latiniste ; mais il touche aussi bien des seigneurs quun public de villageois ou de citadins – des récits où la Vierge intervient dans le monde des vivants, sauve et accompagne des simples hommes et femmes qui nous ressemblent. Cest cela qui permet de comprendre le chemin de Jean-Louis Benoit, le mélange de lart de lécriture et de la simplicité du conteur, la spiritualité qui sintègre tout uniment dans le quotidien, comme si cétait une chose naturelle. Explorer Adgar après Gautier de Coinci, cest remonter aux origines de cet univers où le divin manifeste sa présence tout naturellement, où on peut le raconter aux gens simples, aux laïcs comme aux petits enfants. On ne sétonnera pas que parallèlement à ses études sur Adgar ou Gautier, Jean-Louis Benoit ait proposé des traductions de certains de ces miracles : il sagit pour lui de transmettre les récits exactement comme ils ont été écrits au départ, pour divertir et enrichir ; on perpétue le plaisir du conte et on nourrit la foi.

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On le sait, Jean-Louis Benoit avait commencé un premier travail de thèse avec Henri Meschonnic, portant sur les écrits composés en hôpital psychiatrique. Formé à être attentif à la stylistique, à la poétique, aux effets prosodiques – et il montre à loccasion sa rigueur analytique, il sen détache consciemment pour adopter une lecture beaucoup plus subtile, soccuper de lhumain qui court sous le texte, de son message, de sa souffrance ou de sa foi et pour, en tant que critique, simplement le donner à voir. Cest que derrière le fin lecteur, il y a un poète, un poète solaire qui sait que dire moins peut signifier davantage. Pas deffet de manche dans son approche critique, simplement le souci de donner à voir, de baliser et de guider la lecture sans jamais imposer son regard.

Cest la pratique personnelle de la poésie qui explique, entre autres, lattitude de Jean-Louis Benoit ; il a publié ses textes, une petite plaquette qui dune certaine façon éclaire son rapport au monde, et son rapport au texte :

Nous descendions les chemins déboulis

Taillés dans le calcaire blanc,

Les sandales pleines de mauvaises herbes.

La mer souvrait au loin,

Miraculeuse.

Ceux qui ont comme lui – comme moi – passé leur enfance dans la région de Marseille connaissent les rochers éclatants, le crissement odorant des herbes sèches et les spigailles dans les chaussures ; cela induit un rapport à la nature intemporel, où la tragédie grecque est aussi actuelle que Beckett – ou Pagnol, plus profond que pittoresque. Où le divin est une évidence lumineuse. Comme il le dit lui-même : « Cest dans le silence et le blanc que peut se cueillir le fruit du poème ».

Cette blancheur minérale qui longe la Méditerranée, du Rove à Cassis, cest celle qui donne son nom au héros – figure transparente de lauteur – du Petit chemin de Saint-Cloud et des romans qui suivent : Albin Rocher. Mais au clair calcaire, il faut superposer peut-être celle du personnage dUn de Baumugnes, qui joue de lharmonica ; et sa probité candide si naturellement associée au lin blanc.

Il faut lire ces romans. Ils rappellent pour les lecteurs de cette génération – ils font découvrir pour les autres – ce quont été les enthousiasmes et les incertitudes de leurs vingt ans, entre foi et marxisme, 11structuralisme et Chomsky, alors même que se tresse tout le réseau des interactions sociales qui accompagne au long dune vie – les amis et plus encore les amies. Nous étions passionnés, un peu poseurs, sincères et naïfs, et dans les échanges des jeunes adultes de ces romans, exaltés par leur découverte du monde et de la pensée, je retrouve beaucoup de ce qui nous animait à lUniversité dAix-en-Provence, avec aussi lacuité un peu guindée des dialogues rohmériens : cest ainsi que parlaient alors les jeunes intellectuels, au naturel. Jean-Louis Benoit a vécu ce temps et nous le restitue, dans le mélange habituel du roman où le biographique affleure, mais où apparaissent aussi des types reconnaissables, et surtout une douce ironie.

Si la lecture est pour lui centrale, elle lest dautant plus quelle doit être partagée : les enfants ont une belle place dans son cœur, autant dans les parties de foot endiablées – une constante depuis longtemps – que dans la création de contes, fables simples, illustrées avec délicatesse ; plaisirs simples et partagés.

Jean-Louis Benoit est un fin observateur non seulement de la littérature mais aussi de lâme humaine ; attentif aux choses, aux gens, aux élèves et aux étudiants, soucieux de plus que leurs résultats, il analyse sans juger ; sa ferveur religieuse est pétrie de son regard sur le monde, comme son regard est pétri de sa spiritualité. Il est, également, où on ne lattend pas. Il nest pas indifférent que sa participation au colloque qui est présenté ici ne porte pas sur le Moyen Âge, dont il est pourtant le spécialiste estampillé ; pas même sur la littérature, qui est son domaine essentiel ; mais sur les manifestations de la Vierge au cours du xixe et du xxe siècle, dont il souligne certes la dimension spirituelle, mais également le bouleversement humain quelles suscitent.

Cest cela sans doute quil convient dhonorer en lui consacrant ces pages : non seulement un chercheur accompli spécialiste de la piété et de la littérature mariale ; mais surtout un homme qui sefforce de regarder au-delà des choses.

Denis Hüe

Université Rennes 2

CETM-CELLAM