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Classiques Garnier

Les éléments herculéens dans les histoires qui dérivent de l’HAC1 Quelques lumières sur une tradition touffue

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Les éléments herculéens
dans les histoires qui dérivent
de lHAC1

Quelques lumières sur une tradition touffue

Les éléments que nous avons regardés jusquici appartiennent à lHAC1 – cest-à-dire la « première rédaction » de lHistoire ancienne jusquà César – et plus précisément à létat le plus ancien de ce texte tel quil est représenté par le manuscrit Paris, BnF, fr. 20125 (P) en particulier. Or lHAC a connu une riche tradition textuelle et a servi de modèle à une série dhistoires postérieures qui en ont repris un certain nombre déléments de la biographie dHercule, en les retravaillant à leur tour. Certains de ces textes sont habituellement désignés comme des « rédactions » ultérieures de lHAC, alors que dautres portent des titres conventionnels propres – tels la Chronique dite de Baudouin dAvesnes (CBA), qui a à son tour été retravaillée et qui a exporté certains éléments herculéens vers des textes postérieurs. Les interrelations entre ces textes sont telles que lon ne devrait pas être surpris du fait quune chronique particulière du xve siècle ait déjà été désignée comme « troisième rédaction » de lHAC par certains chercheurs et, par dautres, comme une version de la CBA1. Dans la suite de ce travail, nous proposerons dexaminer quelques compilations qui sinscrivent dans cette tradition touffue à travers leurs composantes herculéennes. Nous commencerons par regarder les portraits dHercule dans la « deuxième rédaction » de lHAC (HAC2), en nous interrogeant dabord sur la position de cette compilation par rapport à la tradition textuelle de lHAC1, puis sur les autres modèles et sources mis à contribution. Dans un deuxième temps, nous nous intéresserons aux épisodes herculéens contenus dans un certain nombre de témoins de la Chronique dite de Baudouin dAvesnes (CBA) ou de textes associés ou dérivant de cette dernière.

182

Trois portraits herculéens
dans la « deuxième rédaction » de lHAC (HAC2)
et leurs rapports avec la tradition précédente

Si la biographie dHercule dans le plus ancien état de lHAC1 savère un conglomérat de matériaux qui confèrent au héros une image hétérogène, dans la compilation que lon connaît sous le titre de deuxième rédaction de lHAC (HAC2), de provenance napolitaine et datant de la première moitié du xive siècle, la multiplicité de ses portraits atteint un autre niveau. Dans les témoins de cette dernière composition, Hercule est « présenté » à plusieurs reprises. Considérons les extraits suivants du manuscrit de la British Library de Londres portant la cote Royal 20 D I (que nous abrégerons en Ro), le plus ancien témoin connu de lHAC2, qui est également considéré comme larchétype de tous les autres manuscrits survivants de cette œuvre2 :

Cils Herculés fu fil a le royne Armene qui fu file le roy Laudati, qui vint de Crete. Et saciés que plus fort homme ne plus hardi ne fu puis le deluge que estoit Herculés. Et pour ce dient li plusour quil fu samblant a Sanson de forche et de proesche.

Et dit on que ce fu cestui Herculés qui ficha les coullonnes que Alixandre trouva et qui fist moult dautres grans merveilles selonc ce que li aucteur racontent.

Herculés fu fils Jupiter, et out non sa mere Hermena qui fu fame au roy Amphitrion. Quant Herculés fu grans et parcreus, si ala par diversses parties du monde et fist de grans merveilles qui sont escrites el livre de sa vie. Il vainqui Ancheüs et planta les coullones outre la grant mer. Et si vainqui Euchonius li fils Vulcanus qui premiers trouva la charrete. Et en cel temps meïsmes crut si le flume de Ducalion qui par deluge noia la cité qui fu desous le chastel de Voltrento. Et laouroient la gent du païs comme dieu, car len ne trouva onques homme ne beste ne giant qui le peüst rendre vaincu. []

183

Le premier extrait nous est déjà familier : cest une adaptation quelque peu abrégée du portrait initial dHercule qui survient dans le segment sur les Amazones, déjà présent dans lHAC1. Les deux extraits suivants sont nouveaux, tout comme la section entière dans laquelle ils sinsèrent : comme on le sait bien, dans lHAC2, on retrouve à la place de la section troyenne de lHAC1 daprès Darès, une adaptation bien plus longue de lépisode, qui sinscrit dans la lignée des mises en prose du Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure et qui est appelée conventionnellement Prose 53. Dans ce nouveau récit troyen, le deuxième extrait cité supra correspond au moment où lon apprend quHercule rejoint Jason et les Argonautes lors de la quête de la toison dor ; le troisième est donné avant le récit de la mort du héros. Nous voulons dans la suite du développement offrir quelques réflexions sur les différents morceaux et sur le cadre textuel dans lequel ils sinsèrent, à la lumière de la tradition textuelle et des sources de lHAC.

Auparavant, il convient cependant dajouter quelques mots sur la tradition textuelle de lHAC1 et de lHAC2. Ce sera aussi loccasion de fournir une rapide vue densemble des différents témoins que nous prendrons en compte dans les pages suivantes. Létat textuel dont témoigne le manuscrit P que nous avons regardé supra nest présent en effet que dans un petit ensemble de manuscrits de lHAC1 qui semblent représenter la plus ancienne rédaction de lœuvre, sopposant à une version abrégée du texte qui est présente dans une quantité bien plus grande de témoins. Marc-René Jung avait décrit ces deux versions comme des « familles » textuelles à part dans la tradition de lHAC14 :

Quant au texte, on peut distinguer deux familles, la première, α, semble se limiter aux manuscrits du groupe iconographique D. Je suis évidemment loin davoir collationné tous les autres manuscrits, mais je crois pouvoir affirmer quils forment, dans leur ensemble, une deuxième grande famille, β, attestée dès le xiiie siècle. Elle récrit des phrases entières et « modernise » en partie le vocabulaire ; elle omet le deuxième ordre du seigneur et dautres passages, notamment la plupart des moralisations en vers.

Dans linventaire des manuscrits de lœuvre que Jung a dressé dans sa monographie sur la Légende de Troie en France au Moyen Âge, les représentants du « groupe iconographique D » (désignation renvoyant à la classification proposée par Doris Oltrogge) qui constitueraient la « famille 184α », dont fait partie le manuscrit P, sont au nombre de sept5, sopposant à quelque soixante autres témoins qui formeraient la « famille β ». Puisque Jung ne fournit pas de données pour appuyer son hypothèse sur le plan de la généalogie des manuscrits, nous parlerons – suivant Craig Baker, qui a remis en question lhypothèse de Jung dans un article récent6 – dune « version longue » et dune « version courte » du texte, que nous abrégerons dans la suite en HAC1a et HAC1b.

Les manuscrits associés à lHAC2, à leur tour, ne témoignent pas dune « œuvre » unique aux délimitations nettes. Comme lavait déjà observé Paul Meyer, ils se définissent par la présence de certains segments de lHAC1, alors que lancienne section troyenne est remplacée par Prose 5 et que la section I sur la Genèse est absente7. Autrement dit, lHAC2 nest plus une histoire universelle, mais une « histoire ancienne » au sens propre. On en connaît aujourdhui dix témoins, que Jung a divisés en deux groupes sur la base de leurs contenus8 :

le groupe A, représenté par trois témoins qui comportent tous les sections suivantes : III-IV-Prose 5-VI-VIII-VII-X9. Cest létat textuel représenté par le manuscrit Ro, caractérisé par labsence non seulement de la section I, mais aussi des sections II (Orient I) et IX (Alexandre). La compilation regroupe, par ailleurs, à la fin du texte les deux sections VII et X, consacrées à lhistoire de Rome, ce qui mène accessoirement à linversion de lordre entre VII et VIII.

le groupe B, représenté par sept témoins, dont quatre transmettent les sections II-III-IV-Prose 5 ; deux témoignent, en outre, de la section VI, et un comporte II-III-IV-Prose 5-VIII-VII-IX-X. Les manuscrits se définissent tous par la présence dune rubrique spécifiant que lœuvre a été offerte au roi Charles V de France (r. 1364-1380).

Les études de Luca Barbieri sur la tradition textuelle de Prose 5 soutiennent que lensemble des témoins (et donc les représentants des deux 185groupes décrits par Jung) semblent remonter à Ro,quiserait commel« archétype vivant » de la tradition de lHAC2.

Dans la mesure où le premier des trois portraits herculéens dans Ro (cités supra) semble sappuyer sur lHAC1, il nous paraissait intéressant de laborder dune manière permettant en même temps de nous interroger sur le modèle, parmi les témoins de lHAC1, dont dérivent les chapitres herculéens de la section IV dans lHAC2. Nous nous inspirons en cela dune piste qui a été ouverte par Richard Trachsler dans une étude exploratoire sur les différentes « rédactions » de lHAC, à partir dune comparaison dextraits provenant à leur tour de la section IV, sur les Grecs et les Amazones10. Après avoir comparé le manuscrit P de lHAC1a, un représentant de lHAC2 (Paris, BnF, fr. 30111) et un représentant dorigine italienne de lHAC1 présentant un texte composite (Vienne, ÖNB, 257612), Trachsler observe que lHAC2 se rapproche davantage du témoin de Vienne, car ce dernier, comme le manuscrit de lHAC2, omet les moralisations qui sinsèrent, dans P, entre lexpédition des Grecs contre les Amazones et la lutte entre Hercule et Antée ; en même temps le manuscrit de Vienne ne peut pas être le modèle de lHAC2, car il témoigne dune réécriture et dune réorganisation importante de certains passages du texte qui se trouvent, en revanche, dans lordre attendu dans le manuscrit parisien de lHAC213. Conclusion : « Il manque donc, pour linstant, lintermédiaire qui permettrait de comprendre le passage de la première à la seconde rédaction. Mais ce chaînon manquant pourrait tout à fait émerger des témoins manuscrits14. » Cest sur ce plan que nous espérons apporter quelques éclaircissements, à travers des échantillons de collation prenant en compte un nombre plus grand de manuscrits.

En supposant que lHAC2 a vu le jour dans la première moitié du xive siècle en Italie, nous nous sommes concentrée tout dabord sur 186des témoins de lHAC1 datant du xiiie et du xive siècle, représentant différents « groupes iconographiques » identifiés par Doris Oltrogge, en veillant à inclure une grande partie des témoins dorigine italienne, mais également un certain nombre de témoins de provenance française et de date plus tardive, afin davoir un échantillon plus large et une vision plus complète de la tradition. Nous avons considéré, en particulier, la majorité des représentants du « cycle iconographique E » qui comportent la section IV (Ca, P13, P16, V et Vat dans notre table infra), du fait que ce groupe a déjà été évoqué par Fabio Zinelli comme étant potentiellement apparenté à létat textuel de lHAC215. Quant à lHAC1a, nous avons regardé sept manuscrits, dont deux témoins tardifs (Ph et Re dans notre liste infra16). Précisons que notre relevé des passages concernant Hercule dans les différents témoins nous a permis dans un premier temps de vérifier la présence de variations potentielles sur le plan des épisodes. Pour ce qui concerne les témoins de lHAC2, nous en avons retenu six, situés sur les différentes branches du stemma établi par Barbieri dans le cadre de ses études sur Prose 517. En outre, nous avons inclus deux témoins dun état textuel mixte, qui combine le début de Prose 5 (y compris tous les éléments herculéens dans cette partie) avec la suite de lancien segment troyen de lHAC118. Sont listés dans la table ci-dessous les témoins pris en compte pour nos relevés, dont nous indiquons respectivement sigle, cote, datation et lieu dorigine, contenu, feuillets où se trouvent les segments herculéens dans les sections IV et V et groupe iconographique auxquels ils appartiennent daprès Oltrogge19.

187

Sigle

Cote

Date et lieu

Contenus

Passages sur Hercule (ff.)

Groupe
iconographique

HAC1a

D

Dijon, BM, 562

1250-75, Acre

I-XI

87va-90va

D

L

Londres, BL, Add. 15268

1275-1300, Acre

I-X

102va-106vb

D

P

Paris, BnF, fr. 20125

1250-75, France

I-XI

120va-124vb

D

P 3

Paris, BnF, fr. 168

1375-85, Bologne

I-VI + début VII

107vb-110va

D

P 15

Paris, BnF, fr. 9682

1325-50, France

I-XI + Exode

106rb-110ra

D

Ph

Philadelphia, Univ. of Pennsylvania, Rare Book and Manuscript Library, Schoenberg Coll. 17

ca 1470

I-XI

118va-122vb

Re

Rennes, Bibliothèque Rennes Métropole, 2331

1474, Bretagne

I-XI

120va-124vb

D

HAC1b

C

Carpentras, Bibliothèque Inguimbertine, 1260

fin xiii/ début xive s., Italie

I-VIII + début IX

69ra-71rb

E

L 5

Londres, BL, Add. 19669

1250-75, France du nord

I-X

76ra-78ra

C

Ma

Mâcon, Archives de Saône-et-Loire, H 362

xiv e s., France

I-X + Fet Rom.

58ra-59va

P 5

Paris, BnF, fr. 246

1364, Paris

(Mathias Rivalli)

I-X + Fet Rom.

48ra-49rb

A

P 7

Paris, BnF, fr. 251

1325-50, Paris

II-X + Fet Rom.

64vc-66va

F

P 13

Paris, BnF, fr. 1386

début xive s., Italie du sud

III-X

22va-25rb

E

188

P 16

Paris, BnF, fr. 9685

fin xiii/ début xive s., Gênes

I-VIII

87ra-89vb

E

P 18

Paris, BnF, fr. 1717720

1275-1300, France du nord

I-VI-Brut-VII-XI

66ra-66va

C

P 20

Paris, BnF, fr. 20126

xiii e s., France

I-X

65r-66v

V

Vienne, ÖNB, 257621

vers 1350, Venise

I-X

155ra-vb

E

Vat

Vatican, BAV, Vat. lat. 5895

fin xiiie s., Gênes

I-VII + début IX

83vb-86ra

E

HAC mixte

La

Londres, BL, Add. 25884

1380-1400, Paris

I-X

106rb-116ra

Px

Paris, BnF, fr. 250

fin xive s., Paris

I-X + début XI + Fet Rom.

76ra-83va

B

HAC2

Ro

Londres, BL Royal 20 D I

ca 1335-40, Naples

III-IV-Prose 5-VI-VIII-VII-X

24va-38va

Pr

Paris, BnF, fr. 301

ca 1400, Paris

III-IV-Prose 5-VI-VIII-VII-X

23rb-24vb, 35rb

189

St

Londres, BL, Stowe 54

ca 1400, Paris

III-IV-Prose 5-VI-VIII-VII-X

28va-45rb

Ch 2

Chantilly, Musée Condé, 727

xiv e-xve siècle

II-III-IV-Prose 5-VI-VIII-VII-IX-X

24ra-35rb

Ox

Oxford, Bodl. Library, Douce 353

ca 1470, France

II-III-IV-Prose 5

29r-43r

Os

Osaka, Otemae University Library, 122

milieu xve s., France

II-III-IV-Prose 5 (inachevé)

22rb-31rb

Ps

Paris, BnF, fr. 254

31 juillet 1467, Paris ?

II-III-IV-Prose 5-VI

32vb-42va

190

Sur la base de ces observations, examinons les réalisations concrètes de quelques passages herculéens dans les manuscrits en question.

Le premier portrait du héros, bien quil nous soit déjà connu dans son essence par lHAC1, est un point de départ commode pour dégager les rapports entre les différents états textuels. Nous citons ci-dessous le début du passage en question daprès la version longue HAC1a (transcrit daprès P), la version abrégée HAC1b (daprès le manuscrit de Londres, British Library, Add. 19669, lun des plus anciens témoins de cet état textuel, siglé L5) et lHAC2 (daprès Ro)23. Nous avons mis en italique les éléments qui ne sont présents, daprès nos relevés, que dans les témoins de lHAC1a. Les gras et les chiffres romains en exposant servent à désigner les éléments dont nous regarderons dans un deuxième temps des variantes dans notre sélection dautres témoins. Pour chaque rédaction, une varia lectio sélective est placée en dessous de la transcription24.

HAC1a ( P )

HAC1b ( L 5 )

HAC2 ( Ro )

Segnor, adonques estoit Herculés en la flor de sa jovente. Cil Herculés fu fiz de la roïneI AlmeneII qui fu filleIII le* roi Laudaci, qui vint de Crete.

Adonc estoit Herculés en la flor de sa jovente. Cil Herculés fu fil la dameI ArmeneII qui fu filzIII le roi Laudaci, qui vint de Crete.

Adont estoit Herculés en la force de sa jouvent. Cils Herculés fu fil a le royneI ArmeneII qui fu fileIII le roy Laudati, qui vint de Crete.

E bien sachés que plus fors hom ne plus hardis ne fu guaires puis le doloive que fu cil Herculés, si com on trueve en escriture.

Et saichiez que plus forz hom ne plus hardiz ne fu puis le deluge que estoit Herculés.

Et saciés que plus fort homme ne plus hardi ne fu puis le deluge que estoit Herculés.

Et por ce dient li pluisor et tesmoignent quil fu samblans a Sanson de proece et de force.

Herculés fist mainte merveille en sa vie, qui bien funt

a reprendre et ausi fist Sansos IV.

Et por ce dient li plusor quil fu samblanz a Sanson de proesce et de force, entendre autresi fist SansesIV.

[ fin de la comparaison ]

Et pour ce dient li plusour quil fu samblant a Sanson de forche et de proesche4.

[ fin de la comparaison ]

191

Mes de Sanson ne vos parlerai plus ore jusques a tant que par droiture viendra a lui li contes de l estoire. Ce sera quant parlera des Hebrius, quar il fu de lor lignee. E bien sachés neportant qu entre Sanson et Herculés n ot mie grant tens, quar andui furent ou tans que Troie fu premerement destruite. Mes a Troie ne fu mie Sansos, quar ausi ne furent cil de sa lignee.

Leçons rejetées
*le] le le P

Varia lectio

I. roïne PDLP3P15PhRe

Varia lectio ( HAC1b+mixte )

I. dame L5P5P12P13P18P20V (+Px) roine CMaP7P16Vat

Varia lectio

I. royne RoStPrPs

II. Almene PDLP3P15PhRe

II. Armene CL5P7P16P20VVat armeyne P5 armenne Ma (armenes PxLa)hermene P13 armenee P18 ane P12

II. Armene RoPrSt hermene OxPs

III. qui fu fille PLDP3P15PhRe

III. qui fu filz L5P12 (+ LaPx) et filz MaP7 qui fu fille CP5P13P16P20VVat ; mq. (segment réécrit) P18

III. qui fu file RoOxPrPsSt

IV. phrase complète Herculés fist mainte merveille en sa vie, qui bien funt a reprendre et ausi fist Sansos P [] q. b. font a entendre []LRP3[] q. b. font entendre [] D [] qui font encores a entendre []P15

IV. phrase réduite a entendre autresi fist Sanses L5CP20V (+LaPx) a. e. ausi f. s. P16 a e. autres fu s. P12 atendre ø P7 ; phrase omise MaP5P13 (segment réécrit) P18

IV. phrase omise RoPsOxSt ;

phrase réduite Pr

Pour commencer par un constat général, les extraits mis en regard suggèrent dès le premier abord que lHAC2 se rapproche plus de la version abrégée HAC1b que de la version longue HAC1a. Comme il a déjà été observé, HAC1b a la caractéristique générale dabréger et domettre, en particulier, les éléments moralisateurs de la version 192longue du texte25. Dans le cas du passage cité ici, il nest pas question dune « moralisation » au sens strict, mais dun rapprochement entre histoire païenne et histoire biblique : lHAC1b réduit considérablement la comparaison entre Hercule et Samson, omettant les détails à propos de la contemporanéité des deux héros et de leur appartenance à différents lignages, ainsi que lindice selon lequel on trouve ce rapprochement en escriture. Le texte du manuscrit Ro reflète un état textuel ayant subi les mêmes abrègements, voire réduisant davantage la comparaison, ne gardant quune anecdote brève qui mentionne le nom du héros biblique.

Or il est possible daffiner nos réflexions sur la position textuelle du portrait herculéen dans lHAC2 à la lumière de la tradition manuscrite, en considérant tout dabord un échantillon de variantes dans ce même extrait. On constate, par exemple, que tous les témoins de la version abrégée HAC1b partagent une forme moins « correcte » du nom dAlcmène, mère dHercule : au lieu dAlmene (variante commune à tous les témoins de lHAC1a pris en compte), ils ont une forme en r du type Armene, qui subsiste également dans les témoins de lHAC2. Un tel cas de variation à lui seul ne dit que peu sur les rapports entre les textes, mais quand on le considère à lintérieur dune série de variantes communes, il ne fait que renforcer limpression que lHAC2 se rapproche davantage de lHAC1b que de lHAC1a. Il est possible, en outre, de cibler à lintérieur des témoins de lHAC1b des manuscrits qui paraissent textuellement plus proches de lHAC2 que dautres. Labsence de connaissances de la part des copistes et « rédacteurs » (et, en général, des écrivains) médiévaux à propos des personnages mythologiques en jeu et de leurs rapports généalogiques a provoqué dans certains témoins de lHAC1b, dont le manuscrit L5 à partir duquel nous avons transcrit le segment, une variante faisant dAlcmène le « fils de Laudaci », ce qui correspond à un état de corruption plus avancé dans la chaîne de transmission des données. Les témoins de lHAC2 ne comportent pas cette erreur supplémentaire. Ils ne comportent pas non plus la variante, présente dans certains témoins de lHAC1b, faisant de la roine Armene une dame Armene. On ne devrait évidemment pas attacher de grande signification à des erreurs faciles à commettre et à des variantes adiaphores, surtout lorsquelles sont isolées. Si lon considère cependant, dans ce cas particulier, les témoins de lHAC1 qui partagent avec lHAC2193chacune des trois variantes textuelles que nous venons dévoquer dans ce paragraphe26, on arrive à un constat intéressant : on a affaire à trois témoins – Carpentras, Bibliothèque Inguimbertine, 1260 (C), Paris, BnF, fr. 9685 (P16) et Vatican, BAV, Vat. lat. 5958 (Vat) – tous dorigine italienne, datant de la fin du xiiie ou du début du xive siècle, tous des représentants du « groupe iconographique E27 ». Or, comme la déjà suggéré Fabio Zinelli, un témoin de ce groupe iconographique pourrait avoir été le chaînon transitionnel entre lHAC1 et lHAC228.

Ce constat nous invite à approfondir encore un peu la question. En effet, dautres passages dans la suite de la section IV, parlant toujours dHercule et de Thésée, fournissent des données intéressantes. Le passage cité ci-dessous se situe à la fin de la section IV, commençant par une observation générale à propos des autres créatures féroces dont aucune ne pouvait faire peur à Hercule, en se poursuivant ensuite sur des exploits de son compagnon Thésée et les descendants de ce dernier29.

HAC1a ( P )

HAC1b ( L 5 )

HAC2 ( Ro )

E bien sachés quil fist mout de proeces autres, quar il ne doutoit rien ne lion ne serpent ne nulle autre beste, tant fust crueuse ne orrible.

Segnor, et bien sachés que Theseüs, ses compains, fu ausi mout preus, quar ce fu cil dus qui destruist

Et saichiez que il i fist maintes autres proesces, car il ne doutoit riens, ne serpant ne autre beste, tant fust crueuse.

Et sachiez que Theseüs, ses compainz, fu ausi moult preuz, car ce fu cil dus qui destruit ThebesI,

Et sachiés quil fist moult dautres proesces, car il ne doutoit riens, ne serpens ne autres bestes, tant fuissent crueuses.

Et saciés que Theseüs, ses compains estoit ausi moult preus, car il occist celui duc qui destruist ThebesI, et si comme vos

194

Thebes I, si com je vos a conté ariere. Et si ocist un jaiant ausi, Quacus ot a non. Mes teus i a qui dient que Herculés locist, qui bien le peut faire.

ensi com vos avez oï. Et si occist ausi un jaiant qui ot non Tatus.

avés oï dire ci arieres. Et si occist aussi un jaiant qui ot nom Cacus.

Si ot Theseüs un fill de sa feme YppoliteII quil amena dAmazone. Cil ot a non Yppolitus, encontre sa mere.

Et ot Theseüs .i. fil de sa fame YpoliteII, quil amena de Mazone, qui ot non Ypolitus.

Theseüs ot un fil qui fu de sa femme YpoleII la quele il amena dAmasoinne, qui ot nom Ypositus.

Varia lectio

I. quar ce fu cil dus qui destruist Thebes PLP3 car c. f. cellui duc q. destruisit Thebes Re

Varia lectio ( HAC1b+mixte )

I. car ce fu cil dus qui destruit Thebes L5MaP20P7P18P12PxLa car cil furent ses .ij. qe destruistrent thebes P13 car il occist cil dus que destruit Thebes CP16VVat hercules fu cilz dux qui destruit thebes P5

Varia lectio

I. car il occist celui duc qui destruist Thebes RoStCh2PsOx car ce fut ce duc qui destruist Thebes Pr

II. Yppolite P hippolite Re ypolite LP3 

II. Ypolite L5P20P13VP12Px ypolipe P5 ypolippe MaP7 ypole CP16Vat ypolites La ; mq. (segment réécrit) P18

II. Ypole RoStCh2Os ypolite PrPsOx

Les extraits comportent non seulement une nouvelle série domissions et de variantes communes à lHAC1b et lHAC2, mais également deux erreurs conjonctives reliant certains témoins de ces deux états textuels, y compris Ro, larchétype supposé de lHAC2. Nous proposons dans la suite quelques remarques à propos des lieux relevés30 :

195

Lexemple 1 implique une erreur à propos de Thésée. Dans lHAC1a et dans la plupart des manuscrits de lHAC1b, on attribue à ce dernier la destruction de Thèbes. La grande majorité des manuscrits de lHAC2, cependant, partage avec C, P16, Vat ainsi quavec V une variante erronée qui fait de Thésée non « le duc qui détruisit Thèbes » mais « celui qui tue le duc qui détruisit Thèbes », ce qui suggère fortement quils sont apparentés, car on voit mal surgir une telle erreur par polygenèse. Il est intéressant de noter dans ce contexte que Pr (Paris, BnF, fr. 301) fait exception, présentant une leçon « correcte » qui sappuie à cet endroit, selon toute vraisemblance, sur un autre manuscrit de la tradition31. Cela suggère que si Ro est bien larchétype vivant de lHAC2, il nest pas nécessairement le modèle unique de tous ses descendants, comme cela a déjà été noté par Barbieri32.

Lexemple 2 se situe aussi dans le passage relatif à Thésée, au moment où lon apprend que ce dernier a eu un fils de lAmazone Hippolyte. Les trois manuscrits C, P16 et Vat de lHAC1b appellent lAmazone par erreur Ypole à cet endroit. La même forme fautive est présente dans quatre manuscrits de lHAC2, dont Ro. Que dautres témoins de lHAC2 aient corrigé lerreur sexplique dans ce cas facilement par la présence répétée du nom de lAmazone en question dans les passages précédents. En loccurrence, la persistance même de lerreur en question, facile à remarquer et à corriger, renforce davantage la probabilité que le modèle de lHAC2 soit à rattacher aux témoins nommés de lHAC1b.

Avant de tirer les conséquences de ces témoignages, on se permettra dévoquer un dernier cas de figure situé également dans la section IV, quavait déjà mentionné Richard Trachsler dans son étude citée supra à propos des rédactions de lHAC33. Après la victoire dHercule sur les Amazones, on apprend que Penthésilée fut la prochaine à accéder au trône, alors que Synope revenait de ses conquêtes : A cesti revint Synope, 196[l]a fille la roïne Marpesia, dont je vos ai parlé ariere34. Comme Trachsler lavait constaté en regardant Ro, la proposition A cesti revint Synope a fait lobjet dune mauvaise lecture dont on retrouve lécho dans ce témoin particulier de lHAC2 – a ceste reine Synope – ce qui donne lieu à une phrase agrammaticale, où manque le verbe. En ajoutant la varia lectio des autres témoins pris en compte jusquici, nous observons des solidarités tout à fait semblables à celles des exemples évoqués plus haut :

A cesti revint Synope]PL5P20 a ceste r. synope [cynape P12]LPhP13P5P12apres ceste r. synope P3 a ceste r. synope VPxLa a ceste reuint scisiope Ma a ceste royne syciope P7a ceste roine sinope[synepe Vat synope Pr synoppe Ps synape RoSt]CP16Vat, RoPrStCh2Ps ; réécrit Et ceste royne Synope (fut fille…) Ox

Lerreur présente dans Ro se retrouve dans ce cas dans tous les autres témoins de lHAC2 pris en considération, ainsi que dans les trois témoins italiens C, P16 et Vat, ce qui renforce encore lhypothèse que la « deuxième rédaction » se rattache à un manuscrit de cet ensemble ou à un témoin apparenté.

Notre échantillon dexemples, certes réduit, suggère que lHAC2 se rattache, dans les passages étudiés, à lHAC1b, plus spécifiquement aux manuscrits du groupe iconographique E, comme cela a déjà été suggéré par Fabio Zinelli35, et peut-être surtout aux deux témoins génois P16 et C ainsi quà Vat. Lune des erreurs mentionnées précédemment – Thésée qui tua le duc qui détruisit Thèbes – se trouve dans le manuscrit V, autre représentant du cycle iconographique E, qui témoigne cependant dun état textuel hybride36. De manière générale, les données soulignent la présence de témoins ayant pu recourir à plusieurs modèles. On pense à Pr en particulier37, qui nest visiblement pas un simple descriptus de Ro, mais qui a mis à contribution dautres modèles, comme cela a déjà été constaté par Barbieri pour dautres parties du texte38. Dans nos passages, nous constatons spécifiquement que dans tous les exemples où Pr197diverge du modèle de Ro, il saligne avec des témoins de la version mixte de lHAC. Finalement, les passages pris en considération permettent de souligner que si certains éléments disparaissent dans le passage de lHAC1a à lHAC1b, et qui manquent ensuite dans lHAC2, la plupart des composantes herculéennes – comme a pu aussi le montrer létude de Trachsler pour dautres passages de la même section – ne changent pas dans leur essence dans cette partie du texte entre lHAC1b et lHAC2. En effet, ces derniers sont si étroitement apparentés que lon peut considérer quils donnent le « même texte » dans les passages concernés. Le premier portrait dHercule dans lHAC2 – et, en général, les épisodes herculéens dans la section IV de lHAC2 – reprend celui de lHAC1b.

Cela change toutefois lorsquon passe à la section troyenne, dans laquelle on retrouve le deuxième et le troisième « portrait » dHercule dont nous avons cité des extraits supra39. Nous nallons pas entrer dans les détails pour évaluer cette section dans son ensemble, mais nous nous concentrerons exclusivement sur la présence dHercule, notamment ses « portraits » et leur entourage textuel immédiat. Alors que dans lHAC1 (a et b) Hercule fait sa première apparition dans la section V au moment où il rejoint les Argonautes quand ces derniers partent de Grèce (E la fu Herculés ave[c] Jason en compaignie40), lauteur de Prose 5 le présente plus tôt, au moment où Peleüs convoque Jason à sa cour afin de le persuader de partir à la quête de la toison dor. Le passage en question sappuie, comme cette adaptation du récit troyen en général, non pas sur Darès, mais davantage sur la première mise en prose connue du Roman de Troie (ou Prose 141) :

Prose 1

HAC2 ( Ro )

Jason meïsmes i fu et Herculès, qui son compaignon estoit. Et dit len que cesti Herculès fu celui qui ficha les bones, ce sunt les columpnes de pierres, la ou rei Alixandre les trova, et autres granz merveilles fist il assés.

Jason meismes i fu et Herculés ses compains. Et dit on que ce fu cestui Herculés qui ficha les coullonnes que Alixandre trouva et qui fist moult dautres grans merveilles selonc ce que li aucteur racontent.

198

Lauteur de Prose 5 reformule certains éléments, en optant pour des constructions plus concises, et en ajoutant quil relate les informations selonc ce que li aucteur racontent. Le passage ne nous permet pas de savoir si le compilateur de lHAC2 sest rendu compte de la duplication de portraits quil faisait en ajoutant ce segment. A-t-il vu dans cet Hercule compagnon de Jason un autre que lHercule compagnon de Thésée dont il vient de parler – dautant plus quil précise : et dit on que ce fu cestui Herculès, impliquant quil a pu y en avoir plusieurs. Quoi quil en soit, on a limpression quil reproduit ici une sorte de noyau dinformation qui sest « sédimenté » à travers la tradition antérieure du Roman de Troie qui se croise dans cette section avec celle de lHAC. Le fait quHercule aurait établi les « colonnes » qui nont été dépassées que par Alexandre le Grand subsiste comme élément de savoir accepté, voire conventionnel, qui se passe de toute précision ultérieure42.

Conformément au récit de Prose 1, suivant le modèle de Benoît de Sainte-Maure, Hercule acquiert un rôle plus notable et plus impliqué dans cette version du récit que dans lHAC1a/b, sinsérant dans le cadre dune narration plus développée et plus « romanesque ». Cette présence se manifeste à divers endroits de la narration que lon connaît déjà du Roman de Troie. Le moment où les Grecs sont chassés par Laomédon après être arrivés près de Troie est élaboré en une rencontre faisant intervenir un messager qui informe les Argonautes du mécontentement du roi troyen et auquel Hercule adresse des paroles menaçantes, préfigurant le retour des Grecs et le destin funeste de la cité dAsie Mineure : Va, dist il, et di a ton seigneur que ains que lonc temps passe, nous enterrons sus sa terre en telle maniere que il ne le pourra amender43. QuHercule lui-même soit une force – et un acteur – avec lequel il faut compter se reflète également dans la suite du texte, entre autres quand il se met à haranguer les Grecs pour se mobiliser contre les Troyens (Et meesmement Herculés en fist grans paroles et moustra a tous ses amis le grant outrage des Troiens44), quand il expose minutieusement sa tactique pour duper larmée de 199Laomédon et pour conquérir la ville de Troie45, et surtout lorsquil est décrit chevauchant vers le roi ennemi Laomédon46 :

Si estoit [= Herculés] montés sus .i. merveilleus cheval, le branc dacier en sa main, dont il fesoit merveilles, car maintes fois coupoit le cheval outre et faisoit dun chevalier .ii. parties, et ne trouvoit nus qui son coup osast atendre. Si est tant avant alé en la presse que il encontra le roi Laomedon et li va tel coup donner que il li fist la teste voler en terre devant toute sa gent.

Ce nest pas une image qui se trouve en décalage avec celle de lépisode troyen selon lHAC1, mais qui est bien plus explicite. Doté dun esprit vengeur, Hercule se présente ici (comme déjà dans Prose 1 dont proviennent les éléments évoqués jusquici47) comme un stratège militaire et un guerrier redoutable, qui avance implacablement vers son adversaire et dont la présence même semble jeter une ombre terrifiante sur larmée ennemie.

La notoriété quacquiert Hercule dans le contexte de cette dernière narration va de pair avec lamplification du segment qui relate la fin de sa vie, situé peu après le retour des Grecs en leurs terres. En effet, à la place de lanecdote brusque évoquant sa mort par le feu selon lHAC1, le rédacteur de Prose 5 lui fait lhonneur dun dernier portrait. Celui-ci se situe dans un chapitre à part qui est censé traiter De la mort Herculés, ou, comme on lit en rubrique dans deux témoins du texte, Des merveilles de Herculés, et comme il mourut48. On se permet de citer ici une nouvelle fois les premières lignes de ce chapitre49.

200

Herculés fu fils Jupiter, et out non sa mere Hermena qui fu fame au roy Amphitrion. Quant Herculés fu grans et parcreus, si ala par diversses parties du monde et fist de grans merveilles qui sont escrites el livre de sa vie. Il vainqui Ancheüs et planta les coullones outre la grant mer. Et si vainqui Euchonius, li fils Vulcanus, qui premiers trouva la charrete. Et en cel temps meïsmes crut si le flume de Ducalion qui par deluge noia la cité qui fu desous le chastel de Voltrento. Et laouroient la gent du païs comme dieu, car len ne trouva onques homme ne beste ne giant qui le peüst rendre vaincu.

Curieusement, le segment qui est censé raconter la fin dHercule commence par un rappel de sa vie et de ses faits, qui nest pas sans répéter des informations fournies déjà plus haut. À lobservation quHerculés fu fil a le royne Armene qui fu file le roy Laudati50, faite dans la section IV sur les Grecs et les Amazones, la phrase introductive de ce chapitre de Prose 5 offre une sorte décho approximatif, plus complet, disant quHerculés fu fils Jupiter, que sa mère sappelait Hermena et quelle fut femme du roi Amphitrion. On entend ensuite parler à nouveau – comme on la déjà appris au début de la section troyenne dans la partie reprise à Prose 1 – des colonnes dHercule et des grans merveilles quil a accomplies. Certaines de ces merveilles sont nommées : on retrouve la mort dAntée (qui était narrée in extenso dans la section IV), à côté de la mention dEuchonius, li fils Vulcanus. Ce dernier sert à son tour de lien vers une contextualisation historique, fortement brouillée, car non seulement Hercule nest pas censé avoir vaincu un tel Euchonius, mais il nexiste pas a priori de « fleuve de Ducalion » ni de « château de Voltrento51 ». La phrase conclusive de lextrait cité introduit lidée – nouvelle dans le texte concerné – quHercule fut considéré comme divinité par la gent du païs, du fait quaucun homme ni bête ni géant ne pouvait le vaincre.

On ne sait pas à quelle source renvoie le livre de sa vie dans lequel on est censé trouver les éléments biographiques évoqués dans le segment. Luca Barbieri, qui a proposé quelques observations à propos du passage, indique comme source une « Estoria di Ercole » non spécifiée, en suggérant que lOvide moralisé pourrait être le texte cible, du fait que les événements relatés dans la suite du chapitre, sur la mort du héros, résonnent dans ladaptation française des Métamorphoses52. Cela nest 201pourtant pas le cas des phrases initiales du segment que nous chercherons à éclairer davantage ici. Il est en effet possible, en décortiquant le passage, didentifier plusieurs sources (au moins indirectes), et de mieux comprendre quelques éléments a priori énigmatiques.

Certains éléments dans lextrait, on la mentionné, font écho à la présentation du héros remontant à Prose 1, lorsquHercule est introduit comme compagnon de Jason au début du récit troyen. Or les résonances avec ce dernier passage ne sont, selon toute vraisemblance, pas fortuites. Notre portrait final semble en effet mettre à contribution le passage correspondant dune autre adaptation dérivant de la même source lointaine, lHistoria destructionis Troiae de lécrivain de Messine Guido delle Colonne, qui a vu le jour vers la fin du xiiie siècle et qui constitue une mise en prose latine du récit de Benoît. Il est éclairant de mettre en parallèle les phrases de Guido pour introduire Hercule et le début du dernier portrait dHercule dans Prose 5, en mettant en gras les parallèles, et en italiques les éléments comparables mais qui ne correspondent pas entièrement53.

Guido delle Colonne,
Historia destructionis Troiae

HAC2  / Prose 5

Inter quos fuit ille uir uere fortissimus et fortis Hercules nuncupatus, natus, ut scripsere poete, ex Ioue et Alcmena, Amphitrionis vxore. Hic est ille Hercules de cuius incredibilibus actibus per multas mundi partessermodirigitur. Qui sua potentia infinitos gigantes suis temporibus interemit et in ulnis propriis eleuatum, intollerabili strictura factum exanimem, fortissimum confregit Antheum. [] Sed quia suorum actuum longa narratio poetarum longa expectatione animos auditorum astraheret, ista de eo sufficiant tetigisse, cum et rei ueritas in tantum de sua uictoria acta per mundum miraculose diuulget quod usque in hodiernum diem usquequo uictor apparuit columpne Herculis testentur ad Gades. []Vltra quas non est locus adhibilis, cum sit mare magnum, occeani uidelicet, []

Herculés fu fils Jupiter, et out non sa mere Hermena qui fu fame au roy Amphitrion. Quant Herculés fu grans et parcreus, si ala par diversses parties du monde et fist de grans merveilles qui sont escrites el livre de sa vie. Il vainqui Ancheüs et planta les coullones outrela grant mer.

202

Prose 5 abrège et ne comporte pas tous les éléments présents chez Guido, mais, inversement, tous les noyaux dinformation évoqués dans le texte français sont présents dans le texte latin : la généalogie plus complète du héros, ses faits merveilleux, sa victoire sur Antée, ses colonnes. La version française adapte certains détails (volontairement ou par mauvaise interprétation) : plutôt que les merveilles dHercule qui sont connues partout (cuius incredibilibus actibus per multas mundi partes sermo dirigitur), cest le héros lui-même qui a traversé le monde, et il a dressé ses colonnes outre la « grande mer » plutôt quà lextrémité des terres au-delà desquelles commence locéan. Compte tenu de ces détails adaptés de manière très libre, il paraît même légitime de se demander si le « livre de sa vie » mentionné dans le texte français est censé renvoyer à un vrai texte unique et spécifique, ou si cest simplement une manière dadapter lidée de la longa narratio poetarum dédiée à ses exploits.

Notons que certaines informations présentées en amont dans lHAC2, daprès une autre version du récit troyen, se trouvent reprises à cet endroit dans Prose 5, ce qui donne lieu à un dédoublement des informations. Mais avant de tenter dexpliquer ce phénomène, il convient de faire quelques observations préliminaires sur la suite du passage dans Prose 5 : cette suite (voir les passages cités ci-dessous) propose en effet de contextualiser certains exploits du héros avec des événements de lhistoire ancienne, et cela dune manière qui rappelle non seulement le format des chroniques, mais qui présente des parallèles de contenu avec certaines œuvres spécifiques. Considérons la suite du texte dans Prose 5 à côté dun passage de lHistoria scholastica, lœuvre dans laquelle nous avons identifié les plus nettes ressemblances, ce qui nous permet de relever dautres éléments qui nont éventuellement pas été bien compris par lécrivain français. Nous utilisons des gras et des italiques dans les deux passages afin de relever les correspondances54.

Historia scholastica

HAC2  / Prose 5

Dicitur etiam diluvium in Thessalia factum sub Deucalione, et incendium sub Phaetonte circa tempora Moysi, et sub eo Hercules Antheum vicit. Erictonius filius Vulcani currum, et Troilus primus quadrigam junxisse feruntur.

Et si vainqui Euchonius, li fils Vulcanus, qui premiers trouva la charrete. Et en cel temps meïsmes crut si le flume de Ducalion qui par deluge noia (la cité qui fu desous le chastel de Voltrento).

203

Comme Luca Barbieri la déjà souligné, le fils de Vulcain auquel est attribuée linvention du quadrige (la charrete) est Érichthonius, nommé Euchonius dans Prose 555. Sil nest pas censé avoir été vaincu par Hercule, le fait quHercule ait assommé un autre fils de Vulcain, Cacus, a cependant pu jouer un rôle dans la genèse de cette anecdote confuse, comme le suggère également Barbieri56. En considérant le passage de lHistoria scholastica,on arrive mieux àexpliquer la confusion. Comme dans la traduction française, Erictonius est mentionné par Pierre le Mangeur directement après la victoire dHercule sur Antée (voir la phrase précédente de Prose 5, citée plus haut, qui sinspire peut-être de Guido delle Colonne). On peut bien simaginer comment un traducteur voyant filius Vulcani dans lentourage immédiat dune phrase du type Hercules [] vicit a pu lier les deux informations. La confusion paraît dautant plus plausible si lon tient compte de la phrase suivante du passage français, qui implique une autre erreur manifeste : le flume de Ducalion, dont la cruenoie la cité comme sous un deluge, évoque le souvenir lointain et déformé du diluvium[]sub Deucalione mythologique invoqué au même endroit dans lHistoria scholastica pour ancrer le héros dans une réalité « historique ». En enchaînant, en associant et mélangeant les différents éléments, le passage réécrit pour ainsi dire une histoire factice autour dHercule.

Cest probablement cette même logique dassociations fictives et de déformations de noms qui a produit le seul élément du passage de Prose 5 pour lequel on ne trouve pas dexplication en consultant dautres sources : lénigmatique cité qui fut desous le chastel de Voltrento, dont le nom sonne – comme la observé Barbieri57 – curieusement italien. Il nest en effet pas sans rappeler le nom de Castel Volturno, qui nest situé quà une trentaine de kilomètres de Naples, où fut probablement 204rédigée lHAC2 et où sélevait dès le Haut Moyen Âge un château fortifié surplombant la localité située sur le fleuve Volturno (doù le toponyme). Lidée dassocier, à travers ce portrait, le déluge mythique à une inondation (fictive ?) de cette cité de Campanie répondra elle aussi à un projet de rattacher lhistoire mythologique à lhistoire locale, peut-être avec un clin dœil voulu ; car on ne sait en effet pas si la déformation des données évoquées est accidentelle ou intentionnelle.

Suivant cette lecture, on arrive aussi à mieux contextualiser la dernière phrase du passage cité, selon laquelle la gent du païs vénéraient Hercule comme divinité. Cette idée peut en effet être un écho du pan « italique » du mythe dHercule, dont la traversée de lItalie et notamment le séjour auprès du roi Évandre furent marqués par linstitution consécutive de son culte au Latium. Ajoutons, afin détayer cette hypothèse, que dautres textes historiographiques (latins) antérieurs à la rédaction de lHAC2 renvoient explicitement à cet épisode et au culte dHercule dans la région en question dans des segments où ils traitent de la mort du héros. Tel est le cas notamment du Speculum historiale de Vincent de Beauvais, qui fait suivre un chapitre De Jepte et Hercule, où la mort dHercule est mise en contexte avec lhistoire biblique, par un segment emprunté à Albericus (le Mythographe III du Vatican) qui traite spécifiquement de lépisode dHercule auprès dÉvandre. Citons le début du chapitre en question58 :

Hercules devicto Ierione [ = Gerione ] veniens Ytaliam, ab Evandro tunc rege susceptus est. Et cum se Iovis filium dixisset, et morte Cati [ = Caci ] virtutem suam probasset, pro numine habitus est et aram meruit que maxima dicta est et ei data est.

« Ayant vaincu Géryon, Hercule, à son arrivée en Italie, fut accueilli par Évandre, qui régnait alors. Et comme il se disait fils de Jupiter et prouva sa force par la mort de Cacus, il fut admis en tant que dieu et mérita un autel, qui fut appelé (ara) maxima, et celui-ci lui fut dédié. »

Cet épisode nest évidemment pas évoqué explicitement dans lHAC2, mais il nest pas invraisemblable que lauteur du texte ait connu et ait peut-être eu en tête le passage concerné ou un passage semblable quand il a construit son chapitre sur la mort dHercule.

Dans son ensemble, le dernier portrait dHercule ressemble à un collage de voix auctoriales. Les diverses « histoires » que nous avons évoquées dans les pages précédentes – lHistoria destructionis Troiae, lHistoria 205scholastica et le Speculum historiale – étaient tous les trois des textes très diffusés, dautorité et dactualité quand lHAC2 et Prose 5 ont été rédigés. Il est envisageable que lauteur se soit inspiré de ces diverses sources afin de compiler son chapitre, en tissant un fil dassociations et en créant sa propre translatio autour dHercule, passant symboliquement de Troie en Italie. Évidemment, il est loin dêtre certain quun tel projet fût bien dans lintention de lauteur. Le constat nous invite cependant à jeter un regard également sur la suite du chapitre. Après tout, les lignes que nous venons dexaminer servent dintroduction au récit sur la fin dHercule. Ce récit sur la mort du héros est nouveau par rapport non seulement à la tradition de lHAC1, mais aussi par rapport aux différentes histoires latines évoquées précédemment. Plutôt que de mentionner en anecdote succincte quHercule se jette au feu afin de se délivrer des souffrances dune « maladie », lauteur de Prose 5 ajoute sa propre adaptation des péripéties autour de Déjanire, Nessus et de la chemise empoisonnée. Le segment dans son ensemble peut se lire chez Luca Barbieri, ainsi que dans lédition récente de Prose 5 par Anne Rochebouet59. Nous aborderons ici le passage en en citant des extraits à la base du manuscrit Ro60.

À linstar des lignes qui le précèdent, le récit en question fait apparaître de nouveaux noms et informations légèrement déformés. Nessus est devenu Nexustaurus (et parfois Nexumtaurum et, encore ailleurs, simplement Nexus), Déjanire est Degermir(r)a, et Iole est Hyloes. Le centaure semble, par ailleurs, faire lobjet dune confusion avec le Minotaure, car on lit quil estoit moitié buef et moitié home61. On apprend aussi que Degermirra amoit moult Nexumtaurum, ce qui ne correspond pas à la version « reçue » du mythe, où il nest pas question dune complicité entre elle et Nessus. Pour résumer les éléments centraux de la trame : Hercule prend pour femme Degermirra (une dame moult bele). Un jour, il rencontre un énorme serpent (si grant et si merveilleus que il mengioit .i. buef) quil abat de lune de ses flèches62. Il 206arrive ensuite auprès dune grant riviereforte et roide que sa femme ne peut traverser. Voyant Nexumtaurum, Hercule prie ce dernier de la passer – ce que lêtre hybride fait volontiers, essayant ensuite de saccoupler avec elle alors quHercule est de lautre côté de leau63. Hercule enrage, prend la flèche avec laquelle il a tué le serpent et frappe Nexumtaurum à la cuisse. Se sentant blessé à mort, ce dernier pense à se venger, sadressant à Déjanire et lui disant quil veut lui donner .i. precieus don64 :

Pren, dist [il], ta chemise et la baigne en mon sanc et la guarde. Et quant Herculés, ton mari, sera courrouciez avec toi, si li fai ceste chemise vestir, et tantost que il lara vestue, il sera reconciliés o toi et tara plus chiere que il nout onques. Ceste vertu a mon sanc.

Déjanire suit le conseil de Nexus et garde la chemise en cachette, jusquau jour où Hercule séprend dune autre dame, Hyloes. Degermirra se souvient alors du vêtement et le donne à son mari. Dès quil revêt lhabit, Hercule est frappé dune grant chaleur quil ne peut pas supporter. Afin de sen libérer, il entre dans une fournaise ardant, mettant ainsi fin à sa vie.

Ce développement à propos des derniers événements de la vie dHercule rappelle, comme la déjà observé Barbieri, lOvide moralisé, et plus précisément le livre IX de ladaptation ovidienne, où lon retrouve le même épisode narré en détail65. On peut ajouter un indice parlant à cet égard, sur le plan de liconographie. Le manuscrit Ro comprend dans la marge inférieure du feuillet 38r, où commence le chapitre sur la mort dHercule, des illustrations de deux moments spécifiques du récit : à gauche, on voit Hercule venant de frapper de sa flèche une créature ressemblant à un dragon (sans doute le serpent du récit) ; à droite est représenté Nexustaurus, pareillement blessé, alors quil essaie denlever la femme dHercule. Le fait que le séducteur de Degermirra représenté en image soit bien un centaure et non un hybride homme-taureau, comme le spécifie le texte, sexplique par le fait que lenlumineur du manuscrit a repris un motif déjà en circulation. Le même motif apparaît en effet, entre autres, dans le 207témoin le plus ancien de lOvide moralisé, Rouen, Bibliothèque municipale, O.4, où il accompagne le récit correspondant du livre IX de ladaptation ovidienne66. De plus, la créature représentée dans la scène à gauche dans Ro rappelle une autre miniature du manuscrit rouennais de lOvide moralisé, censée illustrer le combat dHercule contre Achéloüs sous forme de serpent, marquant en même temps le début du livre IX. Les illustrations (reproduites ci-dessous) suggèrent que lenlumineur de Ro a pu connaître et sappuyer sur liconographie présente dans un témoin de lOvide moralisé.

Fig. 2 – Ms. Londres, BL, Royal 20 D I, f. 38r : Hercule tue un serpent (à gauche) ; enlèvement de Degermirra par Nexustaurus (à droite). Original Source British Library, Royal 20 D I, f. 38r.

   

Fig. 3 et 4 – Ms. Rouen, BM, O.4 (Ovide moralisé), f. 226ra : Hercule luttant contre Achéloüs sous forme de serpent (à gauche) ; f. 228ra : enlèvement
de Déjanire par Nessus (à droite). © BnF – Bibliothèque municipale de Rouen.

208

Cependant, le contenu textuel de lépisode selon lHAC2 fait apparaître des éléments qui nous amènent à remettre en question lidée que lauteur de Prose 5 se soit inspiré de lOvide moralisé pour adapter le passage. Une partie des discordances pourraient, certes, être des innovations de la part de lauteur, telle lattitude de Degermirra qui, dans lHAC2, est censée aimer celui qui lenlève, alors quelle est moult cremetureuse [] / pour la laidour dou centour dans lOvide moralisé67. Ajoutons que le héros atteint le séducteur de sa femme à la cuisse, alors que ladaptation dOvide nous dit que [p]armi le pis la trespercié68. Ce sont des innovations qui semblent érotiser lensemble de lépisode dans lHAC2, présentant lintrigue Hercule-Déjanire-Nessus comme véritable triangle amoureux, en mettant en avant limage dHercule comme victime de lamour69. Dautres éléments suggèrent plus particulièrement que lauteur sest appuyé sur une source autre que lOvide moralisé dans le passage en question. Le récit préliminaire à propos du combat dHercule contre le serpent en fait partie, car il est absent de ladaptation moralisée des Métamorphoses, alors quil fait bien partie de lintrigue mythologique sous-jacente. En effet, si les liens entre les événements ne sont pas explicités dans lHAC2, il semble évident, comme la déjà noté Barbieri, que le serpent est censé être lhydre et que ce premier combat est mentionné parce quil détermine lissue de lintrigue : quand Hercule retire la flèche du corps de lhydre, elle est teintée du poison qui provoquera la mort de Nessus et, plus tard, celle dHercule, lorsquil revêtira la chemise tâchée du sang du centaure70. Rien de cela nest dit explicitement dans lOvide moralisé. On peut aussi observer que les noms Degermirra et Hyloes paraissent bien plus corrompus quils ne le sont dans tous les témoins de lOvide moralisé. On ne peut évidemment pas exclure que lauteur de lHAC2 ait intentionnellement ajouté des touches fantaisistes à son récit (comme il a pu le faire dans les lignes précédentes), mais on peut aussi relever le cas intriguant de Nexustaurus, qui apparaît aussi sous une forme pseudo-accusative, Nexumtaurum. Il pourrait sagit là dune sorte dindice de latinité ou un écho latinisant voulu par lauteur. On peut toutefois aussi se demander si le compilateur de lHAC2 avait à 209sa disposition une autre source spécifique du récit, doù il a pu tirer certains de ces éléments de contenu et de forme.

Il serait donc intéressant de continuer denquêter sur ce passage. Nous navons pas pu localiser un texte spécifique antérieur à lHAC2 qui fournit toutes les données qui nous intéressent. Nous nous permettons néanmoins desquisser une piste à explorer. Comparé au développement de lintrigue autour de Nessus et Déjanire dans les Métamorphoses et lOvide moralisé, le passage dans Prose 5 est considérablement abrégé. Nos observations précédentes suggèrent en même temps quil pourrait sappuyer sur un texte se rattachant à la « tradition ovidienne ». Or dans les commentaires latins dOvide dorigine française que nous avons considérés dans ce travail, le passage est, certes, glosé, mais nous navons pas identifié des parallèles très parlants avec les particularités de lépisode dans Prose 571. Nous avons toutefois découvert des données intéressantes dans une autre tradition de paratextes, dorigine italienne et ayant débuté, comme Prose 5, dans les premières décennies du xive siècle, qui renvoient systématiquement à lépisode ovidien en question. Cest parmi les commentaires sur la Divine Comédie de Dante que lon trouve des gloses comme celle citée infra, en rapport avec des vers du chant XII de lEnfer où sont mentionnés plusieurs centaures, dont Nesso, / che morì per la bella Deianira, / e fé di sé la vendetta elli stesso72. Issue dun commentaire rédigé vers 1360 et attribué à Pietro Alighieri, lun des fils de Dante, la glose suivante comporte plusieurs échos intéressants à légard du passage dans lHAC2, surtout dans la portion que nous avons notée en gras73 :

210

Modo veniamus ad dicendum de hiis Centauris [ ] nominando inter alios dictum Nexum, qui mortuus est pro Dyanira et, sic mortuus, se vindicavit de Hercule eius occisore, ut dicit textus hic, de cuius ystoria Ovidius scribit in viiii o , inter alia dicens quod Hercules, dum semel devenisse cum Dyanira, eius uxore predicta, ad Eubenum flumen, fecit transportari dictam eius uxorem per hunc Nexum centaurum ad aliam partem dicti fluminis, quam, sic transportatam, dictus Nexus carnaliter voluit cognoscere, unde dictus Hercules eum sagiptavit et vulneravit ad mortem venenata sagipta sanguine Ydre, qui, sic moriendo, dedit camisiam suam suo sanguine venenato infectam dicte Dyanire, dicendo quod erat talis virtutis quod quandocumque indueret ipsa eam, ipsum Herculem revocaret eum in amorem sui, unde postea, dum Hercules phylocaptus foret de Yole et non curaret de ipsa Dyanira, dicta Dyanira bona fide fecit hoc quod eam docuit Nexus, et sic mortuus est Hercules. {cf. Ov., Met. IX, 98-210}.

« Maintenant nous allons parler de ces Centaures, [] en nommant entre autres un certain Nessus, qui mourut pour Déjanire et qui, ainsi mort, se vengea dHercule, celui qui le tua, comme le raconte ici le texte (de Dante), et duquel Ovide écrit lhistoire dans le neuvième (livre des Métamorphoses) : (Ovide) dit, entre autres, quHercule, une fois parvenu avec sa femme, nommée Déjanire, au fleuve Événos, fit transporter sa femme par le centaure Nessus de lautre côté du fleuve. En la transportant, Nessus voulut la connaître charnellement, cest pourquoi Hercule le frappa et le blessa à mort par la flèche empoisonnée du sang de lhydre. Mourant, Nessus donna sa chemise imprégnée de son sang empoisonné à Déjanire, disant quelle avait un tel pouvoir que, quand Hercule la revêtirait, elle ranimerait en lui lamour pour elle [= Déjanire]. Cest pourquoi plus tard, quand Hercule se fut épris dIole et quil ne soccupa plus de Déjanire, cette dernière fit, de bonne foi, ce que lui avait appris Nessus, et cest ainsi que mourut Hercule. »

Ce passage offre un résumé comparable à celui présent dans lHAC2 par les détails quil comprend, et surtout parce quil comporte des données textuelles qui expliquent certaines particularités du texte français. Il ne sagit pas seulement de la présence des formes Nexus et Nexum centaurum – ce qui pourrait être la forme de départ ayant été condensée et amalgamée en Nexumtaurum. La glose précise aussi explicitement, comme lHAC2, que Nessus cherche tout de suite à « connaître charnellement » lépouse dHercule plutôt que denlever cette dernière comme chez Ovide et dans lOvide moralisé. Le texte livre des détails à propos du venin de lhydre, absents de Prose 5, mais nécessaires pour comprendre lajout à propos du serpent. Finalement, le résumé latin comporte un parallèle formel dans la précision quen lhabit 211trempé du sang du centaure erat talis virtutis – ce qui est peut-être à la base de la formulation ceste vertu a mon sanc dans le texte français.

Ce commentaire particulier, datant de vers 1360, nest sans doute pas la source directe de lHAC2 ; mais la Divine Comédie a connu toute une série de commentaires antérieurs qui, conjointement aux commentaires dorigine italienne de lœuvre dOvide (que nous navons pas eu loccasion de regarder de près), mériteraient un examen plus approfondi quant à ce passage. Ajoutons une dernière observation : les autres commentaires comportent ici non seulement, de manière généralisée, une glose qui résume lintrigue autour de Nessus et Déjanire, mais aussi, dans plusieurs cas, des renvois explicites au neuvième livre des Métamorphoses74. Si ce dernier est une référence mobilisée pour relater les autres « aventures » dHercule, il se peut bien que le « livre de sa vie », auquel fait allusion lauteur de Prose 5 en parlant dHercule renvoie à ce livre particulier de lœuvre dOvide. Une fois de plus, lhistoriographie se serait ouverte pour accueillir des informations provenant de la mythographie. Lune des raisons pour lesquelles le troisième portrait dHercule sécarte des passages correspondants que lon trouve dans dautres histoires françaises de la même époque sexplique peut-être justement par le fait quil fut rédigé en Italie, cherchant à renouer avec des traditions en place dans le contexte italien et puisant dans des sources provenant de ce même cadre.

Après avoir regardé individuellement les trois portraits dHercule dans lHAC2, essayons de faire un bilan final en les considérant ensemble, pour mieux en dégager les contours à lintérieur de cet état textuel ultérieur de lHAC. Le premier portrait du héros repris à lancienne section IV de lHAC1 témoigne dune prise de distance envers lhistoire biblique, qui se traduit par lélimination de loptique moralisatrice du texte – phénomène qui caractérisait déjà, dans une moindre mesure, le texte de lHAC1b. Ce trait devient plus évident si lon considère la macrostructure de lHAC2, en notant que tous les manuscrits de cette « rédaction » omettent la section I sur la Genèse, qui était encore présente dans lessentiel des témoins de lHAC1a et b. La focalisation sur lhistoire ancienne païenne 212est accentuée davantage encore si lon considère la nouvelle section V (Prose 5) qui étoffe la matière de façon considérable. Le texte emprunte des éléments à la lignée des romans de Troie, menant à un croisement net entre le mode historique et le mode romanesque, ce qui se manifeste, entre autres, par la présence du deuxième portrait dHercule, provenant de Prose 1. Finalement, le troisième et dernier portrait du héros témoigne dun véritable amalgame entre différents éléments, historico-romanesques mais aussi mythologiques, remontant peut-être à des traditions latines et/ou italiennes. Le récit de la mort du héros ressemble en quelque sorte à un mythe, inséré dans un roman, inséré dans une histoire.

Fig. 5 – Représentation schématique des composantes herculéennes
dans HAC1a, HAC1b et HAC2.

213

Plus généralement, lHAC2 en tant que compilation historiographique illustre plusieurs phénomènes qui caractérisent la biographie dHercule dans les chroniques en langue française. Certains épisodes restent identiques sur le plan des contenus, parfois quasiment inchangés même au niveau du texte (comme le portrait dHercule commun à lHAC1b et lHAC2). Des composantes de la vie du héros peuvent être omises (comme la comparaison étendue avec Samson). Une version dun récit peut être échangée par une autre (tel le récit de la première destruction de Troie selon lHAC1a/bversus celle, bien plus étendue, contenue dans Prose 5). Souvent, par ailleurs, les nouvelles « versions » dun épisode semblent mettre à contribution et mélanger différentes versions antérieures (on peut penser à lintégration déléments provenant de Prose 1 et la juxtaposition de différents matériaux dans le portrait final dHercule). Finalement, la biographie du héros peut être augmentée par lintégration de nouveaux éléments (comme lintrigue autour de Degermirra et Nexustaurus) qui viennent se placer à des endroits spécifiques de la toile de fond qui sest établie au cours de la tradition historiographique. Ces mécanismes de compilation peuvent mener au dédoublement (involontaire) de certains éléments – cest pourquoi, finalement, on a dans lHAC2 trois portraits dHercule, dont chacun propose sa propre « histoire ».

Hercule dans la Chronique dite
de Baudouin d
Avesnes (CBA)
et quelques œuvres qui en dérivent

La biographie compilée dHercule mise en place dans lHAC na pas seulement inspiré les « rédactions » ultérieures de lHAC1. Lune des œuvres historiographiques françaises les plus diffusées qui a repris à lHAC des blocs narratifs à propos dHercule est la Chronique dite de Baudouin dAvesnes (ci-après CBA). Rédigée probablement pour Baudouin dAvesnes, seigneur de Beaumont dans le Hainaut, entre 1278 et 1281, la CBA est une chronique universelle qui traite alternativement de lhistoire biblique et païenne suivant lordre de la chronologie universelle75. On connaît une cinquantaine de manuscrits 214de cette chronique, dont vingt-huit témoins comportent, selon les données de la littérature critique, les parties dhistoire ancienne, dans lesquelles on sattendrait aussi à trouver la vie dHercule76. La tradition manuscrite de la CBA na cependant pas bénéficié jusquà ce jour dune étude densemble. Lidentification de différentes « rédactions » de lœuvre par la critique repose sur des éléments distinctifs trouvés dans les segments dédiés à une tranche courte de lhistoire médiévale, ce qui fait que bon nombre de témoins parlant de lhistoire ancienne gardent un statut « non-classifié77 ». Par ailleurs, les délimitations de lœuvre par rapport à dautres compilations restent floues78. Comme 215nous avons identifié des particularités concernant les épisodes en rapport avec Hercule dans certains témoins, nous proposerons ici un traitement descriptif qui cherchera dabord à esquisser à larges traits une version « vulgate » de la biographie herculéenne dans la CBA, en relevant ensuite quelques schémas secondaires qui se retrouvent dans des compilations associées ou dérivées79. La « classification » qui se dégagera de ces pages nest pas censée être définitive ni nécessairement sappliquer à lensemble de lœuvre.

La « version vulgate »
de la vie dHercule dans la CBA

Parmi les témoins de la CBA qui comportent les parties dhistoire ancienne, nous avons pu en consulter vingt-six, dont dix-sept donnent une version « vulgate » de la vie dHercule80. Nous présenterons celle-ci dans la suite, en citant premièrement le manuscrit Cambrai, Bibliothèque municipale, 683 (= Ca), datant du xiiie siècle, parmi les plus anciens témoins de la CBA, où le noyau de la « vie » du héros se situe aux feuillets 23r à 25r81. Suivant le modèle de lHAC, les épisodes touchant Hercule dans la CBA commencent par un segment parlant Des Amazones (chapitre xxiii, commençant au f. 22vb) et se terminent par un segment à propos Dou siege de Troies (chapitre xv, débutant au f. 24va). Les contenus de la vie dHercule sappuient eux aussi en grande partie sur lHAC, ce que lon peut illustrer à laide dun schéma qui permet de visualiser les parallèles et divergences de contenu entre lHAC1a, lHAC1b et la CBA. Nous mettons sur fond gris les parties qui ne soccupent pas principalement dHercule.

216

HAC1a

HAC1b

CBA vulgate
(d
après Ca )

ff. ( Ca )

Portrait dHercule

Id.

Id.

23rb

Comparaison
avec Samson (étendue)

Id. (courte)

Ø

/

Expédition
contre les Amazones

Id.

Id.

23rb-va

Descendance
des Amazones 

Id.

(segment déplacée ;
cf. infra)

/

Moralisations

Ø

Ø

/

Antée

Id.

Id.

23va

Autres exploits :

Autres exploits :

Autres exploits :

Cacus (Hercule/Thésée)

Cacus (Thésée)

Jeux olympiques (Hercule)

23va

Destruction de Thèbes (Thésée)

Id.

Id.

23va

Descendance
des Amazones

23va

Hébreux : juges dIsraël

23va-24va

Généalogies des Troyens

Id.

Id.

24va-b

Argonautes

Id.

Id.

24vb-25ra

Première destruction Troie

Id.

Id. (sans évocation dHercule)

25ra

Mort (courte)

Id.

Id. (étendue)

25ra-b

La CBA débute par un portrait du héros couvrant la plupart des mêmes épisodes « nucléaires » dans le même ordre que lHACa/b : lexpédition dHercule et Thésée contre les Amazones est suivie de la victoire dHercule contre Antée, qui précède à son tour un segment évoquant une sélection dautres exploits des deux héros. Hercule réapparaît à nouveau parmi les Argonautes et meurt peu après la première destruction de Troie. En dautres termes, la toile de fond sur laquelle se greffe sa vie ne change pas de façon notable. Les divergences se situent plutôt à lintérieur des différents blocs narratifs et aux moments de transition entre eux : la comparaison avec Samson, abrégée dans lHAC1b82, disparaît entièrement dans la CBA, de même que les moralisations qui sinsèrent entre les 217récits à propos des Amazones et dAntée (déjà absentes dans lHAC1b). Les alia facta des deux héros ne sont plus tout à fait les mêmes : Cacus disparaît, et, à sa place, on retrouve linstitution des jeux olympiques, attribuée à Hercule (comme dans bon nombre de chroniques latines)83. La CBA déplace la descendance des Amazones après la série des autres exploits des deux héros, en insérant un segment sur lhistoire des juges dIsraël entre le bloc narratif sur les Amazones et celui au sujet de Troie. Cette insertion témoigne de lune des caractéristiques de la CBA qui distingue cette œuvre de lHAC1 (et encore davantage de lHAC2) : la CBA soccupe longuement de lhistoire des Hébreux, et cette dernière occupe des chapitres qui se placent systématiquement en alternance avec ceux dédiés à lhistoire profane. La CBA se rapproche dans ce sens davantage du modèle des chroniques universelles traditionnelles (daprès Eusèbe-Jérôme) plutôt que du modèle orosien dont sinspire lHAC.

En passant sur le plan textuel de la biographie herculéenne, on constate que plusieurs segments, dont le portrait initial du héros et la rencontre avec les Amazones, semblent utiliser comme modèle lHAC1, tout en labrégeant. Considérons les premières lignes qui introduisent Hercule, en comparant la CBA avec lHAC1a et lHAC1b84 :

HAC1a

(Paris, BnF,
fr. 20125 = 
P )

HAC1b

(Londres, BL, Add. 19669 =  L 5 )

CBA vulgate

(Cambrai, BM,
683 = 
Ca )

Segnor, adonques estoit Herculés en la flor de sa jovente. Cil Herculés fu fiz de la roïne Almene qui fu fille [le] roi Laudaci, qui vint de Crete.

Adonc estoit Herculés en la flor de sa jovente. Cil Herculés fu fil la dame Armene qui fu filz le roi Laudaci, qui vint de Crete.

Adont estoit Herculés en la flour de sa jouvente. Chil Herculés fu fius la dame Armee85.

E bien sachés que plus fors hom ne plus hardis ne fu guaires puis le doloive que fu cil Herculés, si com on trueve en escriture.

Et saichiez que plus forz hom ne plus hardiz ne fu puis le deluge que estoit Herculés.

Saichié que plus fors ne plus hardis ne fu puis le deluve.

218

Et por ce dient li pluisor et tesmoignent quil fu samblans a Sanson de proece et de force. Herculés fist mainte merveille en sa vie, qui bien funt

a reprendre et ausi fist Sansos.

Et por ce dient li plusor quil fu samblanz a Sanson de proesce et de force, a entendre autresi fist Sanses.

[ Suite de la comparaison ]

Sur le plan du texte, la CBA sappuie peut-être sur lHAC1b plutôt que sur lHAC1a. La chronique résume de manière encore plus succincte ce qui a déjà été abrégé dans lHAC1b et présente au moins une variante qui semble corrompre davantage ce qui est déjà corrompu dans létat abrégé lHAC1b : la mère dHercule, qui se présentait encore sous la forme plus correcte dAlmene dans lHAC1a est devenu Armee dans la CBA, éventuellement en passant par une variante du type Armene telle quon en trouve dans les témoins de lHAC1b. On peut aussi ajouter une observation à propos de labsence de la comparaison avec Samson : contrairement à lHAC1a/b, la CBA comporte bien, parmi ces segments sur les Hébreux, un chapitre à part à propos du pendant biblique dHercule86. Cest peut-être cette approche plus complète, plus « universelle » de lhistoire qui remplace, dans la CBA, les rappels constants et les moralisations caractéristiques de lHAC, évoquant pour le lecteur lomniprésence de lhistoire biblique.

Lauteur de la CBA pratique de manière générale un style bien plus succinct et centré sur la présentation des faits que lauteur de lHAC1. Dans le segment à propos des Amazones, par exemple, et plus précisément dans la description de la confrontation entre Hercule, Thésée et les deux sœurs de la reine des Amazones, il coupe les remarques présentes dans lHAC1 (a et b), cherchant à justifier pourquoi les deux guerrières parviennent à faire tomber le fort Hercule de son cheval.

HAC1a ( P )

HAC1b ( L 5 )

CBA ( Ca )

Tost furent les damoiseles relevees, qui assés savoient darmes, et ausi furent li chivalier, Herculés et Theseüs, qui grant vergoigne en orent.

Tost furent les .ii. pucelles relevees qui assez savoient darmes et ausi furent li chevalier Herculés et Theseüs qui grant vergoigne en avoient.

Tost furent les .ii. pucelles relevees, qui assés savoient darmes ; et ausi furent li doi chevalier Herculés et Theseüs, ki grant honte en* orent.

219

Et si ne vos esmerveillés mie sErculés chaï, qui fors estoit a merveilles, quar ce fu par aventure par son cheval, qui chargiés estoit de lui et de ses armes, et par le ruiste encontre de la damoisele, qui le chival fist sous lui trebucher et fundre. Tantost com en piés furent revenu,

Et ne vos mervilliez pas se Herculés chei, car ce fu par aventure et par son cheval qui trop estoit chergiez de lui et de ses armes et par la ruiste encontre de la damoisele qui le cheval fist soz lui trabuchier et fondre. Tantost com il furent soz lor piez venu,

et les damoiseles orent les escus reons avant mis et es poins les espees, li Grigois lor corurent soure, [qui] la force avoient. Et tant les demenerent que Herculés prist Menalippe et Teseüs Hippolite.

et les damoiseles orent les escuz aus cox et les espees tranchaz es poinz, li grezois lor coururent sore qui la force avoient. Et tant les menerent que Herculés prist Menalippe et Theseüs Ypolite.

Lor misent les mains as espees et sentredounerent grans cols sour les hiaumes et sour les escus ; mais en la fin prist Herculés Menalype et Ypolite fu prise par Theseüm.

Leçon rejetée : *en mq. dans Ca, restitué daprès A1B6BaArs3P2Ge

Nous sommes toujours dans le même épisode à propos dHercule et des Amazones, toujours sur la base du modèle de lHAC1, mais les contenus sont devenus plus laconiques. Les parenthèses discursives et les pauses descriptives ne semblent guère intéresser le chroniqueur de la CBA, qui a abrégé ces passages en se concentrant sur les moments-clés de la narration. De manière générale, la composante « romanesque » se rétrécit, ici et ailleurs, au profit dun résumé des données servant à la trame « historique ».

Dans le segment relatif à lhistoire de Troie, labrègement pratiqué par le chroniqueur est encore plus net. En effet, il résume les événements de manière à réduire la présence dHercule à deux mentions succinctes : lorsque les Argonautes partent à la quête de la toison dor, Jason pria Herculés, dont vous avez oï desus parler, kil alast avoec lui ; et quand ils reviennent en Grèce, on apprend que Herculés et Jason norent mie oubliee la honte con lour avoit faite au port de Troies87. La suite du récit est résumée de telle façon quelle omet entièrement Hercule. La présence de ce dernier est désormais purement implicite, au moins pour les lecteurs qui connaissent la version « romanesque » du récit sous-jacent88 :

220

Si sen alerent plaindre a tous chiaus de Gresse : premiers a Castor et a Pollus, ki estoient roi de Sparte et frere dame Elayne ; apriés au roi Thelamon de Salemine et au roi Nestor et a tous les autres de Gresse. Tuit lour orent en couvent ki lour aideroient. Lors firent faire grans nés. Si les garnirent et entrerent et nagierent tant kil vinrent a Troies. Quant li rois Laomedon sot ke li Grijois venoient sour lui, il assambla toutes ses gens et ala encontre aus a bataille. La fu Laomedon ochis et tuit si fil, fors .i., ki avoit non Prians, qui estoit en ost contre .i. sien voisin. Quant Laomedon fu mors et ses gens vaincues, li Grigois entrerent en la cité a force et bouterent le fu par tout, et fu arse et destruite.

Sans pouvoir dire si lauteur de la CBA sest appuyé ici sur un modèle autre que lHAC1 et dans lequel il aurait trouvé un abrégé du récit troyen, il est évident quHercule ny est plus une présence illustre, même digne de mention. Sil fait bien partie de la collectivité des Grecs qui partent pour se venger (comme latteste plus tard la mention de ce qui est arrivé puis ke Herculés fu repairiés de Troies), il na aucun statut particulier parmi eux89. Tout ce qui compte pour le chroniqueur cest que la fu Laomedon ochis et que les Grecs ont détruit sa ville90.

Plutôt que de cibler et dapprofondir certains morceaux dhistoire sous la forme de narrations étoffées, ce chroniqueur cherche à en présenter un éventail plus large, se retournant vers les données présentes dans des chroniques plus « traditionnelles » dans la lignée dEusèbe-Jérôme. Ce phénomène sobserve également à lintérieur des segments impliquant Hercule, notamment lorsquil est question des alia facta du héros et de son compagnon Thésée, ainsi quau moment où est relatée sa mort. Regardons dabord le segment qui relate les « autres exploits » des deux héros dans la CBA, à côté des extraits correspondants dans lHAC1a et lHAC1b91 :

HAC1a ( P )

HAC1b ( L 5 )

CBA ( Ca )

E bien sachés quil fist mout de proeces autres, quar il ne doutoit rien ne lion ne serpent ne nulle autre beste, tant fust crueuse ne orrible.

Et saichiez que il i fist maintes autres proesces, car il ne doutoit riens, ne serpant ne autre beste, tant fust crueuse.

Car il estoit fors et si prex quil ne doutoit aventure kil encontrast.

221

Cil meïsmes Erculés establi une assamblee en la montaigne ki a non Olympus, ou tuit li chevalier de Gresce venoient de .v. ans a autre pour aus esprouver et pour conquerre los et pris.

Segnor, et bien sachés que Theseüs, ses compains, fu ausi mout preus, quar ce fu cil dus qui destruist Thebes, si com je vos a conté ariere.

Et sachiez que Theseüs, ses compainz, fu ausi moult preuz, car ce fu cil dus qui destruit Thebes, ensi com vos avez oï.

Et saichiés ke Theseüs ses compains fu moult fors et moult fist de beles proueches. Et che fu li dus ki fu a Thebes destruire.

Et si ocist un jaiant ausi, Quacus ot a non. Mes teus i a qui dient que Herculés locist, qui bien le peut faire.

Et si occist ausi un jaiant qui ot non Tatus.

[ Fin du segment ]

[ Descendance de Thésée ]

[ Descendance de Thésée ]

Lauteur de la CBA (ou de son modèle) a reformulé la phrase qui parlait dans lHAC1 « de lions, de serpents et dautres bêtes cruelles », substituant à la mention explicite des créatures la formule plus vague selon laquelle Hercule ne doutoit aventure quil encontrast. Dans la suite, il a inséré la description dun exploit qui manque dans lHAC, mais que nous avions bien retrouvée dans plusieurs chroniques latines : linstitution des jeux olympiques, reflet tacite de limportance des Olympiades pour le décompte des années dans les « temps anciens92 ». Il poursuit son chapitre de manière analogue pour évoquer Thésée, en ne lui conservant quun exploit : la destruction de Thèbes. Sa victoire sur le géant Cacus, quant à elle, nest pas évoquée, ce qui est également le cas dans la plupart des chroniques universelles latines traditionnelles93. Il est évidemment difficile de déterminer sur la 222base dun échantillon si réduit si la présence ou labsence dun élément reflète simplement le contenu présent dans la source que suivait le chroniqueur ou si elle est motivée par un projet spécifique, qui pourrait alors consister à se focaliser sur des événements jugés suffisamment importants ou suffisamment « historiques », comme ceux retenus dans les chroniques latines, pour mériter une place dans lhistoire universelle.

Des innovations manifestes par rapport à lHAC1 qui semblent puiser dans la tradition des chroniques latines concernent aussi la mort dHercule. Comparons encore lHAC1a, lHAC1b et la CBA, en marquant par les gras les éléments dintérêt dans la CBA94 :

HAC1a (P)

HAC1b (L 5 )

CBA (Ca)

Segnor, Herculés ne vesqui mie puis lonc tens, ains li prist une greveuse maladie, et si tres greveuse quil por la grant fierté entra en un grant fue, si sarst toz et ensi fina sa vie. Et Jason moru ausi et pluisor autre de diverses manieres, qui furent en cele compaignie.

Herculés ne vesqui puis lonc tens, einz le prist une greveuse maladie si que par sa grant fierté entra en .i. feu si sart toz et ensi fina sa vie. Et Jason morut ensi et plusor autre.

Herculés et Jason ne vesquirent mie granment apriés, ains morurent assés tost. Car puis ke Herculés fu repairiés de Troies, il ocist .i. sien fil et .i. sien grant ami ki avoit non Yficus. Apriés le prist une si grans maladie ke, pour avoir remede de sa dolour, il se gieta ou fu de soufre ki est en la montaigne Oetha. Ensi fina Herculés, qui tant de proueches renoumees avoit faites par le monde quant il ot vescu .lii. ans.

223

Varia lectio (sélection) :

Oetha] oeacha A1oratha Ba oeatha B6ChP2P4P13ocatha Ars3Lh1oethea Ars1othea Ars2ethnna Ge ethna BeBesNh2ethnam Val1

Les trois textes parlent, certes, de la maladie dHercule et de son suicide par le feu, mais la CBA insère cette anecdote dans une matrice qui apporte plus dinformations contextuelles. Résumons : peu après son retour de Troie, Hercule aurait tué lun de ses fils et un bon ami appelé Yficus. Ensuite, il aurait été saisi dune gransmaladie, à cause de laquelle il se serait jeté dans le « feu de soufre » du mont Oetha afin de se délivrer de ses souffrances, mourant ainsi à lâge de cinquante-deux ans. En considérant ce passage, il est possible dapprécier sous une nouvelle lumière les anecdotes succinctes à propos de la mort du héros présentes dans les chroniques précédentes. Les événements résumés, quoique sans liens de causalité explicites, nous font penser que la maladie évoquée ici peut être comprise comme un renvoi au malaise dont a souffert le héros en guise de punition pour deux crimes spécifiques quil a commis. Nous les avions retenus dans notre esquisse initiale du mythe dHercule : dans un premier accès de rage, il avait tué ses enfants ; dans un deuxième, il avait précipité du haut dune tour Iphitus, le fils dEurytus. Il semble être question de ces deux meurtres. Mais alors que ces crimes se situent à deux moments distincts de la vie dHercule chez les mythographes grecs et que le héros a pu se racheter – en se soumettant à Eurysthée pour accomplir ses douze travaux après le premier crime, et en se vendant en esclavage auprès dOmphale après le second –, ici, les deux meurtres sont pris ensemble comme cause cumulative des souffrances qui poussent Hercule à se suicider. On relèvera aussi que le mont Œta, où Hercule a construit son bûcher selon le mythe antique, semble avoir acquis des qualités volcaniques dans limagination des chroniqueurs95. On observe accessoirement que la trame impliquant la chemise de Nessus et ses effets néfastes est entièrement absente.

Avant de réfléchir à limage densemble que cette fin confère à Hercule, il est intéressant de se tourner vers les sources possibles du passage. Nous avons déjà relevé la mention de lâge dHercule, à sa mort, 224dans la chronique dEusèbe-Jérôme96. Cette information réapparaît, sans surprise, dans dautres chroniques latines qui étaient disponibles à lépoque de la rédaction de la CBA, parfois avec des précisions ultérieures. En loccurrence, cest dans un texte déjà évoqué plus haut – la chronique de Fréculfe de Lisieux – que lon rencontre les parallèles les plus nets avec le passage dans la CBA. Nous les marquons par des gras dans lextrait de cette chronique latine cité ci-dessous97 :

Post necem uero filii , aqua purgatus est Athenis in sacris Cereris, et post interfectionem Ipphyti , quem peregrinum et amicum iniuste peremit, Hercules incidit in morbum pestilentem. Qui ob remedium doloris se iecit in flammas in monte qui vocatur Oeata, dum plura fortiter ac mirabiliter perpetrasset. Et sic morte finitus est anno aetatis suae LII, quidam uero aiunt XXX.

« Après la mort de son fils, il a été purifié par leau aux Mystères de Cérès à Athènes, et après le meurtre dIphitus, cet étranger et ami quil tua injustement, Hercule tomba dans une maladie pernicieuse. Celui-ci, pour remédier à ses douleurs, se jeta dans les flammes sur la montagne que lon appelle Œta, alors quil avait accompli plusieurs (choses) courageusement et merveilleusement. Il mourut ainsi en sa cinquante-deuxième année, mais certains disent que cétait en sa trentième. »

On voit que Fréculfe relate la même suite dévénements, mais dans une forme plus complète et plus correcte suivant le mythe « reçu » dHercule : linfanticide (avec lindication, absente dans la CBA, quHercule a pu se racheter de ce premier crime), le meurtre dIphitus (dans une graphie plus correcte), le mal pernicieux dont souffre Hercule, le fait de se jeter dans un feu in monte Oeta (ce qui permet de comprendre pourquoi le chroniqueur français en a fait un volcan), et lâge du héros à sa mort. Comme dhabitude, la CBA raccourcit, notamment en passant sous silence la purification du héros, peut-être parce quelle fait référence à des rites païens ou parce que lidée de pardonner un tel crime paraissait déplacée à lauteur, ou encore pour de simples raisons déconomie du récit. Quoi quil en soit, la biographie dHercule dans la CBA se termine par laperçu frappant dun héros déchu qui se jette littéralement dans les flammes, dans lesquelles peut se lire une image des enfers. On assiste à une sorte de contraction des données, qui cible les « mauvais exploits » du personnage, cherchant en cela à encadrer et éventuellement « justifier » sa mort. Si le chroniqueur sabstient de jugements de valeur et de moralisations, il ne donne pas 225davantage une représentation positive de lHercule « historique ». Lauteur ne romantise ni ne mythologise la matière. Mais limage finale que le lecteur garde du personnage est une image ambivalente.

Quelques biographies étendues dHercule
dans des chroniques apparentées ou dérivées de la CBA

La version « vulgate » de la biographie herculéenne que nous avons présentée dans les pages précédentes apparaît, comme nous lavons indiqué plus haut, dans au moins dix-sept témoins de la CBA. Dans huit autres manuscrits que nous avons pu consulter, la vie dHercule se présente sous une forme altérée et, dans la plupart des cas, dotée dajouts98. Résumons rapidement les manuscrits des différentes versions que nous avons pu vérifier, en indiquant les feuillets qui contiennent les éléments biographiques sur Hercule.

Manuscrits de la version « vulgate »

Sigle

Manuscrit

Localisation
de la biographie dHercule

Ca

Cambrai, BM, 683

f. 23r-25r

A 1

Arras, BM, 863 (1043)

f. 32r-36v

Ars 1

Paris, Arsenal 3710

f. 23r-26v

Ars 2

Paris, Arsenal 5076

f. 33v-36r

Ars 3

Paris, Arsenal 5077

f. 43r-46r

B 2

Bruxelles, Bibl. royale, 9069

f. 39r-41v

B 4

Bruxelles, Bibl. royale, 10201

f. 10r (version abrégée)

B 6

Bruxelles, Bibl. royale, II 988

f. 31v-34v

Ba

Baltimore, Walters Art Gallery, 307

f. 36v-40v

Ch

Chantilly, Musée Condé, 729

f. 80r-86r

L 1

Londres, BL, Harley 4415

f. 31r-34v

L 2

Londres, BL, Royal 18.E.V

f. 58r-61v

Lh 1

La Haye, KB, 71 A 14

f. 31v-34v

Nh 2

New Haven, Yale University, Beinecke Library, 1106

f. 27v-30r

226

P 2

Paris, BnF, fr. 685

f. 47r-50v

P 4

Paris, BnF, fr. 1367

f. 49r-55r

P 13

Paris, BnF, NAF 11199

f. 38v-43r

Manuscrits d une version avec ajouts

Sigle

Manuscrit

Localisation
de la biographie dHercule

Ge

Gent, Universiteitsbibliotheek, 415

f. 50r, 53v, 56r-61v

Bes

Besançon, BM, 678

f. 25v, 28r, 29v-32r

Be

Berlin, Staatsbibliothek – Preussischer Kulturbesitz (en dépôt à Krakow, Biblioteka Jagiellonska), gall. fol. 216

f. 34r, 36v, 37r-42r

Val 1

Valenciennes, BM, 538

f. 29r, 31r, 33r-36r

Manuscrits d autres versions hybrides

Manuscrit

Localisation
de la biographie dHercule

Paris, BnF, fr. 17181

f. 38v-39r

Arras, BM, 995 (1059)

f. 62v, 66rv, 68v-69r

Paris, BnF, fr. 15458

f. 7r-13v

Vienne, ÖNB, 3370*

f. 66r-69v

Entre les différents témoins des versions altérées, tous tardifs, datant du xve siècle, les quatre manuscrits de la version comportant des ajouts, auxquels nous avons donné les sigles Ge, Be, Bes et Val1, présentent une série analogue dajouts. On peut visualiser ces derniers à laide dune nouvelle vue densemble schématique, qui montre comment ils sintègrent à la trame de la version vulgate. Nous mettons sur fond blanc les composantes qui concernent Hercule. Les ajouts signalés en gras.

CBA version vulgate (d après Ca ) et ajouts (d après Ge )

Destruction de Thèbes

Rois argiens

Persée premier roi de Mycènes

Dionysos / Liber Pater conquiert lOrient

227

(1) Ajouts : Précisions sur Liber Pater.
Invention du char par Érichthonius et Troilus.

Hercule vainc Antée.

Hébreux. Juges dIsraël de Samgar à Gédéon

(2) Ajouts : Hercule sauve Thésée de Cerbère. Orphée roi de musique

Mercurius invente la harpe. Fondation de Tyr. Mort de Liber Pater.

Vezones, roi dÉgypte, envahit la Scythie

Début du règne des Amazones

Hercule et Thésée contre les Amazones

Hercule contre Antée

Hercule institue les jeux olympiques

Thésée détruit Thèbes

Hébreux. Juges dIsraël dAbimelech à Abdon

Troie. Généalogie des rois troyens.

Jason et Hercule parmi les Argonautes. Première destruction de Troie.

Mort dHercule

(3) Ajout : Hercule a été vaincu par une femme

Reconstruction de Troie par Priam

Comme on peut le déduire de ce schéma, les ajouts propres à Hercule ne sont pas insérés dans le but général damplifier les blocs thématiques qui étaient déjà en place dans la version vulgate de la CBA, mais ils sinsèrent plutôt à des moments spécifiques de la trame de lhistoire, précédant en partie la biographie dHercule à proprement parler. En cela, ils nous font penser aux chroniques latines, qui présentent des anecdotes relatives au héros dans une série de contextes discontinus, entrecoupés dautres événements. En outre, nous voyons apparaître ici, comme dans les chroniques latines, des anecdotes concernant Antée et Cerbère (objets des ajouts 1 et 2 dans le schéma ci-dessus)99.

Les insertions en question étant concises, on peut les citer in extenso ici, tout en mettant en regard leur source vraisemblable. Cette 228dernière nest pas une chronique latine, mais probablement un texte vernaculaire, à savoir labrégé historiographique appelé parfois le Manuel dHistoire de Philippe VI de Valois, rédigé vers 1330, où lon trouve les mêmes données100. Le Manuel suit à son tour loptique dune histoire universelle, commençant par la Création et allant, dans un premier temps, jusquen 1328, époque contemporaine de sa rédaction. Il survit dans plus de trente manuscrits, dans lesquels il a reçu plusieurs continuations. Nous citons le Manuel daprès un manuscrit précoce de la « première rédaction » de lœuvre, Besançon, BM, 677, en indiquant une sélection de variantes daprès une série dautres témoins101.

Manuel d Histoire de Philippe VI de Valois

(Ms. Besançon, BM, 677)

CBA  avec ajouts ( Ge )

[ au temps de Moïse : Liber Pater, invention du char, Deucalion ]

[ 4rb ] En ce temps, Herculés vainqui Antheum le geant.

[ après la destruction de Thèbes, au temps de Persée : Liber Pater, invention du char ]

[ 50r ] En ce temps Herculés vainquit Antheum le jayant.

[ après Samgar, au temps de Débora ]

[ 5va ] En cellui temps fu Cerberus, un grant geant [var. chiens P19477P693] qui devora Peritoire [var. Peritoine P4939 Peritonie P4940 Paritoine P19477], qui estoit venu pour ravir Proserpine avec Theseüs ; et aussi eüst devouré Theseüs, mais Herculés seurvint qui le delivra. Et pour ce que il estoit si maulz, ly poectes dient que Cerberus est portier denfer.

[ suivi d une anecdote sur Orphée ]

[ après Samgar et Gédéon, au temps d Abimelech ]

[ 53v ] [C]erberus, ung grant [ja]iant, regna en ce temps, lequel devora Pichoine [var. Pithomo Be Pichomne Bes], qui estoit venu pour ravir Proserpine avec Theseüs ; et aussi eüst devoré Theseüs, mais Herculés y survint qui le delivra. Et pour ce que ce jayant estoit si mauvais, les poetes dient que Cerberus est le [54r] portier denfer.

[ suivi d une anecdote sur Orphée ]

229

[ à l époque Jephté, suite à la mort d Hercule ]

[ 8v ] Cestui Herculés, on lappelle victorien, pour ce que, selon Barro, il seurmonta toutes manieres de [ajout bestes P4940 monstres P673P693P19477 ; mq. Bes677], mais une femme qui avoit nom Omphale [var. Omiphale P1406 Olimpha P673 Olimphale P693P19477Deyfille V68] le seurmonta, car elle le fist filer et faire euvres de femmes.

[ après la première destruction de Troie et la mort d Hercule ]

[ 61v ] Icellui Herculés est appellé victorieux pour ce que, selon Barro [var. Varro Be], il surmonta toutes manieres de bestes. Toutesvoies une femme, qui Deiphile [var. Deiphele Be Deiphile Deifile Bes] eüst a nom, le surmonta, car elle le fist filer et faire euvres de femmes.

Pour mieux comprendre la raison dêtre des insertions dans les manuscrits de la CBA avec ajouts, il convient de dire quelques mots de plus au sujet du Manuel. Ce dernier puise une grande partie de ses informations sur lhistoire ancienne, y compris probablement les anecdotes citées ici, dans le Speculum historiale de Vincent de Beauvais ainsi que dans lHistoria Scholastica de Pierre le Mangeur. Il constitue, pour ainsi dire, un condensé dhistoire universelle en langue vernaculaire qui sappuie sur les autorités reconnues en la matière et qui est, en même temps, bien plus facile daccès que les grandes histoires latines qui le précèdent. Le remanieur de la CBA responsable des ajouts semble donc, en dautres termes, avoir cherché à compléter son propre texte, en y ajoutant des informations relevant de « lessentiel » de lhistoire telle quelle était accessible à son époque en langue vernaculaire. Cette impression est renforcée par la désignation de « Trésor des histoires » que lon trouve dans chacun des quatre témoins Ge, Be, Bes et Val1, et encore davantage par la rubrique initiale que reçoit le texte dans trois dentre eux : Cy commence le livre du Trésor des histoires, lequel livre est extraict du Miroier historial et de tous aultres livres daultres histoires. Et y sont compris en brief par ordre tous les notables advenemens des successeurs dAdam102.

Quant aux bribes dinformation à propos dHercule reprises au Manuel, elles apportent de nouvelles nuances à la biographie du héros, mais contribuent aussi à son hétérogénéité apparente, voire à son éclatement. Par lajout de lanecdote sur Antée, la lutte dHercule contre ce géant est présente à deux reprises dans la version de la CBA daprès Ge-Be-Bes-Val1103, située dans deux contextes différents de lhistoire – une 230fois sous forme danecdote, placée bien avant lhistoire des Amazones, et une deuxième sous forme de narration développée, à la suite du retour des Grecs après leur expédition contre les femmes guerrières. La mention de Cerbère est, à son tour, détachée du noyau principal de la biographie du héros et placée en amont, renforçant toutefois lidée – quand on la considère à côté de lépisode des Amazones – quHercule et Thésée ont dû se côtoyer pendant une bonne partie de leurs vies104. On note par ailleurs que lanecdote en question a été historicisée : portier denfer nest plus quune appellation forgée par les poètes parce que ce « chien » ou « géant » (on trouve les deux variantes dans les manuscrits) était si féroce. La troisième et dernière anecdote, qui suit directement le passage sur la mort du héros, apporte à son tour une nouvelle touche au portrait dHercule. Le vainqueur qui a dompté toutes manieres de bestes a été, en fin de compte, vaincu par une femme qui la réduit à filer et faire dautres euvres de femmes. Fait intéressant, Omphale est devenu Deiphile dans les manuscrits de la CBA avec ajouts, témoignant peut-être ici dune confusion avec lautre « femme fatale » par excellence dans la vie dHercule, Déjanire, responsable de la chute ultime du héros105. Limage dHercule dominé par une femme reste la dernière impression que le lecteur garde du héros, après le récit de son suicide par le feu. Hercule finit donc non seulement par une mort peu glorieuse, mais sous un travestissement qui risque de le ridiculiser.

Perspectives sur des portraits compilés
dHercule dans quelques autres chroniques hybrides

Les traditions de lHAC, de la CBA et du Manuel se recoupent en divers points dans des compilations du xve siècle. Les éléments de la biographie dHercule que transmettent ces textes fournissent plusieurs exemples de ce phénomène. Nous avons abordé, dans un article récent106, la question de la délimitation et classification des œuvres désignées comme « Trésor des histoires », intitulé employé dans les rubriques et/231ou les incipit de certains manuscrits de la CBA (dont les quatre témoins Ge, Be, Bes et Val1 que nous venons dexaminer), mais également dans certains manuscrits de compilations qui ont été considérées par la critique comme des œuvres à part entière107. Nous napprofondirons pas ici les mêmes aspects, mais proposerons quelques réflexions pour mettre en lumière la nature intriquée de la tradition en question, en regardant quelques autres compilations dhistoire universelle qui en font partie :

deux autres témoins associés à la CBA qui ne donnent pas la version « vulgate » de la biographie dHercule, à savoir Paris, BnF, fr. 17181 et Arras, BM, 995, les deux du xve siècle. Les deux ont un prologue commun, débutant par les mots suivants : Ce livre est apellés le tresor des histores pour ce que toutes les histores de tous livres y sont mis en brief pour les mieux retenir108 [].

une compilation inédite, appelée parfois « troisième rédaction » de lHAC (ci-après HAC3) ou considérée alternativement comme une rédaction ultérieure de la CBA, qui survit dans les manuscrits Paris, BnF, fr. 15455 et Paris, Arsenal 3685, les deux datant du xve siècle. Lincipit de ce texte ressemble de près à celui de la CBA : Qui le livre de sapience vuelt bonnement mettre en laumoire de sa memoire et lenseignement des saiges es tables de son cuer escripre, sur toutes choses il doibt fuir le fardel de confusion, car il engendre ignorance et est mere de oubliance109 [].

Les œuvres en question ont toutes la particularité demprunter certains éléments à la CBA (et, dans certains cas, à lHAC), en les augmentant par des ajouts provenant du Manuel. Elles comportent également chacune une biographie dHercule construite à partir dun stock commun de composantes, ce que nous commenterons dans un premier temps. Ensuite nous passerons à une présentation sommaire des différentes compilations à laide de fiches, en nous arrêtant sur une sélection déléments en 232rapport avec Hercule, pour relever les différents modèles (éventuellement indirects) mis à contribution. Cela permettra de revenir sur certains éléments présentés plus haut dans lHAC1a, lHAC1b, la CBA et le Manuel. Soulignons à cet endroit que le Manuel comporte, outre les passages déjà cités supra, dautres anecdotes relatives à Hercule, dont une sélection a été importée dans chacune des compilations dont il sera ici question.

Les contenus thématiques en rapport avec Hercule dans les compositions en question sont mis en regard dans le schéma infra. Relevons-en dabord les éléments communs : les compilations comportent chacune une « vie dHercule » qui commence par un portrait du héros, précédant immédiatement lexpédition dHercule et de Thésée contre les Amazones. Chacune parle, par ailleurs, des voyages des Argonautes et de la première destruction de Troie, à la suite de laquelle est placée la mort dHercule. Dans chacun des textes, la vie dHercule est racontée en plusieurs étapes, interrompues par des segments ne concernant pas le héros, qui se placent, de manière générale, entre lévocation des « autres exploits » dHercule et de Thésée et le récit des voyages des Argonautes. Cest, si lon recourt à la segmentation conventionnelle de lHAC110, au moment de la transition entre les sections IV et V. Hormis le manuscrit fr. 17181, les textes comportent tous, par ailleurs, une série déléments herculéens qui sont placés en amont, avant la partie « nucléaire » de la vie du personnage, qui varient de par leur nombre, leur contenu et le contexte dans lequel ils sinsèrent. La variation entre ces textes concerne aussi larticulation textuelle des différents éléments, ce que nous chercherons à mettre en évidence dans les fiches proposées par la suite.

Paris, BnF, fr. 17181

Arras, BM, 995

HAC3

ø

Éléments antéposés

Antée

Autres exploits

Éléments antéposés

Cerbère

Linus,maître dHercule

Vie d Hercule (noyau)

Portrait

Amazones

Antée

Autres exploits

Vie d Hercule (noyau)

Portrait

Amazones

Vie d Hercule (noyau)

Portrait

Amazones

Descendance
des Amazones, moralisations

Antée

Autres exploits

(Orphala)

233

Ne concernant pas Hercule

Ajouts sur Thésée

Descendance des Amazones

Hébreux

Généalogies Troyens

Ne concernant pas Hercule

Descendance
des Amazones

Ajouts sur Thésée

Hébreux

Généalogies Troyens

Ne concernant pas Hercule

Hébreux

Vie d Hercule (fin)

Argonautes

Première destruction
de Troie

Olimpha

Mort dHercule

Vie d Hercule (fin)

Argonautes

Première destruction
de Troie

Mort dHercule

Vie d Hercule
(fin, d
après Prose 5 )

Argonautes

Première destruction
de Troie

Mort dHercule

Paris, BnF, fr. 17181 (« Trésor des histoires ») 111

xv e siècle. Chronique universelle allant de la Création au pape Clément VI. Table de rubriques aux f. 1-18v ; au f. 18r, un paragraphe isolé :[A]u commencement, ainsy que la Sainte Escripture le tesmoigne, Dieu crea le ciel et la terre, selon les docteurs et les sains, en une masse confuse quilz nomment matiere sans forme [](~ incipit du Manuel). Lœuvre semble débuter véritablement au f. 19r : Ce livre est appellé le tresoir des histoires pour ce que toutes les histoires de tous livres y sont mis en brief pour le mieulx retenir [], suivi dun segment, rubriqué Chy commenche le prologue des gestes de lexellence de chevalerie (f. 19r) : Qui le livre du tresoirs de sapience vœult mettre en lammaire de sa memoire et lenseignement des sages es tables de son cœur escripre [] (~ incpit de la CBA).

La biographie dHercule se situe aux f. 38v-39r (rubrique au f. 38v : Comment Herculés combati les femmes dAmasone) et 41rv (rubrique au f. 41r : Comment Jason conquist le toyson dor a Colcos ; 41v, De la premiere destruction de Troies). Le texte est en gros un abrégé de la CBA. Voici le portrait initial dHercule, qui suit la CBA, en raccourcissant davantage le texte : Et lors y estoit en sa proesse et jonesse Herculés, filz de la dame Aomee ; plus fort ne fut depuis le deluge112.

Quoiquabrégé, le texte comporte un certain nombre dajouts, dont certains repris au Manuel, qui ne sont cependant pas identiques à ceux repérés dans les quatre manuscrits Ge-Be-Bes-Val1. Lanecdote supplémentaire sur Antée et celle sur Cerbère (présents dans Ge-Be-Bes-Val1) 234manquent, mais lorsquest narré in extenso la lutte entre Hercule et Antée après la victoire des Grecs sur les Amazones, le compilateur ajoute une série dautres prouesses accomplies par Hercule et par Thésée113 :

Et fist encore Herculés maintes proesses : il vaincqui les sagittaires, qui sont, selonc les poethes, moitié homme et moitié queval ; il commencha le jeux et tornoiemens que on appelle les jeux olimpias pour ce que les faisoit au piet dune montaigne qui ot nom Olimpe, et contoit les ans de ces jeux ainsi que nous contons orendroit les ans de lIncarnation. Cilz Herculés ne doubtoit riens, ne moustre ne serpent, tant fu cruel. Theseüs son compaignon fut aussi bien fort et vaillant, et fu cellui duc dAthenes qui fu a Thebes destruire. Et ot ung fil de sa femme Ypolite nommé Ypolitus.

En décomposant ce segment, on peut faire quelques observations intéressantes : dabord, les sagittaires vaincus par Hercule ne proviennent pas de la CBA, mais ont été importés du Manuel, de même que les informations à propos des jeux olympiques114. Sur le plan des ajouts, fr. 17181 se poursuit sur la mention des serpents et monstres qui ne pouvaient faire peur au héros, rappelant de près le texte de lHAC1b115. Le segment sur les alia facta paraît ainsi manifestement composite.

Après avoir parlé des exploits, le texte enchaîne avec un ajout (par rapport à la CBA) à propos du combat de Thésée, Minos et le Minotaure (39v-40r), avant de revenir à la descendance des Amazones (40r), aux juges dIsraël (40r-41r) puis à la généalogie des rois de Troie (41rv). Le récit sur la première destruction de Troie est abrégé suivant la CBA, sans mention dHercule (Laomedon assambla contre eulx et y fut occis, f. 41v). Le segment sur la mort dHercule se rapproche le plus du texte de la version étendue de la CBA suivant Ge-Be-Bes-Val1, ajoutant quHercule a été vaincu par une femme ; cependant, il appelle cette dernière non pas Deiphile, mais Olimpha116 (nous y reviendrons infra) :

235

A son retour, Herculés et Jazon ne vesquirent gaires. Herculés occist un sien fil et Ysicus son grand amy. Cestui Herculés appellon victorien, car selon Varo il sourmonta toute manieres de bettes, serpens horribles et grandz moustres. Et touteffois une femme nommee Olimpha le sourmonta, car elle lui fist faire œuvre de femme et filler. Et puis Herculés encourut une grande maladie que pour laleganche dicelle il se jetta ou feu de souffre en la montaigne Ethna. Ainsy fina Herculés que tant avoit fait proeches par le monde en leage de lii ans.

En effet, le manuscrit fr. 17181 se rapproche de la version de la CBA selon Ge-Be-Bes-Val1 aussi par la présence de la variante faisant du mont Œta lamontaigne Ethna117. En revanche, la forme du nom de la maîtresse dHercule suggère que la compilation a recouru à un modèle secondaire, soit une compilation qui nous est inconnue.

En somme, fr. 17181, inclus souvent parmi les témoins de la CBA, combine, dans les seuls segments considérés ici, des éléments remontant à la CBA (avec ajouts), au Manuel et éventuellement à lHAC1b.

Arras, BM, 995 (« Trésor des histoires ») 118

xv e siècle. Chronique universelle allant de la Création à 1310. Table de rubriques aux f. 1-18r ; au f. 20r, rubrique : Prologue du tresor des histoires ; incipit : Ce livre est appellés le tresor des histores pour ce que toutes les histores de tous livres y sont mis en brief pour les mieux retenir [] (~ incipit de fr. 17181 supra) ; suivi, au même feuillet, dun Aultre prologue : Qui le livre du tresor de sapience vœult mettre en lammaire de sa memoire et les enseignemens des sages es tables de son cœur escripre [] (~ incipit de la CBA)

La biographie dHercule est divisée en trois blocs :

le bloc 1, antéposé, se trouve au f. 62v. Il parle dAntée et des « autres exploits » dHercule (rubrique : Comment Herculés ocist ung merveilleus gayant et Des merveilleuses proesses de Herculés). Ce sont les éléments qui, dans la CBA, suivent lexpédition contre les Amazones. Dans le manuscrit en question, ils précèdent cependant le noyau de la vie du héros. Ils se situent, plus précisément, à lendroit où est placée dans les manuscrits Ge-Be-Bes-Val1, la courte anecdote supplémentaire à propos de la victoire dHercule sur Antée119.

236

le bloc 2, situé au f. 66rv, relate lexpédition dHercule et Thésée contre les Amazones, précédé du portrait dHercule (rubrique : Comment Herculés sousprist les demoiselles dAmasone ; Comment deux demoiselles jousterent contre Herculés et Theseüs et furent prises et vaincues ; Comment le paix se fist entre Herculés et les Amasones)

le bloc 3 se trouve aux f. 68v-69r, et parle des voyages des Argonautes (f. 68v, rubrique : Cy parle comment Jason conquist la thoison dor a Colcos), de la première destruction de Troie et de la mort dHercule (f. 69r, Cy parle de la premiere destruction de Troyes).

Le texte est notablement composite :

Le récit à propos dAntée (dans le bloc 1), le développement sur les Amazones et le portrait dHercule (compris dans le bloc 2) sappuient non pas sur la CBA, mais sur lHAC1b. On peut considérer, afin dillustrer cela, le portrait du héros (en mettant en gras les éléments qui trahissent la dépendance sur lHAC1b) : Cilz Herculés fu filz de la dame Armene et filz du roy Landar qui vint de Crete. Sachiés que plus fort homme de lui ne fut puis le deluge ; et pour ce dient aulcuns quil fut pareil a Sanses le fort120.

Le chapitre à propos des merveilleuses proesses du héros au bloc 1 ressemble de près au segment correspondant présent dans le manuscrit Paris, BnF, fr. 17181 (avec les sagitaires, les jeux olympiques et les serpents et monstres quHercule ne craignait pas121) :

Il fist maintes aultres merveilles : il vainqui les sagitaires, quy estoient moitié homme et moitié cheval ; il commencha les jeus de lOlimpiade en une montaigne nommee Olimpe. On contoit les ans de ces jeux ainsy que nous comptons les ans de lIncarnacion. Cilz Herculés ne cremoit serpens ne moustre ne aultres bestes, tant fuissent cruelles. Et Theseüs fut moult vaillant et preux. Ce fu le filz de ce duc qui destruisy Thebes, ainsy que vous avez oÿ.

Le récit à propos de la destruction de Troie dérive de la CBA. Il partage avec Ge-Be-Bes-Val1 (et fr. 17181) la variante faisant du 237mont Œta la montaigne Ethna, mais ne comporte pas lajout à propos dHercule vaincu par Omphale/Deiphile122 :

Herculés et Jason ne vesquirent mie granment aprés, ains morurent assés tost, car puis que Herculés fu retourné de Troies, il ochist ung sien filz et ung sien grant amy qui avoit non Ysicus. Aprés le prist une sy grant maladie que pour avoir remede de sa doleur, il se getta au feu de souffre qui est en la montaigne Ethna. Ainsy fina Herculés qui tant de prouesses renommees avoit faites par le monde, quant il eult vescu .lii. ans.

Le « Trésor des histoires » de ce manuscrit présente ainsi certains parallèles avec celui de fr. 17181 (lincipit, et, dans les segments pris en compte, lajout à propos des « autres exploits », puisant dans le Manuel et lHAC1b), mais le texte des deux compilations nest pas identique. Celui du manuscrit Arras 995 restructure les composantes à propos dHercule et semble surtout puiser des éléments supplémentaires dans lHAC1b afin détoffer les segments de la vie du héros.

« HAC3 »

xv e siècle, pour la compilation et les témoins. Les deux manuscrits de cette chronique comportent chacun uniquement le premier volume de lœuvre. On sappuiera ici principalement sur le manuscrit Paris, BnF, fr. 15455, qui semble présenter un texte plus correct dans les segments sur Hercule, quoiquil soit affecté de certaines lacunes.

La rubrique initiale et lincipit du texte livrent déjà des indices sur la raison pour laquelle lœuvre est associée tantôt à lHAC tantôt à CBA. On lit au f. 1r en rubrique Ci commence li livre de Genesis selon la description de Orose, auquel saint Jherosme sacorde en la Bible, laquelle nous tenons estre vraye selon nostre foy et selon lEglise, alors que lincipit du prologue qui suit est presque identique à celui de la CBA : Qui le livre du tresor de sapience vuelt bonnement mettre en laumoire de sa memoire et lenseignement des saiges es tables de son cuer escripre, sur toutes choses il doibt fuir le fardel de confusion, car il engendre ignorance et est mere de oubliance[]123. On sait par ailleurs que le texte intègre Prose 5 lorsquil est question de traiter de la matière troyenne124.

La partie principale de la vie dHercule se raconte en deux volets, dont le premier (avec son portrait initial, lexpédition contre les Amazones, la lutte contre Antée et les « autres exploits ») se situe aux f. 97rb-99vb, 238et le second, inséré dans Prose 5, sétend du f. 101ra au f. 106vb. La fin du récit sur la mort du héros est absente en raison dune lacune matérielle. Par ailleurs, au moins deux anecdotes mentionnant le héros se trouvent antéposées à sa vie à proprement parler, présentées à la manière dincidentia dans le contexte de lhistoire des Hébreux125.

À la lumière des compilations abordées précédemment, on sattendrait à retrouver un portrait initial dHercule puisant soit dans lHAC1b soit dans la CBA. Pourtant, il nen est rien. Pour lensemble de la matrice sur lépisode des Amazones, le compilateur semble sêtre retourné vers la rédaction longue de lHAC1a. Le portrait initial dHercule dans lHAC3 est exemplaire à cet égard. Nous marquons par litalique les éléments révélateurs126 :

Et adoncques estoit Herculés en la fleur de sa jeunesce. Seigneur, cil Herculés fut filz a la royne Almene[var. Amene Arsenal 3685], qui fu fille au roy Laudaci qui vint de Crethe. Et bien sachiez que plus fort homme ne plus hardy ne fut gueres de puis le deluge que cil Herculés, si comme on trouve en lescripture. Et pour ce dient les plusieurs et teesmoingnent quil fut semblable a Sanson de force et de prouesce. Herculés fist maintes merveilles en sa vie qui bien font a entendre et auxi fist Sanson. Maiz de Sanson ne vous parleray je pas jusques atant que par droiture vendra a lui le conte de listoire. Cest quant on parlera des Ebrieux, car il fut de leur lignee. Et non pour quant, bien sachiez que entre Sanson et Herculés not mie grant temps, car tous deulx furent au temps que Troye fut premierement destruite. Maiz a Troye ne fut mie Sanson ne aussi ceulz de sa lignee.

En effet, on retrouve dans lHAC3 non seulement un portrait dHercule doté dune comparaison avec Samson étendue et quasiment identique 239à celle présente dans lHAC1a, mais également, plus loin, la série des moralisations qui sintercalent dans lHAC1a entre le retour dHercule du royaume des Amazones et sa lutte contre Antée127.

Le premier volet de la vie du héros ne sappuie cependant pas dans son intégralité sur lHAC1a. Au moment où lauteur passe aux « autres faits » dHercule et de Thésée, il insère une série danecdotes que nous avons déjà rencontrées individuellement dans des compilations citées plus haut. Nous avons indiqué entre crochets et en gras les sources (lointaines) auxquelles remontent les données128) :

Et bien sachiez quil fist moult dautres prouesces. Et tant ot force et grant prouesce quil ne doubtoit lyon ne serpent ne nulle aultre beste crueuse ne horrible (HAC1a). Il vainquy les centaurs [var. sagitaires Arsenal 3685] qui estoient, segon les poetes, partie homme et partie cheval (Manuel). Il establi et commença les gieux Olimpias. Ce estoit une assemblee de chevalliers de Grece qui venoit de an en aultre en la montainge de Olimpi [id. Arsenal 3685] pour eulx esprouver les ungs aulx aultres et pour concquerre los et pris. (CBA) Et tant fist daultres choses merveilleuses que on lappelle victorien, pour ce que, selon Varro le poete, il seürmonta toutes manieres de bestes. Et touteffoys une femme, qui nommee fu Orphala, le seürmonta, si que elle le fist filer et faire oevre de femme (Manuel). Et bien sachiez que Theseüs, son compaignon, fut aussi de moult grant prouesce. Car ce fu cellui duc qui fut a Thebes destruire, sicomme je vous ay dit par avant. Et si occist ung jayant qui fut nommé Cassus, et aucuns dient que ce fut Herculés qui bien le pot faire (HAC1a).

On voit que le début du segment suit toujours lHAC1a, disant quHercule ne douta « ni lion ni serpent ni nulle autre bête ». Dans la suite, le compilateur a inséré lanecdote des centaures/sagittaires reprise au Manuel, que nous avons déjà rencontrée dans les manuscrits fr. 17181 et Arras 995. Comme ces deux « Trésors des histoires », lHAC3 continue avec une référence aux jeux olympiques ; mais contrairement à eux, lHAC3 ne donne pas la version daprès le Manuel, mais plutôt la version daprès la CBA. Suit un nouvel élément remontant au Manuel : lHAC3 rapporte lépisode dHercule vaincu par Omphale (devenu Orphala) avant de revenir au cadre de lHAC1a, avec la mention de la destruction de Thèbes par Thésée et celle de la victoire sur Cacus (devenu Cassus), attribuée aux deux héros. Pour faire un constat général à propos de ce segment, lHAC3 témoigne de lamplification dun segment thématique particulier – les « autres exploits » des deux héros –, 240phénomène que nous avons déjà observé dans dautres compilations semblables. Cependant, il ne sagit pas, sur le plan textuel, dune série identique danecdotes transmises dune chronique à lautre, mais plutôt dun nouveau projet de compilation analogue, faisant appel à des sources supplémentaires.

Aux éléments que nous avons pu identifier dans lHAC1a, la CBA et le Manuel sajoute, dans le deuxième volet de la vie dHercule, le texte de Prose 5. Les parties du texte parlant dHercule ne diffèrent pas de façon notable de celles que nous avons abordées supra en rapport avec lHAC2. Est également présent, dans une forme très proche de la version de lHAC2, le récit de la mort dHercule, dans le cadre dun « troisième portrait » du héros animé par lintrigue de Degermirra et Nexumtaurum.

Les trois compilations du xve siècle présentées supra sont exemplaires du haut degré dhybridation des données textuelles qui caractérisent les « rédactions ultérieures » des différentes histoires identifiées par la critique. Il est intéressant de constater, à cet égard, que différents états textuels ou, plus concrètement, différents témoins dune œuvre semblent être impliqués dans le jeu demprunts qui touchent les biographies dHercule. Un cas de figure permet de souligner cette caractéristique. Il sagit de lanecdote dHercule « filandier », qui semble avoir son origine dans le Manuel, mais a trouvé son chemin vers plusieurs compilations associées à la CBA. Les variantes multiples concernant le nom de la maîtresse dHercule dans ces témoins (en gras dans les extraits mis en regard ici) en sont révélatrices129 :

Manuel

Ge-Be-Bes-Val 1

fr. 17181

fr. 15455 ( HAC3 )

[M]ais une femme qui avoit nom Omphale le seurmonta, car elle le fist filer et faire euvres de femmes.

Toutesvoies une femme – Deiphele ot nom – le surmonta, car elle le fist filer et fere œuvres de femmes

Et touteffois une femme nommee Olimpha le sourmonta, car elle lui fist faire œuvre de femme et filler.

Et touteffoys une femme, qui nommee fu Orphala, le seürmonta, si que elle le fist filer et faire oevre de femme.

Varia lectio :

Omphale ] Olimpha Paris, Bibl. Sainte-Geneviève 673

Olimphale Paris, BnF, fr. 693 ; fr. 19477

Deyfille Vatican, BAV, Reg. lat. 688

Varia lectio :

Deiphele ] Deiphile V 1 Deifile Bs

forme identique Orphala dans Arsenal 3685

241

Si on ne considérait pas les variantes textuelles, on pourrait se dire que lanecdote à propos dHercule « filandier », absente de la version vulgate de la CBA, a été empruntée une seule fois, à un moment donné, au Manuel, puis transmise via une compilation spécifique (par exemple, la version de la CBA « avec ajouts » suivant Ge-Be-Bes-Val1) aux textes que présentent le manuscrit fr. 17181 et lHAC3. Les différentes variantes du nom dOmphale suggèrent cependant un scénario plus complexe. Nous avons commenté supra la présence des formes du type Deiphele, sorte dhybride entre Omphale et Déjanire, dans Ge-Be-Bes-Val1, en notant une variante proche, Deyfille, dans un témoin du Manuel (Vatican, BAV, Reg. lat. 688). Force est de constater que les autres chroniques hybrides prises en compte (fr. 17181 et lHAC3) nattestent pas une telle forme hybride, mais dautres variantes, en partie corrompues. Chose intéressante : on peut trouver ces autres variantes dans dautres témoins du Manuel. La variante Olimpha (quon a dans fr. 17181) se retrouve dans au moins un manuscrit du Manuel (Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, 673) ; Orphala (présente dans lHAC3) repose peut-être sur un autre modèle encore. En dautres termes, le même épisode semble avoir été emprunté à plusieurs reprises et à partir de différents modèles, que ce soient des témoins du Manuel lui-même ou des textes apparentés ou dérivés de ce dernier130.

Ce phénomène en soi suggère que les chroniqueurs tardifs avaient développé une pratique consistant à utiliser certains textes – le Manuel entre autres – comme répertoire de matériaux sources. De plus, certains endroits de la trame de lhistoire ancienne devaient sembler, aux yeux des chroniqueurs, particulièrement aptes à recevoir des ajouts. Dans le cadre des biographies dHercule (et de Thésée), cest notamment lorsque sont relatées les « autres prouesses » et quand est évoquée la fin du héros que lon retrouve des innovations sous forme dajouts thématiques131. Ces moments sont, en dautres termes, comme des espaces ouverts qui peuvent accueillir dautres éléments sans entraver la progression des événements132. La présence des ajouts et des amplifications à ces endroits suggère que 242les chroniqueurs se sont bien intéressés à la matière des « histoires » (ou mythes) antiques. Les différentes réalisations de la biographie dHercule dans ces œuvres semblent indiquer quils tentaient aussi dinventorier les différents exploits de ce dernier. Simplement, le répertoire des exploits dHercule jugés dignes de figurer dans une chronique telle que la CBA ou un « Trésor des histoires » était, nous semble-t-il, limité par des contraintes génériques que voulaient respecter les compilateurs. Cest pour cette raison que lon a limpression de retrouver dans un nombre considérable dœuvres la « même matière ». Les épisodes en question peuvent se trouver dans des constellations différentes, et on voit parfois sy ajouter quelques anecdotes supplémentaires, mais ils sorganisent en général autour des mêmes composantes de base – un même stock – et ont la caractéristique générale de ne pas comporter de valorisations explicites. Cest aussi pourquoi le portrait dHercule est un portrait « neutre » dans une quantité considérable dœuvres appartenant au genre historiographique.

Il existe une quantité notable de chroniques mêlant des matériaux provenant à lorigine de lHAC, de la CBA et du Manuel et véhiculant un conglomérat dépisodes herculéens133. À de tels textes sajoutent toutefois au fil du temps des œuvres qui proposent des vies plus synthétiques du héros, qui tendent à être bien plus longues que les exemples considérés précédemment. Dans le domaine de lhistoriographie en langue française, les premiers exemples de telles vies napparaissent, à notre connaissance, quau début du xve siècle. Un premier cas se rencontre dans lhistoire universelle intégrée dans le Livre de Mutacion de Fortune de Christine de Pizan (1403)134. Cette œuvre comporte une biographie dHercule 243qui se greffe toujours sur le fond thématique de lexpédition contre les Amazones et la première destruction de Troie, en y intercalant un développement étendu à propos de la vie et de la mort du héros qui sinspire notamment de lOvide moralisé135. Un deuxième exemple moins connu apparaît dans la Bouquechardière, compilation dhistoire rédigée par Jean de Courcy entre 1416 et 1422, qui puise pareillement dans la mythographie ovidienne ainsi que dans des textes philosophiques et bibliques, parmi dautres. Cest lanalyse de ce texte qui va clore la deuxième partie de notre étude.

1 Il sagit, en loccurrence, dune chronique connue par les manuscrits Paris, Arsenal 3685 et Paris, BnF, fr. 15455. Le nom de « troisième rédaction » de lHAC se trouve dans le répertoire de B. Woledge, Bibliographie des Romans et Nouvelles en prose française antérieurs à 1500, Genève, Librairie Droz, 1954, no 79.

2 Voir, pour les trois extraits, ms. Londres, BL, Royal 20 D I, f. 24vab, 29vab et 37vb. Lhypothèse que ce manuscrit se trouve à lorigine de la tradition de lHAC2 a été pour la première fois proposée par F. Avril, « Trois Manuscrits Napolitains des Collections de Charles V et de Jean de Berry », Bibliothèque de lÉcole des chartes, 127:2, 1969, p. 314. Elle a été reprise par L. Barbieri, Le « epistole delle dame di Grecia » nel Roman de Troie in prosa, Basel/Tübingen, Francke, 2005, et est toujours considérée comme valable, comme on le déduit de larticle récent de L. Barbieri, « La versione “angioina” dellHistoire ancienne jusquà César. Napoli crocevia tra cultura francese e Oriente latino », Francigena, 5, 2019, p. 1-26, cf. le stemma à la p. 17. On dispose aujourdhui dune édition numérique intégrale semi-diplomatique et dune seconde, interprétative, du manuscrit Royal 20 D I, préparée dans le cadre du projet anglais The Values of French et accessible via le site du projet, en ligne : https://tvof.ac.uk/textviewer/?p1=Royal/semi-diplomatic/section/3> (dernière consultation : 16-09-2022) (cf. déjà p. 156, n. 9 supra).

3 Voir, à propos de lHAC2 et de Prose 5 en particulier, Jung, La légende de Troie en France au Moyen Âge, op. cit., p. 505-562, Barbieri, Le « epistole delle dame di Grecia »[], op. cit. et « La versione “angioina” dellHistoire ancienne jusquà César », art. cité.

4 Jung, La légende de Troie en France au Moyen Âge, op. cit., p. 353.

5 Il sagit des manuscrits suivants dans le relevé de Jung : Paris, BnF, fr. 20125 ; Bruxelles, Bibl. royale, 10175 ; Dijon, BM, 562 ; Londres, BL, Add. 15268 (tous du xiiie siècle) ; Paris, BnF, fr. 168 ; fr. 686 ; et fr. 9682 (du xive siècle). Cf. Jung, La légende de Troie en France au Moyen Âge, op. cit. p. 354.

6 C. Baker, « La version vulgate de lHistoire ancienne jusquà César », Revue belge de philologie et dhistoire, 95, 2017, p. 745-772.

7 P. Meyer, « Les premières compilations françaises dhistoire ancienne », art. cité, p. 63.

8 Jung, La légende de Troie en France au Moyen Âge, op. cit., p. 506-507.

9 Jung inclut dans ce groupe un quatrième manuscrit qui ne comporte que Prose 5, Grenoble, BM, 860 (cf.ibid., p. 506).

10 R. Trachsler, « Lhistoire au fil des siècles : les différentes rédactions de lHistoire ancienne jusquà César », Transcrire et/ou traduire. Variation et changement linguistique dans la tradition manuscrite des textes médiévaux, éd. R. Wilhelm, Heidelberg, Winter Verlag, 2013, p. 77-95.

11 Comme il a été suggéré par divers chercheurs, et dernièrement par Barbieri, « La versione “angioina” dellHistoire ancienne jusquà César », art. cité, p. 16 sqq., le manuscrit en question semble être une copie directe de Ro. Comme Barbieri la constaté, Pr porte cependant des traces de contamination (cf. Barbieri, « Trois fragments peu connus du Roman de Troie en prose : Malibu, The J. Paul Getty Museum, Ms. Ludwig XIII 3 ; Porrentruy, Archives de lancien Évêché de Bâle, Divers 4 ; Tours, Bibliothèque municipale, ms. 1850 », Cahiers de Recherches Médiévales et Humanistes, 23, 2012, p. 358-360).

12 Ce manuscrit met à contribution différents modèles, lun deux se rapprochant de p. Le texte de ce témoin a été édité à côté de P dans les éditions citées supra de Marijke de Visser-van Terwisga (sections II-IV) et de Catherine Gaullier-Bougassas (section IX).

13 Trachsler, « Lhistoire au fil des siècles », art. cité, p. 84, 89.

14 Ibid., p. 89.

15 F. Zinelli, « Je qui li livre escrive de letre en vulgal : scrivere il francese a Napoli in età angioina », Boccaccio angioino. Materiali per la storia culturale di Napoli nel Trecento, éd. G. Alfano, T. DUrso et A. Perriccioli Saggese, Bruxelles, Peter Lang, 2012, voir p. 163-166.

16 Ces deux témoins navaient pas encore été classés lorsque nous avons commencé à étudier la matière. Létude de Baker, « La version vulgate de lHistoire ancienne jusquà César », art. cité, qui sappuie sur dautres exemples, confirme quil sagit de témoins de lHAC1a.

17 Cf. Barbieri, « Trois fragments [] », art. cité, p. 369, et, plus récemment, « La versione “angioina” dellHistoire ancienne jusquà César », art. cité, p. 17.

18 Le même état textuel survit par ailleurs dans le manuscrit New York, Pierpont Morgan Library, M. 516, ainsi que dans une série de fragments au Paul Getty Museum à Malibu, sous la cote Ludwig XIII 3 (voir larticle de Barbieri, « Trois fragments [] », art. cité). Voir Jung, La légende de Troie en France au Moyen Âge, op. cit., p. 507.

19 Les cotes des témoins de lHAC1 sont reprises à léd. de Visser-van Terwisga, op. cit., voir t. 2, p. 12-14. Afin déviter des recoupements avec ces derniers, nous avons adapté en grande partie les sigles pour lHAC2 sur la base de ceux de Barbieri, « Trois fragments [] », art. cité, p. 369. La colonne « Contenus » reproduit les sections et les éventuels autres textes contenus dans les manuscrits individuelles. Dans ce contexte, labréviation Fet Rom. désigne Li Fet des Romains.

20 Le texte (au moins dans les sections IV et V) est plus fortement abrégé que dans les autres témoins de lHAC1b. Cette compilation intercale en outre une adaptation française de lHistoria regum Britanniae entre les segments sur Énée et la première partie sur Rome. Le texte a été édité par Géraldine Veysseyre, LEstoire de Brutus : la plus ancienne traduction en prose française de lHistoria regum Britannie de Geoffroy de Monmouth, éd. G. Veysseyre, Paris, Classiques Garnier, 2015.

21 Ce manuscrit transmet un texte qui mélange différents modèles et est lœuvre de plusieurs mains. Certains passages à propos dHercule sont présents à deux endroits. Notre relevé se base sur les morceaux de la section IV présents à la fin du codex (au f. 155), dont le texte reflète clairement létat de lHAC1b. Dautres éléments herculéens se situent aux f. 59 sq., mais donnent une version remaniée du texte, très différent de celui que nous avons repéré dans tous les autres témoins examinés de lHAC1. Ces éléments demanderaient une analyse approfondie spécifique, que nous ne pourrons pas faire ici.

22 Nous nous appuyons sur Lhistoire ancienne jusquà César : deuxième rédaction, daprès le manuscrit OUL 1 de la bibliothèque de lUniversité Otemae, ancien Phillipps 23240, éd. Y. Otaka et C. Croizy-Naquet, Orléans, Éditions Paradigme, 2016.

23 Ms. P, f. 120vab ; L5, f. 76ra ; Ro, f. 24vab.

24 Nous navons pas inclus de transcription spécifique dun témoin de létat textuel HAC mixte. Ayant constaté cependant que les leçons des témoins en question se rangent, dans les passages étudiés de la section IV, du côté de lHAC1b, nous avons décidé dinclure les variantes de cette rédaction dans la même colonne avec les variantes de lHAC1b.

25 Cf. Jung, La légende de Troie en France au Moyen Âge, op. cit., p. 353. Le procédé peut être comparé à celui quon observe dans certains manuscrits de lOvide moralisé qui omettent les allégories à propos des récits mythologiques (voir infra, p. 374 sqq.).

26 Quant au lieu variant 4 de notre relevé, impliquant le raccourcissement de lunique phrase restant dans lHAC1b qui compare Hercule à Samson, elle savère intéressante, mais délicate en même temps à légard de linterprétation des données. La variante qui caractérise la plupart des témoins de lHAC1b et qui apparaît comme étape intermédiaire entre lHAC1a et lHAC2Et por ce dient li plusor quil fu samblanz a Sanson de proesce et de force, a entendre autresi fist Sanses – pose des problèmes de compréhension, car une fois coupée la partie précédente de la phrase, disant quHercule fist mainte merveille, la remarque autresi fist Samson reste sans antécédant et na, par conséquent, plus de sens. Il nest pas surprenant de ce fait quelle ait provoqué déjà dans certains témoins de lHAC1b, puis dans la plupart des manuscrits de lHAC2, la suppression du fragment en question. Léclatement général de la tradition autour de ce lieu rend cependant difficile létablissement de rapports nets entre les témoins qui ont supprimé le passage.

27 Cf. Oltrogge, Die Illustrationszyklen [], op. cit., p. 61-70 ; Jung, La légende de Troie en France au Moyen Âge, op. cit., p. 355.

28 Cf. F. Zinelli, « Je qui li livre escrive de letre en vulgal »,art. cité, p. 163-166.

29 Ms. P, f. 123rab ; L5, f. 76vb-77ra ; Ro, f. 26rb.

30 On peut y ajouter un troisième exemple, moins exploitable parce quil sagit dun cas de variation adiaphore, mais néanmoins intéressant comme exemple complémentaire aux erreurs conjonctives évoquées dans le texte : ne lion ne serpent ne nulle autre beste]PLP3Re (HAC1a) ; ne serpant ne autre besteL5Ma (HAC1b), PxLa (HACmixte) ; ne serpanz ne autres bestesCP7P16P20Vat (HAC1b), RoPrStCh2OsPs (HAC2) ; ni serpant ne nulle besteV (HAC1b) ; ne serpent ne autre choseP5 (HAC1b) ; (nulle riens) ne nulle besteP13(HAC1b) ; ne il ne doutoit bestesP12(HAC1b) ; mq. (segment réécrit) P18 (HAC1b). – Le lion, mentionné dans lHAC1a avant le serpent et nulle autre beste qui pouvait faire peur à Hercule, est omis dans tous les témoins consultés de lHAC1b et lHAC2. Lévocation des bêtes féroces fait, par ailleurs, apparaître une série de variantes dans les différents témoins, parmi lesquels on retrouve nos témoins de lHAC2 (avec ne serpanz ne autres bestes au pluriel) se rapprochant plus précisément dun ensemble de manuscrits de lHAC1b dont font partie, une fois de plus, les manuscrits Ca, P16 et Vat (à côté de P7 et P20).

31 Pour être exact, on lit, dans Pr, car ce fut ce duc qui destruist Thebes (f. 24vb). Comme cétait déjà le cas dans le passage considéré supra à propos de la comparaison entre Hercule et Samson, Pr paraît mettre à contribution un deuxième modèle qui nest pas Ro.

32 Cf. Barbieri, « Trois fragments [] », art. cité, p. 358-360, et « La versione “angioina” dellHistoire ancienne jusquà César », art. cité, p. 16 sqq. Dans ce dernier article, Barbieri confirme que Pr est bien une copie directe de Ro, mais suggère que le copiste de ce premiera eu recours à dautres modèles ou sources.

33 Trachsler, « Lhistoire au fil des siècles », art. cité, p. 89-90.

34 Ms. P, f. 121vb.

35 Fabio Zinelli a proposé non pas lun des témoins C, P16 ou Vat, mais un autre représentant du même groupe iconographique E, le manuscrit P13, comme lien possible entre les rédactions HAC1 et HAC2 (voir, pour quelques réflexions critiques sur ce sujet, Zinelli, « Je qui li livre escrive de letre en vulgal », art. cité,p. 165-166).

36 Cf. létude de M. T. Rachetta, « SullHistoire ancienne jusquà César : Le origini della versione abbreviata ; il codice Wien ÖNB cod. 2576. Per la storia di una tradizione », Francigena 5, 2019, p. 27-57. Le manuscrit V nest sans doute pas le lien entre les deux rédactions, il paraît néanmoins sen rapprocher.

37 Voir p. 195 et n. 31 supra. Cf. Jung, La légende de Troie en France au Moyen Âge, op. cit., p. 552.

38 Citons Luca Barbieri : « latelier parigino in cui è stato realizzato il ms. Paris BnF fr. 301 doveva disporre di esemplari della prima redazione dellHistoire ancienne, di Prose 3, e forse anche delle altre fonti della seconda redazione, che il compilatore ha potuto consultare. » (« La versione “angioina” dellHistoire ancienne jusquà César », art. cité, p. 17).

39 Cf. p. 182.

40 Jung, La légende de Troie en France au Moyen Âge, op. cit., § 3, l. 21.

41 La plupart des segments en début de la partie troyenne proviennent de Prose 1, si lon suit le relevé des sources fait par Barbieri, Le « epistole delle dame di Grecia » [], op. cit., p. 22 sq. Nous citons le segment de la mise en prose daprès lédition par L. Constans et E. Faral, Le roman de Troie en prose, t. 1, Paris, Champion, 1922, chap. 7. Le passage correspondant de lHAC2 est cité daprès Ro, f. 29vab.

42 Il se retrouve inchangé dans les autres manuscrits considérés de Prose 5, à savoir Pr (f. 27va), Ps (f. 35rb), St (f. 34ra), Ch2 (f. 28ra), Ox (f. 34r).

43 Ms. Ro, f. 30va. On peut comparer ce passage, précédé dun autre dialogue entre le messager et Jason, avec la phrase succincte soulignant le mécontentement des Grecs dans lHAC1 : Jason et Herculés et cil qui avec aus estoient furent mout aïré de la cruauté le roi Laomedon, por ce quil mal ni tort ne li voloient faire, et si vilainement les avoit congeés de son regne. (Jung, La légende de Troie en France au Moyen Âge, op. cit., p. 360, chap. 3, l. 30-32).

44 Ms. Ro, f. 34va ; éléments repris à Prose 1 (cf.Le Roman de Troie en prose, éd. Constans et Faral, op. cit., chap. 24).

45 Voici le passage daprès Ro : Faisons armer de nos gens une partie et sen aille vers Troie, et lautre demeurt a la navie. Thalamon o toute sa gent et la nostre chevaucherons et vous demourés au navie et li autre demourront pres des murs. Et si se partiront en .iii. eschielles : en lune sera li rois Nestor, en la seconde Pollus, en lautre son frere Castor. Et, je croi, quant les Troiens les verront, il istront hors atout leur povoir sus euls et la cité remaindra vuide. Et vos maintaindrés la bataille contre et nous istrons de nostre embuschement et sans nul contredit enterrons en la vile et quant nous aurons les portes saisies et garnies de nos chevaliers, si leur vendrons a lencontre par derriere le dos en tel guise que se il veullent en la ville tourner, il les convendra par nos mains passer. Et ensint les arons trestous mors et pris et cest li miels que je i voie. (f. 35rab). Le passage reste très proche de son modèle, Prose 1 (cf.Le Roman de Troie en prose, éd. Constans et Faral, op. cit., chap. 27). Dans lHAC1a/b, le lecteur napprend la stratégie des Grecs quà travers le récit de la rencontre belliqueuse elle-même (voir lextrait cité supra, p. 177).

46 Ms. Ro, f. 36rb.

47 Il en va de même pour le passage sur la mort de Laomédon (cf.Le Roman de Troie en prose, éd. Constans et Faral, op. cit., chap. 33).

48 La seconde rubrique se retrouve dans les manuscrits Ps (Paris, BnF, fr. 254), voir f. 42ra-va pour le segment en question, et Paris, BnF, fr. 22554, f. 45ra-45vb. On lit De la mort Herculés dans Ro, f. 37vb-38va ; Pr (fr. 301), f. 34vb-35rb ; Ch2, f. 34vb-35ra ; Os, f. 30vb-31rb (daprès léd. Otaka et Croizy-Naquet, op. cit.) ; et dans Ox, f. 42v-43r ; Comment Herculés morut dans fr. 24396, f. 30ra-va ; le segment est sans rubrique dans le manuscrit de Bruxelles, Bibl. royale, IV 555, f. 36ra-36vb.

49 Ms. Ro, f. 37vb.

50 Ms. Ro, f. 24v, cf. p. 182 supra.

51 Comme Luca Barbieri lavait observé, « Les modifications fantaisistes des noms des personnages et des lieux rendent difficile lidentification exacte des faits auxquels lauteur fait référence. » (L. Barbieri, « Entre mythe et histoire : quelques sources de la version en prose “napolitaine” du Roman de Troie (Prose 5) », « Ce est li fruis selonc la letre ». Mélanges offerts à Charles Méla, éd. O. Collet, Y. Foehr-Janssens et S. Messerli, Paris, Champion, 2002, p. 125.)

52 Le « epistole delle dame di Grecia » [ ] , op. cit., p. 23.

53 Guido est cité daprès Historia destructionis Troiae, éd. N. Griffin, Cambridge (MA), Mediaeval Academy of America, 1936, lib. I, p. 9 ; le texte de lHAC2 est cité daprès Ro, f. 37vb.

54 LHistoria scholastica est citée daprès léd. Migne, Patrologia Latina, 198, op. cit., col. 1153.

55 Cf. « Entre mythe et histoire », art. cité, p. 125.

56 Le « epistole delle dame di Grecia » [ ] , op. cit. Lobservation de Barbieri nous paraît judicieuse, surtout si lon considère les attestations textuelles des confusions du même type qui sajoutent aux incertitudes concernant lattribution de la victoire de Cacus à Hercule ou à Thésée. Nous renvoyons à cet égard à la troisième partie de la présente étude, où nous examinerons les travaux dHercule évoqués dans lOvide moralisé (cf. p. 311-330 infra). Afin dexemplifier un témoignage de ce type, citons une glose repérée dans un commentaire aux Métamorphoses dorigine française, conservé dans le manuscrit Berlin, Staatsbibliothek, Preussischer Kuturbesitz, Diez. B Sant. 11 (du xiie ou xiiie siècle), à propos dune mention chez Ovide de la périphrase filius Vulcani dans une liste dexploits de Thésée : « Notandum quod Erichoneus fuit filius Vulcani, [] qui fuit semis vir et semis equs [sic] quem Theseus sive Hercules interfecit. Vel potest legi de Caco qui vaccas Herculi furabatur, qui Theseus sive Hercules interfecit. » (f. 54v, en marge inférieure).

57 Le « epistole delle dame di Grecia » [ ] , op. cit., p. 32.

58 Bibliotheca Mundi Vincentii Bellovacensis Speculum quadruplex, naturale, doctrinale, morale, historiale, Douai 1624, repr. Graz 1965, livre III, chap. 58 (trouvé via le site de lAtelier Vincent de Beauvais, Université de Nancy, en ligne : http://atilf.atilf.fr/bichard/ (dernière consultation : 10/06/2023) ; notre traduction.

59 Barbieri, « Entre mythe et histoire », art. cité, p. 124-125 ; Le « epistole delle dame di Grecia » [], op. cit., p. 298-299 ; Le Roman de Troie en prose. Prose 5, éd. A. Rochebouet, Paris, Classiques Garnier, 2021, chap. 40.

60 Lépisode se situe aux f. 37v-38v du ms. Ro.

61 Comme Marc-René Jung la relevé, lun des manuscrits du texte, notre Ps, lappelle Mynostaurus dans le texte (M.-R. Jung, « Le Roman de Troie en prose du manuscrit Rouen, Bibl. Mun. O. 33 », Romania, 108, 1987, p. 443, note 12). Cette modification pourrait bien être due à la présence de linformation à propos de sa nature semi-humaine et semi-bovine dans le texte.

62 Ceci est, comme la déjà relevé Barbieri, une allusion à lépisode du combat contre lhydre (Le « epistole delle dame di Grecia » [], op. cit., p. 32). Lindication quHercule la frappé dune flèche, retirant ensuite celle-ci du corps du monstre, sert de lien tacite avec les événements suivants – cest de la même flèche, trempée du venin de lhydre, quil frappera Nessus, et cest à cause de ce même poison, mélangé ensuite avec le sang du centaure, que la chemise sera la cause des souffrances terribles qui pousseront Hercule au suicide.

63 On lit littéralement : il la prist et voloit habiter avec lie en la presence de Herculés qui estoit de lautre part du flume (Ro, f. 38ra).

64 Ms. Ro, f. 38rb. Élément entre parenthèses absent du manuscrit, restitué daprès les autres témoins pris en compte (cf.Pr, f. 35r ; St, f. 45r ; Ch, f. 35r, etc.)

65 Cf. Barbieri, « Entre mythe et histoire », art. cité, p. 129, ainsi que Le « epistole delle dame di Grecia » [], op. cit., p. 32. Voir notre édition du segment de lOvide moralisé (v. 347-452) en annexe. LOvide moralisé est par ailleurs, à notre connaissance, le seul texte connu en langue française antérieur à Prose 5 qui relate lépisode en question dans son ensemble.

66 La miniature se trouve au f. 228ra dans le manuscrit de Rouen. Le même motif accompagne lépisode dans un autre manuscrit précoce de lOvide moralisé, Paris, Arsenal 5069, au f. 121rb.

67 Voir les extraits édités en annexe, p. 429, OM IX, 371-373.

68 Cf. notre annexe, OM IX, 402.

69 LHAC2 est à notre connaissance la première histoire en langue française qui développe cette idée.

70 Cf. Barbieri, Le « epistole delle dame di Grecia » [], op. cit., p. 32. Le fait que Nessus meure à cause du poison de lhydre est suggéré par Ovide de façon allusive : sanguis per utrumque foramen / emicuit, mixtus Lernaei tabe ueneni. (Mét. IX, 129-130, daprès léd. Tarrant).

71 Citons, comme exemple, une glose à propos du passage figurant dans le manuscrit Vatican, BAV, Vat. lat. 1479 (xive siècle), transmettant les Métamorphoses avec un commentaire de provenance française, qui est intéressant pour les études sur lOvide moralisé parce quil fournit certaines données qui apparaissent également parmi les ajouts mythologiques et moralisateurs dans ladaptation française des Métamorphoses (cf. nos remarques infra, p. 294 sqq.) : com Hercules divicisset Acheloum propter amorem Deianire, voluit remeare ad partes, sed, com ad quendam fluvium venisset, ille non potuit preterire nisi natando, unde reliquit uxorem suam Nesso, ut illam ultra fluvium portaret, quia extra partim equs, partim homo. Nessus voluit per violentiam habere rem cum illa, unde exclamavit, et Hercules illum com sagita sagitavit usque ad mortem. Tamen camisiam suam tonxicatam dedit Deianire, dicens : Quando volueris maritum tuum ad amorem tuum revocare, da illi istam camisiam et tancito non aliam adamabit. Illa credidit et accepit, et mortuus est Nessus. (ms. Vatican, BAV, Vat. lat. 1479, f. 123r, se rapportant à Mét. IX 106-107, cité daprès Un commentaire médiéval [], éd. Ciccone, op. cit.)

72 Dante Alighieri, La commedia secondo lantica vulgata, éd. G. Petrocchi, t. 2. Inferno, Milan, Mondadori, 1966, canto xii, v. 67-69.

73 Cf. Pietro Alighieri, Comentum super poema Comedie Dantis : A Critical Edition of the Third and Final Draft of Pietro Alighieris « Commentary on Dantes Divine Comedy », éd. M. Chiamenti, Tempe (AZ), Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies, 2002, commentaire sur Inferno, chant xii, v. 67-69. Le texte de ce commentaire ainsi quune série dautres paratextes sont accessibles sur le site du Dante Lab à Dartmouth College, en ligne : http://dantelab.dartmouth.edu (dernière consultation : 10/06/2023) ; la traduction est de nous.

74 Par exemple dans le commentaire de Guido da Pisa (1327-28, en latin), aux vers 67-69 dInferno, chant xii : de quo Ovidius, VIIII Methamorphoseos (Guido da Pisas Expositiones et Glose super Comediam Dantis, or Commentary on Dantes Inferno, éd. V. Cioffari, Albany (NY), State University of New York Press, 1974), et dans lOttimo Commento (1333, en italien), sur les mêmes vers : che pone Ovidio nel IX libro del Metamorphoseos (LOttimo Commento della Divina Commedia. Testo inedito dun contemporaneo di Dante[], éd. A. Torri, Pisa, N. Capurro, 1827-1829). Données repérées sur le site du Dante Lab.

75 Le travail le plus récent et le plus approfondi sur la CBA et le contexte historique de sa genèse est la thèse de F. Noirfalise, Family Feuds and the (Re)writing of Universal History : The Chronique dite de Baudouin dAvesnes (1278-1284), thèse de doctorat, University of Liverpool, 2009. Parmi les études sintéressant à la CBA, celles qui abordent les parties dhistoire ancienne sont moins nombreuses que celles qui portent sur lhistoire contemporaine à la rédaction du texte. Parmi les premières, il faut citer notamment Jung, La légende de Troie en France au Moyen Âge, op. cit., p. 431-435. Des observations à propos des segments sur Alexandre le Grand, que nous ne traiterons pas ici, mais qui comportent quelques anecdotes sur le passage dHercule et de Liber Pater en Orient, se trouvent dans létude dA. Salamon, « Le Traictié des Neuf Preux de Sébastien Mamerot : gérer lautorité dans une compilation au second degré », Memini. Travaux et documents, 21, 2017, en ligne : http://memini.revues.org/881 (dernière consultation : 24/09/2022).

76 Cf. la liste de témoins donnée par Anne Rochebouet dans da thèse, « Dune pel toute entiere sans nulle cousture »La cinquième mise en prose du Roman de Troie. Édition critique et commentaire, thèse de doctorat, Paris, Université Paris-Sorbonne, 2009, p. 207-216, actualisée dans son étude sous presse sur « Le récit de la chute de Troie dans la Chronique dite de Baudouin dAvesnes », à paraître dans un volume de Mélanges pour Gilles Roussineau, chez Classiques Garnier. Nous remercions vivement Anne Rochebouet de nous avoir envoyé une première version de cette étude. Rochebouet inclut dans sa thèse une liste à part des témoins de la CBA qui comportent la section troyenne et qui sont au nombre de trente (liste reprise dans son article à paraître). Suivant les descriptions proposées par Rocheboet dans ce dernier article, tous ces témoins, à lexception dun fragment (Cambridge, University Library, Add. 2709 (1), qui donne un extrait de lhistoire troyenne) comportent les parties de la chronique consacrées à lhistoire ancienne. Un autre, appartenant à la collection particulière de van der Cruisse de Waziers au château le Sart, a été détruit en 1915.

77 Voir, à ce propos, Noirfalise, Family Feuds and the (Re)writing of Universal History, op. cit., p. 118-119, et passim. Comme le souligne Noirfalise, la première divergence identifiée entre les deux rédactions (A et B) concerne un chapitre sur la biographie de Richilde de Hainaut, ayant vécu au xie siècle. Or cette portion du texte nest présente que dans deux témoins qui comportent également les parties dhistoire ancienne : ce sont le manuscrit de Cambrai, BM, 683 et les deux volumes de Bruxelles, Bibl. royale, II 988, qui sont également les deux témoins les plus anciens de la « rédaction A » de lœuvre.

78 Cela concerne notamment une série de chroniques désignées comme Trésor des histoires, dont les témoins se chevauchent dans la littérature critique avec ceux de la CBA (cf. Noirfalise, Family Feuds and the (Re)writing of Universal History, op. cit., p. 18, note 3, ainsi que p. 49-52 (parlant des « hybrid versions » de la chronique). Nous avons abordé la question de la délimitation entre la CBA et les « Trésors des histoires » dans un article récent, L. Endress, « Trésor de sapience, Trésor des histoires ? Quelques observations sur la tradition manuscrite de la Chronique dite de Baudouin dAvesnes », Les chroniques et lhistoire universelle, France et Italie (xiiie-xive siècles), éd. F. Maillet, F. Montorsi, M. Albertini et S. Ferrilli, Paris, Classiques Garnier, 2021, p. 85-110.

79 Nous reprenons ici des éléments de notre article récent (ibid.).

80 Nous avons inclus une liste de ces témoins à la p. 225-226 infra, avec lindication des feuillets où se trouve la vie dHercule.

81 Les extraits du texte cités dans la suite se baseront principalement sur ce manuscrit, que nous avons revu et corrigé systématiquement à laide dune série de huit autres témoins. Font partie des manuscrits de contrôle : quatre témoins précoces, du xiiie ou xive siècle : Arras, Médiathèque municipale, 863 (1043) (= A1), Bruxelles, Bibl. royale, II 988 (= B6), Paris, Arsenal 3710 (= Ars) ; trois témoins du xve siècle : Paris, Arsenal 5077 (= Ars3), Baltimore, Walters Art Gallery (= Ba) et Paris, BnF, 1367 (= P4) ; et un témoin de létat textuel que nous avons défini comme version « avec ajouts », du xve siècle : Gand, Universiteitsbibliotheek, 415 (= Ge). Notons cependant que nous avons consulté les passages correspondants dans tous les manuscrits listés aux p. 225-226 infra. Cest ainsi que nous citons ponctuellement des variantes présentes dans ces autres manuscrits.

82 Comme nous lavons vu supra, p. 190-192.

83 Cf. supra, p. 147, 149, 165, à propos des jeux olympiques dans des chroniques latines.

84 Ms. P, f. 120va ; L5, f. 76ra ; Ca, f. 23ra.

85 La même forme ou une forme apparentée se trouve dans la vaste majorité des témoins (cf. la liste de manuscrits et sigles donnée infra, p. 225-226) : Armee A1Ars1Ars2B2B4B6BeChGeL1Lh1Nh2P2P4P13Val1A(r ?)mee Bes ArmeesArs3. La phrase Chil Herculés [] Armee estabsente dans Ba. Seul L2 donne, avec Alcumena, une variante qui puise manifestement dans un savoir externe à la tradition manuscrite de la CBA.

86 Aux ff. 34va-35rb dans le ms. Ca.

87 Ms. Ca, f. 24vb (première mention) et 25ra (deuxième mention).

88 Ibid.,f. 25ra.

89 Ibid., f. 25rb.

90 Ibid., f. 25ra.

91 Ms. P, f. 123rab ; L5, f. 76vb-77ra ; Ca, f. 23va.

92 Voir nos remarques à propos de la chronique dEusèbe-Jérôme (supra, p. 147-148). À propos du décompte des années entre deux Olympiades et la montagne Olympus, voir notre discussion dans la première partie (supra, p. 117-119).

93 Selon les témoignages que nous avons pu consulter, la victoire dHercule sur Cacus ne semble sintroduire dans les chroniques universelles latines médiévales quau début du xiiie siècle avec le Chronicon dHélinand de Froidmont, dont la rédaction date des années 1210. Cette chronique comporte un épais chapitre traitant De morte Herculis (cf. Ms. Vatican, BAV, Reg. lat. 535, p. 350-352, dont nous ne pourrons pas parler dans le détail ici, mais qui mériterait une étude à part), intégrant de nombreux éléments repris au traité du Mythographe III du Vatican, dont des éléments parlant de la victoire dHercule sur Cacus, le brigand qui terrorisait les habitants du Latium avant la fondation de Rome. Une partie très mince des éléments retenus par Hélinand, dont lanecdote à propos de Cacus, a été ensuite reprise par Vincent de Beauvais dans son Speculum historiale dans les années 1260 (dans un passage dont nous avons parlé supra, p. 204-205, en rapport avec lHAC2), qui na cependant pas été utilisé par lauteur de la CBA. Dautre part, la version de lépisode daprès lHistoire romaine de Tite-Live trouvera son chemin vers lhistoriographie médiévale à partir du xive siècle, à travers ladaptation française de lœuvre par Pierre Bersuire, remaniée à son tour au xve siècle par Jean Mansel dans ses Histoires rommaines (conservées par lunique manuscrit Paris, Arsenal 5087-5088, où le segment en question se trouve aux f. 20rb-21rb), ainsi que dans la version longue (ou « deuxième rédaction ») de sa Fleur des histoires. À propos de ces différentes adaptations de lœuvre de Tite-Live, on consultera la page qui leur est consacrée sur le site du Miroir des Classiques, dir. Frédéric Duval, Paris, École nationale des chartes, 2007-, en ligne : http://elec.enc-sorbonne.fr/miroir_des_classiques/index.html (dernière consultation : 10/06/2023).

94 Ms. P, f. 124vb ; L5, f. 78ra ; Ca, f. 25ra-b.

95 Il nest pas très surprenant que lŒta ait été réinterprété dans une deuxième étape en Etna. Tel est le cas, entre autres, dans les quatre manuscrits de la version étendue de la CBA, où il est question dun feu de souffre quest en la montaingne Ethnna (ms. Ge, f. 61v) (cf. aussi p. 235 et 237 infra à propos de chroniques qui reprennent linformation).

96 Cf. supra, p. 146 (Hercules [] morte finitus est anno aetatis .lii.).

97 La chronique de Fréculfe est citée daprès Frechulfi Lexoviensis episcopi opera omnia, éd. Allen, op. cit. ; avec notre traduction.

98 Voir aussi, à propos de la version vulgate et la version avec ajouts de la CBA, Endress, « Trésor de sapience, Trésor des histoires ? », art. cité. Les pages qui suivent ici sappuient sur la même argumentation qui se lit dans larticle, mais se concentrent spécifiquement sur les épisodes herculéens.

99 Cf. supra, p. 145-147 et 151-152 au sujet des anecdotes dans lhistoriographie latine. On notera que diverses chroniques latines, à commencer par celle dEusèbe-Jérôme, mentionnent la victoire dHercule sur Antée à plusieurs reprises, comme on lobserve aussi dans la CBA avec ajouts. Nous reviendrons infra, p. 232-233, sur le dédoublement de lépisode dans ces chroniques vernaculaires.

100 Lœuvre est dédiée au roi Philippe VI de Valois, doù le titre conventionnel, introduit par C. Couderc, « Le manuel dhistoire de Philippe VI de Valois », Études dhistoire du Moyen Âge dédiées à Gabriel Monod, Paris, Cerf et Alcan, 1896, p. 415-444. Voir aussi H. Omont, « Anonyme, auteur dune “Chronique universelle” en français », Histoire littéraire de la France, t. 36, 1927, p. 631-633.

101 Nous avons choisi ce témoin sur la base des critères combinés de sa date précoce (du xive siècle), de son accessibilité et du bon état du texte quil transmet. Les variantes indiquées proviennent des manuscrits de Paris, BnF, fr. 4940 (= P4940, également du xive siècle), fr. 4939 (= P4939, xve siècle, dans lequel les anecdotes à propos dHercule ne sont cependant pas toutes présentes), fr. 19477 (= P19477, xive siècle), fr. 693 (= P693), fr. 1406 (P1406), et Vatican, BAV, Reg. lat. 688 (= V688). Voir aussi notre étude « Trésor de Sapience, Trésor des Histoires ? », art. cité, p. 100-104.

102 Daprès Ge, f. 1r. La même rubrique se retrouve en tête des manuscrits Bes et Val1 (au f. 1r).

103 Comme cest déjà le cas dans certaines chroniques latines, dont celle dEusèbe-Jérôme, mais aussi lHistoria scholastica de Pierre le Mangeur. Cf.supra p. 145-147 et 151-152.

104 Les rapprochements entre Thésée et Hercule nous occuperont davantage dans la troisième partie de ce travail, sur lOvide moralisé (cf.infra p. 315-330).

105 Déipyle, ou Déiphile, est en même temps le nom de la femme de Tydée. Nos connaissances actuelles ne nous permettent cependant pas dexpliquer pourquoi un personnage associé à la guerre de Thèbes a ici remplacé Omphale, si ce nest que Deiphile ressemble quelque peu à un croisement entre les noms dOmphale et de Déjanire. Une attestation de la forme hybride Deyfille se trouve, par ailleurs, déjà dans un manuscrit du Manuel, Vatican, BAV, Reg. lat. 688, ce qui nous donne une piste pour repérer le(s) point(s) de rencontre entre la CBA et cet abrégé dhistoire.

106 Endress, « Trésor de sapience, Trésor des histoires ? », art. cité.

107 Un bon exemple dune telle compilation, que nous naborderons pourtant pas ici, est contenu dans le manuscrit Londres, BL, Cotton Augustus V, décrit par J. A. Ross, « Some Geographical and Topographical Miniatures in a Fragmentary Trésor des histoires », Scriptorium, 23:1, 1969, p. 177-186.

108 Cité daprès le manuscrit Arras, BM, 995, f. 20r. Le manuscrit Paris, BnF, fr. 17818 donne ce même incipit au f. 19r, en tête dun segment qui précède, dans le témoin en question, le « prologue » désigné en tant que tel.

109 Cf. Paris, BnF, fr. 15455, f. 1r. Comparer avec lincipit de la CBA suivant le manuscrit de Cambrai, BM, 683 : Ki le tresor de sapienche veut metre en laumaire de sa memoire et lenseignement des sages es tables de son cuer escrire, sor toutes choses il doit fuir le fardiel de confusion, car elle engenre ignorance et est mere doubliance (f. 1ra).

110 Cf. supra, p. 155.

111 Nous avons repris certains éléments de la description générale de ce témoin (au premier paragraphe, ne concernant pas Hercule) à la liste de manuscrits de la CBA dans la thèse dA. Rochebouet, « Dune pel toute entiere sans nulle cousture », op. cit., p. 212.

112 Voici, pour rappel, le texte de la CBA : Adont estoit Herculés en la flour de sa jouvente. Chil Herculés fu fius la dame Armee. Saichié que plus fors ne plus hardis ne fu puis le deluve (Ca, f. 23ra).

113 Ms. fr. 17181, f. 39r.

114 Citons le Manuel (daprès le ms. Paris, BnF, fr. 4940, f. 8v) : Herculés commença les tournoiemens que on appelle les giex des Olimpias pour ce que on les faisoit au pié de celle montaigne.[] Adonc on comptoit les ans des giex dOlimpias ainsi comme nous comptons orendroit de lIncarnacion. En ce temps Herculés vainqui les centa[u]res[var. sagitairesMetz, BM, 137],qui estoient, selon les poetes, la moitié homme et lautre moitié cheval. En effet, la CBA tout comme le Manuel évoquent linstitution des jeux par Hercule, mais la version de lanecdote reprise dans fr. 17181 se rapproche de celle du Manuel plutôt que de celle de la CBA. Contrairement au Manuel (et fr. 17181), la CBA ne mentionne ni la localisation de lévénement ni le décompte des années, mais évoque, en revanche, que tuit li chevalier de Gresce venoient de .v. ans a autre pour aus esprouver et pour conquerre los et pris (Ms. Ca, 23va).

115 Voir lHAC1b, daprès le ms. Londres, BL, Add. 19669 (L5) : Et saichiez que il i fist maintes autres proesces, car il ne doutoit riens, ne serpant ne autre beste, tant fust crueuse.

116 Ms. fr. 17181, f. 41v.

117 Rappelons les variantes citées supra (p. 223) : oetha Ca oeacha A1 oratha B6 oeatha P4ChP2P13 ocatha Ars3Lh1 ethna BeBes ethnna Ge ethnam Val1.

118 Certains éléments de la description générale de ce témoin ont été repris à la liste de manuscrits de la CBA dans la thèse dAnne Rochebouet, « Dune pel toute entiere sans nulle cousture », op. cit., p. 207-208.

119 On a ainsi limpression que le compilateur du manuscrit dArras (ou lauteur de la compilation quil copiait) connaissait dautres chroniques qui comportaient des ajouts au même endroit, antéposés au noyau de la vie dHercule ; mais plutôt que de les suivre, il a décidé daménager la matière à sa propre façon.

120 Ms. Arras, BM, 995, f. 66r. On rappellera que la CBA ne comporte ni la mention de Laudaci (devenu ici Landar), ni celle de Samson. De même, le texte du manuscrit dArras donne, avec Armene, une forme du nom dAlcmène qui ne se trouve pas dans les manuscrits de la CBA que nous avons regardés, mais bien dans ceux de lHAC1b. Cf.supra, p. 190-191.

121 Ms. Arras, BM, 995, f. 62v. Le texte est proche de celui du ms. fr. 17181, mais le segment dans lequel sinsère lextrait est antéposé au noyau de la vie dHercule dans le manuscrit dArras.

122 Ms. Arras, BM, 995, f. 69r.

123 Ms. Paris, BnF, fr. 15455, f. 1r.

124 Cf. Jung, La légende de Troie en France au Moyen Âge, op. cit., p. 555-559 ; Barbieri, « Trois fragments[] », art. cité, p 345, et passim.

125 Il sagit à nouveau demprunts au Manuel. Le premier ajout concerne Cerbère. À part la contextualisation initiale, il est quasiment identique à lanecdote citée supra daprès le Manuel et Ge-Be-Bes-Val1 : Seigneurs, ou temps que cellui Barath gouvernoit les Ebrieux, fut Cerberus, ung grant jayant qui devoura Paritoine[= Pirithoüs], qui estoit venus pour ravir Proserpine avecques Teseüs ; et aussi eüst il devouré Theseüs, maiz Herculés y survint qui le delivra. Et pource quil estoit si maulx, les poetes dient que Cerberus est portier denfer. (fr. 15455, f. 94va). Le second concerne les trois maîtres de musique, Orphée, Museüs et Linus, dont le dernier aurait été le maître dHercule : Museüs fut son disciple[= dOrpheé]et Lynus auxi, qui fut maistre Herculés ; et estoient ses trois maistres appelez poetes divins. (fr. 15455, f. 95vb). Le passage provient également du Manuel (cf. Paris, BnF, fr. 4940, f. 8r : Museüs fu son desciple. Lynus fu maistre de Herculés et estoient ces .iii. maistres appellez poetes divins).

126 Ms. Paris, BnF, fr. 15455, f. 97vb-98ra ; ms. Paris, Arsenal 3685, f. 178r. Nous renvoyons à notre discussion supra à propos des rédactions HAC1a, HAC1b et HAC2. Pour résumer rapidement les éléments soulignés : lHAC3 comporte ici et ailleurs dans la vie dHercule, comme lHAC1a, des appels aux « seigneurs » (absents dans HAC1b, HAC2 et CBA). Le texte du manuscrit fr. 15455 parle, comme tous les témoins considérés de lHAC1a, dAlmene, et non dArmene, comme dans lHAC1b et lHAC2 ou Armee (comme dans la CBA). Le segment témoigne enfin dune série déléments ayant été coupés de lHAC1b, absents de lHAC2 et, encore davantage du texte abrégé de la CBA.

127 La présence de ces moralisations dans lHAC3 a déjà été constatée par Richard Trachsler dans son article « Lhistoire au fil des siècles », art. cité, p. 90 sqq. ; une partie de linsertion moralisatrice est transcrite aux p. 91-93 de son article.

128 Ms. Paris, BnF, fr. 15455, f. 99vab ; ms. Paris, Arsenal 3685, f. 181v.

129 Voir encore notre étude « Trésor de sapience, Trésor des histoires ? », art. cité, p. 107-108.

130 On peut naturellement aussi imaginer des témoins glosés du Manuel, indiquant différentes solutions possibles. La question mériterait une étude plus approfondie sur lensemble de la tradition de lœuvre.

131 Ces ajouts sont dautant plus visibles quand ils apparaissent dans une chronique qui abrège ailleurs les segments narratifs.

132 De manière générale, cest lors des moments de transition entre les segments thématiques que la matière peut bouger, et cela déjà dans les chroniques plus anciennes. Il suffit de penser au principe des incidentia qui saccumulent à la fin des chapitres déjà chez Pierre le Mangeur.

133 Aux textes considérés ici, on peut ajouter, entre autres, la première version de la Fleur des histoires de Jean Mansel, composée entre 1446 et 1451. La vie dHercule que lon trouve dans le premier livre de cette chronique, que nous ne pourrons pas traiter ici, se construit également autour des épisodes racontant lexpédition des Grecs contre les Amazones et la première destruction de Troie, augmentée par lajout danecdotes provenant du Manuel. Il suffit de citer lanecdote à propos dHercule « filandier » et de la mort du héros afin de comprendre que lon se trouve dans la même tradition générale : Herculés, qui tant fu vaillant en armes et qui fu nommé victorieux pour ce quil fist moult de prouesses et eult moult de victores en sa vie, il surmonta maints roix et mains princes et vainqui maintes batailles. Et toutesvoies, une femme que len nommoit Omphale le surmonta, car elle le fist filer et faire œuvre de femme. En fin, Herculés eult une maladie et pour cuidier trouver le remede dicelle, il se gecta en ung feu et y fu ars (Paris, BnF, fr. 55, f. 160rb-vb).

134 Le livre de la mutacion de fortune par Christine de Pisan, publié daprès les manuscrits parS. Solente, vol. 3, Paris, Picard, 1964. Les éléments à propos dHercule se trouvent dans la quatrième partie, aux chapitres 2 (parlant de lexpédition contre les Amazones), 3 (sur la vie et la mort dHercule, voir v. 13885-14058) et 6-7 (sur les voyages des Argonautes et la première destruction de Troie).

135 À propos dHercule dans cette œuvre, voir larticle de L. Dulac, « Le chevalier Hercule de lOvide moralisé au Livre de la mutacion de fortune de Christine de Pizan », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 9, 2002 (Lectures et usages dOvide), p. 115-130.