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Classiques Garnier

Les amours d’Hercule vaincu Un dialogue avec les Héroïdes ?

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Les amours dHercule vaincu

Un dialogue avec les Héroïdes ?

Le portrait de lHercule-vainqueur que nous avons commenté supra est suivi immédiatement dun segment qui introduit limage contraire dun Hercule vaincu. LOM nous a transmis un passage de presque cent vers qui détaille les aventures amoureuses du héros avec Iole, y compris, notamment, son assujettissement à cette dernière. Après avoir retenu quHercule fist maint biau fet de noblece (OM IX, 498), le traducteur coupe court à son discours élogieux et nous apprend quAmours, qui les fors assault, / Li fist un merveilleuz assault (509-510). Le segment qui suit relate comment Hercule, le héros invaincu, a trové mestre et comment il a été si bestornez par Amours quil a oublié tous ses devoirs héroïques. Il se met à filer de la laine aux pieds de sa maîtresse1, qui le pousse à échanger ses vêtements avec elle. Iole A guise de fame latorne (561) alors quelle A guise dome saprestoit (569), revêtant la peau de lion quHercule est censé avoir portée. Dans le contexte de lépisode dHercule « filandier », on apprend la tentative grotesque de Faunus (.i. damedieu sauvage et sot / Qui piez de chievre et cornes ot, 577-578) de violer Iole : surprenant les deux amants pendant la nuit, prenant Hercule Vestuz de robe femeline (593) pour sa maîtresse, Faunus est violemment repoussé. Le texte parle ensuite de la jalousie de Déjanire qui, ayant entendu les rumeurs des amours de son mari pour une autre femme, sadonne à une lamentation sur les circonstances injustes de son mariage (OM IX, 620-645), avant de transmettre à Hercule la tunique empoisonnée de Nessus, provoquant ainsi la mort du héros.

Plusieurs aspects sautent aux yeux quand on considère ces passages à propos des amours dHercule, par rapport, dune part, au modèle ovidien des Métamorphoses,et, de lautre, par rapport aux mythes antiques en général. Dune part, la matière en question nest pas relatée dans le passage correspondant des Métamorphoses. Ovide, en effet, ne fait que rapidement allusion aux amours entre Hercule et Iole, au moment où il dit que 332Déjanire apprend de la part de la Renommée (Fama) que Amphitryonaden Ioles ardore teneri (« le fils dAmphitryon est pris de passion pour Iole », Mét. IX, 140). Dans la suite, il parle de la réaction de Déjanire à cette nouvelle. Par ailleurs, alors que les Métamorphoses offrent bien un discours de la femme dHercule au moment correspondant de la trame, la plainte de Déjanire dans lOM est, comme lavait observé Marc-René Jung, « assez différente » par rapport au modèle ovidien primaire2. Dautre part, lépisode dans le texte français témoigne dune confusion entre deux personnages : selon la tradition mythologique « orthodoxe », Iole a provoqué la jalousie de Déjanire, poussant celle-ci à transmettre la chemise envenimée de Nessus à son mari, mais cest à une autre femme mythologique, Omphale, quHercule se serait soumis et avec qui il aurait échangé ses vêtements3. Nous voulons dans la suite proposer quelques réflexions sur les éléments novateurs de ce segment, en cherchant dabord à éclairer les raisons de la confusion Iole-Omphale et, ensuite, celles de linsertion du passage en question à cet endroit précis du texte.

Comme lavait déjà suggéré Paule Demats, lauteur de lOM semble sêtre appuyé, pour ses ajouts sur les amours dHercule, sur lépître ix des Héroïdes (« Déjanire à Hercule ») et sur le livre II des Fastes, qui évoquent tous les deux des éléments de lhistoire de la soumission dHercule à Omphale, mais sans donner le nom de cette dernière4. Les Fastes, traitant des jours de fête du calendrier romain, consacrent un chapitre aux Lupercales, fêtes en lhonneur de Faunus, encadrant le récit de la rencontre entre le dieu sylvestre et Hercule déguisé en femme. Lépisode sert chez Ovide à expliquer, à travers lanecdote sur Faunus dupé, pourquoi ce dernier préfère se tenir nu, en exigeant que ceux qui le célèbrent ne portent pas dhabits non plus. Cest à ce texte que lauteur de lOM a vraisemblablement repris une partie des éléments de description à propos de léchange de vêtements entre Hercule et son amante, selon les extraits suivants5 :

333

Ovide, Fastes

OM

Cultibus Alciden instruit illa suis.

Dat tenuis tunicas Gaetulo murice tinctas,

« [E]lle revêt Alcide de ses propres atours. Elle lui passe ses fines tuniques teintes de pourpre de Gétulie [] »

(II, 318-319)

Puis lui revest la soie robe. 560

A guise de fame latorne :

Moult le pare bien et aorne

De pelices et de mantel,

[]

(IX, 560-563)

Ipsa capit clauamque grauem spoliumque leonis

Conditaque in pharetra tela minora sua.

« Elle-même prend la lourde massue et la dépouille du lion et les armes plus petites enfermées dans leur carquois. »

(II, 325-328)

La pel dun fort lyon vestoit

QuErculés seult avoir vestue ;

Si portoit larc et la maçue

Et le tarquais de fleches plain.

(IX, 570-573)

À part la transposition du code vestimentaire antique vers celui du Moyen Âge (les exquises et exotiques tunicas Gaetulo murice tinctas deviennent un ornement de pelices et de mantel, adapté aux hivers médiévaux rigoureux), les extraits témoignent dune particularité dOvide que nous avons déjà commentée à plusieurs reprises. Le poète latin ne fournit jamais le nom de lamante dHercule. Dans les extraits cités, elle nest présente que sous forme pronominale ; ailleurs, elle est désignée comme « la Méonienne » (Fastes II, 310, 352). Ce phénomène caractérise également la deuxième source secondaire mentionnée à propos des amours dHercule. En effet, le texte de lHéroïde IX, prêtant la parole à Déjanire qui se plaint de labsence perpétuelle de son mari et de ses amours extraconjugales, semble particulièrement parlant parce quil contient a priori des allusions aux deux femmes faisant lobjet de la confusion, Iole et Omphale, alors que seule Iole est appelée par son nom. Nous consacrerons dans la suite un développement plus détaillé à ce texte ainsi quà ses rapports avec le « passage-source primaire » dans le livre IX des Métamorphoses.

Quelques extraits de lHéroïde IX nous permettent de relever les parallèles qui ont pu donner lieu à lamalgame des deux personnages. Entre les quatre passages cités ci-dessous, les deux premiers font référence à lamour dHercule pour Iole et les suivants à sa soumission à Omphale. Nous mettons en gras les éléments qui nous intéressent6.

334

Quem numquam Iuno seriesque immensa laborum

Fregerit, huic Iolen imposuisse iugum . (Hér. IX, 5-6)

« Celui que Junon, celui quune immense série de travaux nont jamais fléchi, Iole lui aurait imposé le joug. »

Plus tibi quam Iuno nocuit Venus ; illa premendo

Sustulit, haec humili sub pede colla tenet. (Hér. IX, 11-12)

« Plus ta nui Vénus que Junon. Lune, en taccablant, ta élevé ; lautre tient ton cou sous son faible pied. »

Inter Ioniacas calathum tenuisse puellas

Diceris et dominae pertimuisse minas .

Non fugis, Alcide, uictricem mille laborum

Rasilibus calathis supposuisse manum

Crassaque robusto deducis pollice fila

Aequaque formosae pensa rependis erae ! (Hér. IX, 73-78)

« On dit que, parmi les jeunes filles de lIonie, tu as tenu la corbeille et tremblé aux menaces dune maîtresse. Tu ne refuses pas, Alcide, de poser sur de légères corbeilles ta main victorieuse en mille travaux ? Ton pouce robuste détire des fils grossiers et tu rends à ta belle amante un poids égal à celui quelle tavait confié7. »

Haec tu Sidonio potes insignitus amictu

Dicere ? non cultu lingua retenta silet ?

Se quoque nympha tuis ornauit Iardanis armis

Et tulit e capto nota tropaea uiro. (Hér. IX, 101-104)

« Décoré dun manteau sidonien, peux-tu raconter cela ? Est-ce que ta langue ne se tait pas, bridée par ton accoutrement ? La nymphe fille de Jardanus sest, elle aussi, ornée de tes armes, et ce trophée célèbre, elle la remporté sur le héros asservi. »

On observe quOvide fait appel dans tous les extraits cités à limage du héros soumis : Iole (nommée explicitement) aurait « imposé son joug » à Hercule, la déesse de lamour « tient sa tête humiliée sous ses pieds », Hercule « craint les menaces dune maîtresse » en tissant parmi les filles dIonieet devient « prisonnier » de la fille de Jardanus qui sempare de 335ses armes8. La persistance de limage du « vainqueur vaincu » dans ces extraits, la présence du nom de Iole combinée au fait quOmphale est désignée exclusivement par des périphrases (dominae et nympha Iardanis dans les exemples cités) a pu induire les lecteurs dOvide, en particulier ceux qui le lisaient à une époque où les référents en question nappartenaient plus à un savoir mythologique acquis, à confondre ou à mêler volontairement les deux épisodes et ainsi à substituer Iole à Omphale. Ainsi, dans lOM, Hercule séprend dŸolé sa prisonniere (IX, 523) ; il fremist et tramble tous / Quant el lesgarde par corrous (541-542) ; et lon apprend que Bien set Herculés mestroier / La bele, et bien le tient sous piez (548-549), car Bien set faire Amours ses aviaux / Et bien trestorne ses sougiez (531-532).

En effet, la confusion entre les deux amantes dHercule sest largement répandue dans les textes de lépoque médiévale9. On la rencontre déjà dans les commentaires médiévaux dOvide, intéressants justement par le fait quils reflètent une strate dinformation intermédiaire qui a pu influencer, ici encore, lauteur de lOM. En loccurrence, cest en considérant les paratextes à propos de lHéroïde IX ainsi que les gloses en rapport avec le passage « correspondant » au livre IX des Métamorphoses qui a encadré linsertion sur Hercule « filandier » dans lOM que lon peut chercher à mieux comprendre linterpolation dans son ensemble.

Sans surprise, les Héroïdes ont à leur tour été lues, étudiées, glosées et commentées au cours des xiiie et xive siècles10. Un regard sur quelques gloses à lHéroïde IX permet dans un premier temps de montrer que, en effet, les commentateurs ont cru voir dans les deux « maîtresses » dHercule mentionnées dans les passages cités supra le personnage dIole. Citons en guise dexemple les gloses anonymes aux Héroïdes transmises par le manuscrit latin 7995 de la Bibliothèque nationale de France (xive siècle), qui donne le nom dIole en glose à chacun des passages cités ci-dessus11 :

336

– à propos de sub pede colla tenet (Hér. IX, 12) : in hoc quod submisit te sub amore Yoles, quia inde diminuta est fama tua et mutata in infamiam per Yolem. (f. 23r, marge inférieure)

– à propos de Inter Ioniacas (Hér. IX, 73) : Yonia quedam terra de qua erant ille que tenebant calatos in quibus erant pensa et lana et huius apud Yolem cum quibus erat Hercules in habitu femineo. (f. 24r, marge droite)

– en glose interlinéaire sur nimpha (Hér. IX, 103) : Yole. ; et en marge, sur Se quoque (également Hér. IX, 103) : et similiter sicut induisti vestes suas sic illa induit vestes tuas et tua arma et tulit trophea spolia de te victo te capto. (f. 24v)

En dautres termes, lidée quHercule sest soumis et a échangé ses habits avec Iole plutôt quavec Omphale avait déjà été explicitée dans des paratextes que le translateur a pu avoir sous les yeux quand il composait son poème12. Il semble même que cette version réinterprétée du mythe soit devenue la norme dans le contexte de la tradition ovidienne : cétait la version prédominante qui circulait dans les manuscrits, alors que lautre, la version « traditionnelle », était marginale13.

Le même commentaire contenu dans le manuscrit latin 7995 nous livre des éléments de réponse à la question de savoir pourquoi, de manière plus générale, lauteur médiéval de lOM a été amené à insérer à cet endroit précis de sa composition sa parenthèse à propos de lépisode dHercule « filandier », mêlant la matière du livre IX des Métamorphoses avec celle de lHéroïde IX. Dans une longue note placée en tête de lHéroïde IX, le commentateur du manuscrit latin 7995 « complète » de manière semblable la matière de son épître14 :

Dejanira Herculi. Dejanira fuit filia Oenei, regis Calidonie. Que cum vellet desponsari, multi proci ad eam convenerunt ut eam peterent in uxorem, inter quos fuit Hercules et Achelous rex. Autem Oeneus eam fortiori concessit ut eam duceret in uxorem. Achilous autem noluit cedere Herculi, sed propter Dejaniram luctatus est cum Hercule, et devictus est Achelous, et Dejaniram habuit Hercules in uxorem. 337 Postea vero, cum Achilles [ = Achelous ]  reprimaret [ sic ] , venit ad Ebanum fluvium qui pluviarum et rivorum resolutiore multum augmentabatur. Cum autem Hercules sollicitaretur quomodo uxorem suam posset trans fluvium mittere, venit ad ipsum Nessus, quidam gigas, qui promissit Herculi quod eam transfretaret et eam transtulit. Qui Nessus voluit ei vim inferre. Illa autem exclamavit. Quod audivit Hercules et decepto arcu cum sagitta venenata Nessum percussit et interfecit. Qui cum moreretur Dejanire dedit camisiam intoxicatam veneno, dicens quod quotienscumque maritus suis ipsam offenderet per camisiam illam cum eo posset reconciliari. Post vero multum temporis contigit quod in Oethaliam, scilicet quandam partem Phrigie, ivit Hercules ut ubi Erithoum regem invenit qui filiam suam Yolem Herculi promiserat. Quam postea consilio Glauci, filii sui, negavit. Eidem timebat enim ne ipsam relinqueret sicut iam Dejaniram relinquerat. Unde Hercules ira commotus est et totam Oethaliam destruxit et Euritheum regem et Glaucum filium suum et alios omnes interfecit preter Yolem quam rapuit. Sed Yole noluit ei nubere nisi Hercules indueret vestem muliebrem ; quod ideo facere sustinuit. Quod cum audiret Dejanira, filia regis Oenei, soror Meleagri et Tydei, camisiam intoxicatam ei misit. [ ]

« Déjanire à Hercule. Déjanire fut la fille dŒnée, roi de Calydon. Comme celui-ci voulait la fiancer, de nombreux prétendants se rassemblèrent auprès delle afin de la demander en mariage, entre lesquels furent Hercule et le roi Achéloüs. Œnée pour sa part la concéda au plus fort dentre eux pour quil la prenne pour femme. Quant à Achéloüs, il ne voulut pas céder à Hercule, mais il se battit contre lui pour Déjanire, et Achéloüs fut vaincu, et Hercule reçut Déjanire pour femme. Plus tard, quand Achéloüs se fut calmé, Hercule vint au fleuve Événos, qui sétait gonflé démesurément par les pluies et ruisseaux. Alors quHercule se demandait comment faire traverser la rivière à sa femme, Nessus, un certain géant, vint à lui, qui promit à Hercule quil la ferait traverser, et il la fit traverser. Là Nessus voulut la violer, mais elle se mit à crier. Hercule lentendit, et ayant saisi son arc, transperça Nessus dune flèche empoisonnée, le tuant du même coup. Comme ce dernier mourait, il donna à Déjanire une chemise empoisonnée de venin, lui disant quà chaque fois que son mari en voudrait à elle, elle pourrait se réconcilier avec lui grâce à cette chemise. Après beaucoup de temps, il arriva quHercule alla en Œchalie, à savoir en une partie de la Phrygie, où il trouva le roi Eurytus qui lui promit sa fille Iole. Plus tard, suivant le conseil de son fils Glaucus, il la lui refusa, car il craignait quHercule la quitte comme il avait quitté Déjanire. Cest pourquoi Hercule, enragé, détruisit toute lŒchalie et tua le roi Eurytus, son fils Glaucus et tous les autres, sauf Iole, quil ravit. Mais Iole ne voulut pas lépouser sauf sil revêtit ses habits de femme ; ce quil daigna faire. Quand Déjanire, fille du roi Œnée, sœur de Méléagre et Tydée, entendit cela, elle lui transmit la chemise envenimée. [] »

Cette note comporte en effet un résumé de la « préhistoire », par laquelle Ovide commence le livre IX des Métamorphoses et qui nest pas développée dans le détail dans lHéroïde IX. Elle nous relate sous forme condensée la victoire dHercule sur Achéloüs afin de gagner la main de Déjanire, puis la mort de Nessus, qui, avant dexpirer, donne sa chemise 338empoisonnée à Déjanire. La suite aussi saligne visiblement sur le texte des Métamorphoses, avec la tournure circonstancielle Post vero multum temporis rappelant les mots dOvide Longa fuit medii mora temporis (Mét. IX, 134), avant de fournir des informations darrière-plan sur Iole. Dans ce même contexte, le commentaire précise que cette dernière a poussé Hercule à échanger ses habits contre les siens (voir les éléments en gras). Cela suggère que le commentateur médiéval connaissait bien les deux textes ovidiens, quil était conscient de leurs contenus parallèles et quil rapprochait volontairement lun de lautre, comme la fait à son tour le translateur français15.

On est naturellement curieux de savoir si les commentateurs des Métamorphoses ont fait des rapprochements comparables, renforçant à leur tour les rapports entre les deux œuvres ovidiennes. Le Commentaire Vulgate est révélateur à cet égard. De manière générale, ce dernier commentaire contient de nombreux renvois à dautres œuvres qui étaient lues à lépoque16, y compris aux Héroïdes. Or les rapports avec ces dernières sont particulièrement intéressants car, comme la souligné la classiciste Amanda Gerber, le commentateur souligne les différences structurelles entre les Métamorphoses et les Héroïdes et les éléments qui les relient, créant parfois limpression dune « intertextual continuity » entre les deux œuvres du poète latin17. Il nest pas surprenant, de ce fait, que ces liens soient particulièrement forts entre le livre IX de lépopée mythologique, mettant en scène la mort du héros par la tunique empoisonnée de Nessus, et le livre IX des épîtres, où Déjanire se lamente des amours extraconjugales de son mari, sapprêtant à lui envoyer le vêtement fatal, espérant ainsi gagner à nouveau son affection.

On peut considérer à cet égard quelques-unes des gloses que le Commentaire Vulgate fournit sur le passage des Métamorphoses, qui parle des événements menant à la mort du héros. Comme souvent, Ovide 339reste allusif lorsquil introduit le segment : Victor ab Oechalia Cenaeo sacra parabat / uota Ioui, cum Fama loquax praecessit ad aures, / Deianira, tuas[] (« Revenu vainqueur dŒchalie, il se préparait à accomplir des vœux à Jupiter de Cénéum ; mais la bavarde Renommée le précéda et parvint à tes oreilles Déjanire [] », Mét. IX, 136-13818). Il est donc tout dabord nécessaire que le commentateur rappelle les événements qui ont mené à cette situation, ce qui est fait de manière très visible dans le manuscrit Vat. lat. 1598, dans la marge supérieure du feuillet où commence le segment en question19 :

Hic notandum est quod Eurichus, rex Oetalie, Yolem filiam suam Herculi promissam primo denegavit, unde Hercules iratus primo civitatem eius subvertit et, eversa civitate, Euritum interfecit et Yolem adduxit. Quod Deianira Fama mediante accipiens vehementer perdoluit et vestem, scilicet camisiam, centauri cruore imbutam, quam Nessus in ulcionem sue mortis in eo cupidinis irritamen esse asserens ei tribuerat, Herculi amico suo per Licam famulum suum, ut amori suo reconciliaret delegavit. Qua induta, Hercules penitus expiravit et hoc est quod dicit victor etc.

« Ici il faut noter quEurytus, roi dŒchalie, refusa à Hercule sa fille Iole quil lui avait premièrement promise. Ainsi Hercule, enragé, rasa dabord sa cité et, quand il lavait détruite, tua Eurytus et emmena Iole. Apprenant cela par la Renommée, Déjanire souffrit grièvement, et elle fit envoyer lhabit, à savoir la chemise, induite du sang du centaure – que Nessus lui avait donnée pour venger sa mort, tout en lassurant quil y eut dedans un stimulant au désir – à son ami Hercule par Lichas, son serviteur, afin quHercule se réconcilie en son amour. Layant revêtu, Hercule expira son dernier souffle, et cest ainsi quOvide dit “vainqueur” etc. (Mét. IX, 136) »

De manière tout à fait semblable à un éditeur moderne qui rédige une note critique, le commentateur Vulgate fournit dabord des éléments permettant au lecteur de contextualiser le passage dOvide. Cette glose en elle-même ne comporte pas de renvoi aux Héroïdes, mais elle rappelle les événements qui sont pertinents dans les deux textes et qui motivent la réaction de Déjanire, sujet principal de lHéroïde IX, comme nous lavons déjà vu.

À laide de gloses plus courtes qui apparaissent dans les marges à côté des vers dOvide anticipant la mort dHercule dans les Métamorphoses, le 340commentateur insère ensuite, afin denrichir les données de son propre paratexte, des renvois à lHéroïde IX. LorsquOvide évoque Velud irritamen amoris (« comme un charme damour », Mét. IX, 133) à propos du vêtement fatal, le commentateur ajoute, dans la marge de gauche20 :

Quod asserit ipsa Deianira in libro Heroidum, dicens : « Nessus, ut est avidum percussus arundine pectus, / “Hic”, dixit, “vires sanguis amoris habet”. » (Hér. IX, 161-162)

« Déjanire confirme elle-même cela dans le livre des Héroïdes quand elle dit : “Nessus, lorsquune de tes flèches frappa son cœur avide, sécria : Ce sang a la vertu de ranimer lamour.” »

Il ajoute une deuxième note dans la marge de droite, qui sert en quelque sorte à « gloser » les paroles de Nessus21 :

dixit enim illi : da marito tuo hanc camisiam quando volet tibi superducere aliam, et camisia induta odiet illam et amabit te.

« car il [= Nessus] lui dit : donne à ton mari cette chemise quand il choisira une autre femme à ta place, et quand il aura revêtu la chemise, il haïra lautre et il taimera, toi. »

Finalement, le commentateur fait un renvoi à lHéroïde IX vers la fin du passage dans les Métamorphoses, au moment où Déjanire, après avoir délibéré, se décide à envoyer le vêtement à son mari. En glose au terme inbutam (« imprégnée »), qui apparaît dans ce passage pour décrire le vêtement imbibé de sang, le commentateur ajoute22 :

unde in libro Heroidum : « Illita Nesseo misi tibi texta veneno. » (Hér. IX, 163)

« doù dans le livre des Héroïdes : “Je tenvoyai le tissu enduit du poison de Nessus.” »

Cest en effet le dernier constat fait par Déjanire dans son épître, avant que, décidée à se suicider, elle ne fasse ses adieux à sa famille. Cest également la phrase qui scelle le sort tragique dHercule. Le vers de lHéroïde cité par le commentateur Vulgate fait ainsi écho au passage sur lequel porte la glose en question des Métamorphoses,qui prépare le lecteur à la fin inévitable du héros : praetulit inbutam Nesseo sanguine 341uestem / mittere (« elle préférait lui envoyer la tunique trempée dans le sang de Nessus »). La glose amène donc à une sorte de clôture double entre les deux passages.

De telles données fournissent matière à réflexion. On a limpression que le commentateur invite ses lecteurs – des élèves quil cherche à familiariser avec les classiques latins – à une lecture parallèle des deux textes dOvide. Le commentateur connaissait non seulement les Héroïdes, mais il les connaissait si bien quil était capable den citer des vers et de souligner des moments-clés de manière à faire ressortir la structure de lautre texte. On peut donc simaginer que les clercs qui consultaient son commentaire étaient eux aussi amenés à mettre en rapport, voire à analyser eux-mêmes (le terme semble bien approprié dans le contexte) la structure et les contenus de ce passage des Métamorphoses à côté de ceux de lHéroïde IX. Et cest en effet ce qui semble sêtre produit chez lauteur de lOM.

Voilà la raison pour laquelle le monologue final de Déjanire (sapprêtant à transmettre le vêtement envenimé à Hercule) est, selon Jung, « assez différent » de celui dOvide : cest parce quil sinspire des contenus de lHéroïde IX. Citons quelques extraits de ce discours dans lOM, à côté des vers de lHéroïde auxquels ils font écho23.

Hér. IX

OM

Siqua uoles apte nubere, nube pari.

(Hér. IX, 32)

Qui vaudra damours avoir joie

Prengne mari de son endroit.

(OM IX, 624-625)

Non honor est sed onus, species laesura ferentis ;

(Hér. IX, 31)

Nest pas honor, ains est damage

De soi joindre a si haut parage.

(OM IX, 635-636)

vir mihi semper abest, et coniuge notior hospes

(Hér. IX, 33)

Onc ne deigna estre a sejour

O moi la quarte part dun jour.

(OM IX, 633-634)

tam premitur magno coniuge nupta minor.

(Hér. IX, 30)

Com fame est fole et com mesprent

Qui a trop haute amour se prent !

(OM IX, 621-622)

342

Plutôt que de reprendre la série des délibérations exprimées par Déjanire pour faire face à sa rivale selon les Métamorphoses, lauteur de lOM développe lidée des conséquences négatives dun mariage inégal, sinspirant de lépitre de Déjanire à Hercule. Concrètement, lauteur médiéval sappuie sur un court passage de lHéroïde IX (aux vers 27-37), dont il reprend des éléments de vers dans un ordre non consécutif, afin dillustrer le propos général du mariage malheureux du point de vue de Déjanire. Le passage correspondant dans les Métamorphoses, en revanche, ne comporte aucune allusion au malheur provoqué par le « statut social » dHercule.

Le dialogue sous-jacent avec les Héroïdes nest quun des aspects qui mérite dêtre étudié pour comprendre les interpolations à propos des amours dHercule dans lOM. Avant de clôturer cette étude de cas, il peut être utile dévoquer quelques aspects complémentaires permettant de considérer cette matière en rapport avec lintertexte médiéval dans un sens plus large. Souvenons-nous des listes « augmentées » dexploits herculéens qui circulaient dans les manuscrits des Métamorphoses, mais aussi détachées du poème ovidien, par exemple dans des manuels mythographiques (doù ils sont passés, entre autres, vers lhistoriographie). De manière tout à fait semblable, la mention de léchange des vêtements entre Hercule et Iole se retrouve intégré dans dautres textes relevant de la mythographie ovidienne, sans être des paratextes aux Métamorphoses au sens strict. Dans la mesure où certains de ces textes sont antérieurs à lOM, lauteur français aurait également pu sen inspirer (accessoirement). Parmi les textes en rapport avec létude dOvide au Moyen Âge qui figurent dans lIncipitarium Ovidianum de Frank Coulson et Bruno Roy, on en relève certains dont le statut fluctue – il nous semble – entre celui du commentaire ou résumé dOvide et celui du traité de mythographie ou de généalogie des dieux antiques.

On se limitera ici à citer et à commenter deux exemples, qui serviront aussi à souligner les frontières poreuses entre commentaires et traités mythographiques. Dans un texte acéphale que Coulson et Roy retiennent en annexe (car difficilement classable) comme commentaire détaché des Métamorphoses, transmis par le manuscrit parisien latin 8320 (du xive siècle)24, on trouve le passage suivant25 :

343

Postea tempore longo Hercules cepit Etholiam, ubi regnabat Euritus, pater Yoles. Quam ipse Euritus promisit 26 Herculi, sed postea dare noluit. Hercules iterum destruxit Ethaliam, Yolem rapuit. Quam in tantum dilexit quod etiam amore eius vestes muliebres induit et nere didicit .

« Longtemps après, Hercule a pris lŒchalie, où régnait Eurytus, père dIole. Eurytus avait promis cette dernière à Hercule, mais après il ne voulut pas la lui donner. Hercule détruisit à son tour lŒchalie et ravit Iole. Il aima tant celle-ci que, pour lamour delle, il revêtit des vêtements de femme et il apprit à tisser. »

Lextrait se retrouve dans ce qui correspond dans les grandes lignes à un résumé des contenus du livre IX des Métamorphoses. Il complète pourtant la matière de ce livre par des ajouts – dont cette précision à propos de léchange de vêtements entre Hercule et Iole – comme le fait lOM.

Des phénomènes similaires se rencontrent dans dautres textes semblables, dont tous ne sont pas a priori des commentaires dOvide. Considérons par exemple le traité De natura deorum du Mythographe de Digby, généalogie des dieux antiques dont la macrostructure sappuie par endroits visiblement sur celle des Métamorphoses, cest pourquoi il est également retenu dans lIncipitarium Ovidianum27. Ce traité comporte, entre autres, une série de chapitres qui reproduit la structure des récits mythologiques du livre IX des Métamorphoses, avec De Acheloo et Hercule, De Nesso et Deianira, puis De Hercule28. Or dans le chapitre De Nesso et Deianira – cadre narratif qui accueillera linterpolation sur Hercule « filandier » dans lOM, on lit la précision suivante29 :

Tandem Eurytus rex Oechalis Herculi filiam suam Iolem promisit. Sed cum promissam nollet reddere, Hercules eo impugnato Iolem rapuit ; raptam abduxit. Quam cum adduceret, adeo amavit quod eam Herculea veste, se vere vestibus Ioles induit . 4. Quo audito Deianira vestem a Nesso sibi datam Herculi misit per Licham. Qua indutus statim veneno exarsit .

« Finalement, Eurytus, roi dŒchalie, promit à Hercule sa fille Iole. Mais comme il [= le roi] ne voulut pas lui rendre celle quil lui avait promise, Hercule, après avoir combattu contre lui, ravit Iole, et lemmena avec lui. Comme il lemmenait, il se prit tant damour pour elle quil la revêtit de ses vêtements, et lui-même revêtit ceux dIole. Ayant entendu ceci, Déjanire fit transmettre à Hercule par Lichas le vêtement qui lui avait été donné par Nessus. Ayant revêtu ce dernier, il fut immédiatement brûlé par le poison. »

344

Cet extrait témoigne non seulement dun ajout analogue, mais livre un indice supplémentaire pour comprendre lintérêt dinsérer lépisode dHercule « filandier » dans le cadre donné. Hercule échange ses vêtements avec Iole, manifestant son amour pour elle ; en contrepartie, Déjanire lui envoie le vêtement de Nessus, espérant ainsi récupérer son affection, mais provoquant en réalité la mort de son mari. Les parallèles entre les deux épisodes sont soulignés par la répétition des termes vestis et induere. Il sagit là dun parallèle qui ne fonctionne que sur la base de la version « revisitée » du mythe qui élimine le personnage dOmphale au profit dIole, créant ainsi un nouvel équilibre entre les épisodes en jeu. Dans cette constellation, le premier échange de vêtements (avec Iole) prépare le second (avec Déjanire), qui mène à la mort du héros. Linsertion qui nous intéresse devient nécessaire afin de saisir la nouvelle structuration narrative. Cela justifie peut-être aussi pourquoi plusieurs écrivains postérieurs ont incorporé une mention de lépisode dans des œuvres qui sappuient en premier lieu sur la structure narrative des Métamorphoses – dont lOvidius Moralizatus de Pierre Bersuire (milieu du xive siècle, France) et lArchana deorum de Thomas of Walsingham (xve siècle, Angleterre)30. Lauteur de lOM a pu lui aussi rejoindre cette tendance et sinspirer, à côté du texte de lHéroïde IX et des paratextes à son propos, dautres textes mythographiques qui eux aussi interpolaient la trame dOvide.

Ajoutons deux dernières pistes au sujet dHercule amoureux :

Lépisode dHercule soumis à son amante dans lOM rappelle également certains textes en langue vernaculaire traitant de lart daimer, sinspirant de lArs amatoria dOvide. Le passage suivant (avec glose) provient de lArs dAmours, la première adaptation en prose de lArs amatoria, datant du début du xiiie siècle, décrivant la même scène et recourant au même lexique du tissage que lauteur de lOM31 :

345

Art d Amours

OM

Il est bien chose sceüe que Hercules, qui de tant de perilz eschappa ou il estoit entrés par lamonnestement de sa marrastre, maintesfoiz tenoit entre les pucelles le corbeillonnet et charpissoit la laine ; et puis fu il si puissant. Comme tuit scevent, il faisoit les commandemens sa dame.

(Livre II, 2617-21, texte)

Et icelui Hercules fist elle [= Junon] seoir entre les pucelles et desvuider les fusees et descharpir la laine,

(Livre II, 2597-2663, glose)

La bele na autre sergent 528

A desvuidier ses escheviaux.

(IX, 528-529)

Souvent sabessa com sougiez

Cil pour son fuisel redrecier.

Ja est si duis dou sien mestier 552

Quil set ja bien lacier la soie.

Au tissu faire se rassoie.

Saciez quil ne li desplaist mie

De charpir la laine o samie.

(IX, 550-556)

Les descriptions de la soumission dHercule à Amour comme entité personnifiée évoquent, quant à elles, des allégories ainsi que certaines tournures concrètes de lœuvre médiévale qui « renferme lart damour » courtois par excellence, le Roman de la Rose32 :

Guillaume de Lorris,
Roman de la Rose

OM

Cest cil [= le dex dAmors] qui les amanz justise

Et qui abat l orgueil de gent,

Et si fet dou seignor sergent

Et les dames refet baesses

Quant il les trove trop engresses

(863-869)

Moult a Amours grant seignorie

Et moult est sa poissance grans,

Quant il fet des seignors sergans

Et les orgueilleus humbles estre.

(IX, 514-517)

Avez vos guerre en lui emprise

Por ce quil vos redoute et prise

Et que il est vostre sougiez ?

SAmors le tient pris en ses giez

Et le fet a vos obeïr

Len devez vos por ce haïr ?

(3257-62)

Bien set faire Amours ses aviaux

Et bien trestorne ses sougiez.

Bien est Herculés pris aux giez.

Tant est bestornez par Amours

Quil ne li membre de ses mours,

De sa fierté, de sa proesce,

Ne de sa tres grant hardiesce.

(IX, 530-536)

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Les rapports entre lOM et le Roman de la Rose ne relèvent vraisemblablement pas de lintertextualité au sens propre, mais dune forme dinterdiscursivité. À linstar de lHercule vainqueur, lhomme vaincu des extraits cités ci-dessus peut également être assimilé à une image abstraite : Hercule, esclave de sa passion pour Iole, est un avatar du topos de lamant courtois enfermé dans la prison dAmour.

Plusieurs indices, au-delà de linterpolation dHercule « filandier » proprement dite, suggèrent par ailleurs que limage dHercule dompté et travesti a préoccupé non seulement lauteur, mais aussi les destinataires et les « intermédiaires » (remanieurs, glossateurs et enlumineurs) de son texte. On peut rappeler, comme lavait noté Jung, que les témoins de lOM qui consacrent une miniature initiale à chacun des quinze livres de lœuvre, font commencer le livre IX par une représentation, bien marquée, dHercule en habits féminins33. Dans deux de ces manuscrits, Paris, BnF, fr. 373 (G1) et Copenhague, KB, Thott 399 (G3), ainsi que dans le témoin nouvellement identifié à Florence, BML, Acquisti e Doni 442 (F), une série de gloses marginales accompagnant le passage présente cet Hercule soumis par amour sous un jour peu flatteur. Ainsi, lépisode des amours du héros se réduit, selon les glossateurs des manuscrits F et G1, à Comment Hercules se demaine sotement pour lamour (ajout samie G1) Yolent34. La prévalence de la figure dHercule courtois qui suit les commandemanz sa dame, du héros dominé par les femmes en général, ne réduit pas son ambivalence : Hercule semble fluctuer entre le parangon de lamant courtois et lexemplum moral servant davertissement contre les faiblesses de lhomme devant les tentations mondaines. À mi-chemin de ces portraits exemplaires, Hercule peut aussi prendre les traits incongrus dun chevalier efféminé, battu par toutes les femmes quil rencontre au cours de sa vie35. Toutefois, comme nous le verrons 347dans la prochaine et dernière étude de cas sur les sources de lOM, la soumission du héros pourra regagner toutes ses valeurs positives, ainsi quune raison dêtre supplémentaire, dans lallégorie finale – qui mettra Hercule en analogie avec le Fils de Dieu.

1 Souvent s abessa com sougiez / Cil pour son fuisel redrecier. / Ja est si duis dou sien mestier / Qu il set ja bien lacier la soie ; / Au tissu faire se rassoie. / Saciez qu il ne li desplaist mie / De charpir la laine o s amie (OM IX, 550-553).

2 « Hercule dans les textes du Moyen Âge », art. cité, p. 52.

3 Plus précisément, il sest mis sous sa sujétion afin de se laver définitivement du meurtre de son ami Iphitus (cf. supra, p. 44-45).

4 Demats, Fabula, op. cit., p. 103. Comme cest le cas de nombreux épisodes de la vie dHercule, cette matière na été transmise au Moyen Âge que de manière très fragmentaire. Mises à part les Fables dHygin, probablement très peu connues voire inconnues à lépoque qui nous intéresse, des références à Hercule et ses rapports variés avec Iole et Omphale se rencontrent sporadiquement chez certains commentateurs et mythographes, comme Servius auctus et les Mythographes I et II du Vatican (cf. supra p. 68-70, 92-93). Parmi les auteurs de la latinité classique, cest notamment chez Ovide que nous trouvons des traces des deux épisodes à la fois.

5 Les Fastes sont citées daprès léd. Schilling, op. cit.

6 Les extraits sont cités daprès léd. Bornecque, trad. Prévost, op. cit. Nous avons repris les traductions à la même édition, en les adaptant légèrement par endroits.

7 À relever, par ailleurs, le rapport entre cet extrait et un passage de lArs Amatoria qui parle du même épisode, intégrant un vers presque identique : ille, fatigata praebendo monstra nouerca, / qui meruit caelum quod prior ipse tulit, / inter Ioniadas calathum tenuisse puellas / creditur et lanas excoluisse rudes. / paruit imperio dominae Tirynthius heros : / i nunc et dubita ferre quod ille tulit (P. Ovidi Nasonis : Amores ; Medicamina Faciei Femineae ; Ars Amatoria ; Remedia Amoris, éd. E. Kenney, Oxford, Oxford University Press, 1994, livre II, v. 217-222).

8 Cette soumission est opposée explicitement aux travaux imposés par Junon que le héros a su accomplir : Iuno seriesque immensa laborum (Hér. IX, 5) ; uictricem mille laborum (Hér. IX, 75).

9 Comme lobserve, par exemple, D. Brumble, Classical Myths and Legends in the Middle Ages and Renaissance, Westport, Greenwood Press, 1998, p. 161-162 et 180.

10 Les commentaires aux Héroïdes sont abordés, entre autres, par R. Hexter, Ovid and Medieval Schooling : Studies in Medieval School Commentaries on Ovids Ars amatoria, Epistulae ex Ponto, and Epistulae Heroidum, Munich, Arbeo-Gesellschaft, 1986. Voir également Coulson et Roy, Incipitarium Ovidianum, op. cit., p. 165-167 (Index des commentaires en rapport avec les Héroïdes).

11 Le commentaire du manuscrit Paris, BnF, lat. 7995 est retenu par Coulson et Roy dans lIncipitarium Ovidianum, op. cit., entrée no 175.

12 Notons accessoirement quon retrouve le nom dIole également dans des gloses aux passages des Fastes dont nous avons parlé (p. 332-333 supra). Dans une série de gloses aux Fastes attribuées à Arnoul dOrléans, on rencontre ainsi la glose Iole au lemme ovidien Meonis à Fastes II, 310 et 352 (daprès Arnulfi Aurelianensis Glosule Ovidii Fastorum. Kritische Erstedition und Untersuchung, éd. J. R. Rieker, Florence, Galluzzo, 2005).

13 On veillera à ne pas généraliser cette observation à tous les textes de lépoque, en nous souvenant de lanecdote dHercule et Omphale chez Fulgence, reprise dans le traité du Mythographe III du Vatican (voir supra, p. 104-105). À partir de lœuvre de ce dernier, la version « orthodoxe » de lépisode passera à son tour dans lhistoriographie latine et, à travers le Speculum historiale de Vincent de Beauvais, dans les histoires vernaculaires (supra, p. 229).

14 Ms. Paris, BnF, lat. 7995, f. 23r ; les gras sont de nous.

15 Les premières lignes de lHéroïde IX et le passage en question du livre IX des Métamorphoses présentent plusieurs parallèles : ils mettent tous les deux les actes héroïques dHercule en contraste avec sa soumission à Amour, évoquent la victoire du héros sur Œchalie et la fama qui répand les nouvelles des amours dHercule pour Iole. Ces éléments sont commentés par exemple par D. Curley, Tragedy in Ovid : Theater, Metatheater, and the Transformation of a Genre, Cambridge, Cambridge University Press, 2013, cf. le chapitre « Deianira(s) and Hercules : expanding the intratext », ici p. 211.

16 Cf. F. T. Coulson, « Literary Criticism in the Vulgate Commentary », Medieval Textual Cultures : Agents of Transmission, Translation and Transformation, éd. F. Wallis et R. Wisnovsky, Berlin, De Gruyter, 2016, p. 123 sqq.

17 A. Gerber, Medieval Ovid : Frame Narrative and Political Allegory, New York, Palgrave, 2015, p. 63-64.

18 Pour contextualiser, ce sont les vers qui suivent immédiatement les hexamètres, précisant : Longa fuit medii mora temporis, actaque magni / Herculis inplerant terras[] (Mét. IX, 134-135). La suite de la phrase fournit la précision quAmphitryonaden Ioles ardore teneri (Mét. IX, 140). Cest donc, en dautres termes, exactement le passage qui semble avoir occasionné linterpolation à propos des amours et de léchange de vêtements entre Hercule et Iole dans lOM : Un jour estoit en Oechalie / Dont il aquist la seignorie / Quant Amours, qui les fors assault / Li fist un merveilleuz assault. (OM IX, 507-510).

19 Ms. Vatican, BAV, Vat. lat. 1598, f. 91r.

20 Ibid.

21 Ibid.

22 Ibid., en marge de gauche. Voici le passage des Métamorphoses où apparaît le terme en question : In cursus animus uarios abit ; omnibus illis / praetulit inbutamNesseo sanguine uestem / mittere[], « Son esprit vogue en divers sens ; parmi tous ces projets, elle préféra celui denvoyer à Hercule la tunique de Nessus, imprégnée de sang » (Mét. IX, 152-154).

23 Voici la traduction des vers de lHéroïde IX dans leur ordre consécutif : « [] autant une épouse inférieure à son époux est écrasée par sa gloire. Ce nest pas un honneur, mais un fardeau, lapparence endommagée de celui qui le supporte. Si tu veux te marier proprement, épouse quelquun de ton rang. Mon époux est toujours loin de moi. Il mest plus connu comme hôte que comme époux » (éd. Bornecque, trad. Prévost, op. cit., avec quelques modifications).

24 Coulson et Roy, Incipitarium Ovidinaum, op. cit., p. 149. Ce commentaire est inédit et na pas encore fait lobjet dune étude à part.

25 Ms. Paris, BnF, latin 8320, f. 61va.

26 Le manuscrit donne permisit, que nous avons corrigé en promisit.

27 Cf. Coulson et Roy, Incipitarium Ovidinaum, op. cit., entrée no 268.

28 Voir lédition de V. Brown, « An Edition of an Anonymous Twelfth-Century Liber de natura deorum », art. cité, chap. 130-132.

29 Daprès ibid., chap. 31 ; les gras sont de nous.

30 Voir Archana deorum, éd. Van Kluyve, op. cit., livre IX, chap. 2, l. 16-19 ; Petrus Berchorius, Ovidius moralizatus. Textedition, Übersetzung, Kommentar, éd. C. Meier, collab. A. Stenmans, Petrus Berchorius und der antike Mythos im 14. Jahrhundert, éd. D. Blume et C. Meier, Berlin/Boston, Walter de Gruyter, 2021, vol. 2, p. 356, l. 4-7 (Liber nonus, Fabula secunda).

31 L Art d Amours. Traduction et commentaire de l« Ars amatoria » dOvide, éd. B. Roy, Leiden, Brill, 1974. Les extraits de lArt damour adaptent le passage latin de lArs Amatoria II, 217-221. Le passage de lOM semble, à son tour, avoir servi de source dinspiration pour Christine de Pizan, qui parle dHercule dans son Dit de la Pastoure :[] Mais Amours si le lia / Et si fort humilia / Quil ne lui desplaisoit mie / Charpir laine avec samie (Œuvres poétiques de Christine de Pisan, éd. M. Roy, Paris, Firmin Didot, t. 2, 1891, v. 1466-1469).

32 Les citations suivantes proviennent de la première partie du Roman de la Roseoulart damors est tot enclose (v. 38) – composée par Guillaume de Lorris vers 1230 (éd. F. Lecoy, Paris, Champion, 1965-1970, vol. 1) ; les gras sont de nous.

33 On trouve des représentations dHercule en habits de femme dans les manuscrits Genève, Bibliothèque publique et universitaire, 176 (E1), Vatican, BAV, Reg. lat. 1480 (E2), Paris, BnF, fr. 373 (G1) et Copenhague, KB, Thott 399 (G3). Selon toute vraisemblance, on en aurait trouvé une également dans le manuscrit Florence, BML, Acq. e doni 442 (F), aujourdhui mutilé. Voir aussi infra, p. 282-283, à propos du même sujet.

34 Les gloses portent sur OM IX, 533-534.

35 Cet aspect a déjà été relevé dans les Héroïdes dOvide par S. Casali, « Tragic Irony in Ovid, Heroides 9 and 11 », The Classical Quarterly, 45:2, 1995, p. 505-509. Le portrait dHercule dans lOM souligne ce que Jeff Shulman a décrit, en parlant des interprétations pré-renaissantes dHercule, comme « the separation of the Ovidian synthesis of attitudes into two distinct hermeneutic camps – a critique of “effeminate idleness” and a celebration of “true manliness”. » (J. Shulman, « At the Crossroads of Myth : The Hermeneutics of Hercules from Ovid to Shakespeare », English Literary History, 50:1, 1983, p. 95).