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Classiques Garnier

Aperçus de la tradition manuscrite de l’œuvre à travers la vie d’Hercule (OM IX, 1-1036)

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Aperçus
de la tradition manuscrite
de lœuvre à travers la vie dHercule
(OMIX, 1-1036)

Terminons notre tour de la vie dHercule au livre IX de lOM en ouvrant le champ denquête sur la tradition manuscrite de lœuvre. Le propos principal de ce dernier volet nest pas de proposer un traitement exhaustif et détaillé des rapports manuscrits qui se laissent dégager du livre IX de lOM, mais de nous arrêter sur certains aspects qui permettent déclairer en partie la tradition manuscrite. Après un récapitulatif rapide des manuscrits, des « rédactions » ainsi que des familles stemmatiques identifiées par la critique antérieure et que nos collations du livre IX ont pu confirmer, nous effectuerons une série de zooms sur la tradition manuscrite, en nous penchant dabord sur la « rédaction » propre à la famille Z, puis sur le « nouveau » manuscrit de Florence, BML, Acquisti e doni 442 (F) et ses rapports avec dautres manuscrits de lOM. Nous nous arrêterons enfin sur la position stemmatique changeante et/ou insolite des témoins de Lyon, BM, 742 (B), Rouen, BM, O. 11bis (A2) et, dans le sillage de ces derniers, de Rouen, BM, O.4 (A1), manuscrit de base de lédition provisoire dOM IX, 1-1036 que nous proposons en annexe.

366

Témoins, rédactions
et généalogies manuscrites

Observations générales

Les témoins de lOM qui contiennent la vie dHercule au début du livre IX sont indiqués dans la table suivante1, où sont précisés les sigles que nous utilisons, les cotes, la localisation du passage étudié et édité et la datation approximative de chacun des témoins2.

Sigle

Cote / Localisation du passage

Datation

A 1

Rouen, BM, O. 4 / f. 229ra-232rb (foliotation en chiffres arabes à lencre noire dans le coin supérieur droit).

ca 1315-1320

A 2 

Rouen, BM, O. 11bis / t. I (= A2(I)), f. 237va-b (IX 487-534) ; t. II (= A2(II)), f. 4va-8ra (IX 487-1026). Une partie du texte est présent doublement, à la fin du t. I et au début du t. II.

3e/3 xve siècle (ca 1475 ?)

B

Lyon, BM, 742 / f. 154ra-156va (foliotation en chiffres arabes dans la marge à droite).

ca 1390

D 1

Bruxelles, Bibl. royale, 9639 / f. 202rb-205rb (foliotation en chiffres arabes dans la marge à droite)

ca 1430-1440

D 2

Cambrai, BM, 973 / f. 225vb-229ra

3e/3 xve siècle (ca 1470 ?)

D 3

Paris, BnF, fr. 24306 / f. 244vb-248ra (foliotation en chiffres arabes dans la marge à droite)

3e/4 xive siècle

D 4

New York, Pierpont Morgan Library, M. 443 / f. 150v-155r)

ca 1410

E 1

Genève, Bibl. publique et universitaire, 176 / f. 203vb-206vb (foliotation en chiffres arabes dans le coin supérieur droit)

ca 1380

E 2

Vatican, BAV, Reg. lat. 1480 / f. 201vb-204vb

ca 1380

F

Florence, BML, Acq. et doni 442 / f. 185vb-191r

1380-1400

367

G 1

Paris, BnF, fr. 373 / f. 191va-194va

ca 1400

G 2

Paris, Arsenal 5069 / f. 121vb-123va

ca 1330-1335

G 3

Copenhague, KB, Thott 399 / f. 226vb-230rb

ca 1480

Y 1

Paris, BnF, fr. 871 / f. 178vb-181va

3e/3 xive siècle
(ca 1380 ?)

Y 2

Paris, BnF, fr. 872 / f. 190ra-193ra

3e/3 xive siècle (ca 1370-1380 ?)

Y 3

Londres, BL, Add. 10324 / f. 179vb-182va

ca 1400

Z 1

Berne, Burgerbibliothek, 10 / f. 174vb-177va

après 1456

Z 2

Paris, BnF fr. 374 / f. 181ra-183vb

1456

Z 3

Paris, BnF fr. 870 / f. 159ra-161vb.

ca 1400, décor ca 1450

Z 4

Paris, BnF fr. 19121 / f. 159ra-162ra.

ca 1390-1410 ?

La biographie dHercule, comme le texte de lOM en général, ressort de ces témoins sous forme détats textuels différents, que Marc-René Jung, dans ses études pionnières sur le sujet, identifie comme autant de « rédactions » de lœuvre3. La plus ancienne, la version vulgate si lon veut, est représentée par les manuscrits des ensembles ADEG (auxquels on ajoutera aujourdhui F). Le manuscrit B présente un cas particulier, car il omet de manière systématique les allégories chrétiennes, y compris donc celles de lHercule-Christ. Jung a ensuite identifié deux principales rédactions ultérieures, la « rédaction y », à la base des manuscrits des familles de manuscrits Y et Z, et la « rédaction z », à la base des quatre témoins de lensemble Z4. Ces deux rédactions, mais surtout z, présentent des innovations importantes, une véritable réécriture, par rapport aux états textuels précédents. Les témoins de la rédaction z se divisent à leur tour en deux « sous-rédactions », constitués des deux paires de manuscrits Z12 et Z34, dont le second sous-ensemble (Z34) omet, comme B, mais indépendamment de ce dernier, les interprétations allégoriques à propos des mythes.

Lidentification des différentes états ou rédactions du texte se complète et saffine par létude des rapports généalogiques entre les témoins. Les 368connaissances relatives au stemmacodicum de lOM, se basant avant tout sur les travaux des éditeurs Cornelis de Boer puis de Francesco Branciforti5, ont été mises au point récemment grâce surtout à des études menées par des membres du groupe OEF6. Il semble utile de résumer ici brièvement les familles stemmatiques principales qui se dégagent de ces recherches précédentes et que nos collations des premiers 1036 vers du livre IX de lOM ont permis de confirmer. Afin de visualiser les familles de manuscrits, nous reproduirons ci-dessous les stemmas de Boer (basé sur ses éditions en 1909, 1911, 1915-1938) et Branciforti (1959), ainsi que celui publié dans une contribution de Massimiliano Gaggero (2016), qui résume les résultats des recherches antérieures menées au sein du groupe OEF7. Dans ce dernier stemma, les lignes pleines désignent des rapports déjà proposés dans les recherches antérieures par De Boer et Branciforti et confirmés par léquipe OEF, alors que les lignes pointillées représentent des rapports qui soit ont été postulés dans le passé mais nont pas été confirmés par les enquêtes de léquipe OEF soit qui sont nouveaux vis-à-vis des résultats des chercheurs antérieurs.

369

  

Fig. 6 et 7 – À gauche : stemma daprès de Boer (1909) ;
à droite : stemma daprès Branciforti (1959) (les deux reconstruits
daprès les schémas reproduits dans Cavagna, Gaggero, Greub (2014))

Fig. 8 – Stemma codicum proposé par Gaggero (2016),
basé sur les résultats de Cavagna, Gaggero, Greub (2014).

370

Nos enquêtes sur le livre IX ont permis de confirmer lexistence des groupes suivants, faisant tous partie des ensembles délimités par des lignes en noir dans le schéma supra :

une famille formée de lensemble des témoins Y et Z8, sans que Z se base sur un témoin de lensemble Y9.

une famille Y formée des trois témoins Y, divisée à son tour en deux sous-ensembles, comprenant, dune part, Y13, et Y2 de lautre10.

une famille Z regroupant les quatre témoins Z, divisée en deux sous-ensembles, comprenant, dun côté, Z12, et Z34 de lautre11.

une famille G regroupant les trois témoins G, divisée, à son tour, en deux sous-ensembles, lun constitué de G13, et lautre de G212.

une famille E, regroupant les témoins E1 et E213.

Nous navons pas trouvé en revanche, tout comme les chercheurs du groupe OEF, dindices probants concernant lunité génétique des manuscrits D14. Faute déléments tangibles, nous ne nous exprimerons pas ici sur les autres lignes pointillées représentant des phénomènes de contamination.

371

À côté de ces familles dont lexistence ne semble pas soulever de difficultés majeures dans les segments étudiés par nous, dautres regroupements ainsi que la position stemmatique de certains témoins savèrent moins nets à la lumière de nos collations. Les premiers 1036 vers du livre IX ne permettent ainsi pas de confirmer lexistence dune famille regroupant les deux manuscrits A ni dune famille réunissant B, D, E et G. Cela découle notamment du statut particulier de A2 et de B à lintérieur des segments en question ainsi que de la position généalogiquement indécise de A1, manuscrit de base de lédition en cours15. À ces témoins sajoute aussi le manuscrit F, qui savère changer de modèles au fil du texte, comme nos recherches lont montré et comme nous le découvrirons plus loin.

Quelques particularités
de la « rédaction z » et des manuscrits Z

Entre les différentes versions du texte de lOM, celle des manuscrits de la famille Z diffère de la manière la plus notable des autres témoins. Comme Jung lavait noté, la « rédaction z » innove sur la base de la « rédaction y », se situant ainsi sur une extrémité du stemma de lOM16. Le rédacteur z a réécrit et réaménagé des passages entiers, et son texte comporte des ajouts et des omissions par rapport aux autres témoins et états textuels. Nous nous limiterons à relever ici quelques phénomènes particulièrement significatifs quant à la biographie dHercule. Rappelons que cette version particulière du texte a fait lobjet récemment dune étude approfondie par Prunelle Deleville, qui en prépare également lédition17.

Les manuscrits de la rédaction z comportent une exposition historique supplémentaire à propos de la lutte entre Achéloüs et Hercule (OM IX, 372234.1-234.50) qui sinsère après le récit mythologique correspondant. Lexposition reprend certains éléments de la trame du livre VIII de lOM, précisant comment Thésée et ses compagnons retournent vers Athènes après avoir participé à la chasse au sanglier de Calydon18. Ils sont alors empêchés davancer par la rivière Achellon (234.16) qui est grande et fort creue (234.17). En attendant que le fleuve se remist (234.22), Thésée senquiert de lestat du païs (234.27). On lui raconte alors le passage récent dHercule, qui sest marié près de là. En voici la suite19 :

Et coument par sa force il a

Mis bonnes en celle riviere

Qui tant yert orguilleusse et fiere,

Si que quant elle se desrive

Hors de son canal et derive,

Ne peut mais le païs gaster

Quelle soulloit tout degaster,

Pour lesclusse que cil a misse.

Pour ce faint la fable et devise

Que Achellon se complaingnoit

De Herculés et se plaingnoit

Quil li avoit sa corne route

Pour ce qui[l] li tolli la floute.

En nous souvenant des observations à propos des sources de lépisode dans la version « vulgate » de lOM20, on voit apparaître dans les manuscrits Z lécho possible dune exposition circulant dans la mythographie latine et les commentaires dOvide (où Hercule assèche lune des « cornes » de lAchéloüs) qui nest pas présente dans les états textuels antérieurs de lOM21.

La rédaction z témoigne aussi de certaines innovations qui semblent vouloir agir contre ou neutraliser les tendances misogynes qui sous-tendent le texte « vulgate » de lOM22. Le récit mythologique à propos de Nessus 373et de Déjanire est suivi, dans les manuscrits ABDEFGY, dun ajout de dix vers décriant la nature volage et la crédulité des femmes, qui a été omis dans la rédaction z23. En revanche, une quarantaine de vers plus loin, au moment de raconter comment Hercule sest épris dIole, le rédacteur z insère une suite de vers qui soulignent linfidélité des hommes et, comme la bien relevé Prunelle Deleville, la « versatilité masculine24 » :

Ne trouveroit on pas .i. honme

En amour loial ne preudonme,

A moins quil le soit longuement ;

Et se aucun dit que je ment,

Ce peut on bien prover par euvre,

Car experiance le preuve ;

Mais venir vueil a ma matiere.

Tout voirs ne sont pas beaux a dire.

Lomission du premier passage et lajout du second amènent à déculpabiliser Déjanire et, au contraire, à placer sous une lumière négative la « nature » dHercule en tant quhomme. Autre détail intéressant, le rédacteur z clôt cette dernière insertion – qui paraît une sorte de nota bene au lecteur qui pourrait ne pas croire son propos – par un vers à valeur proverbiale : « Toute vérité nest pas bonne à dire25 ».

Ce nest pas le seul cas où le rédacteur du remaniement z prend le parti de la femme : un autre exemple se situe immédiatement après la vie dHercule à proprement parler, dans un passage où lauteur – et le rédacteur – commentent le comportement dIole après la mort de son ami Hercule. Mettons en regard la version « vulgate » et celle de la 374rédaction z, en renvoyant à nouveau à létude de Prunelle Deleville qui commente à son tour le passage dans les deux versions26 :

OM IX, 1040-1050, version vulgate

OM IX, 1039-1050,
rédaction
z (d après Z 4 )

Mes poi pris duel que feme face,

Quar puis quele a le cuer joiant

Fet elle grant duel de noiant.

Dou cuer rit et pleure de lueil,

Et tout ait elle au cuer grant duel,

La elle oublié en poi dore.

Endementres que fame plore

Pour son ami quon met en terre,

El se pourpense dautre querre.

Pour Hercules fet duel la bele,

Mes tost trouva amors novele :

[] belle Yollé

Qui not pas son cuer saoulé

De grant duil faire et demener

Et de souspirer et plourer,

Mes plus legierement soblie [loublie Z12]

Pour ce quil avoit autre amie

Et quil [l]avoit du tout laissie,

Et plus tost sen est apaisie ;

Dont que sage fist et raison,

Car point ne fait de desraison

Cil ou celle qui en obli

Met amours qui point n aiment 27 [nayme Z12]li.

La version vulgate du texte critique la nature trompeuse de la femme, qui Dou cuer rit et pleure de lueil (OM IX, 1043), prenant lexemple dIole qui se remarie peu après la mort dHercule. Le passage concerné est récrit entièrement par la rédaction z de façon à justifier le comportement dIole, en précisant que cil ou celle (OM z IX, 49) agit sagement en oubliant amours qui point naiment li (OM z IX, 50). Ces exemples témoignent dune prise de position manifeste et réfléchie, qui a été étudiée bien plus en détail par Prunelle Deleville que nous ne saurions le faire ici, en nous appuyant sur ces seuls passages28.

Commentons enfin un dernier type dinnovation « idéologique » caractérisant les témoins Z34 et, éventuellement, létat « original » de la rédaction z : lomission des allégories spirituelles. Nous avons argumenté dans une étude à part29, sur la base dune analyse des données manuscrites dans une série de passages tirés des différents livres de lOM, que les deux témoins Z12 (dans lesquels des allégories sont présentes) semblent avoir rajouté les 375interprétations en question, remaniant ainsi un état textuel z plus ancien (dont se rapprocheraient Z34), dans lequel ces éléments dexégèse faisaient défaut. Cette hypothèse sappuie notamment sur la présence, dans la version avec allégories de Z12, dexemples de vers isolés dans les passages transitionnels entre les fables et les allégories, dont la présence ne sexplique de façon économique que si lon suppose une omission préalable des segments allégoriques. On ne retrouve pas dexemples très parlants de ce phénomène dans les segments sur Hercule au livre IX, mais on se permettra de citer un cas de figure dans lequel un passage réécrit dans Z12 sexpliquerait mieux sil reposait sur un état antérieur sans allégories, tel que celui dont témoignent Z34. Le passage se situe au moment où, dans la version vulgate du texte, lauteur de lOM revient brièvement sur lhistoire dHercule afin de la conclure, après en avoir proposé la longue allégorie christianisante occupant les vers IX, 872-1029. Lallégorie est absente dans Z34, alors quelle est présente dans Z12, sous une forme remaniée. Citons la transition narrative daprès notre texte « vulgate », la version commune à Z34 (que nous désignons ci-dessous comme za) et celle partagée par Z12 (ci-dessous zb).

Version vulgate

Rédaction za ( Z 34 )

Rédaction zb ( Z 12 )

derniers vers de la fable :

derniers vers de la fable :

derniers vers de la fable :

868

869

870

871

872

Eristeüs, ses enemis,

Nest pas encores apaiés,

Ains sefforce li renoiez

De ses filz confondre et haïr

Quant lui ne puet plus envaïr.

Eristeüs ses anemis

Nest pas bien encore apaisiés

Ains sefforce li renoiés

De ses filz confondre et haïr

Quant li ne peut plus envaïr.

Eristeüs ses ennemis

Nest pas bien encore appaisiez,

Ains sefforce li renoiez

De ses filz confondre et haïr

Quant lui ne puet plus envahir.

fin de l allégorie :

allégorie absente

fin de l allégorie :

1026

1027

1028

1029

Si ne cessent il denragier,

Li envieus plain de bouffoi

Contre la crestiane foi

Et de faire aus crestians honte

Si vouldrent ilz tousjours taschier

Comme envieux plains de desroy

De vivre a crestienne loy.

conclusion de la fable :

conclusion de la fable :

conclusion de la fable :

1029.1

1030

1031

Ensi com la fable raconte,

Fu Herculés deïfiez

Dessus avés oï le conte

Coment la fable nous raconte

Comment il fu deïffiés

Herculés et gloriffiés

Dessus avez ouï le compte

Comment la fable nous racompte

Comment ja fut deifiez

Herculés et gloriffiez

376

Dans lOM vulgate, le dernier vers de lallégorie rime avec le premier de la conclusion. Il y a donc un enchaînement fort. Dans les rédactions za et zb, le début de la conclusion fait lobjet dune modification, impliquant lajout dun vers supplémentaire : à la place de Ensi com la fable raconte, on lit Dessus avés oï le conte / Coment la fable nous raconte. En comparant le texte vulgate et celui de la rédaction za, on constate que lajout du vers en début de la conclusion dans Z34 semble répondre au besoin de combler la rime isolée à la suite de lomission de lallégorie30. En dautres mots, cette innovation est attendue, car indispensable, dans za. Le même « vers de remplissage » est cependant présent dans Z12 aussi. Or les deux témoins de zb comportent bien lallégorie précédente, mais la fin de cette dernière a été modifiée, entre autres par lomission du dernier vers, qui aurait sinon constitué un vers de trop en -onte, à côté des deux vers suivants, rimant en conte/raconte. Sil nest pas impossible que le rédacteur de létat zb avec lallégorie ait lui-même coupé la fin de cette allégorie et introduit ensuite un vers de remplissage, le cheminement contraire, supposant un état antérieur sans allégories, serait plus économique pour justifier ces interventions.

Omission des allégories spirituelles, ajouts de certaines « histoires », récriture et suppression de passages qui présentent les femmes sous une lumière négative, la rédaction z(a) témoigne dune véritable refonte et réorientation idéologique du texte, par un remanieur quon aimerait bien connaître davantage. Pour ajouter une dernière idée à ce sujet, les commentaires à propos de la nature infidèle des hommes, renforcés par des précisions telles quexperiance le preuve (489.4), des reflets de la voix du narrateur dans se aucun dit que je ment (489.6), de même que linsistance sur cil ou celle (1049), pourraient même nous amener à nous demander si le rédacteur de z nétait pas plutôt une rédactrice. Mais cela serait un sujet à aborder dans un autre contexte et nous ne souhaitons pas nous étendre ici sur les « déclinaisons idéologiques » de lOM à travers ses différentes rédactions. Soulignons simplement, pour conclure, que non seulement la rédaction z, avec ses sous-rédactions, mais aussi létat textuel à la base de lensemble des manuscrits YZ (la « rédaction y » daprès Jung), mériteraient une étude plus approfondie. À lintérieur des 377passages étudiés ici, nous navons pas réussi à déceler une « attitude » manifeste orientant les innovations propres aux manuscrits YZ. Une étude élargie à une portion plus importante du texte apportera éventuellement une nouvelle lumière sur la question.

Le manuscrit F et sa place
dans la tradition manuscrite de lOM

Aux vingt témoins décrits dans le détail dans lédition du livre I de lOM et pris en compte dans les recherches précédentes sajoute aujourdhui un témoin supplémentaire conservé à la Biblioteca Medicea Laurenziana à Florence sous la cote Acquisti e doni 442 (F). Si nous avons déjà décrit ce manuscrit et analysé sa position stemmatique31, il convient de redire ici que sa « découverte » est due en effet à Frank Coulson, qui lavait consulté lors dune de ses nombreuses visites dans des bibliothèques dEurope à la recherche de manuscrits témoignant de la persistance dOvide au Moyen Âge. Cest grâce à notre collaboration avec Frank Coulson, qui nous a donné la possibilité de dépouiller sa collection de microfilms à lOhio State University, que nous en avons pris connaissance, en constatant que le témoin navait jamais été remarqué par la critique relative à lOM32. Le manuscrit est aujourdhui acéphale, commençant au vers 186 du livre I, et incomplet à la fin, sarrêtant au vers 2139 du livre 15. Il présente aussi un certain nombre de lacunes et de feuilles découpées à lintérieur, ce qui sexplique par le prélèvement, vraisemblablement à une époque récente, des miniatures ornant autrefois le volume33. À part ces détails malheureux, le manuscrit est en bon état et donne un texte très lisible. Son intérêt est rehaussé par la présence de nombreuses gloses dans les marges des feuillets34. Ce nest pourtant pas seulement ce paratexte, mais aussi le texte principal du témoin qui 378offre des pistes propices pour réfléchir à la tradition textuelle de lOM, car F savère être un manuscrit qui recoupe plusieurs familles stemmatiques du texte. Dans les lignes qui suivent, nous proposerons un tour exploratoire du manuscrit, et avant tout de sa position par rapport aux autres témoins. Nos réflexions reprennent lessence des idées articulées dans notre récente étude, mais en se focalisant plus spécifiquement sur le livre IX.

Quelles sont donc les particularités textuelles du nouveau manuscrit ? Létude de la varia lectio révèle que F partage, tout au long du segment étudié, des variantes et des erreurs qui caractérisent la famille E et, surtout, le manuscrit E2. Citons ici deux exemples de leçons partagées par EF qui donnent lieu à des problèmes métriques, puis une série de leçons qui solidarisent E2F tout en les opposant au reste de la tradition :

Solidarités entre E et F

978

Lun apert, lun repostement, | apert] port (-1)EF

1003

Mes samblable au Pere immortel | samblable au] semble au (-1)EF

Solidarités entre E 2 et F

250

vers omis E 2 F

245

Mes li biaux, li fors bateillerres | bateillerres]bachelierres E2F

383

Sans querre liaue plus paisible ; | Sans] Pour E2F

897

Si li çaint vertueusement | çaint] tint E2F taint D3

933

Que Diex ot premeraine amee | premeraine] premierement (+1)E2F la premiere Z21

957

Lui fist Diex signe estable au monde | Lui fist Diex] Li filz dieu E2F

968

lardant reprouche] lait reprouce (-1)E1tout lait reprouche E2F

En considérant ces différents exemples, on a limpression que F forme, dans la partie du texte concerné, un sous-ensemble avec E2. Les manuscrits E2F ne sont cependant pas liés uniquement par des variantes ponctuelles. Ils partagent aussi une allégorie qui nest présente dans aucun autre témoin de la version vulgate du texte, mais qui caractérise les manuscrits Y et Z12. Ces derniers témoins comportent en effet une exposition supplémentaire de 26 vers à propos de la rencontre entre Hercule, Déjanire et Nessus, placée après le vers 486 du livre IX. Nous avons proposé une transcription avec relevé de la varia lectio de ce passage dans notre annexe35. En voici un petit résumé : Hercule qui confie son épouse au centaure Nessus est comparé à Dieu qui confie sa chiere espouse Saincte Eglise (486.4) aux faulz provoires (486.2), qui sont 379censés conduire lÉglise à travers la riviere de cest monde (486.7). Tout comme Nessus cherche à enlever la femme dHercule, les faux prêtres, plutôt que de prendre soin de lÉglise, cherchent à la confondre et deffouler (486.15), corrumpre et violer (486.16). Et comme Hercule frappe Nessus dune flèche empoisonnée, Dieu se venge, à laide de son arc et ses dars ardans (486.23), en précipitant les malfaiteurs dans les feux de lenfer.

Il est particulièrement intéressant de noter que lallégorie en question, qui est intégrée dans le texte principal de lOM dans F ainsi que dans YZ12, se présente comme un ajout dans lespace paratextuel du manuscrit E2. Les trois premiers vers de lallégorie rajoutée ont été écrits dans linterligne entre les vers 486 et 487 du texte principal, la suite a été copiée dans la marge inférieure du feuillet 102 verso, disposée sur deux colonnes36. Les deux derniers vers de chaque colonne manquent dans létat actuel du manuscrit, coupés probablement lorsque les feuillets ont été rognés au moment de la reliure. De manière générale, on aurait tendance à simaginer que lajout marginal dun passage innovateur précède son intégration au texte, et compte tenu de la proximité textuelle entre E2 et F déjà constatéeailleurs dans le livre IX, il semblerait que F serait plus loin dans la chaîne de transmission que E2 et quil aurait copié le passage en question dun manuscrit apparenté à E2 (si non de E2 lui-même) plutôt que le contraire37. Le fait que la même allégorie soit présente dans YZ12 ninfirme en rien cette hypothèse, car un relevé des variantes fait apparaître, à lintérieur du passage allégorique en question, de nouvelles solidarités entre E2F, confirmant lunité de cette paire de témoins contre Y et Z12. Prenons deux exemples :

IX 486.9 Plain de fontueux perilz (-1) | fontueux FE2] flutueulx Y infruis Z1 infiniz Z2

IX 486.20 Silz ne viennent a repentement (+1) | repentement FE2] repentance YZ12

380

Dans les deux cas, E2F partagent un vers ayant un nombre de syllabes irrégulier (lun hypométrique, lautre hypermétrique). Dans le premier des deux exemples, E2F donnent en outre un mot énigmatique, fontueux, non attesté en tant que tel par les dictionnaires. Lensemble des témoins Y a au même endroit une forme du lemme fluctueux, terme qui a du sens dans le contexte, renvoyant au monde instable et changeant. Les mêmes manuscrits ont Pleine au lieu de Plain en début de vers, ce qui confère au vers le bon nombre de syllabes.

Il reste à étudier de plus près les rapports entre E2F et les témoins de lensemble YZ, dans lespoir de déterminer si les premiers représentent un état textuel antérieur ou postérieur aux seconds. En dautres mots, lallégorie est-elle passée de létat textuel représentée par E2 et F vers lancêtre de YZ ou était-elle dabord présente dans lancêtre de YZ, à partir duquel elle aurait été exportée vers E2F ? Le texte a priori plus « correct » de Y dans les exemples considérés plus haut suggère que la deuxième solution est plus vraisemblable, mais rien nexclut la possibilité que le témoin à la base dYZ nait corrigé son texte. Afin dévaluer la question, il sera nécessaire denquêter sur de potentielles solidarités entre E2F et YZ ailleurs dans le texte. Notre travail de collation a en effet dévoilé quelques autres variantes convergentes entre les témoins en question dans le livre IX :

IX 678 Com fame qui denfant travaille] Comme une fame qui travaille E2FYZ

IX 765 Or vait ces roches esraçant,]vers mq. FYZ

IX 766 Com cil qui tous vait enragant]vers mq. E2FYZ

On imagine difficilement une émergence polygénétique de la variante au vers IX 678. Lomission accidentelle du vers IX 766 dans plusieurs témoins est possible, du fait quil apparaît – dans les autres témoins de la version « vulgate » – dans une suite de quatre vers se terminant en -ant, mais à côté des autres phénomènes discutés ici, il paraît être un indice supplémentaire de la convergence entre E2F et YZ. Cependant, lomission du vers IX 765 commune à FYZ, alors quil est présent dans E2, est plus mystérieuse. Il est peut-être indicatif de la postériorité de F vis-à-vis de E2 (dans le sens où F aurait omis un vers à rime isolée présent dans E2), mais sa présence dans E2 implique que ce dernier ne peut pas dépendre, dans le passage en question, exclusivement de YZ. On est donc loin de pouvoir proposer une interprétation définitive des rapports entre les ensembles de manuscrits en présence. Ce qui paraît évident, cest que E2F témoignent par endroits dun contact entre la version vulgate de lOM et la version qui nous est connue par les témoins YZ – un contact qui nest 381vraisemblablement pas dans lordre de la généalogie univoque. Il vaudrait la peine, en particulier, de chercher à savoir si E2F ont fait lobjet dune contamination localisée par un parent de YZ ou vice versa.

Le manuscrit F se distingue par une autre particularité encore, qui lui confère un statut à part, tout en le rattachant à des manuscrits autres que E2 (et YZ). Il comporte des gloses en latin et en français, suivant le programme dont témoignent les manuscrits G1 et G3. Dans les segments étudiés, il sagit notamment de citations latines des Métamorphoses ainsi que de gloses en langue vernaculaire commentant la trame des fables, histoires et allégories dans lOM. En guise dexemple, voici la suite des gloses notées dans les marges du feuillet 188r du manuscrit F à côté des vers 415-486, allant de la fin de la fable à propos dHercule, Déjanire et Nessus jusquau moment où commence, dans F, lallégorie supplémentaire dont nous avons parlé plus haut :

IX 415 ( FG 1 ) Ovidius : et calido velamina tincta cruoreetc (Mét. IX, 132)

IX 421 ( FG 13 ) Nessus la decoipt par[de G3] ses paroles

IX 436 ( FG 13 ) Ovidius : dat munus rapta velut irritamen amoris (Mét. IX, 133)

IX 442 | 440 | 440 ( FG 13 ) Deyanire [Dyainire G3] le crut trop legierement

IX 453 ( FG 13 ) Lexposicion de la fable

IX 460 ( FG 13 ) Par Nessus le sagitaire est entendus le deable

IX 482 ( FG 3 ) Par la fleiche Herculés est entendue la misericorde de Nostreseigneur

IX 486.1 ( F ) Autre exposicion

Le manuscrit F reproduit essentiellement les mêmes gloses, latines et françaises, qui caractérisent G1 et G3, en les plaçant en général à côté des mêmes vers du texte français38. Les citations dOvide tendent à se placer dans les marges à côté de passages qui adaptent les vers du poète latin.

Comme nous lavons montré dans une contribution récente, ces citations sont souvent déformées dans les gloses présentes dans FG13, témoignant parfois de formes ou de termes fantaisistes et dautres erreurs flagrantes communes à ces trois témoins. Létude de ces gloses suggère une parenté particulièrement étroite entre F et G1, qui partagent certaines variantes et erreurs qui ne sont pas présentes dans G3. Un cas particulièrement illustratif concerne une citation dOvide qui est présente dans les trois témoins FG13, au moment où Déjanire se demande que faire face à sa rivale Iole qui arrive. Le manuscrit G3 offre une citation correcte des mots prononcés par Déjanire selon Ovide : Que quoniam adueniet, properandum est aliquid que nouandum, dum licet39(« Comme elle va arriver, il faut me 382dépêcher et trouver un moyen, tant que je le peux »). Les manuscrits F et G1, en revanche, ont à sa place une citation si corrompue que lon a du mal à la comprendre si lon ne connaît pas lhypotexte ovidien. La voici, avec les éléments erronés mis en gras : Qui quoniam adueniet propetandum est aliquidque nouam dudum licet40. Il est évident quune telle leçon ne surgit pas deux fois indépendamment et que F et G1 doivent remonter ici à un modèle commun, si lun dentre eux nest pas directement le modèle de lautre. Il est difficile de savoir si G3 doit sa leçon plus propre à un témoin moins corrompu des mêmes gloses ou sil avait connaissance dun Ovide plus « authentique » par une autre voie. Il convient de rappeler que G3 est daté des années 1480, il est donc considérablement plus récent que G1 (datant de vers 1400) et a pu avoir dautres points de référence. Quoi quil en soit, les données textuelles nécessiteront une étude plus approfondie avant que lon se prononce sur les rapports concrets entre les témoins41.

Sans entrer davantage dans les détails, nous nous limiterons à renvoyer à notre récente étude à propos du nouveau témoin, en précisant toutefois que la parenté entre F et le sous-ensemble stemmatique G13 sétend, dans dautres parties du texte, au-delà des seules gloses. Ainsi, dans les trois premiers livres de lOM, le texte principal de lOM dans F sapparente en effet non pas à E2, mais à G13, et là encore, selon toute vraisemblance, à G1 en particulier42. Autrement dit, le manuscrit F semble mettre à contribution différents modèles, et changer de modèle textuel principal au fil du texte.

En guise de clôture de nos réflexions sur F, il est intéressant de noter que les rapports entre F, E et G1, et entre F et E en particulier, se reflètent aussi sur le plan de liconographie et des décorations présentes dans le témoin. Commençons par les éléments qui lient EFG1. Comme nous lavons déjà mentionné, toutes les miniatures ont été ôtées du manuscrit F. Si lon tient compte des positions des lacunes, on constate quelles se situent en tête des livres individuels. On est enclin à supposer que F témoignait autrefois dun programme iconographique qui sobserve aujourdhui encore dans les deux manuscrits E et dans G143. Citons Marc-René Jung à propos de ce programme44 :

383

Dans quatre manuscrits de lOvide moralisé, exécutés entre 1380 et 1400, le texte nest plus illustré, mais on a placé en tête de chaque livre une miniature représentant une figure de la mythologie antique. On sait que ces miniatures sinspirent du traité de Pierre Bersuire sur les figures des dieux [].

Linfluence du traité de Bersuire, à savoir lOvidius moralizatus (dont la première version date de vers 1340), sur les manuscrits de lOM a déjà été décrite par Erwin Panofsky, qui a proposé une classification des témoins de lœuvre française sur la base de leurs rapports iconographiques avec lœuvre latine45. Marianne Besseyre et Véronique Rouchon-Mouilleron, résumant le raisonnement et le classement de Panofsky, soulignent que le degré de « contamination iconographique » atteint dans les témoins E et G1 se serait produit vers 138046. La simple présence présumée du même programme iconographique dans F nest évidemment pas un critère valide pour la datation du témoin. Un autre aspect, qui rapproche F de E (et encore plus précisément de E2), peut cependant être allégué pour proposer une datation du nouveau manuscrit. Les manuscrits E et F sont dotés de lettres champies qui se prolongent vers les marges par des baguettes dotées déléments végétaux qui se ressemblent – dans E2 et F en particulier – au point de se demander si elles sont à rattacher à un même atelier. Nous avons reproduit des images de quelques éléments ornementaux pris à ces différents témoins dans notre étude à part47.

Les différents éléments de parenté sur le plan textuel, iconographique et décoratif et le fait que les témoins les plus étroitement apparentés à F convergent tous, sur le plan de leur datation, vers 1380-1400 nous amènent à situer F à la même époque.

384

La position particulière de B, A2 et A1

Afin de conclure notre tour dhorizon de la tradition textuelle de lOM, il y a lieu de revenir sur quelques manuscrits qui se comportent de manière particulière dans les segments étudiés et dont la position stemmatique soulève le plus de questions. Il sagit des témoins de Lyon, BM, 742 (B), Rouen, BM, O. 11bis (A2) ainsi que du manuscrit de base de lédition en cours de lOM, Rouen, BM, O. 4 (A1). Mieux comprendre où se situent ces témoins dans la généalogie manuscrite a dautant plus dimportance que leur position affecte larticulation des étages supérieurs du stemma, comme ils se placent à des endroits décisifs pour létablissement de notre texte. Commençons par résumer rapidement les acquis formulés par la critique antérieure, notamment par Cornelis de Boer, Francesco Branciforti ainsi que par les chercheurs du groupe OEF, en renvoyant aux stemmasreproduits plus haut48.

Le manuscrit B fait partie dune branche réunissant les manuscrits BDEG (auxquels on ajoutera aujourdhui F). Il est placé soit sur une branche sœur de GDE (selon de Boer), soit à lintérieur dun ensemble BDE, sœur de G (selon Branciforti). Comme Baker et Gaggero lobservent, lincertitude à propos de sa position reste à résoudre49. De Boer a en outre soutenu que B a subi linfluence dun manuscrit à la base du groupe Y. Le manuscrit A2 est un témoin qui se déplace à lintérieur du stemma50. Dans certaines parties du texte, il forme un ensemble avec A1, ailleurs il suit un témoin du groupe Y, dans dautres parties du texte, il partage des leçons innovatrices avec G1351. Le texte a en outre été revu à divers endroits, portant des signes de corrections.

Le manuscrit A1 se situe sur une branche avec A2, ou, dans les parties du texte où A2 se déplace, sur une branche à lui seul. La position de cette branche est incertaine : serait-elle sœur de BDEG sous la dépendance dun même sous-archétype (de Boer, Branciforti) ou peut-être indépendante de lensemble BDEG (possibilité que soulignent les chercheurs du groupe OEF) ?

385

Nous reviendrons par la suite notamment sur un regroupement particulier entre A2 et B que lon observe dans le livre IX de lOM, en réfléchissant aux conséquences de ce dernier pour létude de la position stemmatique de A1 et létablissement du texte. Nos observations ne cherchent pas à apporter des réponses tranchantes ni à traiter ces questions de façon exhaustive, mais bien plus à réfléchir sur plusieurs points dinterrogation qui surgissent autour de ces témoins.

Les témoignages dun ensemble A2B
et son point de rattachement

Lun des phénomènes les plus notables que nous avons observé en relevant la varia lectio des segments étudiés du livre IX de lOM concerne lexistence de solidarités entre les manuscrits A2 et B. On relève bon nombre de variantes partagées par ces deux témoins, dont certaines leur sont uniques. En voici quelques-unes :

IX 402 Parmi le pis la trespercié | la trespercié] lui a tranchie A2B

IX 507 Un jour estoit en Oechalie | Oechalie] oechonie A2B octanie YZ34 cotanie Z12 orchalie A1 cechalie (?) G2 cescalie (?) D1cechalie D24 checalie D3 cecalie E cetalie F yttalie G1thessalie G3

Remarque : Le lieu critique concerne le toponyme Œchalie. La leçon retenue dans notre texte critique est une forme reconstruite sur la base de tous les témoins, supposant une diffractio in absentia. La diffraction a visiblement impliqué des réinterprétations des voyelles initiales oe du nom de lieu en toute une série de variantes, telles oc, or, ce, co, cheminement qui sexplique aisément par la ressemblance graphique entre les lettres. Parmi toutes les variantes, A2B sont les seuls à donner oe en début de mot, tout en partageant une terminaison moins correcte, onie, proche de celle quon a dans YZ (anie), et sopposant à celle, « authentique », de A1DEG (alie).

IX 680 Mes il nen puet erracier piece | erracier] descirer A2B estrangier D134G2derompre D2

IX 657 Moult cuide bien la dame ouvrer] M. c. bien or la d. o. (+1)B M. c. or bien l. d. o. A2

Remarque : Ici, B semble témoigner dune innovation imparfaite que A2 a reprise en la corrigeant : B introduit un adverbe or, qui rend le vers hypermétrique, alors que A2, en déplaçant lélément à lintérieur du vers, réussit à rétablir un mètre correct.

IX 799 Que par eulz ert autre fiee | ert] seroit YZ ; autre fiee] une autre fiee A2B une fie YZ

IX 852 Neïs plus cun autre home eüst |Neïs] Nient B Vient A2

Remarque : Dans le dernier exemple, il est question de la mort qui népargne Hercule Neïs plus cun autre home eüst (« pas plus quelle naurait épargné un autre homme »). B a innové, en remplaçant Neïs par Nient, donnant lieu à un vers quasi-synonymique dans le contexte. La leçon de A2 en Vient ne sexplique guère quà travers une mauvaise lecture de la leçon de B.

386

Les deux témoins A2B suivent en outre le même programme de structuration dans les segments herculéens, plaçant des lettrines aux mêmes vers, y compris à de nombreux endroits où les autres manuscrits A1DEFGYZ nen ont pas52. Rappelons à cet endroit que A2(de date assez tardive, peut-être vers 1475)est nettement postérieur à B (daté de vers 1390), cest donc A2 qui suit ici un manuscrit apparenté à B et non linverse. Sur la base des données recueillies, il ne nous est pas possible de dire si A2 a repris ces leçons directement à B ou à un témoin apparenté. Il est évident néanmoins quil a dû utiliser un modèle autre que B pour les allégories, absentes dans ce dernier53. Il a donc, dans les segments concernés, soit mis à contribution B et un ou plusieurs autres témoins, soit il sest appuyé sur un parent proche de B qui contenait encore les allégories54.

Où convient-il donc de situer le binôme A2B à lintérieur de la tradition manuscrite ? Cette question amène le prochain défi, car si les relevés de variantes fournissent des pistes, ces dernières ne sont souvent pas conclusives et linterprétation des exemples reste difficile. Les données suggèrent que lorsque la tradition est divisée, A2B sapparentent dans certains cas à Y(Z). La plupart des exemples relevés concernent des variantes (plutôt que des erreurs), qui peuvent, en outre, être polygénétiques. Elles sont donc de faible poids. On se permettra néanmoins de relever quelques cas de figure :

IX 12 pour quil a A1D1234EFG pourquoy a A2BYZ12

IX 623 en vient A1D1234EFG2 en est G13 avient A2BYZ12 avint Z34

387

IX 712 a grant dolour A1D1234EG a tel doulour A2BF a tels douleurs YZ

IX 723 Et si trais cerberon denfer A1D1234EFG Si trais Cerberon hors (fors Y13) denfer A2BY Si trais cerberus denfer (-1)Z

Dans dautres cas, cependant, une leçon présente dans A2B et partagée avec Y(Z) ou apparentée à la leçon de Y(Z) paraît supérieure à celle dont témoigne A1. Ces exemples méritent quelques remarques à part, bien quil faille souligner dès le départ quils peuvent eux aussi être affectés par des effets de polygenèse indépendante.

IX 560 Puis lui revest la soie robe. | Puis lui revest A2BYZ12] P. li remest Z34 Et puis revest A1D234EG2 Et puis si vest D1G13

Remarque : Afin de comprendre cet exemple, il est nécessaire de citer les vers précédents, situés dans le passage relatant les amours dHercule et Iole (IX, 557-561) : Pour lui plus fere afoletir, / Li fet la bele desvestir / Ses garnemens. Si sen adobe, / Puis lui revest la soie robe : A guise de fame latorne. Le dernier vers cité souligne qui est le sujet grammatical et lagent tout au long du passage : cest Iole, la bele, qui habille Hercule de ses vêtements de femme après lavoir fait se déshabiller. Si nous interprétons bien le passage, le vers 560 doit signifier « et puis elle lui revêt sa propre robe ». Entre les variantes possibles, Puis lui revest (BA2YZ) donne bien ce sens, alors que Et puis revest (A1D234EG2) et Et puis si vest (D1G13) impliquent que cest elle qui shabille, ce qui répéterait linformation donnée déjà au vers précédent par Si sen adobe.

IX 694 Et contre Junain contendant| Junain A2B] juno G13YZ lumain A1D1234EF venain G2

Remarque : le vers cité décrit comment Hercule sadresse à sa marâtre Junon dans son discours final. Le lieu critique concerne le nom de la déesse, rendu par junain (A2B) ou juno (G13YZ). Seule la première des deux formes permet dexpliquer lémergence de la leçon erronée lumain (A1D1234E) ainsi que venain (G2). On doit donc supposer que A2B donnent ici la leçon originale. La constellation des autres variantes soulève plus dincertitudes : la leçon erronée lumain est potentiellement polygénétique, de même que la variante juno, que plusieurs témoins auraient pu introduire indépendamment sur la base de la forme junain. La question de savoir où (en termes stemmatiques) B a retrouvé la leçon en question est néanmoins intrigante.

IX 859 sescharde A2B sa char YZ sescorce A1D1234EFG

Remarque : Le lieu critique se situe dans un passage qui compare Hercule qui est transformé en dieu à un serpent qui se mue : Si com li serpens renouvele / Sa pel et (sescharde A2Bsa char YZ sescorce A1D1234EG) ensement. Aucune des trois leçons nest erronée. Le terme escorce est récurrent dans lOM55, mais il se réfère dans les cas relevés à des végétaux. Comme il est ici question dun reptilien, escharde (« écaille ») serait éventuellement sémantiquement préférable, notamment si lon considère quOvide fait appel au terme squama dans 388le passage correspondant des Métamorphoses (Mét. IX 267). Notons en plus quescharde paraît se qualifier comme terme régional56, ce qui pourrait lui conférer le statut de lectio difficilior dans le contexte. Le cas nest pas certain, car les attestations descorce dans le sens de « peau » ne sont pas absentes. Mais regardons lexemple sous un autre angle, en comparant les données en jeu ici avec celles de lexemple IX 694 supra : A2B témoignent dune leçon prometteuse, dont semble dériver celle partagée par YZ (le passage de sescharde à sa char peut être envisagé facilement), alors que A1 et une partie des autres témoins, voire tous, partagent une leçon qui peut éventuellement soulever des doutes.

Comme nous lavons souligné à plusieurs reprises, ces exemples présentent tout sauf une image claire et nette de la répartition des variantes. Elles suggèrent cependant que les témoins A2B pourraient, par endroits, témoigner dune leçon supérieure à celles des autres manuscrits, y compris A1 – leçon supérieure qui serait apparentée aux leçons attestées dans YZ, mais potentiellement antérieures à ces dernières (si lon suppose que junain précède juno et que sescharde précède sa char). Lhypothèse qui en découle – que B se rattacherait à un état textuel antérieur à Y – nest pas toute neuve. Cornelis de Boer avait en effet postulé linfluence sur B dun témoin se rattachant au nœud à la base de la famille Y. Il paraît possible, en dautres termes, que le texte B ait dans les segments étudiés aussi été revu sur le même modèle antérieur que postulait de Boer. Un tel rapport expliquerait les exemples notés supra, qui rendraient ainsi compte dun rattachement de B à un parent de YZ, et de A2, à son tour, à B.

À ce stade, les données recueillies restent toutefois trop incertaines pour affirmer que nos témoins se trouvent réellement dans une telle constellation. Il convient aussi de dire que A2B sont loin de suivre toujours YZ dans les vers du livre IX de lOM que nous avons collationnés. Il y a aussi des cas où ils partagent une leçon avec tous ou une partie des témoins de lensemble DEFG ou bien avec A1. En voici trois exemples :

IX 3 Qui serpent ert quant li plaisoit A1] Qui ert (yert corr. en fut Z2) serpens quant li plaisoit YZ12Qui serpent quant[grant E1]il li plaisoit BA2D1234EFG

Remarques : Le vers décrit Achéloüs et sa capacité à se transformer en serpent. La tradition témoigne de plusieurs variantes adiaphores : A1 et YZ ont des leçons en serpent ert ou ert serpent, mettant en jeu lancienne forme 389de limparfait du verbe estre (ert), alors que dans A2BDEFG, il ny a pas de verbe, mais un pronom COI (quant il li plaisoit à la place de quant li plaisoit). Cette dernière variante nest pas agrammaticale dans le contexte, car la phrase continue au vers suivant (OM IX 4, Ou riviere ou tor se fesoit). Il est quasiment impossible de trancher entre les deux solutions. Dune part, on pourrait proposer de voir une lectio difficilior dans la variante avec le pronom COI, étant donné quelle implique une construction syntaxique plus complexe ; de lautre, lancienne forme ert appartient aux « facteurs dynamiques » qui mènent souvent à léclatement de la tradition. Dans ce sens, la leçon de BA2DEFG pourrait être plus récente, résultant dune innovation afin de maintenir loctosyllabe après la suppression de ert. Si tel est le cas, BA2et DEFG seraient réunis autour de cette variante innovatrice.

IX 643 Je li ferai mes jeus puïr | puïr A1G]sentir A2BD1234EF ; réécrit De ses cheueux ara le mains [moins Z12]YZ

Remarques : Ici, on ne peut raisonner que sur la base des variantes dans ABDEFG, puisque YZ innovent, en proposant une réécriture intégrale du vers concerné. En loccurrence, A1G partagent la leçon Je li ferai mes jeux puïr contre A2BDEF, avec Je li ferai mes jeux sentir. On se retrouve ici devant une expression figée, qui signifie vraisemblablement « faire en sorte que quelquun se dégoute de ses actions / de la situation où il/elle se trouve » (avec puïr < lat. putescere « pourrir »). Lexpression a bénéficié dune étude par Gunnar Tilander, qui en relève plusieurs exemples dans le Roman de Renart, dont lun se retrouve dans un couplet presque identique à celui de lOM57. Comme lexpression est pauvrement documentée dans les dictionnaires58, nous supposons que la solution avec sentir pourrait être postérieure à celle en puïr, impliquant le remplacement de ce dernier terme par un synonyme plus courant et banal, sentir. Si cest le cas, A2BDEF seraient réunis autour de cette variante contre A1G, qui témoigneraient dune leçon plus authentique.

IX 862 Plus vïoges et plus coulorables | coulorables]daprès D1234EFG23Y12Z coubourables (?)G1courourables Y3coulables A1B colables A2

Remarques : Les variantes qui se dégagent de ce vers savèrent un véritable casse-tête interprétatif. Le vers se situe dans le passage où Hercule, en voie de déification, est comparé au serpent qui fait la mue, jetant son ancienne peau, pour se renouveler59. Dans le vers correspondant dOvide, utile à évoquer ici, on trouve des verbes plutôt que des adjectifs : luxuriare (que Lafaye 390traduit par « déployer sa vigueur ») et nitere (« briller »). Les deux adjectifs qui reprennent ces idées dans lOM constituent chacun un lieu critique, dont les variantes sont interdépendantes, car elles impliquent des changements dans le nombre des syllabes. Nous nous concentrons ici sur le deuxième lieu critique, qui fait apparaître deux variantes principales : coulorables, présent tel quel ou sous une forme corrompue dans lensemble des témoins DEFGYZ, et coulables, présent dans A1, A2 et B. Il nest pas clair lequel des deux adjectifs convient mieux dans le contexte. Le passage et les deux variantes en question ont été commentés dans le passé par Joseph Engels, et il est utile de rappeler ici son raisonnement60 : ladjectif coulables donne un sens admissible dans le contexte (formé sur la base de couler dans le sens de « glisser »), mais cet adjectif semble moins proche du latin nitere que lalternative coulourables, qui exprimerait une « réalité passive » (dans le contexte « qui a des couleurs, qui resplendit de couleurs61 »). Comme Engels le souligne aussi, on imagine aisément comment ladjectif coulorable a pu donner lieu à coulables, à partir dune forme où la syllabe ur était cachée dans un signe dabréviation. Il part donc de lidée que coulourables est la leçon de départ, ce que nous avons aussi supposé dans notre édition provisoire sur la base des critères sémantiques et stemmatiques (à savoir sa proximité avec le modèle ovidien et sa présence sur deux branches principales du stemma). Constater que la variante coulables (ou colables)est présente dans les trois manuscrits AB est cependant déconcertant pour linterprétation de la varia lectio. Est-ce une erreur polygénétique, ou les trois témoins sont-ils ici apparentés ? De tels cas ne font que souligner lintérêt de mieux comprendre les points de rattachement de ces témoins dans le stemma. Sans les connaître, il est impossible dévaluer le poids de la leçon concernée. Pour offrir une interprétation approfondie du vers, il faudrait aussi tenir compte de la varia lectio qui affecte viöges, ce que nous ne ferons pas ici.

Nous nous arrêterons ici, en constatant la complexité des rapports et en soulignant quil est difficile de déterminer le statut – original ou innovateur – des leçons qui apparaissent dans les exemples cités. Pour nous, lintérêt détudier davantage ces données est corrélé à celui de comprendre larticulation des étages supérieures du stemma et, notamment, le comportement de A1, notre manuscrit de base. Nous allons terminer le présent volet par quelques réflexions au sujet de ce dernier, qui justifieront les critères que nous avons adoptés pour lédition – provisoire – des extraits proposés en annexe.

391

Réflexions sur la position dA1
et larticulation du stemma

Les recherches menées au sein du groupe OEF ont affirmé lexistence de trois grands ensembles de manuscrits appartenant au stemma de lOM : A, BDEG et YZ. Il sagit là densembles qui se dégagent également des stemmas de Boer et de Branciforti, quoique chez ces derniers, A dépende dun même sub-archétype que BDEG, à lécart de la branche YZ. Les chercheurs de lOEF ont remis en question lexistence dun sub-archétype commun à ABDEG, ayant noté en revanche certains cas de solidarité entre A et YZ. Dans les segments herculéens du livre IX, les pistes sont brouillées notamment par le fait quil est impossible de reconnaître les contours dun groupe A, étant donné les déplacements de A2 vers B. Dans les cas où A1 et A2 ont une même leçon, cette dernière se retrouve, dans les premiers 1036 vers du livre IX ici pris en considération, toujours aussi dans dautres témoins. Par ailleurs, le déplacement probable de B vers Y(Z) perturbe lapparence de lensemble BDEG (auquel nous ajoutons F). Afin dinterpréter de façon fondée les lieux critiques où la tradition est divisée, il sera impératif de mieux comprendre les déplacements des différents témoins au sein de la généalogie. Lenquête que nous avons entaméeà propos du binôme A2B sera donc à poursuivre et à étendre sur dautres parties du texte afin de réfléchir aussi aux possibles changements de modèle et phénomènes de contamination – qui peut tout à fait être localisée – touchant les autres témoins. Nous avons déjà vu plus haut quil y a eu, selon toute vraisemblance, un contact « horizontal » entre E2F ouun témoin apparentéet un témoin de la branche YZ, et nous ne pouvons pas exclure des phénomènes comparables entre dautres témoins (soit les antécédents et parents des témoins) de la version « vulgate » du texte, y compris de A1.

Une telle enquête permettra aussi de jeter une lumière plus nuancée sur des passages comme le suivant, parmi les plus intrigants – dun point de vue stemmatique – dans la partie herculéenne du livre IX. Hercule sadresse dans ce passage à son serviteur Lichas qui lui a apporté sur les ordres de Déjanire la chemise empoisonnée. Dans ce passage, selon la structure du stemma et les points de rattachement des témoins individuels, A1 pourrait témoigner dune lectio singularis ou être le seul manuscrit à donner la leçon originale.

392

OM IX, 774-776

Varia lectio OM IX, 776

« Lycas, dist il, tu mas doné

Le don qui a la mort ma mis ;

Dont tu nez pas li miens amis. »

Lycas tu nes pas mes amis A2BYZ

Dont tu nez pas li miens amis A1

vers mq. G

Li gueredon ten (tant D1) iert (est D2) meris D3124EF

Pour résumer, nous avons une leçon partagée par A2BYZ, qui paraît apparentée à celle de A1 (les deux peuvent remonter soit à un archétype, soit à un sub-archétype commun), une lacune dans G, et un vers entièrement différent dans DEF. On peut simaginer que la lacune dont témoignent G a été un facteur qui a eu comme résultat la récriture intégrale du vers. Mais à quel niveau de la tradition se situait cette lacune ? Lensemble DEF témoigne-t-il du vers récrit alors que lun des manuscrits ABYZ témoigne de la leçon originale ? Et où, à lintérieur de cette tradition, faut-il placer A1 ? Les leçons de A1 et YZ (et A2B, en loccurrence) nont pas le même poids si A1remonte au même sub-archétype que DEFG ou sil partage un sub-archétype avec YZ. La position particulière de A2B dans ce passage est à son tour potentiellement révélatrice si lon veut savoir si la leçon de YZ est une simple innovation de cette branche ou si elle provient dailleurs. Mais si nous écartons pour un instant A2B de largument, et si nous admettons que A1 et YZ dépendent dun même sub-archétype, leurs leçons nont alors pas plus de poids que les leçons présentes collectivement dans DEFG. Étant donné que les rapports à lintérieur de ce dernier groupe sont eux aussi incertains, on ne peut pas exclure que DEF ne témoignent pas eux de la leçon originale. Si en revanche A1 se trouve sur un nœud précoce qui dépend du sub-archétype commun de DEFG, ou sil se trouve sur une branche à lui seul, sa leçon est potentiellement la leçon originale, présente dans larchétype de la tradition, par rapport à laquelle le sub-archétype de YZ aurait innové.

La position stemmatique exacte de A1et ses rapports avec les autres témoins de la tradition manuscrite de lOM restent des questions en suspens. Les principaux enjeux autour de ses liens avec les autres témoins peuvent être dégagés (ex negativo) des exemples présentés supra. Lorsque la tradition est divisée, A1 se présente le plus souvent dans lune des deux constellations suivantes (en écartant les lieux où YZ innovent par rapport au reste de la tradition) :

393

dans certains cas, A1 partage une leçon avec YZ (auxquels peuvent se rattacher B-A2) contre DEFG ;

dans dautres cas, A1 a une leçon commune avec lensemble ou un certain nombre de témoins de lensemble DEFG, sopposant à YZ (et souvent B-A2)

Si nous ne prétendons pas trancher ici la question du positionnement stemmatique de A1, il est intéressant de relever que nous navons jusquici identifié aucun cas où lensemble A(1)YZ soppose avec une leçon manifestement fautive à lensemble (A2B)DEFG. Inversement, nous avons identifié plusieurs cas de figure où A1 partage avec des témoins de lensemble DEFG une leçon dapparence plus corrompue que celle dont témoignent, dans les cas concernés, (A2B)YZ62. Il existe différentes interprétations possibles de ces faits. Il se peut quune erreur soit polygénétique. Il se peut aussi quune erreur remonte à larchétype de toute la tradition et que (A2B)YZ innovent, en réparant la faute. Il se peut aussi que lerreur remonte à un modèle commun à A1(2)(B)DEFG et que la leçon de (A2B)YZ soit originale. Ou bien quil y ait eu des rapports secondaires entre A1 et un ou plusieurs témoins de la version vulgate, ou entre leurs modèles. On voit donc que bien des questions restent ouvertes, sous réserve détudes plus approfondies.

Le diagramme infra représente une version « de travail » (ni définitif ni exhaustif) du stemma qui se dégage des analyses de la varia lectio des segments étudiés ici, tout en sappuyant sur létat présent de la recherche du groupe OEF. Les lignes pleines désignent les rapports postulés par la critique antérieure et que nos recherches sur le passage donné ont confirmés. Les lignes pointillées désignent les rapports incertains, non confirmés, ou nouveaux dans le passage étudié. Nous navons pas inscrit tous les rapports « horizontaux » de contamination présumés entre les témoins. Ajoutons enfin que nous avons décidé de renoncer à postuler un nœud indiquant un archétype commun à toute la tradition, pour le simple fait que le segment étudié ici na pas fourni dexemples manifestes derreurs darchétype. Nous inclurons en introduction à lannexe contenant lédition provisoire des extraits du livre IX quelques observations sur létablissement du texte, qui repose sur létude de la tradition manuscrite telle que nous lavons menée jusquici.

394

Fig. 9 – Stemma provisoire basé sur OM IX, 1-1036.

Il est temps de conclure cette troisième partie de notre travail, au cours de laquelle nous avons vu dabord les sources, et ensuite la tradition textuelle de lOM, à travers la vie dHercule telle quelle figure au livre IX. Les études de cas portant sur des passages qui innovent de différentes manières par rapport aux Métamorphoses nous ont permis de dégager lutilité de lire le texte français à la lumière des manuscrits latins dOvide avec leurs paratextes. Les gloses en rapport avec les catalogues dexploits dHercule (au livre IX) et de Thésée (au livre VII), qui établissent des références croisées entre les épisodes en question, nous aident à comprendre pourquoi lauteur français a choisi de rédiger les passages correspondants de son texte en opérant de véritables échos intratextuels. Le « dialogue paratextuel » qui se tisse entre lépisode autour de Nessus et de Déjanire dans le livre IX des Métamorphoses et lépître ix des Héroïdes (épître de Déjanire à Hercule) dans leurs manuscrits peut expliquer à son tour pourquoi le translateur a pu être amené à mélanger les données de ces deux textes ovidiens dans le livre IX de lOM. Les commentaires latins sont en un certain sens comme lapparat de notes critiques dont disposait le lecteur ou écrivain médiéval pour comprendre et étudier un texte – et pour en forger une traduction. Selon toute vraisemblance, cela était le cas aussi pour lauteur de lOM, devant son manuscrit (ou ses manuscrits) dOvide. Il est donc tout à fait naturel, dans ce sens, que la glose constitue la clé pour comprendre certains ajouts ou digressions par rapport à ce que nous considérons comme le « texte reçu » dOvide.

Si les paratextes (dans le sens strict) nous aident à comprendre la raison dêtre de bon nombre dinnovations de la part de lauteur français, entre autres en en livrant les coordonnées intertextuelles, ils ne fournissent 395pas nécessairement la matière textuelle des ajouts dans leur essence et/ou leur intégralité. Rappelons lexemple des allégories. Lauteur de lOM a sans doute été influencé par des éléments exégétiques présents dans la tradition de commentaires et de mythographie ovidienne qui sétait mise en place à partir notamment dArnoul dOrléans et qui sétait développée ensuite à travers des commentaires composites comme le Commentaire Vulgate et celui du manuscrit Vat. lat. 1479. En abordant les éléments dexégèse dans les passages étudiés du livre IX de lOM, on narrive cependant pas à reconstituer comment ces contenus sont passés, des commentaires dont nous disposons aujourdhui, vers ce quon lit dans les passages correspondants de lOM. Il est, certes, possible – et même probable – que lauteur du texte français ait eu recours à des commentaires et dautres textes accessoires aujourdhui perdus. Mais de manière générale, en cherchant des correspondances dans les commentaires, on a limpression que lauteur de lOM a recueilli certaines bribes dinformation circulant dans les paratextes – et parfois dans le contexte dautres passages ovidiens – en les compilant, en procédant à une sorte de « bricolage exégétique », comme nous lavons appelé plus haut. Ce bricolage implique sans doute la mise à contribution de sources tierces, ainsi quune part de créativité de la part du translateur, qui bâtit son texte autour de parallélismes et déchos de contenu et de forme entre ses fables et ses expositions.

Les commentaires dOvide rejoignent un vaste réseau de données intertextuelles qui étaient accessibles aux cercles lettrés dans les écoles de la France médiévale. En améliorant notre connaissance de ces commentaires, on est certain dacquérir une appréciation plus fine des matériaux-sources que lauteur de lOM a utilisés – ou quil avait en tout cas à sa disposition. Comme nous avons cherché à lillustrer à travers lexemple de lallégorie spirituelle sur la vie et la mort dHercule, létude des commentaires va de pair avec celle de leur contexte manuscrit. Bon nombre de paratextes dOvide ont été transmis en conjonction avec dautres textes qui méritent dêtre regardés de plus près. Ainsi, si lon cherche en vain des interprétations christianisantes dans les commentaires dOvide, ces éléments émergeront potentiellement dautres textes dans les mêmes manuscrits. On a illustré ce phénomène à travers une glose allégorique parlant dHercules, id est Dominus Jesus Christus, dans le cadre dun commentaire à lEcloga Theoduli. Est-ce important que cette glose soit située à peine trente feuillets avant le texte commenté des Métamorphoses dans le manuscrit Vatican, BAV, Vat. lat. 1479, qui transmet un commentaire dont la critique considère quil 396présente des parallèles particulièrement parlants avec lOM ? Cest possible. Si lon souhaite se rapprocher davantage des matériaux utilisés par lauteur français, il semble en tout cas utile de regarder aussi au-delà des simples gloses dOvide et de considérer la nature des autres contenus des manuscrits sources potentiels. Le manuscrit Vat. lat. 1479 est un recueil de textes lus dans les écoles médiévales. Si lauteur français na probablement pas travaillé sur la base de ce manuscrit spécifique, il est vraisemblable quil disposait dun ou de plusieurs manuels similaires, réunissant peut-être aussi des abrégés de savoir mythographique et encyclopédique dans un format maniable qui lui permettait une consultation aisée et quil pouvait tenir à sa disposition sur sa table de travail.

Quant à notre tour dhorizon de la tradition manuscrite de lOM à travers les 1036 premiers vers du livre IX, il nous a permis déclairer la vie dynamique de lœuvre. Les manuscrits de la famille Z attestent de phénomènes de récriture consciente, y compris des omissions et ajouts, dont on aimerait bien connaître les motivations sous-jacentes. Pourrait-on percer davantage le contexte de genèse de la réorientation idéologique qui se ressent dans les portraits de femmes dans la vie dHercule ? Notre incursion dans les rapports entre les manuscrits de lOM a mis en évidence un autre aspect important du dynamisme de la tradition : plusieurs manuscrits semblent bouger entre différentes familles textuelles au cours de lœuvre. Ce phénomène ressort de manière exemplaire du manuscrit F, qui se rattache à au moins deux sous-groupes stemmatiques bien définis de la version « vulgate », témoignant par ailleurs dun contact avec la version du texte circulant dans les manuscrits de lensemble YZ, notamment autour de lallégorie chrétienne impliquant Hercule, Déjanire et Nessus. Létude des manuscrits qui bougent dans des contextes potentiellement localisables à lintérieur de la tradition aide à affiner nos connaissances à propos de témoins dont la place dans le stemma est incertaine. Cest, selon toute vraisemblance, aussi le cas du manuscrit B, ou dun parent de ce dernier, qui semble avoir été revu à son tour sur un manuscrit à la base de YZ dans les parties du livre IX que nous avons étudiées. La mystérieuse paire que forment, au moins par endroits, B et A2, autre manuscrit « mobile » à lintérieur de la tradition, nécessitera des études supplémentaires afin dêtre cernée sur le plan stemmatique. Une meilleure compréhension des dynamismes stemmatiques permettra davoir une idée plus sûre de la tradition dans son ensemble – et peut-être même de situer de manière définitive le bon manuscrit A1 dans les parties hautes du stemma de lOM.

1 Le passage est absent du ms. Paris, BnF, fr. 24305 (datant de 1356), siglé D5, qui ne contient que les sept premiers livres de lOM.

2 Pour les sigles et les datations des manuscrits A12BD1234E12G123Y123Z1234, nous nous appuyons sur M. Besseyre, « Tableau des sigles et datation des manuscrits », Ovide moralisé, Livre I, op. cit., t. 1, p. 13-15. Cest nous qui avons introduit le sigle F et la proposition de datation du témoin florentin dans notre article « Un nouveau manuscrit de lOvide Moralisé. Ms. Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, Acquisti e Doni 442 », Revue belge de philologie et dhistoire, 99:2, 2021, p. 283-308. Pour des notices codicologiques détaillées des témoins, voir le chapitre « Description des manuscrits », élaboré par les différents membres du projet OEF sous la direction de M. Besseyre et V. Rouchon Mouilleron, Ovide moralisé, Livre I, op. cit., t. 1, p. 16-91.

3 Cf. notamment larticle de Jung, « Les éditions manuscrites de lOvide moralisé », art. cité, passim. Nos remarques suivantes reprennent, en partie, des idées à larticle de Jung, mais en les développant et en les synthétisant. Jung avait notamment introduit lidée des rédactions y et z et, à lintérieur de z, de deux rédactions za et zb, correspondant à létat z avec allégories et létat z sans allégories. Il a aussi décrit de manière très perspicace les particularités des autres manuscrits, mais sans tenter den faire une classification stemmatique.

4 Ibid., p. 265 sqq.

5 Les travaux de Cornelis de Boer et de Francesco Branciforti sur la tradition manuscrite de lOM se fondent sur des segments très particuliers de lOM qui représentaient à lorigine des textes indépendants et qui ont été ensuite intégrés dans le vaste poème. Il sagit dun côté du poème de Philomena (à savoir le récit de Philomèle), attribué pendant longtemps à Chrétien de Troyes et qui aujourdhui ne survit que dans le cadre de lOvide moralisé, au livre IV, et, de lautre, du récit de Pyrame et Thisbé, au livre VI du texte, qui survit cependant aussi dans des manuscrits indépendants. De Boer, avant de sattaquer à lensemble de lOM, a dabord édité ces deux poèmes : Philomena, éd. de Boer, Paris, Librairie Paul Geuthner, 1909 ; Pyrame et Thisbé, éd. de Boer, Amsterdam, J. Müller, 1911 ; voir aussi lédition révisée Piramus et Tisbé, poème du xiie siècle, éd. de Boer, Paris, 1921. Cest sur la base de ces textes quil a établi le stemma quil appliquera ensuite sur lensemble de lOM, dont il a procuré lédition entre 1915 et 1938. Branciforti a à son tour édité le récit de Pyrame et Thisbé, et étudié la tradition manuscrite de lOM en sappuyant sur le segment circonscrit en question : Piramus et Tisbé. Introduzione – testo critico e note, éd. Branciforti, Florence, Olschki, 1959.

6 Avant tout par Cavagna, Gaggero et Greub, « La tradition manuscrite de lOvide moralisé », art. cité, et Baker et Gaggero, « Tradition textuelle et choix du manuscrit de base », art cité. Voir aussi, au sujet des rapports manuscrits à lintérieur de la famille Z en particulier, Endress et Trachsler, « Économie et allégorie », art. cité, Deleville, « Lectures conjointes et divergentes de lOvide moralisé »,art. cité, et Reginato, « Notes sur les modèles de la rédaction Z de lOvide moralisé », art. cité.

7 Voir les éditions de Boer et Branciforti citées en note 5 supra. Les stemmas ont été repris à larticle de Cavagna, Gaggero et Greub « La tradition manuscrite de lOvide moralisé », p. 183 (stemma de Boer) et p. 184 (stemma Branciforti). Le troisième stemma, basé sur les résultats résumés dans ce dernier article, a été publié par M. Gaggero, « La nouvelle édition de lOvide moralisé : un texte et ses “éditions” manuscrites », Actes du XXVIIe Congrès international de linguistique et de philologie romanes (Nancy, 15-20 juillet 2013), Strasbourg, EliPhi, 2016, vol. 2, p. 1375-1388, schéma à la p. 1385.

8 Cf. Cavagna, Gaggero et Greub, art. cité, p. 189 ; Baker et Gaggero, art. cité, p. 135.

9 Cf. Cavagna, Gaggero et Greub, art. cité, p. 190 ; Baker et Gaggero,art. cité, p. 140-141.

10 Cf. Cavagna, Gaggero et Greub, art. cité, p. 198 ; Baker et Gaggero, art. cité, p. 139-140.

11 Cf. Cavagna, Gaggero et Greub, art. cité, p. 189 ; Baker et Gaggero, art. cité, p. 135-139.

12 Cf. Cavagna, Gaggero et Greub, art. cité, p. 194 sq. ; Baker et Gaggero, art. cité, p. 144-145. Les indices de lexistence dune famille G ne sont pas manifestes de manière égale dans toutes les parties du texte, mais ressortent dun nombre notable de variantes et erreurs dans les passages que nous avons étudiés. Les manuscrits G ont, par exemple, inséré les vers IX 901-902 une deuxième fois après le vers 888 (888.1-2 : Li sauverres de tout le monde / Quant cil ou toute fraude (grace G13) habondeG). Ce sont les seuls manuscrits de la tradition à remplacer, entre autres, lidre par lune (IX, 170), perilliez par parpilliez (IX, 796), pourçaint par pour samie (IX, 218) et / Almaine par Helaine (IX 60). Dautres variantes propres à cette famille se trouvent aux vers IX 186, 240, 414, 422, 423, 518, 775, 778.1 (ajout), 910, 1004 (voir notre apparat critique en annexe). Soulignons cependant aussi la position incertaine de G2 à lintérieur de cette famille de manuscrits. Baker et Gaggero ont identifié une erreur commune à BDEG13, concernant lordre des vers OM I, 4159-4160, qui nest pas présente dans G2, ce quils attribuent soit à une contamination du témoin soit à une correction de la part du copiste de G2 (cf. Baker et Gaggero,art. cité, p. 146). Au livre IX, nous avons en revanche relevé au moins une erreur et une variante partagées uniquement par A1 et G2 : IX 37 (Qua paines peüst recouvrer), où A1G2 remplacent le mot final par erreur par reconter, alors que tous les autres témoins ont la leçon correcte recouvrer ; au vers IX, 232, seuls A1G2 remplacent Or vous vueil dire (présent dans A2D1234EFG13Y ;Z récrivent) par Que vous doi dire. Les éléments peuvent être polygénétiques, mais il serait intéressant denquêter plus loin sur G2 et sa place dans la tradition.

13 Cf. Cavagna, Gaggero et Greub, art. cité, p. 195 ; Baker et Gaggero, art. cité, p. 146-147.

14 Cf. Cavagna, Gaggero et Greub, art. cité, p. 196 ; Baker et Gaggero, art. cité, p. 147-149.

15 Voir, à propos de B, Cavagna, Gaggero et Greub, art. cité, p. 196 ; Baker et Gaggero, art. cité, p. 149-150 ; à propos de A2, cf. Cavagna, Gaggero et Greub, art. cité, p. 190 sqq., 200 sqq. ; Baker et Gaggero, art. cité, p. 152-153 ; au sujet de A1, cf. Cavagna, Gaggero et Greub, art. cité, p. 203 ; Baker et Gaggero, art. cité, p. 153-155.

16 Jung, « Les éditions manuscrites de lOvide moralisé », art. cité, p. 265.

17 Voir la thèse de P. Deleville, Édition critique et étude littéraire des manuscrits Z de lOvide Moralisé, op. cit., et son étude Métamorphose des Métamorphoses, op. cit. Des aspects relevant de la tradition manuscrite de la famille Z ont été examinés dans des études à part, dont Endress et Trachsler, « Économie et allégorie », art. cité, et Reginato, « Notes sur les modèles de la rédaction Z de lOvide moralisé. Le cas de la fable de Sémelé », art. cité.

18 Voir OM VIII, 2002-2332 (Ovide moralisé, éd. de Boer, op. cit.).

19 OM IX, 234.34-46, daprès Z4. Voir notre annexe, p. 456-457, pour lédition de lensemble du passage.

20 Voir supra, p. 286-287.

21 Voir supra, p. 302-304, pour des citations de linterprétation en question daprès le manuscrit parisien lat. 8010 (témoignant, en loccurrence, dune allégorie dArnoul dOrléans) ainsi que daprès le Commentaire Vulgate (Vat. lat. 1598), qui remanie linterprétation arnoulfienne. Soulignons que linterprétation en question na pas été inventée par Arnoul, mais quelle est bien plus ancienne, ayant aussi circulé, indépendamment des commentaires dOvide, dans les traités de mythographie (p. ex. dans celui du Mythographe III ; cf. supra, p. 107).

22 Prunelle Deleville consacre un développement approfondi et très informé à ce sujet et aux tendances idéologiques sous-jacentes dans Métamorphose des Métamorphoses, op. cit., chap. « Nouvelle conception de lamour et de la femme », p. 89-115.

23 Comme la aussi noté Deleville, ibid., p. 107-108. Voici le passage en question daprès la version « vulgate » : Trop est feme legiere et fole / Et trop est muable et ventvole, / Et si croit trop legierement / Et plus tost croist certainement / Cel qui sa perte et son anui / Li amonneste que celui / Qui son preu li fet assavoir. (OM IX, 439-445) Pour rappeler le contexte : Le centaure Nessus, qui avait tenté de ravir Déjanire et qui est mortellement blessé dune flèche empoisonnée envoyée par Hercule, donne sa chemise tâchée de sang et de poison à Déjanire, lui expliquant que lobjet lui permettra plus tard de regagner lamour de son mari. Elle le croit et garde lhabit.

24 Ibid., p. 112-113.

25 Il sagit là dun vers qui apparaît en effet déjà dans la version vulgate de lOM, dans le contexte dun autre livre et dune autre fable, sur Coronis (OM II, 2178 : Tuit voir ne sont pas bon a dire, daprès Ovide moralisé, éd. de Boer, op. cit.). Le passage dans lequel sinsère ce dernier vers au livre II a, par ailleurs, été repris par Guillaume de Machaut dans son Voir dit. Voir à ce dernier propos larticle de C. de Boer, « Guillaume de Machaut et lOvide Moralisé », Romania, 42, 1914, p. 341-342. Selon Prunelle Deleville, le remanieur cherche dans le passage en question, comme dans diverses autres instances, à justifier la véracité de son message en évoquant lexpérience et le « vécu collectif » (Métamorphose des Métamorphoses, op. cit., p. 141-142).

26 Lextrait se situe juste après la fin du passage de la version vulgate dont nous proposons lédition provisoire en annexe. Nous le citons néanmoins daprès notre édition en préparation du livre IX. La rédaction z est citée daprès Z4, avec lindication de la varia lectio des autres manuscrits de lensemble Z. Voir Deleville, Métamorphose des Métamorphoses, op. cit., p. 111 sqq.

27 Nous avons rejeté la leçon de naimes de Z4, en corrigeant daprès Z3.

28 Deleville, Métamorphose des Métamorphoses, op. cit., notamment « Nouvelle conception de lamour et de la femme », p. 89-115.

29 Endress et Trachsler, « Économie et allégorie », art. cité.

30 Un phénomène tout à fait analogue se produit dans le manuscrit B qui omet à son tour les allégories, dont celle en question, et qui ajoute un vers de remplissage semblable au même endroit. Dans B, on lit Si comme vous orrez ou conte / Ainsi com la flabe raconte[] (f. 156va). Soulignons que B et z omettent et innovent indépendamment lun de lautre.

31 Cf. Endress, « Un nouveau manuscrit de lOvide moralisé », art. cité.

32 Nous avons passé un séjour de recherche en été 2017 au Center of Epigraphical and Paleographical Studies de lOhio State University à Columbus, où nous avons eu loccasion de visualiser de nombreuses reproductions microfilmées de commentaires dOvide et dautres textes témoignant de létude dOvide au Moyen Âge.

33 Cf. nos observations à ce propos dans Endress, « Un nouveau manuscrit de lOvide moralisé », art. cité, p. 288.

34 Les gloses étaient en effet la raison pour laquelle le témoin avait éveillé lintérêt de Frank Coulson en tant que spécialiste des commentaires médiévaux dOvide.

35 Cf. infra, p. 458.

36 Nous avons inclus une image de cette disposition particulière dans E2dans notre article « Un nouveau manuscrit de lOvide moralisé », art. cité, p. 300.

37 On relève un certain nombre derreurs présentes uniquement dans E2, alors que F partage la même leçon que les autres manuscrits. Au vers IX 145, par exemple, E2 donne, à la place de Que fui deslaciez et despris (leçon partagée par tous les autres témoins) la leçon erronée Que fui de la citez et des pris (E2), ou encore au vers IX 646, E2 donne la variante orguilleuse à la place dangoisseuse, présente dans tous les autres manuscrits, dont F. Dans le cas de cette deuxième erreur, on ne simaginerait guère que F ne revienne à la même leçon de départ à partir de la variante dans E2. On ne peut toutefois pas exclure une dépendance directe de E2 dans certains passages, comme F semble – comme nous le verrons plus loin – avoir mis à contribution plusieurs modèles.

38 Dans G1, les vers et gloses en question se trouvent au f. 191rv, dans G3, au f. 226rv.

39 Cf. Mét. IX, 145.

40 Elle se trouve au f. 189r de F et au f. 192r de G1.

41 Létat des choses ne se simplifie pas non plus lorsquon constate quil existe aussi des gloses communes à FG3 mais absentes de G1 (comme la glose au vers IX 482 cité supra).

42 Voir Endress, « Un nouveau manuscrit de lOvide moralisé », art. cité, p. 296-298.

43 Voir ibid., 286-287 et 304. Le constat ne surprend pas si lon tient compte des parentés textuelles manifestes qui lient F à E2 autant quà G1.

44 Jung, « Les éditions manuscrites de lOvide moralisé », art. cité, p. 259. Les quatre manuscrits évoqués par Jung comprennent, à côté de E1, E2 et G1, également un fragment, Londres, British Library, Cotton Julius F. VII (e3), ne consistant quen une table de rubriques avec des dessins correspondant aux miniatures initiales des livres. Voir le chapitre « Description des manuscrits », Ovide Moralisé, Livre I, op. cit., t. 1, p. 85-88, pour une description matérielle de ce témoin. Les dessins sont reproduits dans les Tableaux iconographiques du même volume, p. 332-342.

45 E. Panosfky, La Renaissance et ses avant-courriers dans lart dOccident, trad. A. Meyer, Paris, Flammarion, 1976, p. 190-194, n. 82. Létat de la recherche sur lœuvre mythographique de Bersuire a été renouvelé par létude et lédition de Dieter Blume et Christe Meier, Petrus Berchorius und der antike Mythos im 14. Jahrhundert, 2 vol., Berlin et Boston, Walter De Gruyter, 2021. Le deuxième volume contient une édition et une traduction allemande de lintégralité du textepar Christel Meier, avec la collaboration dAnna Stenmans.

46 M. Besseyre et V. Rouchon-Mouilleron, « Présentation codicologique », Ovide moralisé, Livre I, op. cit., t. 1, p. 93-100.

47 Endress, « Un nouveau manuscrit de lOvide moralisé », art. cité, 286-287.

48 Cf. supra, p. 369.

49 Baker et Gaggero, art. cité, p. 149 sqq.

50 Voir Philomena, éd. de Boer, op. cit., p. 22, n. 1 ; Cavagna, Gaggero, Greub, art. cité, p. 200-203 ; Baker et Gaggero, art. cité, p. 152-153.

51 On en trouve plusieurs exemples au livre I de lœuvre ; voir Baker et Gaggero, art. cité, p. 153.

52 Les manuscrits A2 et B sont seuls à avoir une lettrine en tête des vers 99, 129, 405, 543, 711. De manière générale, tous les vers portant une lettrine dans B en ont une dans A2 aussi.

53 Dans les segments allégoriques de la biographie dHercule, A2 semble suivre un manuscrit apparenté à DEFG, avec qui il partage certaines leçons innovatrices contre A1 et YZ. En voici quelques exemples : IX 905 Cuida li chiez diniquité (il est question du diable), mq. BZ34, au lieu de chiez (A1), on lit chiens dans A2D1234EFG, alors que les manuscrits de la branche YZ innovent, avec Il cuida li malehuresY et Il cuida bien li mescheansZ12 ; IX 1019Neporquant ne pueent desdire, mq. BZ34, le mot desdire (A1) est réduit en dire dans A2D1234EFG, alors que YZ12ont ne porent desdire ; IX 1020 Ne metre en ni ne escondire, mq. BZ34, au lieu descondire (A1GY), on lit contredire dans A2D1234EF,alors que Z12 innovent, avec desconfire.

54 Notons quil existe aussi à lintérieur des passages partagés par A2 et B des cas isolées où A2 donne une leçon qui nest pas celle de B, mais qui apparaît ailleurs dans la tradition. Citons, par exemple, le couplet ix 47-48 Quele avoit ou menton assise / Ne de lautre cors la devise, où B a modifié les mots à la rime, en écrivant Quel avoitassise ou menton / Ne de lautre corps de vison, alors que A2 maintient ou menton assise et la devise, ou encore le vers IX 208 Ses compaignons en a menez, où B seul modifie la suite en a menez (présente aussi dans A2) en a amenez.

55 Voir par exemple OM I, 3028 ; II, 1100 ; IV, 6546.

56 Selon le FEW, lemploi des formes mfr. echarde/escharde avec le sens « écaille » se concentre sur les parlers de lOuest – normand, angevin et poitevin (cf. FEW 17, s.v. *skarda, « Schuppe » (p. 96v) ; cf. aussi les remarques à la p. 97b. Gilles Roques identifie le terme escharde, spécifiquement escharde de poissons « écaille de poisson », comme un normandisme (voir son compte rendu de Jean de Vignay, Les Merveilles de la Terre dOutremer, éd. D. Trotter, dans la Revue de linguistique romane, 55, 1991, p. 280).

57 G. Tilander, « Lorigine et le sens de lexpression “je lui ferai mon jeu puïr” », Zeitschrift für Romanische Philologie, 46, 1926, p. 666-678. Voir aussi les commentaires de M. Roques, « Périodiques : Zeitschrift für romanische Philologie, XLVI (1926) », Romania, 53, 1927, p. 273. Comparons le couplet du Roman de Renart cité par Tilander, Se il as poins le puet tenir, / Il li fera ses jeus puïr (v. 535-536), avec notre occurrence dans lOM, Mes se la puis aus poins tenir, Je li ferai mes jeus puïr (IX 642-643).

58 Cf. Gdf, puir, Prov. je lui ferai mon jeu puir, « je le ferai repentir » (sens inexact) (6, 460b) ; TL id., sans précisions sur le sens, avec renvoi à Tilander (7, 2058) ; Ø DMF ; Ø AND ; FEW s.v. pūtēscěre, sappuie sur les précisions de Tilander (9, 623b).

59 Il sagit du même passage qui évoque lescharde ou lescorce du serpent, variantes considérées supra, p. 387-388.

60 J. Engels, « LOvide moralisé et les adjectifs en -able », Mélanges de linguistique et de littérature romanes offerts à Mario Roques, t. 2, Bade, Art et Science / Paris, Didier, 1953, p. 53-80, voir p. 63-64 à propos de ladjectif en question.

61 Engels sappuie à son tour sur la thèse doctorale dE. Thorné Hammar, Le développement du sens du suffixe latin -bilis en français, Lund, Gleerup, 1942, dont il reprend les catégories de signification telles que « réalité passive » (cf. p. 147). Il paraît cependant légitime de remettre en question le poids de largument concernant la proximité sémantique entre le verbe latin nitere et ladjectif français colourable.

62 Aux vers 560, 859 et 950, par exemple, la leçon de A1 semble secondaire à celle de lensemble A2BYZ. Ces leçons sont cependant susceptibles dêtre polygénétiques. Il faudrait donc en prendre note, mais se garder dy attacher trop de poids.