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Classiques Garnier

Avis au lecteur

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Traitté des passions de l’ame
  • Pages : 59 à 60
  • Collection : Bibliothèque du xviie siècle, n° 19
  • Série : Littérature, libertinage et spiritualité, n° 3
  • Thème CLIL : 3439 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moderne (<1799)
  • EAN : 9782812429927
  • ISBN : 978-2-8124-2992-7
  • ISSN : 2258-0158
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-2992-7.p.0059
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 01/11/2014
  • Langue : Français
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[xxiii] Au Lecteur.

Ce traicté, mon cher Lecteur, fait le XXXI. liure de mes Diuersitez, duquel ieusse souffert la distraction*& destachement dauec les autres Volumes, si ie leusse estimé necessaire. Ie nay rencontré* aucun Autheur de ceux qui escriuent és langues vulgaires*, qui aye manié ce suject. Quand aux Classiques (car ceste matiere appartient à la Philosophie Morale, & à la Theologie Scholastique en communauté)1 on recognoistra le peu de seruice que ien ay tiré, si on remarque de combien le biais que ie prends, est esloigné de leur procedé2. Les Predicateurs pourront

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trouuer icy vn Aduent tout formé3, comme pareillement vn autre sur les Beatitudes au V. Tome des Diuersitez. Les Philosophes & Theologiens y trouueront de leur gibier ; mais ce me semble plus tendrement manié que dans leurs escholes. Les Iurisconsultes y ren[xxiv]contreront les bransles de leurs actions forenses* : les Medecins y apperceuront les principes de leur Pathologie, les Poëtes & Orateurs y descouuriront les ressorts de leur art, les personnes pieuses & Spirituelles des applications* conformes à leur vie, les mondains y auront vn miroir de leurs desreiglemens, & vn niueau pour les redresser, & vn chacun y pourra voir les principaux mouuemens qui lagitent. Sil y a rien qui vaille, il est tout à Dieu de qui tout bien deriue, & à la gloire duquel doiuent viser toutes nos actions & intentions. Les deffauts qui sy trouueront innombrables, comme homme, Lecteur, donnez les à lhumanité4, comme Chrestien à la Charité, en laquelle ie vous supplie de prier le bon Iesus que sa misericordieuse grace me donne de faire ce que sa bonté ma donné de dire, de peur que preschant le bien aux autres, & ne le pratiquant* pas, ie ne sois reprouué. Au demeurant, mon cher Lecteur, la ciuilité vous oblige dassister de votre faueur celuy qui ne respire que vostre seruice. Adieu, de Belley ce XV. Ianuier. M. DCXIV. [ ]

1 « Je voudrais évoquer aujourdhui le remarquable essor de la théologie au xiie siècle. Ce développement provenait des monastères et des écoles situées dans les villes, dont certaines deviendront les premières Universités. Ces deux foyers donnèrent naissance à deux manières différentes de faire de la théologie. La théologie monastique, suscitée par le désir amoureux de Dieu, se développe dans la prière à partir dune lecture de la Sainte Écriture où lattention aux mots et aux textes est guidée par la recherche incessante du visage du Christ. La théologie scolastique, elle, se développe par le procédé de la quaestio, cest-à-dire dune question à partir de laquelle élèves et professeurs, dans un débat contradictoire, élaborent la réponse la plus synthétique possible. Le recours à la logique au service de la théologie aboutira à lélaboration dun langage très technique et le recueil de ces débats donnera naissance aux fameuses Sommes théologiques. Ces deux chemins théologiques sont nécessaires et se complètent. La théologie scolastique nous rappelle quil existe entre la foi et la raison une amitié naturelle, mutuellement bienfaisante. La théologie monastique nous indique que la connaissance de Dieu ne grandit que si la vérité est aimée, faisant de la science théologique, une sagesse du cœur. » Benoît XVI, Cathéchèse aux pèlerins de langue française, 28 octobre 2009. Pour Camus, cest bien la même « jointure » de laffect et de la raison quil recherche. Il est révélateur de voir cet « évêque humaniste » (Descrains) associer éthique (Philosophie morale) et Antiquité (le mot Philosophe chez Camus réfère toujours chez lui aux penseurs de lAntiquité classique). On a ainsi de part et dautre de la Rédemption, raison, philosophie et paganisme dun côté (voici lhumaniste) et amour, foi et christianisme (voici lévêque) de lautre. Mais si lÉglise a toujours effectivement maintenu quamour et raison sont indissociables et font la définition du christianisme (les modes et proportions faisant lobjet du débat), la logique a remplacé chez Benoît XVI la raison et la sagesse antiques. La raison serait chez lui interne à la foi, technique. Alors que chez Camus (comme on le verra par labondance des références classiques), conformément aux espoirs de lhumanisme chrétien, la raison antique – qui est aussi, fortement chez Camus, une sagesse – doit être préservée et relevée, comme tout lhumain, par la rédemption et la grâce.

2 Façon de faire, de composer un texte.

3 Les prédicateurs y trouveront des sujets de sermons pour les quatre dimanches précédant Noël qui constituent la période dans laquelle les chrétiens se préparent à fêter la venue du Christ. Dans la turbulente année 1610, Camus a prêché lAvent à Belley.

4 Comme le montre lemploi du terme civilité, couplé à assister, trois lignes plus loin, lhumanité nest pas la solidarité que se doivent les hommes les uns aux autres dans une cité (ce qui est proprement la civilité), mais la nature humaine avec toutes ses faiblesses. Les défauts de louvrage, comme il la dit plusieurs fois déjà dans ces pages, sont dus aux défauts de Camus. En retour, la dévotion civile, chère à François de Sales et Camus, nest pas une dévotion marquée de politesse, soucieuse de ne pas choquer son voisin, mais la dévotion qui se pratique dans les villes, dans le monde, par opposition aux lieux de culte et aux monastères. Les villes, bien sûr, sont le lieu de la civilisation, le processus de mise en place de la politesse, opposée à la rudesse (rugosité) des mœurs agrestes.