Aller au contenu

Classiques Garnier

Robert Estienne (1503-1559)

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Traité de la Grammaire Francoise (1557)
  • Pages : 5 à 14
  • Réimpression de l’édition de : 2003
  • Collection : Textes de la Renaissance, n° 75
  • Série : Traités sur la langue française, n° 6
  • Thème CLIL : 3439 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moderne (<1799)
  • EAN : 9782812458873
  • ISBN : 978-2-8124-5887-3
  • ISSN : 2105-2360
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-5887-3.p.0002
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 04/04/2007
  • Langue : Français
2 TRAICTE
de la graTmaire
Francoife.
L'Oliuier de Rob.Eflicrtne.
3 ROBER_TVS S TE PHA-NY S
ROBERT ni Gg Md' STE PHANVM ) fuenGailice OiAS
cratar. C çaiffraje6.ûm Stei. awe 92a/171.1a et : Zaœlairoailit ScrijitgitOrian,
non vuit a7r
Portrait gravé par Hendrik Hondius, publié par Fred Schreiber en tête de son ouvrage The Estiennes, 1982.
4 ROBERT ESTIENNE (1503-1559)
Dans la dynastie d'imprimeurs que furent les Estienne, il représente la deuxième génération. Il est Robert I" (né en 1503 à Paris), fils d'Henri I' et père d'Henri II dont Jacques Chomarat a publié, dans cette même série, les Hypomneses. Sa mère épousa en secondes noces Simon de Colines, en 1521, et Robert Estienne travailla quelques années en association avec son beau-père. En 1526, il épouse Perrette Bade, fille de Josse Bade et s'installe à son compte, rue Jean de Beauvais. Sa marque est l'olivier et sa devise  : noli altum sapere, à laquelle il ajoute parfois sed Lime, citation paulinienne (Rom. Xl, 20) qui sera l'emblème de toute son activité éditoriale, à Paris d'abord, à Genève ensuite. Perrette Bade lui donnera neuf enfants. Elle meurt aux environs de 1546-47 et trois ans plus tard, Robert Estienne épouse Marguerite Duchemin.
En proie, dès le début de son activité éditoriale, aux multiples querelles et tracasseries de la Sorbonne, en raison de sa publication de la Bible en latin à partir de 1528, il est néanmoins protégé par François I" qui le nomme, en juin 1539, imprimeur du roi pour les lettres hébraïques et latines et, à partir de 1542, pour les lettres grecques. Il publie, pendant la partie parisienne de sa profession, outre de petits livrets pédagogiques, sur lesquels nous reviendrons, les textes, plusieurs fois réédités, de nombreux auteurs latins, parmi les grands classiques, les poètes  : Perse (1527), Térence (1529), Virgile (1532), Horace (1533), Juvénal (1544), les prosateurs Cicéron (1526) Pline le jeune (1529), Quintilien (1542), César (1544), et Salluste (1544) mais aussi Donat et Priscien (1526) et encore Melanchton (1526), Linacre (1527), Erasme sur Valla (1530), Perotti (1531), Bèze (1548) etc... On reconnaît généralement la grande qualité de ces éditions.
5
Après avoir commandé des caractères pour l'hébreu, il publie, en 1544, une Biblia hebraica, dont on a loué la grande élégance typographique, puis le Nouveau Testament, en grec, en 1550, à l'aide des beaux caractères originaux de Garamont. Dans le même temps il travaille sur le texte de la Vulgate pour sa grande édition de 1538-40, qui avait été précédée d'éditions moins complètes en 1528, 1532 et 1534. Après la mort de François r en 1547, sa situation devient beaucoup plus difficile et le Conseil du Roi, sur les instances des théologiens, interdit la diffusion des Bibles. Henri II autorise la publication de cette condamnation qui figure dans le Catalogue des livres censurez de 15511. C'est ce qui motive l' installation de Robert Estienne à Genève, la même année. Il se lie d'amitié avec Calvin, dont il publiera Institutio christianoe religionis en 1553 et 1559 et met largement ses presses au service de la Réforme, produisant essentiellement des textes du domaine religieux jusqu'à sa mort, à Genève, en 1559. L'importance de son oeuvre d'imprimeur-éditeur est très grande et l'on en aura une vue beaucoup plus complète dans l'ouvrage bien connu d'Antoine-Auguste Renouard2.
Comme auteur, et c'est lui qui nous intéresse ici, Robert Estienne est surtout réputé en tant que lexicographe. Dès 1528, il commence à travailler à son grand dictionnaire latin, qui lui prendra quinze ans. Ce sera le Thesaurus linguce latince de 1543, dans sa version définitive, qui fut précédée de deux premières ébauches en 1531 et 1536. Avant l'achèvement de cette somme qu'est le Thesaurus, il a réalisé
1 cf. Les censures des théologiens de Paris, par lesquelles ils avoyent faulsement condamné les Bibles imprimées par Robert Estienne, imprimeur du Roy, avec la response d'iceluy, 1552.
2 A-A. Renouard, Annales de l'imprimerie des Estienne ou histoire de la famille des Estienne et de ses éditions, 2ème éd. Paris 1843, réimp. Slatkine 1971.

6
des dictionnaires destinés aux jeunes gens  : le Dictionarium Latino-Gallicum en 1538, le Dictionnaire françois-latin en 1539 dans la préface duquel l'auteur précise bien que si le Thesaurus «  peult servir à toutes gens de quelque hault scavoir qu'ils soyent garniz  » il a eu à coeur le «  soulagement de la jeunesse Françoise qui est sur son commencement et bachelage de littérature  » en lui proposant ce livre-ci, le Dictionarium propriorum nominum en 1541, le Dictionariolum puerorum en 1542 et, en 1549, une seconde édition, revue et notablement augmentée du Dictionnaire françois-latin, autrement dict les mots François, avec les manières d'user d'iceulx, tournez en Latin, dont nous avons souligné la valeur.' Par cet ouvrage, Robert Estienne prend la première place à la tête des lexicographes français.
A côté de cette grande oeuvre lexicographique, il publie aussi de petits ouvrages pédagogiques comme La manière de tourner en langue françoise les verbes actifz, passifz, gerundifz, supins et participes  : item les verbes impersonek aians termination active ou passive, avec le verbe substantif nommé SUM (1526, 1528, 1532, 1535, 1547), De Gallica verborum declinatione (1540), La manière de tourner toutes espèces de noms latins en nostre langue Francoyse (1540)2, Les mots Francois selon l'ordre des lettres, ainsi que les fault escrire, tournez en latin, pour les enfans3 (1544), Les déclinaisons des noms et verbes suivi de La manière de tourner les noms, pronoms et verbes ; des huict parties d'oraison ; la manière d'exercer les enfans a décliner les
1 C. Demaizière, L'importance du dictionnaire français-latin de 1549 dans l' oeuvre lexicographique de Robert Estienne, in Mélanges sur la littérature de la Renaissance, à la mémoire de V-L. Saulnier, Droz 1984, p. 79-86.
2 Ici, le public de lecteurs visé est clairement indiqué en sous-titre  : à l'utilité des jeunes enfans, estudians es bonnes lettres.
3 C'est un lexique français-latin.

7
noms et les verbes (1546)1. Cette suite de titres justifie tout à fait cette remarque d'E. E. Brandon  : «  Robert Estienne fut l'éditeur par excellence des escholiers, dans le quart de siècle pendant lequel il dirigea son imprimerie à Paris.  »2 En effet, Budé est son ami dont il devient l'imprimeur en titre en 1535. Comme lui, il milite pour la restauration des études classiques et veut aider les adolescents à passer aisément du français au latin et réciproquement. De plus, il a une maison toute latine, où travaillent ensemble des ouvriers typographes de diverses nationalités et où le latin est, de ce fait, la langue de communication normale. Son fils, Henri II, dans la lettre à son propre fils Paul, qu'il a placée en tête de l'édition d' Aulu-Gelle décrit ainsi les rapports dans la maison familiale  : «  Ton aïeul Robert Estienne avait institué dans sa maison une sorte de décemvirat littéraire, qu'on pouvait aussi bien nommer 7rŒVTOEOVii que 7rciyyXcoaaov puisque toute nation et toute langue s'y trouvaient réunies. Parmi ces hommes distingués, dont plusieurs étaient du plus grand mérite, quelques-uns s'occupaient de la correction des épreuves et la langue latine leur servait à tous d'interprète commun. La conversation en cette langue était d'un usage si fréquent que les domestiques l'entendaient et la parlaient ; enfin, toute la maison était latine et jamais ni moi ni mon frère Robert3, dès notre plus tendre jeunesse, nous n'aurions osé parler que latin avec mon père et les correcteurs de son imprimerie.  » Même dans un milieu aussi érudit, on devait
i Tous ces ouvrages ont été réimprimés par Slatkine, en un seul volume en 1972.
Là encore le but pédagogique de l'ouvrage est nettement précisé si l'on développe le titre entier du premier opuscule  : les déclinaisons des noms et verbes que doibvent scavoir entierement par cueur les enfans, ausquels on veult bailler entrée à la langue latine.
2 Edgar Ewing Brandon  : Robert Estienne et le dictionnaire français au XVI' siècle, thèse Baltimore, 1904 ; réimp. Slatkine 1967. p. 10.
3 Il s'agit ici de Robert II.

8
parfois chercher un ouvrage de référence ou de soutien et Robert Estienne mit tout son talent d'imprimeur à présenter de petits volumes clairs, associant l'italique et le romain et proposant de beaux tableaux de conjugaisons. Nul doute qu'en ce chemin il allait en arriver à donner une grammaire.
C'est en 1557 que paraît le Traicté de la grammaire françoise avec la marque de l'olivier de Robert Estienne mais sans mention de lieu ni de date. Pour le lieu, c'est nécessairement Genève où l'imprimeur est établi depuis 1551. Quant à la date, nous la trouvons, dans le texte même, aux dernières lignes, où il fait allusion au petit dictionnaire françois-latin «  que nous avons imprimé cette présente année MDLVII auquel ceste partie de grammaire défailloit pour l'accomplissement d'iceluy.  » La même grammaire, traduite en latin par son fils, pour servir aux étrangers désireux d'apprendre notre langue, paraît en 1558 sous le titre Gallicce grammatices libellus latine versus ab Henrico Stephano et toujours avec la marque de l'olivier. La même encore, toujours en latin, est publiée à Paris chez André Wechel en 1560. Ensuite il y a une double réimpression, en 1569, l'une qui porte la mention, de prime abord surprenante, «  à Paris, par Rob. Estienne, Imprimeur du Roy  », mais qui s'explique si l'on comprend qu'il s'agit de Robert II. En effet, Robert, le deuxième des neuf enfants de Robert I", ne voulut pas rester à Genève où son père avait emmené toute la famille et revint à Paris où il demeura dans la religion catholique. Il rejoignit son oncle Charles, qui avait obtenu la charge d'imprimeur du roi après le départ de Robert I' pour Genève. En 1556, Robert remit en activité l'imprimerie de son père et, après son oncle, reçut, en 1561, la charge d'imprimeur du roi en français, latin, grec, hébreu et chaldéen. Il refit les éditions de son père à mesure qu'elles s'épuisaient et, par exemple, réimprima le Dictionariolum
9
puerorum en 1559, comme en 1569, la grammaire qui nous occupe. L'autre édition est marquée «  à Paris, chez Taques du Puis, Libraire iuré, demourant en la rue sainct Iehan de Latran, à l'enseigne de la Samaritaine.  » Ce Jacques du Puis est le beau-frère de Robert Estienne. On peut s'étonner de cette sorte de concurrence entre l'oncle et le neveu mais A-A. Renouard se contente de constater, à propos de l'exemplaire en latin de 1569 : «  On en voit de celui-ci qui ont sur le titre le nom de J. du Puis. Il doit y en avoir aussi de la grammaire en françois.  » Robert II meurt en 1571 et sa veuve épousera Mamert-Patisson. Enfin, en 1582, dans le même volume que les Hypomneses, Henri Estienne publie la version latine de la grammaire de son père.
Si maintenant nous réexaminons rapidement ces différentes versions, nous observons que le traité de 1557 est un in 8° de 110 pages. Celui de 1569 en compte 128, mais le texte est identique au précédent, à l'exception de quelques variantes orthographiques comme escrit/escript ou precedente/precedante et, la plupart du temps ung pour un, ce n'est que la présentation plus aérée et le format des caractères qui expliquent la différence de 18 pages. La page de titre est presque la même. Les seules différences sont, en 1569, un G majuscule au mot Grammaire et, sous la marque de l'olivier, au lieu de la mention «  L'Olivier de Rob. Estienne  », la mention «  A Paris, Par Rob. Estienne Imprimeur du Roy. MDLXIX.  » L'exemplaire dû à Jacques du Puis est parfaitement semblable à celui de Robert Estienne, si ce n'est la marque à la Samaritaine et la mention que nous avons indiquée plus haut. Reste à étudier la version latine due à Henri Estienne pour voir si elle respecte la version française ou si elle est plus complète, comme le laisse entendre F. Brunot].
1 F. Brunot, Histoire de la langue française, II, p. 147, n. 4.

10
Si l'on compare ces deux versions, on constate d'abord que les épitres au lecteur sont différentes mais, pour le texte proprement dit, Henri Estienne a bien respecté le texte de son père à l'exception de quelques rares suppressions ou adjonctions que nous signalerons à leur place dans notre édition. Le principal changement est la mise en ordre alphabétique des exemples dans toute la dernière partie intitulée «  De la mutation des lettres des mots Latins faicts François  » (p. 88 et suiv. de 1557 ; p. 102 et suiv. de 1569 et p. 86 et suiv. du texte latin publié conjointement avec les Hypomneses). Ainsi, lorsque F. Brunot écrit (ibid.), à propos de la grammaire de 1557 : «  elle fut réimprimée en 1569 dans les deux langues et encore en 1582, par son fils Henri qui la joignit à ses Hypomneses de Gallica lingua. Dans cette édition, elle a subi des changements sérieux.  » Cette remarque est fondée sur une erreur et une sorte de malentendu. Comme J. Chomarat l'a bien montré dans son éditions, Henri Estienne fait oeuvre de piété filiale et les Hypomneses sont présentées comme un complément à la grammatica latina de 1558, c'est-à-dire qu'il y développe en particulier toute la partie phonétique et les mutations en passant du latin au français. Cet exposé occupe les p. 277 à 408 de la traduction de J. Chomarat, soit 131 pages pour les p. 5 à 12 et 88-110 soit 29 p. de l'édition de 1557. Il y a donc bien complément apporté à la grammaire du père, à qui le temps a parfois manqué et qui est mort trop tôt2 mais par un ouvrage séparé et non pas en ajoutant un long développement à cette grammaire. De plus, Henri Estienne évoque une quinzaine de
1 Champion, 1999, p. 11-12. C'est toujours à cette édition que nous renverrons.
2 Son fils le déclare en tête des Hypomneses et ajoute que, si son père avait vécu plus longtemps après cette grammaire, il n'aurait pas supporté qu'une autre main que la sienne y ajoutât quelque chose. (p. 259).

11
fois le contenu de la grammaire de son père dans le texte de ses Hypomneses mais c'est seulement pour signaler la position de son père, non pour la corriger.