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Classiques Garnier

Présentation de la grammaire de 1557

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Traité de la Grammaire Francoise (1557)
  • Pages : 15 à 22
  • Réimpression de l’édition de : 2003
  • Collection : Textes de la Renaissance, n° 75
  • Série : Traités sur la langue française, n° 6
  • Thème CLIL : 3439 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moderne (<1799)
  • EAN : 9782812458873
  • ISBN : 978-2-8124-5887-3
  • ISSN : 2105-2360
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-5887-3.p.0012
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 04/04/2007
  • Langue : Français
12 PRÉSENTATION DE LA GRAMMAIRE DE 1557
Le Traicte de la grammaire françoise s'ouvre sur une épitre au lecteur (p. 3-4) et l'exposé proprement dit commence par une brève partie phonétique  : les lettres, leur prononciation, apostrophe, syllabes, diphtongues et triphtongues (p. 5-12).
Ensuite, c'est la morphologie qui présente 9 parties d'oraison où l'article figure à part entière et qui sont étudiées dans l'ordre  :
les noms et leurs accidents (p. 13-18)
les articles (p. 18-20)
les pronoms et leurs accidents (p. 21-31)
les verbes avec modes, temps, espèces, figures et personnes suivis de la conjugaison du verbe avoir, du verbe être, du verbe aimer pour la première conjugaison (actif et passif), du verbe aller comme irrégulier, du verbe voir pour la deuxième conjugaison, des verbes «  dissemblables  »  : apparoir, appercevoir, ardoir ou ardre, assoir, chaloir, choir, comparoir, devoir, douloir, falloir, mouvoir, seoir, souloir, valoir, vouloir, du verbe cognoistre pour la troisième conjugaison, des verbes présentant diverses formes  : dire, faire, raire, taire, boire, braire, bruire, escrire, frire, retraire, rire, traire, vaincre, ardre, fendre, fondre, pondre, craindre, feindre, joindre, peindre, coudre, moudre, souldre, rompre, clore, courre, battre, mettre, paistre, tistre, suyvre, vivre, bastir pour la quatrième conjugaison, des verbes différents  : bouillir, courir, couvrir, faillir, férir, fuir, gésir, haïr, mourir, ouir, partir, puir, querir, saillir, souffrir, sortir, tenir, venir, vestir. (p. 32-69). Exemple de conjugaison impersonnelle avec on. (p. 70).
Les participes (p. 71-72).
Les adverbes et leurs accidents (p. 73-81).
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Les conjonctions et leurs accidents (p. 82-83).
Les prépositions (p. 84-86).
Les interjections (p. 87)
Enfin, la dernière partie qui semble surajoutée un peu commme un remords  :
De la mutation des lettres des mots Latins faicts François (p. 88-110)
On remarquera que cette grammaire n'est divisée explicitement ni en livres ni en chapitres, ce qui lui donne un aspect assez touffu, compte tenu de la petite dimension des caractères. Les titres des diverses catégories abordées dans l'exposé se détachent peu. Dans l'édition de 1569, du fait de la plus grande dimension des caractères, y compris naturellement ceux des intertitres, l'impression pour le lecteur est plus aérée. Dans les deux éditions, le texte est en romain et les exemples en italique, ce qui crée une différenciation agréable à
L'épitre au lecteur doit indiquer les intentions de l'auteur. Elles sont très claires dans l'édition de 1557  : plusieurs personnes désirant avoir «  ample cognoissance  » de la langue française se sont plaintes à lui de ne pouvoir utiliser aisément la grammaire de Louis Meigret en raison des grands changements qu'il y avait apportés à la «  droicte escripture  ».1 Les mêmes prétendent ne pas pouvoir se servir
1 Tretté de la grammere francoeze, 1550 chez Christian Wechel. Il est entièrement imprimé dans l'orthographe réformée, si éloignée de l'orthographe traditionnelle. La gêne à la lecture est toujours aussi grande, c'est la raison pour laquelle Franz Josef Hausmann en a donné une édition dans l'orthographe actuelle. (Gunter Narr Verlag, Tubingen, 1980).
Les modifications apportées par Meigret à l'écriture sont exposées dans son Traité touchant le commun usage de l'escriture Francoise auquel est debattu des faultes et abus en la vraye et ancienne puissance des letres, 1542, chez Denis Janot, ce qui déclencha une belle querelle sur l'orthographe, à laquelle participèrent Guillaume des Autels et Jacques Peletier du Mans.

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de L'introduction à la langue française' de Jacques Sylvius parce qu'il y a trop de mots picards. Cela nous semble relever du mauvais prétexte car il y a certes des mots picards dans les exemples donnés par Sylvius, picard lui-même, mais leur nombre n'est pas si grand qu'il puisse gêner la lecture. Robert Estienne le sait bien puisqu'il a imprimé l'ouvrage de Sylvius. Il déclare avoir lu les deux auteurs, en avoir recueilli des éléments et avoir rassemblé par ailleurs ce qu'il avait appris «  des plus scavans en nostre langue  », c'est-à-dire de ceux qui avaient fréquenté la cour du Roi, son Parlement, sa chancellerie et la Chambre des comptes «  esquels lieux le langage sescrit et se prononce en plus grande pureté qu'en tous autres  »2. Il a ordonné et traité le tout à la manière des grammaires latines3. Il pense ainsi rendre service à ceux qui, en s'aidant de ses dictionnaires Latinfrançois et Francoislatin, veulent traduire du Latin en Français. Quant à ceux qui se plaindraient de ce que l'écriture ne suive pas assez la prononciation, il les rappelle à la raison en leur demandant de ne pas changer l' écriture et la prononciation la plus commune.
Il n'est pas indifférent de comparer cette adresse au lecteur à celle qui précède la traduction latine réalisée par Henri Estienne. Si la traduction est bien l' oeuvre du fils  : latine versus ab Henrico Stephano, il apparaît que l'épitre est due au père  : R. Stephanus lectori S. D. Dès le début il déclare que c'est pour rendre service aux étrangers désireux d'apprendre notre langue que sa grammaire française, écrite en français, a été traduite en latin. Il s'associe d'ailleurs à l'entreprise «  in Latinum vertenda curavimus  ». Il leur
1 J. Dubois (Sylvius) Introduction à la langue française suivie d'une grammaire 1531, traduction et notes de C. Demaizière, Champion, 1998.
2 Nous avons là, en quelque sorte, une première définition du «  b on usage  ».
3 C'est ce que nous retrouvons avec les parties d'oraison et leurs accidents.

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promet que l'apprentissage de notre langue leur sera grandement facilité s'ils lisent ce livre et bénéficient en même temps d'un «  bain linguistique  »  : cum nostratibus versati, car en écoutant parler nos compatriotes, ils s'habitueront aux accents que nous mettons souvent à la dernière syllabe des mots ainsi qu'à ces lettres que nous écrivons mais ne prononçons pas. Il se livre alors à un plaidoyer pour leur conservation en déclarant leur emploi nécessaire pernecessarium et qu'on ne peut les considérer comme superflues tantum abest ut sint supervacanece. On notera que, cette fois, il ne cite ni Sylvius ni Meigret mais on peut penser que ce développement sur l'utilité de garder les lettres muettes est une allusion indirecte à Meigret.
F. Brunot (o. c. p. 148) est très sévère dans son jugement sur cette grammaire  : «  une très grande partie du traité n'est qu'un plagiat des deux prédécesseurs qu'il juge insuffisants dans sa préface  : Dubois et Meigret  ». En effet, d'une part le sentiment de la propriété littéraire n'était pas le même à cette époque, d'autre part, dans son épitre au lecteur, il ne cache pas ses emprunts  : «  Nous ayans diligemment leu les deux susdicts autheurs, (qui pour certain ont traicté doctement, pour la plus part, ce qu'ils avoyent entrepris) avons faict ung recueil, principalement de ce que nous avons veu accorder à ce que nous avions le temps passé apprins des plus scayans...  ». En somme, il reconnaît bien en avoir retenu des éléments mais seulement ceux qui s'accordaient avec ce qu'il avait appris par ailleurs.
Le plus gros des emprunts à Sylvius se situe dans la dernière partie sur la mutation des lettres (R. Estienne p. 88- 110, Sylvius, la totalité de l'Isagoge p. 205-303 de notre traduction). On peut dire que tous les exemples donnés par R. Estienne sont chez Sylvius mais que Sylvius en donne davantage. Ainsi, pour le passage de a à e, Sylvius cite *aile,
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*mule, muse, penne, *plume, herbe, *porte, ville, pape, patriarche, monarche, *scribe, sophiste, ermite, homicide, idolatre, hypocrite, *apostume, sophisme, rume, poème, theme, diademe, *schisme, probleme, *tel, *quel, *sel, *mer, per, charité, *chèreté, honesté, dignité, *aesté, *conté, *ducé, Dauphiné, aimée, ligée, ouée, amé, amée. Seuls ceux qui sont marqués * se retrouvent chez Robert Estienne qui a cependant ajouté  : «  bonté et ainsi presque tous les autres mots terminés en -tas.  »
Lorsque (p. 98) Robert Estienne indique  : «  neuf autres manieres de faire qu'ont gardé nos anciens, pour de mots Latins en faire des François  » et (p. 99)  : «  aucunes reigles pour plus ample déclaration de ce que dict est es IX manieres précédentes  » il propose, en fait, mais sans appeler les phénomènes par leur nom, ce que Sylvius nomme prothèse estoille, épenthèse pouldre, paragoge Cicéron, aphérèse ord, orde, syncope angle, apocope libéral, métathèse tremper, synérèse seureté, substantifs en -age village etc... Chacun des exemples que nous venons de citer se trouve chez les deux auteurs mais ces phénomènes occupent chez Sylvius les p. 266-303 de notre traduction et chez R. Estienne les p. 98- 110. C'est sans doute par suite d'un constat de faiblesse de cette partie dans la grammaire de son père qu'Henri Estienne l'a reprise (p. 371-408 de l'éd. Chomarat) en s'en justifiant ainsi (p. 371)  : «  J'en viens aux dernières parties ou espèces du changement sur l'analyse desquelles mon père ne s'est pas attardé autant que sur la première... Pourtant il n'ignorait pas que cette analyse serait très utile, mais comme il était très absorbé par divers problèmes beaucoup plus importants, il voyait bien que s'il se chargeait de celui-ci par surcroît le temps lui manquerait pour achever ce qu'il avait entrepris.  »
Pour ce qui relève de la morphologie, le plan est le même, inspiré de Donat  : les parties du discours et leurs accidents,
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huit parties du discours chez Sylvius qui traite l'article en même temps que le nom et l'inclut dans le phénomène de la déclinaison  : le maistre, du maistre, au maistre tandis que Robert Estienne en fait une neuvième partie du discours à part entière. Pour le verbe, tous deux reconnaissent cinq modes, puisque le participe est une partie du discours séparée, et quatre conjugaisons, la première en -er, la deuxième en - oir, la troisième en-re et la quatrième en ir. Les modèles proposés, beaucoup plus développés chez R. Estienne, sont avoir, être, aimer communs aux deux ouvrages. Robert Estienne donne aussi la conjugaison d'aimer au passif puis présente encore en entier  : aller, comme irrégulier, voir pour la deuxième conjugaison, cognoistre pour la troisième, bastir pour la quatrième et des listes de verbes «  dissemblables  ». Sylvius, à partir de la deuxième, ne donne plus que des listes de verbes et ne développe aucun exemple particulier pour les troisième et quatrième conjugaisons. Incontestablement, pour ce qui est de l'apprentissage des conjugaisons, la grammaire de Robert Estienne est beaucoup plus pédagogique et doit fort peu à Sylvius dans le domaine de la morphologie.
Si maintenant nous la considérons sous l'angle de la dette envers Meigret, nous en revenons encore un peu à Sylvius, puisque Franz Josef Hausman 1 juge que Meigret avait sous les yeux la Grammatica latino-gallica de celui-ci. Quoi qu'il en soit, si nous comparons Meigret et R. Estienne, nous constatons d'abord qu'en matière de parties du discours, ils ont le même point de vue mais Meigret se montre plus timide. Il n'ose pas faire de l'article une neuvième partie mais il déclare qu'il y a «  huit parties, outre les articles  » c'est-à-dire qu'il n'ose pas innover sur le nombre canonique. L'exposé sur l'article est plus clair et plus
1 Louis Meigret humaniste et linguiste, Gunter Narr Verlag, Tübingen 1980, p. 142.

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développé chez R. Estienne, qui a emprunté (p. 20) à Meigret quelques-uns de ses exemples p. 22 § 8. 9. 111). C'est pour les verbes que Brunot le juge le plus redevable et il en donne pour preuve (p. 149-150) deux passages comparés Rob. Estienne p. 38 et 41 ; Meigret p. 69 y° et 66-67.2 Certes, il y a, dans l'ensemble de la présentation du verbe, beaucoup de points communs  : cinq modes  : indicatif, impératif, optatif, conjonctif et infinitif ; trois grandes divisions du temps  : présent, passé, futur avec, pour le passé trois prétérits  : imparfait, parfait et plus-que-parfait ; le passage sur les espèces des verbes (R. E. p. 36, L. M. p. 77) est identique à un ou deux mots près et les exemples sont les mêmes ; les exemples de conjugaisons sont également les mêmes, sauf pour la troisième où Estienne donne cognoistre et Meigret lire. De plus, Estienne donne aller et le passif d'aimer qui ne sont pas chez Meigret. Sur les adverbes, Estienne est plus développé et plus clair avec un bon classement des significations diverses. Beaucoup d'exemples se retrouvent dans les deux grammaires mais comment l'éviter et pourquoi perdre du temps à rechercher à tout prix d'autres exemples quand on en a sous la main  ?
Donc, Estienne s'est, en effet, inspiré de Sylvius et de Meigret mais le jugement de F. Brunot semble excessivement sévère quand il écrit (p. 148)  : «  Estienne ne donne pas tout ce qu'il y a dans Meigret ; il ne donne quasi rien qui n'y soit pas. Sa transcription a sur l'original l'avantage d'une simplicité plus grande, ses extraits sont plus nets, appropriés à un livre pratique, mais ce ne sont tout de même que des extraits  » et (p. 150)  : «  Quelque jugement que l'on porte sur
1 Nous renvoyons aux p. de l'édition de la Grammaire par F. J. Hausmann.
2 Ces pages sont, pour Rob. Estienne, celles de l'édition de 1569, qui correspondent à 33 et 35 de 1557 ; pour Meigret à 72 et 69 de l'édition Hausmann.

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de tels procédés d'appropriation, la constatation suffit à remettre le traité à sa vraie place. On peut estimer qu'il a été un résumé commode et utile ; il demeure acquis en tout cas qu'il n'est qu'une compilation, à peu près sans intérêt, dans l'histoire des recherches et de la science grammaticales.  » Assurément, il ne faut pas rechercher une théorie grammaticale nouvelle et originale dans l'ouvrage d'Estienne. Son auteur est un imprimeur-éditeur et lexicographe, savant certes, mais ce n'est pas un théoricien de la grammaire. Son métier d'imprimeur lui donne un regard, une vision de ce que doit être un ouvrage destiné à aider les jeunes gens dans leur apprentissage. Il apporte de la clarté à un livre qui se veut pédagogique. C'est une autre démarche mais elle n'est pas encore très fréquente à l'époque et ni la grammaire de Sylvius ni celle de Meigret ne brillent par une composition claire et aérée. La grammaire de 1557 et encore plus l'édition de 1569 sont de très bons exemples de ce que pouvait être au XVI' siècle un très utile et très pratique livre scolaire.