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Classiques Garnier

Notice

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NOTICE

Marie-Anne Barbier fut peut-être la première dramaturge en France à avoir mené une véritable carrière professionnelle. Baptisée à Orléans le 21 janvier 1664, elle était issue dun milieu modeste dartisans bourgeois. Son père, Jacques Barbier, maître artillier avant de devenir commissaire provincial dartillerie, avait épousé Marie Sinson, dont la famille appartenait à la bourgeoisie doffices. Après leur départ dOrléans, ils rejoignirent peut-être Paris, où les Sinson étaient installés. On ne sait rien des années de formation de Marie-Anne Barbier. À la fin du xviie siècle, elle fréquentait le salon de Marie-Anne Mancini, et composa « quelques élégies » et pièces fugitives dont il ne reste aucune trace. Ses premiers essais littéraires furent encouragés par le poète Martin de Baraton, puis le dramaturge Edme Boursault, qui lui servit de mentor dans sa carrière dramatique.

En juillet 1701, elle publia une courte « Épitaphe de Mlle de Scudéry » dans le Mercure galant. Dès ce début apparut le souci de sinscrire dans une généalogie littéraire féminine, en nouant des contacts avec des protectrices puissantes. Soutenue par Boursault qui lintroduisit auprès des Comédiens-Français, elle fit jouer sa première tragédie, Arrie et Pétus, en 1702. La pièce attira lattention de ses contemporains : certains laccusèrent de nêtre que le prête-nom dun auteur masculin. Elle répondit à ses détracteurs dans la préface de lédition, soulevant une polémique qui se prolongea jusque dans les écrits de Voltaire. À la création de sa deuxième tragédie, Cornélie, mère des Gracques (1703), les critiques citèrent lun de ses proches, labbé Simon-Joseph Pellegrin, qui réfuta cette attribution. Au cours de cette décennie, lautrice donna encore deux autres tragédies, jouées à la Comédie-Française (Tomyris, en 1706, puis La Mort de César, en 1709). À la recherche de mécènes et dun réseau littéraire féminin, elle mena une activité mondaine et devint une habituée du salon de la peintre Élisabeth-Sophie Chéron.

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Avec la Régence souvrit une nouvelle période dans sa carrière : après la disparition de plusieurs de ses amis et mécènes, Marie-Anne Barbier montra des ambitions plus professionnelles que mondaines, et chercha la protection dun homme de pouvoir, labbé Bignon, bibliothécaire du roi et rédacteur du Journal des savants. Abandonnant la tragédie, elle se tourna vers de nouveaux genres littéraires, plus proches des « Modernes », comme en témoigne, en 1713, son recueil dHistoires galantes inspirées des Sucesos y prodigios de amor de J. Pérez de Montalbán. En 1716 et 1718, elle connut ses plus grandes réussites avec deux livrets dopéra : Les Fêtes de lété tinrent laffiche à lOpéra pendant plusieurs mois, tandis que Le Jugement de Pâris donna lieu à de nombreux commentaires, parodies et reprises. Elle fit également paraître un périodique, Saisons littéraires, qui contenait dimportantes critiques théâtrales au moins en partie siennes. Après 1722, Marie-Anne Barbier cessa de publier, mais continua à écrire, comme lattestent deux comédies manuscrites en prose. Les rares traces de lautrice, après sa disparition de la scène littéraire, laissent supposer quelle continua dévoluer dans le milieu du théâtre. La date et le lieu de sa mort restent inconnus, mais Titon du Tillet, qui connut personnellement Marie-Anne Barbier, affirme quelle est morte « vers lannée 1745, dans un âge très avancé ».

La signification de lœuvre de Marie-Anne Barbier est double. Dabord, elle représente un ensemble cohérent, témoignant de la volonté de cette femme de se faire une carrière littéraire. Reniant le discours « aristocratique » des autrices de théâtre occasionnelles, elle gagna sa vie en tant que dramaturge. Elle ne se limita pas à la seule écriture de pièces, mais critiqua aussi les pièces des autres – en loccurrence, des auteurs respectés comme Corneille et Crébillon. Enfin, elle veilla à la confection dune édition-épitaphe de ses œuvres dramatiques complètes, qui rappelle les grandes éditions de Molière et de Corneille.

Dautre part, dans son œuvre tragique Marie-Anne Barbier entama un dialogue avec ses prédécesseurs Corneille et Racine, au moyen dun jeu intertextuel recherché. Malgré le poids de cet héritage, elle sut élargir les frontières de la tragédie en valorisant laspect affectif de ses héros. Elle privilégia également la mise en scène de « femmes fortes » issues de lhistoire antique et fit preuve dun intérêt marqué pour « la gloire de [son] sexe ». Lattribution de son œuvre à Pellegrin, encore citée aujourdhui, est démentie par une comparaison formelle des 355œuvres des deux auteurs, aussi bien que par les documents dépoque. Cela na dailleurs pas nui à la fortune littéraire de lautrice au cours du xviiie siècle : traduite en néerlandais, allemand, italien et russe, son œuvre a parfois acquis à létranger un statut rarement atteint en France. Les études récentes valorisent non seulement le prisme féministe de son écriture, sa contribution à lesthétique post-classique mais surtout réinscrivent son œuvre dans le rayonnement du répertoire théâtral de lépoque.