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Classiques Garnier

Notice

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Notice

On ignore presque tout de la vie de Catherine Durand. Sa date de naissance et celle de son mariage sont inconnues. Elle nutilisa jamais le nom de Bédacier dans ses publications, préférant son nom de jeune fille parce que, dit-on, elle avait commencé à écrire avant son mariage. Pour la date de sa mort, les historiens ont proposé soit 1712-1714, soit 1736. Dans la préface de son dernier roman, Henry Duc des Vandales (1714), léditeur déclare que Les Belles Grecques (1712) furent le dernier ouvrage quelle avait fait imprimer avant sa mort. Cependant, la préface du volume contenant ses ouvrages posthumes, paru en 1737, donne limpression que sa mort aurait été assez récente. Il nest pas précisé qui a obtenu le privilège collectif pour la publication de ses œuvres complètes en 1732, mais on pourrait supposer que ce fut Mme Durand elle-même, désireuse de perpétuer sa réputation littéraire. Dans ce cas-là, elle dut décéder en 1736, avant la parution du dernier volume de la collection. Puisque tous les historiens, depuis Joseph de Laporte en 17711, affirment quelle mourut en 1736, et quon comprend mal pourquoi, si lautrice était décédée vers 1712, le dépositaire de ses manuscrits aurait attendu une vingtaine dannées avant de les faire publier, nous croyons que léditeur de 1714 avait été mal renseigné.

Une seule date de la vie de Catherine Durand demeure irréfutable : en 1701, elle remporta le prix annuel de lAcadémie Française pour une ode devant louer le roi Louis XIV autant pour ses qualités dhonnête homme que pour ses talents royaux. Cette ode, ainsi que ses petits ouvrages en vers, ne témoigne pas dune grande inspiration. Mme Durand nayant jamais tenté ses chances sur la scène, son œuvre dramatique se limite à une série de proverbes dramatiques – divertissements de salon qui renferment une devinette –, destinés soit à la lecture, soit à une représentation privée, et 242à un livret dopéra maladroit et apparemment inachevé, Adraste, publié après sa mort. Cest surtout comme romancière quelle se fit connaître, cultivant une variété de genres, de la nouvelle courte au grand roman en deux volumes. Elle pratiqua surtout la fiction historico-galante, mais certaines de ses histoires damour ont parfois un cadre plus contemporain. Toujours attentive au goût du public, elle participa à la nouvelle mode des contes de fées en en insérant quelques-uns dans ses premiers romans, La Comtesse de Mortane (1699) et Les Petits Soupers de lété (1702).

Mme Durand étala le plus doriginalité dans les ouvrages où elle peignit le monde quelle fréquentait et chérissait, celui des salons. Son portrait des cercles aristocratiques raffinés domine non seulement des romans réalistes, tels que Les Petits Soupers de lété, mais aussi des ouvrages historiques tels que Les Belles Grecques, étude de quatre courtisanes de lantiquité, quelle refuse de condamner pour leur profession, préférant mettre en relief leur intelligence et leur raffinement, voire dans certains cas leur fidélité à lhomme sincèrement aimé. Ce goût pour la peinture mondaine se retrouve également dans ses contes de fées : le rôle du surnaturel y est réduit au minimum, les palais magiques renvoient aux résidences aristocratiques du monde réel, et les fées apparaissent comme des coquettes frustrées dont les amours finissent mal. Cest surtout dans ses ouvrages dialogués, Les Comédies en proverbes et les Dialogues des Galantes modernes (1737), quelle afficha sa grande admiration pour son sexe, et son intérêt pour les questions sociales et morales. Certes, lautrice ne se risqua pas à bafouer les lois de la morale et les convenances sociales, et dans la plupart des comédies et des dialogues ce sont les personnages bien pensants qui ont le dernier mot. Néanmoins, beaucoup de ses personnages féminins osent sémanciper de la tutelle parentale ou maritale, et revendiquent le droit aux plaisirs personnels, y compris le droit de prendre un amant avant ou pendant le mariage, ou même darranger son propre mariage. Mme Durand satirise lhypocrisie des bienséances concernant les femmes, elle dénonce les lieux demprisonnement (couvents, maisons isolées à la campagne), et, dans deux proverbes, elle ose mettre des jeunes aristocrates arriérés en contraste avec des fiancées spirituelles et entreprenantes. Cette vision satirique, où le cynisme nempêche pas un regard tendre et amusé, donne toute sa saveur à ces comédies de mœurs en miniature.

1 Joseph de Laporte, Histoire des femmes qui se sont rendues célèbres dans la littérature française, Paris, J. P. Costard, 1771, t. 3, p. 85.