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Classiques Garnier

[Marguerite d'Angoulême, duchesse d'Alençon, reine de Navarre (1492-1549)] Notice

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Théâtre de femmes de l’Ancien Régime. Tome I. xvie siècle
  • Pages : 33 à 36
  • Collection : Bibliothèque du xviie siècle, n° 17
  • Série : Théâtre, n° 1
  • Thème CLIL : 3439 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moderne (<1799)
  • EAN : 9782812420535
  • ISBN : 978-2-8124-2053-5
  • ISSN : 2258-0158
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-2053-5.p.0033
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 02/06/2014
  • Langue : Français
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Notice

Fille de Louise de Savoie et de Charles d’Orléans comte d’Angoulême, Marguerite, née le 11 avril 1492, vécut à une époque de profondes transformations des traditions intellectuelles, religieuses et esthétiques. Grâce à sa mère, elle bénéficia, au même titre que son frère aîné François Ier, d’une solide éducation. Marguerite avait à sa disposition la bibliothèque d’Angoulême, de Cognac et d’Amboise ainsi que les collections royales de Blois, Fontainebleau et Paris. Cet accès précoce à la culture littéraire marqua sa vie intellectuelle et spirituelle, et lui permit de produire une œuvre personnelle relevant d’une grande variété de genres.

Marguerite fut mariée en 1509 à Charles IV, duc d’Alençon. Après son veuvage en 1525, elle épousa Henri d’Albret, roi de Navarre, et donna naissance en 1528 à Jeanne d’Albret, mère du futur Henri IV. Complice et admiratrice de son frère depuis son enfance, Marguerite joua un rôle politique actif au côté de François Ier, après son couronnement en 1515, ainsi qu’auprès de leur mère, plusieurs fois régente du royaume. Elle fut souvent chargée de missions diplomatiques et négocia la libération du roi prisonnier de Charles Quint après la défaite de Pavie en 1525. Elle conserva une certaine influence politique sur son frère jusqu’en 1540, malgré l’affaire des Placards1 qui, dès 1534, entama leurs relations. François Ier, bien que tolérant, prit alors ses distances avec sa sœur, dont les sympathies allaient aux réformés. L’opposition de Marguerite au mariage de sa fille avec le duc de Clèves, ordonné par François Ier en 1541, acheva de les éloigner. Profondément affectée par la mort de son frère, survenue en 1547, écartée du pouvoir par son successeur Henri II, elle se retira en Navarre avec son mari, où elle décéda le 21 décembre 1549.

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Comme le révèle sa correspondance, si Marguerite se rendait souvent à la cour de France, elle faisait néanmoins de longs séjours dans les Pyrénées et en Gascogne, à Mont-de-Marsan, Nérac, Pau ou encore Cauterets. Ses livres de dépenses rendent compte du nombre important de responsabilités qui lui incombaient ainsi que des revenus qu’elle tirait de ses domaines. Elle développa un intense mécénat artistique et littéraire, mis au service d’artistes et écrivains proches des idées nouvelles. La spiritualité occupa une place centrale dans sa vie et ses œuvres. Elle s’exprima dans des actes de piété traditionnels tels que lectures saintes, prières, visite des pauvres, bonnes œuvres, mais prit également une forme plus engagée à travers ses nombreux échanges avec les penseurs de son temps. Son importante correspondance avec Lefèvre d’Etaples et Briçonnet témoigne ainsi de son engagement intellectuel dans les discussions théologiques sur les Écritures. Outre Lefèvre, Marguerite protégea d’autres humanistes persécutés par le Parlement de Paris ou la Faculté de Théologie de la Sorbonne tels que Roussel, Marot, Rabelais, Des Périers et Berquin (traducteur de Luther). Nombre d’écrivains trouvèrent refuge à sa cour, où elle anima une vie intellectuelle riche, tout en se consacrant avec simplicité et humilité à Dieu, dans une recherche spirituelle évoquant déjà un certain quiétisme.

Marguerite prit également sa place dans les débats intellectuels et religieux de son temps en tant qu’autrice. Elle est surtout connue pour son Heptaméron, une réflexion sur la condition humaine menée à travers les débats de cinq femmes et cinq hommes, sous la forme de soixante-douze nouvelles, organisées en journées sur le modèle des contes du Décaméron de Boccace dont elle s’inspira. Dans cet ouvrage, composé à partir des années 1540 mais publié après sa mort, Marguerite associa la forme dialogique au récit, transformant le genre court de la nouvelle. En 1541, elle poursuivit dans cette voie en composant La Coche, une discussion entre trois femmes sur l’amour. Son goût pour les formes dramatiques du débat et de la conversation, qui lui permettaient de confronter les opinions et d’éclairer des concepts clés, fut également à l’origine de son théâtre. Enfin, son œuvre poétique, d’inspiration religieuse, fut considérable. Marguerite regroupa une partie de sa production dans un recueil, Les Marguerites de la Marguerite des Princesses, publié en 1547.

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À travers des écrits qui sondent avec finesse et sensibilité les arcanes de l’âme humaine, Marguerite de Navarre fut une autrice engagée, liant intimement dévotion envers Dieu et quête humaniste d’une profonde connaissance de soi.

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Les vocables utilisés pour qualifier le théâtre de Marguerite de Navarre se voient sans cesse discutés par les éditeurs modernes. Aux notions de « sacré ou profane », nous préférons la distinction « biblique ou non-biblique » choisie par Geneviève Hasenohr et Olivier Millet2, qui conserve aux pièces non bibliques leur résonance religieuse ou spirituelle.

Les pièces non-bibliques sont au nombre de sept : trois satires religieuses (Le Malade, LInquisiteur, Trop Prou Peu Moins), deux divertissements mondains sur la question de l’amour (Comédie des Quatre femmes, Comédie des Parfaits amants), et deux méditations lyriques (Comédie sur le Trépas du roi, Comédie du Mont de Marsan). Les pièces bibliques forment une tétralogie : la Comédie de la Nativité, la Comédie de lAdoration des trois rois, la Comédie des Innocents et la Comédie du Désert. Le mot « comédie », que l’on trouve sur les manuscrits (comme celui de « farce »), ne doit pas induire en erreur : il a alors le sens neutre qu’il avait au Moyen Âge et peut désigner tout type de pièce, sans distinction de genre. Le théâtre de Marguerite de Navarre porte du reste la marque de la dramaturgie médiévale : les pièces bibliques évoquent les mystères médiévaux ; les pièces non-bibliques relèvent de la farce, de la sottie, et surtout de la moralité dont elles partagent le même souci de didactisme.

Quelques témoignages indiquent que certaines de ces pièces furent jouées, notamment par des jeunes gens de la Cour. Quant à leur composition, il est impossible de la dater précisément. Marguerite, très proche du groupe réformiste de Meaux, commença à écrire ses pièces après l’affaire des Placards (1534), après avoir encouragé les prêches des bibliens (protestants) et déclenché la colère de la Sorbonne. Il est probable qu’elle a poursuivi cette activité jusqu’à la fin de sa vie. Les Écritures sont au centre de son œuvre dramatique, et il est impossible, dans ce contexte de création, d’en ignorer l’aspect subversif et satirique. Les comédies bibliques sont l’exégèse pratiquée par Marguerite, une

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exégèse qui s’enrichit du support visuel de la représentation – c’est en cela que son théâtre apparaît souvent comme allégorique –, et du support oral – qui donne ainsi naissance à un lyrisme incantatoire, quasi opératique. Non contente d’avoir favorisé l’édition du Nouveau Testament en français, Marguerite a donc choisi de vulgariser les Évangiles grâce au théâtre. Le texte dramatique devient à la fois outil de réflexion, de méditation et de diffusion.

Pour établir la présente édition, nous nous sommes appuyées à la fois sur les premiers éditeurs modernes du théâtre de Marguerite de Navarre, Pierre Jourda et Verdun-Louis Saulnier, et sur ses éditeurs plus récents : Geneviève Hasenohr et Olivier Millet, Barbara Marczuk. Nous avons choisi de faire apparaître typographiquement l’étonnante variété de vers de ces textes (tétrasyllabes, pentasyllabes, hexasyllabes, heptasyllabes, octosyllabes, décasyllabes – sans parler des vers libres) et leur extraordinaire richesse strophique (triolet, tercet, quatrain, cinquain, sizain, huitain, dizain, douzain, quatorzain). Des choix qui soulignent souvent le contenu des vers3.

1 Des écrits injurieux avaient été placardés à Paris et à Amboise, jusque sur la porte de la chambre royale de François Ier. Le pasteur Antoine Marcourt y attaquait, entre autres, la transsubstantiation catholique. Suite à cette affaire, François Ier confessa ouvertement sa foi catholique et déclencha la persécution de nombreux réformistes.

2 Pour l’ensemble des références éditoriales, voir le Complément bibliographique.

3 Pour le détail des schémas métrique et strophique, voir le Théâtre complet (2002) et l’édition de Marczuk (p. 58-60).