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Classiques Garnier

Introduction

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Introduction

Le grand désordre financier a incontestablement commencé avec léclatement de la bulle technologique le 23 mars 2000. Lhystérie financière qui avait accompagné le délire de la Nouvelle Économie répondait à la première vague dangoisse des papy-boomers. Sen est suivi un enchaînement bulle –krach parfaitement conforme au scénario en cinq étapes décrit par Minsky (op. cit.).

Cette crise boursière, aggravée par les évènements du 11 septembre 2001 puis en 2002 par la découverte des dérives managériales (Enron, World Com, Vivendi), na eu que des effets limités au plan économique, au point que lon a pu parler dune récession brève et douce (« short and mild »). Cest en fait la résolution de cette crise et le rebond de la croissance, quoiquelle ait été fort peu créatrice demploi (« jobless recovery »), qui ont mis en place les conditions de la suivante, soigneusement dissimulées sous les apparences de la « Grande modération ». De 2002 à 2007, léconomie américaine et, dans son sillage, quasiment toute léconomie mondiale ont connu une croissance sans heurts et sans inflation, jusquà ce que le retournement du marché immobilier américain vienne écrouler le château de cartes et déclencher la crise qui perdure.

Contrairement à ce que prétend le récit commun, qui la fractionne en épisodes indépendants, affublés de causes exogènes spécifiques, la crise économique et financière qui sétend de 2006 à aujourdhui, est en effet une crise unique. Elle a puisé ses racines dans laggravation des déséquilibres de léconomie réelle, en amont du système bancaire. Après avoir sévèrement ébranlé celui-ci, elle sest transportée vers la dette publique, jusquà la crise grecque de 2015. Elle se prolonge par lanomalie des taux nuls ou négatifs. En labsence de changements radicaux, la prochaine étape sera inévitablement sa propagation au dernier bastion du système, cest-à-dire aux Banques centrales elles-mêmes.

La crise était – et reste – en dehors du champ danalyse des théoriciens orthodoxes qui ne sintéressent guère aux conditions de financement de 72léconomie et aux interactions entre sphère réelle et sphère financière. Pourtant, au rebours de la version « officielle », le volet bancaire de la crise ne peut en aucun cas être imputé aux seules erreurs et inconduites de la profession, même si celles-ci lont incontestablement amplifiée. De même, lexplosion de la dette publique na pas eu pour cause principale lindiscipline budgétaire, en dépit du laxisme évident de certains gouvernements. 

La crise était prévisible à condition de porter un regard critique sur la reprise de léconomie américaine entre 2003 et 2006, au lieu de lencenser béatement. De fait, elle na été annoncée que par la poignée déconomistes et de stratégistes financiers non-conformistes qui pensaient que linstabilité est une caractéristique inhérente de la sphère financière, que linnovation et la dérégulation avaient singulièrement accrue.

Le défaut général de prévision aurait normalement dû susciter des réflexions sur la validité de la pensée économique et déboucher sur un renouvellement des hommes et des idées. Au lieu de réformes en profondeur, dont quelques-unes furent brièvement esquissées et aussitôt abandonnées, on a vu les États-Unis repartir dans un nouveau « rally » boursier en dépit dune reprise « mollassonne » sous perfusion des prêts étudiants (« students loans ») et des subprimes de retour, cette fois sur les crédits auto. Au même moment, les politiques daustérité expansive (sic) semployaient à asphyxier lEurope tandis que les derniers bastions de la social-démocratie cédaient ouvertement à la tentation néo-conservatrice (cf. ladhésion tardive du gouvernement Hollande-Valls à léconomie de loffre), avec le résultat que lon connait, croissance atone, emploi sacrifié à travers le chômage et lapparition des « travailleurs pauvres » etc.