Introduction
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Taux d’intérêt négatifs, le trou noir du capitalisme financier. Essai
- Pages : 111 à 113
- Collection : Bibliothèque de l'économiste, n° 15
- Thème CLIL : 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
- EAN : 9782406072447
- ISBN : 978-2-406-07244-7
- ISSN : 2261-0979
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07244-7.p.0111
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 06/10/2017
- Langue : Français
Introduction
L’étude du rôle des Banques centrales dans le développement, la gestion et le dénouement espéré de la crise qui va être abordée maintenant est certainement la partie du livre la moins aisément accessible au lecteur profane, parce qu’elle fait appel aux notions complexes de l’économie monétaire, à commencer par la nature de la monnaie elle-même.
L’approfondissement proposé est cependant un effort vraiment nécessaire pour comprendre la place qu’occupent les Banques centrales dans les sociétés contemporaines et par quel cheminement elles y ont accédé. Il révèle une diversité de philosophies autant que de modes opératoires assez éloignée de la vision monolithique rabâchée par la littérature conventionnelle et la presse, voire par les Institutions elles-mêmes. Il met en lumière des lacunes, des erreurs et des partis-pris qui sont très éloignées de l’image de sagesse impartiale véhiculée par les mêmes. Il entrouvre enfin une porte potentiellement inquiétante sur une gouvernance mondiale dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle manque singulièrement de transparence.
Pour bien situer notre propos rappelons que nos deux premières parties ont fait ressortir deux faits essentiels :
–Le capitalisme hyper financiarisé qui a pris le pouvoir dans les années 1980-1990 (quatre premiers chapitres) dans un contexte d’économie globalisée a débouché sur une crise multiforme et prolongée au xxie siècle (trois chapitres suivants) qui aurait normalement dû conduire à son réexamen critique.
–Insensibles à ces échecs, les autorités politiques, appuyées par une majorité d’experts, ont refusé de remettre en cause le modèle de capitalisme de rentiers. Elles ont au contraire confié aux Banques centrales la mission de le maintenir en vie coûte que coûte, en privilégiant les mesures de court terme nonobstant leurs conséquences néfastes à moyen-long terme. 112–Dans le même temps, les politiques budgétaires ont divergé, au sein des économies « avancées » du monde occidental, entre l’austérité ciblée sur les classes moyennes en Europe et une plus grande souplesse budgétaire dans les pays anglo-saxons qui a permis à l’économie de ces derniers de connaître une certaine reprise. Dans tous les cas les inégalités – de revenus et de patrimoines – qui étaient à l’origine de la crise ont continué de se creuser.
À la lumière de ces évènements, le titre de notre troisième partie, « Entre les mains des Banques centrales », peut être interprété de deux façons radicalement opposées. Dans une première approche, la Banque centrale va être vue comme le tiers de confiance dans les mains duquel reposent l’édification et la préservation de l’environnement monétaire et financier le plus favorable à la prospérité. La Banque centrale apparaît alors comme l’alliée objective de la gouvernance politique sauf lorsque celle-ci « dérape », auquel cas elle endosse le rôle de garant du retour à un ordre économique orthodoxe. En cas de crise, enfin, la Banque centrale revêt le costume du prêteur de dernier ressort et sauve l’économie de la dépression.
Ainsi se dessine une image de la Banque centrale à la fois pilier du système économique, gardienne du Temple de la Raison et sauveur ultime face aux crises. Confrontés à la crise du système financier et de l’économie, Ben Bernanke en 2008 et Mario Draghi en 2012 ont littéralement sauvé le monde.
Les Banques centrales ont été les héroïnes de la crise financière mondiale. Par rapport à la politique monétaire conventionnelle, les politiques monétaires non conventionnelles de ces dernières années ont été plus audacieuses dans leur ambition et menées sur une plus grande échelle. Ces mesures exceptionnelles ont permis au monde de ne pas sombrer dans le précipice d’une autre Grande Dépression. Elles ont permis d’éviter un effondrement du système financier et de l’activité1.
Une tout autre lecture consiste à internaliser les Banques centrales dans le processus de transition vers le capitalisme de rentier qui a été 113décrit dans la première partie, sinon comme promoteurs, au moins comme facilitateurs dudit processus et acteurs essentiels de l’autonomisation de la sphère financière. « Entre les mains » évoque alors plutôt la dépossession du politique et une amputation de la souveraineté démocratique, au nom des règles d’or de l’orthodoxie financière et des impératifs de protection/sécurisation des marchés. La prise de contrôle des Banques centrales sur l’économie mondiale au cours des trente dernières années et en particulier depuis les années 2000, apparaît dans cette perspective à la fois comme un aboutissement et un échec.
Un aboutissement dans la mesure où, à travers cette « remise entre les mains », les oligarchies financières ont définitivement remporté la bataille contre les forces productives (les salariés mais aussi les PME/TPE).
Un échec, parce que cette victoire, qui s’est dessinée au milieu des crises que nous avons étudiées précédemment, a finalement débouché sur l’obligation de porter les taux d’intérêt en territoire négatif, autrement dit d’éteindre la rente financière. Les Banques centrales ont-elles simplement « trahi » les prêteurs, en monétisant la dette pour sauver les États-emprunteurs ? C’est la thèse défendue par Patrick Artus2, thèse qui présuppose que la crise « commence » en 2007-2008 et ignore qu’elle puise ses racines dans le surendettement privé et le laxisme des prêteurs dans les années (décennies) précédentes. C’est pourquoi nous défendons l’idée opposée. Par l’accumulation de leurs erreurs de diagnostic et l’asymétrie de leurs stratégies (pour les marchés financiers et contre l’inflation) les Banques centrales se sont mises en position de prisonnières ou otages d’un système financier menacé d’effondrement et cela au moment même où elles avaient fini par croire à leur toute-puissance3.
1 Christine Lagarde. Directrice général du FMI. Discours au symposium de la Fed de Kansas-City à Jackson Hole le 23 août 2014.
2 Normalement, une Banque centrale indépendante défend les prêteurs ; aujourd’hui les Banques centrales indépendantes défendent les emprunteurs, en particulier les États : ceux qui ont établi les Banques centrales indépendantes se sentent trahis. Flash Économie Natexis 28 juin 2016.
3 Palma José (2009).