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Classiques Garnier

[Introduction à la deuxième partie] L'entrée en littérature

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Simone de Beauvoir, l’existence comme un roman
  • Pages : 225 à 226
  • Collection : Études de littérature des xxe et xxie siècles, n° 62
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406059073
  • ISBN : 978-2-406-05907-3
  • ISSN : 2260-7498
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-05907-3.p.0225
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 27/06/2016
  • Langue : Français
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Ce fut une lente reconquête qui samorça au printemps 1931, lorsquil me fallut décider de mon avenir immédiat (FA, 100).

À peine sortie de ses années de formation et de genèse de soi, Beauvoir entre dans une nouvelle décennie : les années trente. Elle quitte lunivers rassurant et protecteur des Cahiers de jeunesse avec la nécessité et lurgence de faire des choix déterminants pour son avenir, de poursuivre, coûte que coûte, lentreprise de « création continuée1 » dans laquelle elle sest engagée. Il faudra encore quelques années à la jeune femme avant dachever sa métamorphose décisive, celle qui consiste à passer définitivement de « lécole » à la littérature et dêtre « au sens essentialiste du mot, un écrivain2 ».

Dans le film de Josée Dayan et Malka Ribowska, intitulé Simone de Beauvoir, Sartre revient sur les débuts de lactivité littéraire de sa compagne. Cest vers lâge de quinze ans, cest-à-dire en 1923, que Beauvoir a voulu écrire, et de manière décisive. « Sur un carnet comme en ont les jeunes filles – on me demandait quelles étaient mes préférences, mes fleurs favorites, etc., ce que je voulais être plus tard –, javais écrit, sans hésiter du tout : un écrivain célèbre. » Tout en reconnaissant, dans cette vocation, linfluence du père, qui vouait un culte pour la littérature, elle affiche les deux raisons qui lont fait tendre vers lactivité littéraire : « Il y avait donc à la fois le goût de la célébrité et celui de lécriture proprement dite qui venait de mon amour pour la lecture3 ». Dans un entretien avec Michel Sicard, en juillet 1978, elle reconnaîtra que la philosophie, bien quelle lintéressât, nétait pas sa vocation4. Ce 226bilan rétrospectif qui adopte un point de vue tranché sur la question de la vocation est à nuancer si lon tient compte de cette période de latence et dhésitations – le début des années trente – pendant laquelle Beauvoir tente dajuster sa position à sa nouvelle situation, forcée puis assumée : celle du professorat.

En effet, la vocation littéraire, si elle puise ses racines dans lenfance de Simone, se voit concurrencée par une autre mission, celle du professorat, qui vient se substituer en partie, du moins pour quelques temps, à lactivité créatrice. La position ambiguë quadopte Beauvoir par rapport à lactivité professorale, faite dattraction et de répulsion, mais aussi par rapport à lactivité décriture, invite à poser lhypothèse dune double vocation, du moins dune vocation concurrentielle, ce qui distingue nettement la future écrivaine de la position tenue à la même époque par Sartre, privilégiant systématiquement lécriture sur lenseignement.

1 Jemprunte cette expression à S. Le Bon de Beauvoir (cf. « Introduction » aux CJ, p. 40).

2 Simone de Beauvoir, film de Josée Dayan et Malka Ribowska, réalisé par José Dayan, Paris, Gallimard, 1979, p. 23.

3 Ibid., p. 17.

4 « S. de B. : Moi depuis que je voulais écrire, cest-à-dire à peu près depuis mon adolescence et même presque avant, cétait des romans : la philosophie mintéressait énormément quand jen ai fait, mais ce nétait pas exactement ce que jaurais pu appeler ma vocation » (« Entretien avec Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre », réalisé par Michel Sicard en juillet 1978, repris dans Sartre, Obliques, no 18-19, 1979, p. 327).