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Classiques Garnier

Préface

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Servandoni maître des machines
  • Pages : 7 à 8
  • Collection : L'Europe des Lumières, n° 85
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406132820
  • ISBN : 978-2-406-13282-0
  • ISSN : 2258-1464
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-13282-0.p.0007
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 19/10/2022
  • Langue : Français
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Préface

Le nom de Servandoni mest lointain, en demie teinte, presque fantomatique.

Je me souviens quenfant, familier du jardin du Luxembourg, je voyais dépasser, derrière le Sénat, ces étranges tours dissemblables de Saint Sulpice. Jinterrogeais mon père sur le fait que lune delles nétait pas finie dêtre sculptée, chose étrange pour un enfant devant un bâtiment aussi ancien. Larchitecte, Servandoni, était mort avant lachèvement du monument.

Plus tard, entrant dans cette même église, je fus attiré, tout au fond, par cette chapelle de la Vierge crépusculaire, où était organisé, par un système doculus déporté, un effet de lumière zénithale bleuâtre, quintessence de la théâtralisation baroque, croyais-je, mais qui savéra être une mise en scène du même Servandoni.

Minformant sur lartiste, je lai découvert voyageur, architecte bien sûr, urbaniste, mais aussi peintre, décorateur et même machiniste. À la recherche, comme toujours, desquisse ou de maquette de décor, je nai presque rien trouvé, hormis ses peintures de chevalet, assez belles, dans le style dHubert Robert.

Un détail cependant ; dans le salon de musique du château de Condé, lenlèvement de Proserpine, peint directement sur un grand miroir, créant un effet doptique surprenant, donne, à nouveau, la mesure de son talent en matière dinvention scénique.

Mais voici que Madame Sajous DOria apporte, par son ouvrage, une nouvelle épaisseur au mystère Servandoni, en reproduisant le programme des spectacles quil organisa dans la salle des machines aux Tuileries entre 1738 et 1758. En lisant la description de ces féeries gigantesques, on y voit un décorateur de lextrême, qui assume seul le déroulement du spectacle, sans livret, sans interprètes, sans musique, au moyen de tableaux mouvants qui se succèdent, durant une heure, dans limmense salle des Machines, captivant le regard de lassistance : cest le décor comme au cirque, une sorte didéal monstrueux du scénographe…

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De la sorte, il préfigure les panoramas qui vont inonder le xixe siècle, et on pourrait même le voir en Méliès du xviiie siècle. Par la hardiesse du procédé et la richesse de linvention, il a produit, comme linventeur du truquage cinématographique, une œuvre monumentale et innovante basée sur lillusion. De même, après avoir rencontré un grand succès, il a finalement fait faillite et une majeure partie de son œuvre a disparu.

À nouveau me voici devant la brume ; en tant que scénographes je sais combien de calculs, desquisses, de perspectives il est nécessaire de produire pour établir un décor de cette ampleur. Alors, quest-il advenu des études graphiques de ces dix spectacles pharaoniques, en dehors de ce simple plan de la salle des machines qui nous reste ?

On ne peut quimaginer, rêver à ces palais à volonté, raz de marée, déluges et entrailles de la terre. Tout cela a bien existé, mais a disparu à jamais, tout comme la salle des Machines des Tuileries.

Antoine Fontaine