Hommage à Christophe Regina (1980-2018)
- Publication type: Article from a collective work
- Collective work: Séduire du Moyen Âge à nos jours. Discours, représentations et pratiques
- Author: Faggion (Lucien)
- Pages: 7 to 9
- Collection: POLEN - Power, Literature, Norms, n° 26
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN: 9782406114864
- ISBN: 978-2-406-11486-4
- ISSN: 2492-0150
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-11486-4.p.0007
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 09-08-2021
- Language: French
Hommage à Christophe Regina
(1980-2018)
Dès ses études à l’université de Provence (Aix-Marseille I), Christophe Regina a été passionné par l’histoire du genre, de la transgression et de la justice saisie dans la longue durée, la maîtrise d’histoire moderne qu’il réalisa et soutint en 2003 ayant été consacrée à la prostitution, une enquête intitulée « Société, mœurs et justice. Être une catin au siècle des Lumières. L’exemple d’Aix-en-Provence (1700-1787) » (dactylographiée, Université de Provence – Aix-Marseille I). Dans cette recherche, reposant sur les fonds parlementaires aixois, Christophe Regina traita le phénomène de la prostitution comme un prisme par lequel il lui était possible d’appréhender la société d’Ancien Régime, la prostitution étant soit rejetée, soit acceptée officieusement par les contemporains et les autorités. Il put alors prêter attention à un monde particulier, à celui des groupes populaires et de leur vie quotidienne, ainsi qu’à celui des femmes et des formes de solidarité inter-féminine. L’étude ainsi conduite le sensibilisa non seulement aux violences dont les femmes pouvaient être les instigatrices ou les victimes, mais aussi au rôle régulateur et moralisateur exercé par la société – les voisins, la parenté – dans le cadre de la prostitution qui passait, aux yeux de tous, pour rompre la paix des ménages et affecter l’honneur de la famille.
Les analyses effectuées et les résultats obtenus incitèrent Christophe Regina à approfondir ce sujet et à l’élargir au rôle détenu par les femmes à la fin de l’époque moderne à Marseille, ainsi qu’aux violences dont celles-ci furent responsables ou victimes. Aussi son master de deuxième année, intitulé « Être une furie au siècle des Lumières. Les expressions de la conflictualité et des violences féminines devant la Sénéchaussée de Marseille (1750-1787) » (dactylographié, Université de Provence – Aix-Marseille I, 2007), lui permit de s’interroger sur les violences féminines, leur fréquence et leur capacité à mettre en place des normes à la fois sociales et morales, une réflexion qu’il ne cessa ensuite de poursuivre dans ses travaux dès 2007, une fois inscrit en thèse.
8Il s’agit dès lors de prêter attention à la justice, au contrôle exercé par les autorités et le voisinage, au discours, à la norme, à la pratique et à la perception des violences, ainsi qu’en témoignent tour à tour La Violence des femmes. Histoire d’un tabou social (Paris, 2011 ; publié en 2013 en Pologne, Przemoc kobiet. Historia społecznego tabu), essai dont l’objectif a été de démontrer que les actes violents, appréhendés dans la longue durée, ne sont pas sexués, mais sont en réalité exercés aussi fréquemment par les femmes que par les hommes ; Genre, mœurs et justice. Les Marseillaises et la violence au xviiie siècle (Aix-en-Provence, 2015) et Dire et mettre en scène la violence à Marseille au xviiie siècle (Paris, 2017), deux ouvrages issus de sa thèse de doctorat soutenue en juin 2012 à Aix-en-Provence (Telemme, Mmsh) : réprimée jour après jour, au nom de l’ordre et de la paix, la conflictualité existant à Marseille, grande ville maritime du royaume de France au siècle des Lumières, contribue, grâce aux multiples discours (plaintes, témoignages, confrontations, interrogatoires) tenus au tribunal – espace privilégié de la parole –, à tisser des récits, à les construire et à les défaire en fonction du locuteur (plaignant, victime, témoin). Ces différentes façons de se raconter, de se mettre en scène et de parler d’autrui devant la sénéchaussée de la cité phocéenne sont autant de récits filtrés par le personnel de la justice (greffier, avocat, juge) et par la norme que connaissent les justiciables désireux de voir réparé l’honneur.
La volonté de considérer les histoires mises en récit a passionné Christophe Regina qui a tôt considéré le lien possible existant entre littérature et justice, notamment à travers le cas d’un juriste et poète aixois, Jean de Cabanes (1653-1717), issu d’une famille de parlementaires, qui composa sans doute au début du xviiie siècle un long poème en provençal, La Satiro contro la sœur de la Croix, dans lequel il critiqua la sœur Marie-Thérèse de La Croix, l’abbesse du Refuge d’Aix-en-Provence, personnage longtemps tenu pour légendaire et cruel, aux méfaits innombrables et à la moralité discutable (Philippe Gardy et Christophe Regina, Lucifer au couvent. La femme criminelle et l’institution du Refuge au siècle des Lumières, Montpellier, 2009). Or les recherches et les découvertes réalisées dans les fonds d’archives par Christophe Regina ont permis de certifier que la sœur de La Croix, Marie-Thérèse de Languisière, surnommée « la Drouillade », du nom de son père Antoine Drouilla – un barbier chirurgien de La Flèche –, avait en effet existé, l’affaire ayant été connue, 9probablement entre 1692 et 1709, par l’homme de loi Jean de Cabanes qui n’hésita pas à prendre la plume pour dénoncer les violences dont se rendit coupable la cruelle abbesse du Refuge.
Les nombreux articles et ouvrages que Christophe Regina a publiés et co-dirigés depuis 2009 rendent compte de sa fascination pour l’archive qu’il chercha toujours à interroger selon une grille de lectures renouvelée et à confronter avec d’autres sources, manuscrites ou imprimées, dans l’intention de mettre en lumière les multiples langages de la criminalité féminine, le rôle de la femme dans les sociétés d’autrefois (Rose Cornet), la violence contre soi (suicide), la répression (fourches patibulaires), la construction d’une image dégradée (cf. les volumes co-dirigés avec Lucien Faggion, Dictionnaire de la méchanceté, Paris, 2013, et Les Expressions de la manipulation du Moyen Âge à nos jours, Paris, 2016 ; et avec Lucien Faggion et Alexandra Roger, L’Humiliation. Droit, récits et représentations, xiie-xxie siècles, Paris, 2019), le lien entre récit et justice, l’opposition entre vérité fictionnelle et vérité judiciaire (par exemple, avec Lucien Faggion, Récit et justice, France, Italie, Espagne, xive-xixe siècles, Aix-en-Provence, 2014 ; et avec Lucien Faggion et Bernard Ribémont, La culture judiciaire. Discours, représentations et usages de la justice du Moyen Âge à nos jours, Dijon, 2014) : autant de sujets complémentaires et de points de vue différenciés que Christophe Regina a voulu privilégier, afin de cerner le rapport entre normes et pratiques, entre discours et représentations, entre justiciables et acteurs de la justice en histoire.
Lucien Faggion