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Classiques Garnier

Préface à la Théologie germanique (1557)

  • Type de publication : Article de collectif
  • Collectif : Sébastien Castellion : des Écritures à l’écriture
  • Pages : 443 à 448
  • Collection : Bibliothèque de la Renaissance, n° 9
  • Série : 2
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782812409257
  • ISBN : 978-2-8124-0925-7
  • ISSN : 2114-1223
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-0925-7.p.0443
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 22/08/2013
  • Langue : Français
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prÉface À la ThÉologie germanique

(1557)

La Théologie germanique ou Theologia deutsch rédigée à la fin du xive siècle, est l’œuvre anonyme d’un prêtre de l’ordre des chevaliers teutoniques. C’est Luther qui, en 1516, réalisa la première édition de cet ouvrage de spiritualité, très souvent édité en allemand durant le xvie siècle, puis traduit en flamand, en latin et en français. Son succès ne se dément pas jusqu’au xixe siècle.

La préface reprend l’un des motifs chers à Castellion en ce qui concerne le travail du traducteur affronté à un texte obscur. Le lecteur devra être attentif et persévérant. Mais l’enjeu de l’ouvrage ne vaut-il pas la peine qu’on prendra à sa lecture ? Tout orienté vers le combat spirituel, le livre permettra de dépouiller peu à peu le vieil homme. Une fois encore, ce sont les profondes exigences spirituelles de Castellion qui s’expriment ici. (MCGG)

LA THEOLOGIE GERMANICQUE1,

Livret auquel est traicté

Comment il faut dépouiller le vieil homme, et vestir le nouveau.

A ANVERS

De l’Imprimerie de Christofle Plantin

M.D.LVIII.

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PREFACE DU TRANSLATEUR SUR CE PRESENT TRAITTE

Aux Lecteurs, Salut.

[3] J’AY trouvé ce petit Traitté tant à mon goust, qu’il m’a semblé bon de le tourner en nostre langue. Car combien que le discours en soit assez brief, si est il tant copieux, qu’on le pourroit facilement ressembler à quelque petit vergier si bien troussé et planté qu’on n’y peust trouver aucun fresne, til, ou planier, ou quelconque autre espece d’arbre, mesmement de ceux qui ne servent que pour le plaisir de l’homme et non point pour porter aucun fruict : ains est remply et garny de toutes sortes d’arbres fructueux. Aussi n’en faut il point moins estimer de ce present Traitté, lequel n’est point pour chatouiller l’esprit des Lecteurs de quelque langaige friant, doux et plaisant ; et comme fardé de petites fleurs : ains ne nous monstre autre chose que bons et proufitables preceptes, fort necessaires et convenables à l’institution d’un homme Chrestien. Mais par ce que la brieveté d’iceluy le rend un peu plus obscur et difficile : je conseillerois à un cha- [4] cun de ne le lire pas seulement une fois et en passant par-dessus. Encore veux-je bien dire en poinct, c’est que celuy qui aura vouloir de le lire pour sçavoir, et non pour mettre en execution ce qui est contenu en icelluy, le lira en vain. Car c’est comme nous voyons par experience de ceux qui se veulent addonner au labourage de la terre, ausquels est necessaire de mettre la main à la charruë. Quant à la translation, vous debvez entendre que je n’ay voulu adjouster ou diminuer aucune chose à l’intention de l’autheur ; tellement qu’en le tournant je n’ay peu moins eviter l’obscurité, que le mesme Autheur en le composant. Au moyen de quoy je conseille derechef à un chacun de le lire souvent et soigneusement : en ce faisant ceste diligence luy servira de Commentaire. Et si en le lisant on trouve quelques manieres de parler, qui sembleront possible estranges du commencement, on congnoistra finalement que necessité m’a contrainct à ce faire.

L’intitulation du livre estoit la Theologie Germanique, et n’est faite mention de l’Autheur, sinon en quelque petite Preface, où il est dict, que c’estoit un de ceux qu’on appelloit anciennement les Freres Teutoniques ; lesquels nous appellons maintenant en France les Chevaliers de Rhodes ou de Malthe, [5] estant pour lors Prestre et gardien en la Religion des Teutoniques à Francfort. L’argument et subject2, est du

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nouvel homme ou nouvelle creature : car il vient à donner la raison, par laquelle l’homme peut estre relevé du peché, et retourner à Dieu, duquel il s’est distraict. En quoy nous voyons que ce ne peut estre sinon une vraye et saincte Theologie. La raison est telle, que l’homme estant tombé par suivre son propre vouloir, s’il se veut à la fin redresser, et retourner en son premier estat, il faut necessairement qu’il delaisse entierement son propre vouloir et suyvre celuy de Dieu, veu que les remedes des choses se font tousjours par leur contraire : joinct que le vouloir de l’homme est contraire à celuy de Dieu. Au moyen de quoy il est impossible (comme nous lisons) de servir à deux Maistres, contraires l’un à l’autre. Mais tout ainsi que l’homme se peut bien aveugler et donner la mort de soy mesme ; mais non pas qu’il se puisse apres illuminer et rendre la vie : aussi nostre premier pere Adam ensuyvant sa propre volonté, a eu le pouvoir de se destruire et mettre à perdition avec toute sa postérité : mais de se sauver et racheter de telle ruyne, il ne le pouvoit aucunement faire, ne aucun autre semblable à luy ; tellement que pour le salut des humains il a [6] esté necessaire qu’il y eust quelcun, lequel estant exempt de peché peust racheter les autres de peché, et enseigner le chemin de vie. Cestuy là est JESUS Christ fils de Dieu vivant, auquel toute puissance a esté donnée tant au ciel qu’en la terre, lequel non seulement nous monstre ceste voye de salut ; mais, qui plus est, donne la force et le pouvoir à l’homme de cheminer en icelle, moyennant la Foy. J’entends la Foy non pas celle qui est morte, laquelle ne se doibt point non plus appeller Foy, que l’homme doit estre appellé Homme quand il est mort : mais j’entends cette Foy vive par œuvres et effects, c’est à sçavoir tels que les descrit tresbien sainct Pierre3 quand il dict ; Mes freres ayez tout vostre soin en cela, acquerans en vostre Foy vertu, en vertu science, en science attrempance, en attrempance patience, en patience pieté, en pieté amour fraternel, en amour fraternel charité. Car si vous avez ces choses, et vous abondent, elles ne vous laisseront point oyseux, ne labourans en vain en la cognoissance de nostre Seigneur JESUS Christ : mais celuy qui n’a point ces choses, est aveugle, et tastant la voye à tout la main, ayant oublié qu’il est purgé de ses vieux pechez. Parquoy mes freres mettez peine de confirmer votre vocation et election : car en ce faisant, vous [7] ne tomberez jamais. Voila que dict S. Pierre en parlant de la vraye et vive Foy ; laquelle est non seulement cause que l’homme obtient remission de ses pechez par le merite de Christ, mais

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faict que tout ainsi que autresfois il avoit baillé ses membres pour faire injustice en pechant ; au contraire pour l’advenir il les puisse faire Ministres de justice en bien faisant. Or par ce que sainct Pierre descrit en ce lieu une certaine eschelle pour parvenir à salut : je l’ay bien voulu declarer par le menu ; afin que plus facilement nous puissions cognoistre par combien de degrez il nous faut monter, et pour admonnester qu’on ne se doibt point arrester au premier degré estimant avoir desja atteint le souverain but de salut, duquel il est encore eslongné de beaucoup de degrez. Il faut donq premierement entendre (suyvant l’advis de S. Pierre4) que Foy engendre vertu ; c’est à sçavoir une force et puissance pour faire ce que nous croyons devoir estre faict : Et pour en donner un exemple : Christ nous a expressement commandé d’aymer nos ennemis, et de faire bien à ceux qui nous offensent. En cela on en trouve qui ne croyent aucunement que cela se puisse faire ; tellement qu’ils ont en haine leurs ennemis, et leur font mal : les autres croyent, que cela se peut faire : ce qu’ils font. Par- [8] quoy prendz un peu garde à toutes les sectes, et à tous les hommes de ce monde, et tu trouveras que ceux qui croyent que cela se peut faire, se mettent en debvoir de le faire : et que Christ (duquel ils ont receu ceste Foy) leur donne aussi la force et le courage d’accomplir ses commandemens : car il n’a point esté dict sans cause ; Qu’il n’est rien impossible à celuy qui croit fermement. Autant en peut on dire universellement de tous les autres commandemens de Christ, suyvant ce qu’il disoit coustumierement : Te soit faict tout ainsi que tu as creu, tellement que cela est dict universellement : Autant que l’homme a de Foy, autant a il de vertu. Au surplus ceste vertu engendre science5 ; car la vraye science consiste en experience ; à fin que celuy qui a eu la puissance de faire quelque chose, sçache finalement pour certain qu’elle se pouvoit faire : ce qu’il ne sçavoit pas par avant qu’il le creust, comme nous en voyons tresbien l’exemple de Josue et Caleb, et autres enfans d’Israël, qui ayans surmonté les Cananées, cognurent alors veritablement avoir eu la puissance de les surmonter : Mais ceux qui n’avoyent peu croire que cela se peust faire, n’eurent pas la puissance de les surmonter : et pourtant ne sçeurent ils pas que cela s’estoit peu faire. Aussi ceux qui pour le jourd’huy [9] ne peuvent croire que la puissance de Christ soit telle qu’elle puisse froisser la teste du serpent sous nos pieds, ne peuvent resister au peché : pourtant ne sçavent ils pas qu’il se puisse faire, et pour ceste cause ils le nyent : Mais ceux qui le croyent, le peuvent

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moyennant ceste Foy. ce que finalement ils sçavent pour certain avoir peu faire : et pourtant ils l’afferment. D’avantage science produit attrempance6 ; à cause que l’homme estant confirmé par ceste science, chemine vers le but, esperant avoir telle issue aux autres degrez, tellement qu’il s’abstient de toutes concupiscences et voluptez charnelles, qui combattent incessamment contre l’esprit, craignant que par l’empeschement d’icelles la victoire ne luy soit ravie. Or7 tout ainsi que les Chaldeens persecutoyent et tourmentoyent le Pais de la Judee quand elle leur estoit rebelle, veu mesmement que de son bon gré autres fois elle leur avoit porté hommage ; ce qui se faict aussi coustumierement en toutes rebellions de subjects ; ainsi se faict en nous : car les concupiscences et voluptez, ausquelles par cy devant nous avons obey de nostre propre vouloir, quand nous venons à batailler contre elles par attrempance, alors nous tourmentent et donnent autant de douleur et fascherie, comme nous les avions autresfois ay- [10] mées ; tellement que pour resister constamment à telle douleur, nous avons besoing d’une grande patience8. Mais pour autant que nous sçavons bien que pour resister à telles mauvaises convoitises et affections, et endurer les injures, ceste douleur qu’il faut porter, excede nos forces ; alors d’un bon courage nous invoquons avec David le Seigneur, que son plaisir soit de fortifier noz mains à telle guerre, et nous instruire et conduire en icelle, en nous donnant la force de pouvoir vaincre l’ennemy : et telle invocation et fiance s’appelle Pieté. Puis ayans par ceste pieté impetré quelque benefice de Dieu, incontinent pour tels bienfaicts, nous le venons aymer, taschans de luy en rendre graces ; veu que naturellement nous aymons celuy qui par amitié nous a faict quelque bien. Mais par ce que nous ne luy pouvons rendre la pareille, à cause qu’il n’a que faire de noz biens, veu que tout est à luy, incontinent nous employons cest amour envers ceux qu’il ayme, et qu’il nous recommande incessamment ; c’est à sçavoir les gens de bien ; tellement que d’un amour entier nous les secourons. Or d’autant que cest amour que nous portons à Dieu, et à noz freres, pour les bienfaicts que nous recepvons de luy, est imparfaict, par ce qu’il est conjoinct avec l’amour [11] de nousmesmes, c’est à sçavoir de nostre profit particulier, si ne laisse il pas de croistre tousjours, jusques à ce qu’il ait attaint sa perfection ; tout ainsi que nous voyons naturellement és plantes, animaux, et finallement en toutes autres choses ; qui ne cessent de croistre,

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jusqu’à leur perfection. Aussi en nostre endroict nous venons jusques là, que nous aymons Dieu, non pas de ce qu’il est bon envers nous, mais par ce qu’il est bon de par soy ; tout ainsi que naturellement nous aymons les choses qui de soy sont belles, seulement par ce qu’elles sont belles, combien que nous n’en tirions aucun profit. Or est il que la beauté de Dieu est la mesme bonté pour laquelle seule nous le debvons aymer ; et non poinct sous esperance d’en recevoir aucun loyer, ny pour crainte de punition. C’est icelle charité que sainct Pierre appelle, le parfaict amour de Dieu ; tellement que quiconque l’aura attaint, il pourra bien estre asseuré d’estre parvenu au bout de son chemin et accroissement. Car il n’y a rien plus parfaict, ne plus excellent que l’amour de Dieu, veu que c’est le mesme amour. Parquoy j’ose bien dire que celluy qui sera venu jusques à cest amour, aura incontinent perdu tout ce qu’il se peut attribuer de soy, aymant un seul Dieu, comme le souverain bien, et toutes choses [12] que Dieu ayme, c’est à sçavoir tout ce qui se peut imaginer hors mis le peché ; veu que Dieu ayme toutes choses hors le peché. C’est doncq le principal subject de ce petit traicté, l’Amour de Dieu, où il nous est monstré le chemin pour iceluy obtenir. Bien-heureux est doncq celuy qui a desja attaint ce but (si aucun toutesfois y est desja parvenu) ou bien celuy qui est par chemin, et qui constamment tasche d’y parvenir. Car il faut estimer que s’il advient en ceste bonne deliberation, qu’il soit surprins de la mort, ne l’ayant point encor attainct, asseuréement il mourra comme bon soudart de Christ, qui le recongnoistra envers son Pere9 ; tout ainsi que par la Loy une fille estant desja fiancée à son espoux, sera tousjours estimée sa femme et espouse ; nonobstant que les nopces ne soyent faictes.

1 Édition réalisée sur l’exemplaire de la BSHPF 8o 14 535 rés (103 p.). L’ouvrage porte l’ex-libris suivant : « Ex libris Collegium Soc. Jesu Louany » ; « Ex dono D. Gasparis de Lunay ». La première édition de la traduction de Castellion sortit des presses d’Oporin, à Bâle, en 1557, sous le pseudonyme de J. Theophilus. Voir Maria Wintosser, Étude sur la Théologie germanique suivie d’une traduction française faite sur les éditions originales de 1516 et 1518, Paris, F. Alcan, 1911, p. 11-13.

2 Manchette : « L’argument de l’Autheur ».

3 Manchette : « 2 Pierre 1 ». Castellion cite la seconde épître de Pierre, 1,6-9.

4 Manchette : « L’eschelle pour aller au salut. Foy engendre vertu. »

5 Manchette : « Science. »

6 Manchette : « Attrempance ».

7 Manchette : « Patience ».

8 Manchette : « Pieté. »

9 Manchette : « Deuter. 22. »