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Classiques Garnier

Avant-propos

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Œuvres complètes. Tome XVI B. 1767-1770
  • Pages : 7 à 9
  • Collection : Bibliothèque du xviiie siècle, n° 50
  • Thème CLIL : 3439 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moderne (<1799)
  • EAN : 9782406107835
  • ISBN : 978-2-406-10783-5
  • ISSN : 2258-3556
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10783-5.p.0007
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 22/02/2021
  • Langue : Français
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Avant-propos

Les quatre années comprises entre juin 1767, date de larrivée de Rousseau au château de Trie, et juin 1771, date de la mise au net des Considérations sur le gouvernement de Pologne dans la version dite du « manuscrit des Czartoryski », pourraient être nommées, à bien des égards, années de transition.

Elles sont dabord, en effet, celles dune longue errance géographique : Rousseau parvient à Trie le 22 juin 1767 et y reste jusquau 12 juin de lannée suivante, date à laquelle il chemine jusquà Grenoble, puis jusquà Bourgoin, où il arrive le 13 août, bientôt rejoint par Thérèse. Il reprend la route dès le mois de janvier 1769, et le couple Rousseau-Levasseur échoue à Monquin, dans la commune de Maubec, dernière halte avant un retour définitif à Paris, en juin 1770.

Nous sommes également, chemin faisant, dans une période de transition, sagissant de la composition des Confessions. Les six premiers livres en sont depuis longtemps rédigés, et seront bientôt lus dans le salon du marquis de Pezay. Quant aux six derniers, Rousseau en commence précisément la rédaction en novembre 1769, à la ferme de Monquin. Est-il alors interdit de penser, sans tomber dans un parallélisme naïf, que les événements de ces années derrance ont influé sur la décision prise den reprendre la rédaction ? Dans quelle mesure les autres textes produits entre 1767 et 1770 peuvent-ils nous renseigner sur la détermination de Rousseau à cet égard ? Leur très grande hétérogénéité – on passe de deux motets et dun quatrain à un texte politique important – ne peut-elle paradoxalement faire sens ? Quant aux deux « notes » rédigées par Rousseau à Trie et à Bourgoin (Note mémorative sur la maladie et la mort de M. Deschamps et les fameux Sentiments du public sur mon compte dans les divers états qui le composent), il néchappera à personne quelles pourraient constituer – et ne le font-elles pas ? – des avant-textes significatifs aux deux massifs à venir que sont les six derniers livres des Confessions et les Dialogues.

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Période de transition enfin, ou plutôt de transmission, les années dauphinoises de Rousseau sont intéressantes en ce quelles offrent un prolongement – oserons-nous dire un aboutissement, voire une conclusion ? – à lœuvre théorique du début de la décennie. La Lettre à Franquières reprend certaines parties de largumentation de la Profession de foi du vicaire savoyard, auxquelles le cadre à la fois détendu et privé de léchange épistolaire apporte de nouveaux éclairages. Les Considérations sur le gouvernement de Pologne sont quant à elles, comme le rappelle très justement Anna Grześkowiak-Krwawicz, le dernier texte politique de Rousseau : mais elles demeurent surtout captivantes comme mise à lessai dune philosophie politique qui, dans ce cas précis, doit subir lépreuve des faits.

Cest dailleurs peut-être là ce qui fonde la cohérence des textes de cette période, a priori disparates : le contact avec la réalité sy décline en des formes, sinon des formats, qui augurent la synthèse future des Dialogues. Crise dhydropisie du concierge Deschamps, à lier à lempoisonnement supposé de Du Peyrou ; effets désastreux de laffaire Thévenin, qui poursuit Rousseau jusquà Bourgoin ; problèmes de santé récurrents, qui lui font rechercher les eaux de Monquin ; situation présente de la République des Deux Nations qui suscite une interrogation sur les motivations réelles de la rédaction des Considérations sur le gouvernement de Pologne : autant de facteurs ou déléments qui mériteraient dêtre interrogés sous langle particulier dune préhension, voire dune appréhension singulières du réel et, par contrecoup, de sa traduction dans lécriture.

Il est enfin une date qui, au milieu de ces incessantes pérégrinations, agit comme un véritable coup darrêt dans la destinée fugitive de Rousseau : cest, bien entendu, celle du 30 août 1768, à Bourgoin. Rousseau y épouse Thérèse Levasseur : du moins la considère-t-il, devant témoins, comme sa femme, célébrant ainsi, avant lheure, une forme reconnue de mariage civil. « Malheureusement, déplore Bernard Cottret, on na guère conservé la trace des paroles prononcées par Rousseau ce jour-là1. » On eût aimé quun secrétaire, dans la droite ligne de la Note mémorative, de la Lettre à Franquières voire dun texte aussi évanescent quun quatrain, se mêlât de rapporter les propos tenus durant la cérémonie. 9Si ne nous est épargné aucun détail des dérangements dentrailles de M. Deschamps, nous ne savons en revanche pas grand-chose de cette journée dété.

Intercalés entre les « massifs » montagneux que sont Émile, les Confessions et les Dialogues, les textes proposés dans le présent volume nécessitent donc du lecteur quil apprenne à cheminer sur des terrains divers, quil sintéresse à des sujets aussi éloignés les uns des autres que la forme à donner à une constitution, la confection dun plat de poisson (« sans sauce », précise le texte) ou la définition de la religion naturelle. Les éléments archivistiques qui ont permis létablissement des textes, et dont certains apportent des informations décisives pour la connaissance de lœuvre, ouvrent eux-mêmes de nouvelles pistes, tracent de nouvelles voies : de quoi se perdre pour de bon, cette fois-ci, dans cette étonnante promenade, avant que tous, Rousseau, Thérèse et nous-mêmes, lecteurs du xxie siècle, nous retrouvions à Paris, rue Platrière.

François Jacob

Nous tenons à remercier M. François Jaquet de sa relecture et de ses conseils.

1 Bernard Cottret, « Jean-Jacques Rousseau et le mariage », prédication prononcée à lOratoire du Louvre le dimanche 14 avril 2013, disponible en ligne : [https://oratoiredulouvre.fr/predications/jean-jacques-rousseau-et-le-mariage.php].