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Classiques Garnier

Avertissement liminaire

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Avertissement liminaire

« Et que faire ici ? Pourquoi achever de brûler mes yeux sur de vieux parchemins qui ne me disent plus rien qui vaille ? Je les déchiffrais jadis, ces anciens textes, avec une ardeur magnanime. Quespérais-je donc y trouver alors ? La date dune fondation pieuse, le nom de quelque moine imagier ou copiste, le prix dun pain, dun bœuf ou dun champ, une disposition administrative ou judiciaire, cela et quelque chose encore, quelque chose de mystérieux, de vague et de sublime qui échauffait mon enthousiasme. Mais jai cherché soixante ans sans trouver ce quelque chose. Ceux qui valaient mieux que moi, les maîtres, les grands, les Fauriel, les Thierry qui ont découvert tant de choses sont morts à la tâche sans avoir découvert non plus ce quelque chose qui, nayant pas de corps, na pas de nom, et sans lequel pourtant aucune œuvre de lesprit ne serait entreprise sur cette terre. Maintenant que je ne cherche que ce que je puis raisonnablement trouver, je ne trouve plus rien du tout, et il est probable que je nachèverai jamais lhistoire des abbés de Saint-Germain-des-Près1. »

Méditant ces pensées – si touchantes – dun philologue déclinant, le Sylvestre Bonnard dAnatole France, nous avons choisi de continuer à chercher « ce quelque chose qui nayant pas de corps na pas de nom et sans lequel aucune œuvre de lesprit ne serait entreprise sur cette terre ». En retrait des contours que nous essayerons ici de donner – par un labeur patient sur de vieux livres – à notre Romania solaire, se tient, mobile, éblouissant, ce quelque chose : cest parce que, parfois, nous le sentions très près, que nous avons cru nécessaire de continuer à chercher. Manque flagrant de modestie, puisque les plus grands nont pas attrapé ce mystère (il était grand déjà de le formuler). Mais Anatole France nous justifie : si nous avions cessé de doubler notre objet détude de cette quête déraisonnable, nous naurions sans doute plus rien trouvé du tout.

1 Anatole France, Le Crime de Sylvestre Bonnard, Paris, Calmann-Lévy, 1888, p. 299-300.