Avant-Propos

Ce numéro de printemps de Romanesques manifeste d’abord la proximité de la programmation de la revue avec l’activité de l’axe de spécialité « Roman & Romanesque », au sein du « Centre d’Études des Relations et Contacts Linguistiques et Littéraires » (CERCLL) de l’Université de Picardie.

Nous avons l’habitude de construire nos numéros d’automne, dits « Hors-série », à partir de rencontres. Ainsi, le hors-série de 2017 sur « Shakespeare et l’esthétique du romanesque » est l’émanation d’un atelier sur Shakespeare et le roman qui s’est tenu à l’occasion des manifestations pour le 450e anniversaire de la naissance du dramaturge élisabéthain1. De même, le hors-série 2016 sur « Opéra et romanesque » était le produit de deux rencontres sur le même sujet qui avaient eu lieu à Amiens les mois précédents2. Les dossiers des numéros de printemps, quant à eux, peuvent être l’émanation de colloques, comme c’est le cas du no 9 de 2017 sur « Le roman français vu de l’étranger3 », mais ils sont plus fréquemment le résultat d’un appel à communications ad hoc, comme cela était le cas du no 7 sur « Récit romanesque et modèle économique4 » et comme cela sera le cas du no 11, à paraître en 2019, sur « Écrits personnels et romanesque5 ». Il peut même s’agir de dossiers dont la direction est confiée aux collègues d’autres universités, comme

celui que nous a proposé Catherine Mariette-Clot sur « L’expérience romanesque au xixe siècle6 » et celui que constitueront Anne Besson et Francis Marcoin en 2020 sur la littérature de jeunesse et le romanesque.

Mais le dossier du présent numéro est directement en prise avec l’activité de l’équipe : il résulte du mémorable séminaire « Romanesques noirs » qu’ont animé Anne Duprat, Marc Hersant et Luc Ruiz dans le cadre de l’axe « Roman & Romanesque » durant les années 2015-2017. En publiant ce dossier, dont Anne Duprat signe ici l’introduction (p. 73-88), la revue explore un corpus essentiel pour éclairer la genèse du romanesque dit « sérieux » au début du xixe siècle et elle renoue avec une problématique aussi fondamentale, pour la définition du romanesque, que celle qu’examinait Luc Ruiz dans son numéro sur l’antiromanesque7 : le romanesque noir est l’une de ces efflorescences mélodramatiques que le roman a pu vouloir mettre à distance tout en intégrant sa puissance. Ambivalent, le romanesque noir n’est pas non plus l’inverse du « romanesque blanc », comme il sera incidemment rappelé ici, mais il est premièrement l’expression esthétique d’un moment historique, comme le disent de frappantes formules de Sade ou Nodier rappelées dans ces pages, et il est deuxièmement le lieu d’un débat autoréflexif qui touche en particulier à la définition du fantastique et en général à la question de l’immersion fictionnelle – enjeux qui donnent à Ann Radcliffe puis à Jane Austen une position saillante dans ce dossier.

Ce numéro de printemps marque ensuite un retour, ponctuel, à une ancienne pratique de Romanesques à l’époque où la revue était une collection : la publication d’un inédit donné par un auteur contemporain, à l’instar des pages de Claude Ollier ou Sylvie Germain qui ont autrefois clos les numéros 1 et 2 de Romanesques8. En effet, invité à nous accorder un entretien, Jean-Marie Blas de Roblès, auteur de Là où les tigres sont chez eux, La Montagne de minuit ou L’Île du point Némo, n’a pas souhaité

rééditer cet exercice auquel il est habitué, ni surtout redoubler d’un commentaire d’auteur l’étude que Frank Wagner nous propose sur ces trois romans dans la section liminaire de ce numéro de printemps. Jean-Marie Blas de Roblès a préféré offrir à notre revue, qui lui en est reconnaissante, la nouvelle inédite « Le tigre et la princesse kirghize ». Elle clôt ce numéro tandis que Frank Wagner ouvre les varia en poursuivant, à la lumière de l’œuvre de Jean-Marie Blas de Roblès, la réflexion sur le romanesque qu’il a entamée dans le no 9. Cette section liminaire est complétée par un article de notre collègue moscovite Ekaterina Dmitrieva, qui examine la définition générique même des Âmes mortes de Gogol, « roman » ou « poème », au regard de la réception du texte en 1842 et de la correspondance de l’auteur.

L’ensemble ainsi constitué forme un volume qui sera sans nul doute l’un des plus lus de la revue Romanesques, laquelle poursuit son entreprise de définition de la notion labile de romanesque en n’ayant de cesse d’interroger corpus, contextes et genres, et en articulant logiques textuelles et intertextuelles.

Christophe Reffait

UPJV

« Roman & Romanesque » / CERCLL