Urs Urban, « La théorie (littéraire) de l’économique au xviie siècle. Compétence performative et réussite économique dans l’Histoire comique de Francion »

L’article propose une relecture de La Vraie Histoire comique de Francion de Charles Sorel afin de mettre en évidence le savoir économique qui s’inscrit dans ce roman. Celui-ci modélise une économie fondée sur des pratiques théâtrales qui exigent une certaine compétence performative de la part du sujet, tout en lui permettant de réaliser ses intérêts propres. Par là s’annonce un agent économique qui commence à s’émanciper de l’économie providentielle pour prendre la fortune dans ses mains.

The article offers a rereading of La Vraie Histoire comique de Francion by Charles Sorel in order to demonstrate the economic knowledge inscribed in the novel. It models an economics founded on theatrical practices which demand a certain performative competency on the part of the subject, while allowing him to realise his own aims. As such, an economic agent emerges who begins to free himself from providential economics so as to take his fortune in his own hands.

Laurent Jaffro, « Jekyll et Hyde. Quel modèle de multiplicité des soi ? »

L’article se propose d’interpréter la nouvelle de Stevenson, Le Cas étrange du Dr Jekyll et de Mr Hyde, en empruntant sa méthode à ce que George Ainslie appelle la « pico-économie » : l’étude des interactions à l’intérieur d’un même individu, entre ses « soi » successifs. Cette lecture, qui repose sur l’hypothèse d’une instrumentalisation par Jekyll de son « soi » futur, s’oppose à une lecture très commune qui insiste sur le dédoublement peu contrôlé, et finalement incontrôlable, de la personnalité.

This article offers an interpretation of the novella by Stevenson, The Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde, borrowing its method from what George Ainslie has called “pico-economics”: the study of interactions within the same individual, between his successive “selves”. This reading, based on the hypothesis of Jekyll’s instrumentalisation of his future “self”, opposes the common reading which insists on the little-controlled, and ultimately uncontrollable, splitting of the personality.

Christine Baron, « Subjectivité et libéralisme, l’individu en crise. Une lecture de Houellebecq au prisme de la pensée libérale »

Le libéralisme s’est construit autour de la notion de l’individu. Or, le roman, témoin de la naissance du sujet moderne, entre en crise avec le déclin de celui-ci. Hostile à l’anthropomorphisme, Hayek développe une théorie de l’autorégulation économique en phase capitaliste avancée. Houellebecq prend acte de cette mutation par la sérialisation des comportements consuméristes et par la sérialisation biologique des personnages. Seule la pensée de Rorty redonnera voix au sujet créateur et logothète.

Liberalism is built on the notion of the individual. The novel, testimony of the birth of the modern subject, thus suffers a crisis with its decline. Hostile to anthropomorphism, Hayek develops a theory of economic autoregulation at the advanced stage of capitalism. Houllebecq acknowledges this mutation through the serialisation of consumer behaviour and the biological serialisation of his characters. Only Rorty’s thought will give the voice back to the creative and logothete subject.

Dorothée Picon, « Volonté individuelle et ordre social. L’Éducation sentimentale, un roman sans modèle »

Les modèles économiques de type walrasien et les romans réalistes représentent la société comme une organisation mécanique stable et la manière dont s’y confrontent des volontés individuelles. Avec L’Éducation sentimentale, Flaubert écrit un roman dans lequel manque la volonté individuelle et où le récit social est dépourvu de causalité. Il s’éloigne ainsi d’un certain type de récit réaliste, faisant apparaître en creux le finalisme que celui-ci avait en commun avec les modèles de l’économie.

The economic models of the Walrasian type and realist novels represent society as a stable mechanical organisation, as well as the way in which individual desires are confronted there. With L’Éducation sentimentale, Flaubert writes a novel in which individual desire is lacking and where the social narrative is deprived of causality. He thus distances himself from a certain type of realist narrative, implicitly revealing the finalism that the latter has in common with economic models.

Patrice Baubeau et Alexandre Péraud, « Lectures romantiques de l’économie, lectures de l’économie romantique. Balzac et Sismondi »

Faut-il tenir les convergences d’opinion, connues, entre le maître du roman naturaliste et l’économiste libéral devenu critique des conséquences du progrès, pour la simple manifestation d’un Zeitgeist, ou l’expression d’une même sentimentalité ? C’est ce à quoi encourage l’étiquette « romantique » attachée par Lénine aux œuvres de Sismondi. Mais chez Sismondi et Balzac apparaissent une vision commune du social et une même méfiance envers le réductionnisme économique, révélant leur modèle économique.

Do we have to base the (known) opinions shared by the master of the naturalist novel and the liberal economist-turned-critic of the consequences of progress on a simple manifestation of the Zeitgeist or the expression of a shared sentimentality? This is what the “Romantic” label applied by Lénine to the works of Sismondi encourages us to think. But a common vision of the social appears in the work of Sismondi and Balzac and the same distrust of economic reductionism, revealing their economic model.

Jérémy Naïm, « La Maison Nucingen. Essai d’analyse comportementale »

Cet article propose une analyse du comportement économique des personnages de La Maison Nucingen. Quel est le moteur de leur action ? À la théorie classique qui répondrait « l’intérêt », Balzac substitue une réponse plus complexe, mêlant mimétisme comportemental et rôle des passions. Derrière ces deux analyses concurrentes se trouvent les avantages et inconvénients respectifs du récit romanesque et du modèle économique dans la rationalisation du réel.

This article offers an analysis of the economic behaviour of the characters in La Maison Nucingen. What is the motor of their actions ? Where classic theory would respond “interest”, Balzac substitutes a more complex response, mixing behavioural mimicry and the role of the passions. Behind these two competing analyses, we discover the respective advantages and inconveniences of the novelistic narrative and the economic model for the rationalisation of the real.

Agnieszka Komorowska et Annika Nickenig, « Quel modèle pour écrire le réel ? L’expérimentation et l’exemplarité comme modèles économiques chez Émile Zola et Guy de Maupassant »

Dans cet article nous abordons le lien entre modèle économique et écriture réaliste. À travers une lecture de La Curée de Zola et Bel-Ami de Maupassant, nous déployons deux variantes d’une modélisation du réel : l’expérimentation et l’exemplarité. En se distinguant de la création des modèles univoques de la science économique, la littérature met en relation un modèle pronostic, visant des scénarios spéculatifs, et un modèle imitatif, entrant en dialogue avec le savoir économique contemporain.

In this article, we tackle the link between economic models and realist writing. Through a reading of La Curée by Zola and Bel-Ami by Maupassant, we deploy two variations of a modelling of the real : experimentation and exemplarity. Distinguishing itself from the creation of univocal models of economic science, literature relates a prognostic model, aiming at speculative scenarios, with an imitative model, entering into dialogue with contemporary economic knowledge.

Christophe Reffait, « Zola, de Schopenhauer à Malthus. La Joie de vivre et la naturalisation de la charité »

La réflexion de Zola sur le pessimisme de Schopenhauer, dans le roman La Joie de vivre, rejoint les termes de la pensée de Malthus dans l’Essai sur le principe de population. D’une part, il existe un naturalisme commun à Zola et Malthus. D’autre part, la charité schopenhauerienne mise en scène dans La Joie de vivre s’oppose frontalement aux recommandations malthusiennes, tout en poussant à ses limites le modèle que recouvre la loi de Malthus.

Zola’s reflections on Schopenhauer’s pessimism in the novel La Joie de vivre correspond with the terms of Malthus’s thought in An Essay on the Principle of Population. On the one hand, a naturalism common to both Zola and Malthus exists. On the other, the Schopenhauerian charity staged in La Joie de vivre is directly opposed to Malthus’s recommendations, while pushing the model covered by Malthus’s law to its limits.

Alexandre Péraud, « L’épopée et le drame. Modèles et modalités de représentation du pharmakon économique dans Gains de Richard Powers »

Richard Powers joue dans Gains de l’opposition entre une épopée commerciale euphorique et un récit de maladie dysphorique. Ce faisant, il convoque deux modèles canoniques de fable économique. En dressant une représentation ambivalente de ces deux formes idéal-typiques, l’auteur échappe au travers moralisateur et mène surtout une méditation sur le modèle économique et sur la manière dont la littérature vit à la fois avec et contre un modèle à l’égard duquel est engagée la responsabilité critique du lecteur.

In Gains, Richard Powers plays with the opposition between a euphoric commercial epic and a tale of dysphoric illness. In doing this, he calls on two canonical models of economic fable. By setting up an ambivalent representation of these two typical-ideal forms, the author avoids moralising and directs, above all, a meditation on the economic model, and the way in which literature lives at once with and against a model which engages the critical responsibility of the reader.