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Classiques Garnier

Foreword

  • Publication type: Journal article
  • Journal: Revue Verlaine
    2023, n° 21
    . varia
  • Authors: Cavallaro (Adrien), Degott (Bertrand), Dupas (Solenn)
  • Pages: 11 to 15
  • Journal: Verlaine Studies
  • CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN: 9782406165736
  • ISBN: 978-2-406-16573-6
  • ISSN: 2426-8860
  • DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-16573-6.p.0011
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 03-20-2024
  • Periodicity: Annual
  • Language: French
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AVANT-PROPOS

La Revue Verlaine poursuit, à loccasion de ce vingt et unième numéro, son exploration de la production du poète, dans ses différentes dimensions. Cest ainsi à l« art de la prose » quest consacrée la première section, où les articles dÉlodie Dufour, de Fanny Wilson et de Kenji Yamamoto nous proposent dexplorer des pans souvent moins connus de lœuvre de Verlaine. En guide stylistique, la première étudie « le style bateleur du cicerone Verlaine » que donnent à observer Nos Ardennes (1882-1883), Souvenirs dun Messin (1892), Onze jours en Belgique (1893) et enfin Croquis de Belgique (1895). Verlaine sinscrit ici dans la tradition, nourrie au xixe siècle, du récit de voyage, et plus précisément de la littérature « touristique », illustrée par exemple par le Stendhal des Mémoires dun touriste. L« excursionniste » conduit le lecteur à travers une visite guidée dont les moyens définissent un large éventail : emphase, surenchère exclamative, ton du boniment, tentation parodique, prose primesautière en un mot, dont « lenthousiasme se lit dans un style enlevé et entraînant, qui ne ménage pas toujours le lecteur, ravi, au fond, dêtre un peu brusqué par ce guide aux manières de vendeur à la criée », et qui participe dun travail sur lallure de la prose durant les années 1880 et 1890.

Humour et ironie intéressent également Fanny Wilson, qui se concentre quant à elle sur la prose de souvenirs, celle des inclassables Mémoires dun veuf (1886), de Mes hôpitaux (1891), de Mes prisons (1893), de Souvenirs 1891 et de Confessions (1895). Lensemble de ces textes rendent compte dun « moi compliqué » (Confessions), à lanalyse duquel concourt linvention dune langue de laveu. Si rien ny est épargné des tourments du sujet – les affres de lalcool, entre autres –, cette veine sombre de la prose verlainienne est mise en balance avec une tendance à la distanciation ironique et à lhumour, « clefs pour recomposer un “moi éclaté” ». Cest que « la prose de Verlaine est à limage de son créateur, complexe et originale » et que « la bigarrure semble devenir le principe même de son unité ».

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Lart verlainien de la prose tient aussi au polissage dune écriture critique originale, et ce, dès les débuts littéraires du poète. Kenji Yamamoto le montre en abordant les « relations entre Verlaine et Barbey dAurevilly », en particulier dans « Le Juge jugé : Les Œuvres et les Hommes, par J. Barbey dAurevilly » (1865) : larticle participe dune veine polémique de la production critique de Verlaine, qui ne craint pas le détour parodique pour renverser la table des fameux éreintements du futur auteur des Diaboliques. Il faudrait pourtant se garder disoler de tels textes, qui communiquent aussi, selon Kenji Yamamoto, avec linspiration poétique de Verlaine.

Cest également ce que montre la deuxième section de notre numéro, qui propose trois études métriciennes dévolues à « lart du vers ». Celle de Christian Hervé explore les « récurrences et hiatus dans Romances sans paroles », à partir de deux vers fameux de lariette I. Lanalyse des récurrences de certains termes et de leurs dérivés pose une question de méthode : de lobservation ciblée dun poème ou de la mise en relation de ce poème avec dautres, quelle approche faut-il privilégier ? Il en va de même lorsque lon essaie de systématiser la considération du traitement dun phénomène aussi particulier que le hiatus. Le recueil en comporte trente-huit ; certains poèmes, comme « Child Wife », en offrent même un nombre inhabituel : sils ne sont pas tous signifiants, ils dessinent du moins une tendance réelle, et accompagnent la recherche dune contribution originale « à la prosodie et au rythme du poème ».

Benoît de Cornulier étudie de savantes incorrections dun autre registre, avec la mise en avant et lexamen approfondi des « ratages rimiques de Banville à Verlaine ». L« Élégie » des Stalactites (1846), puis lariette VI de Romances sans paroles lui permettent ainsi de contester limportance trop souvent accordée à linterprétation genrée des rimes dites masculines et féminines. Le travail de la « rime imparfaite à le » feint linattention du poète, qui, à l« exprès trop simple » distingué plus tard chez le Rimbaud de 1872, propose en quelque sorte le pendant dun « exprès trop faux », pour ménager une naïveté calculée qui tend, dans lariette, au « style plus populaire dopéra-comique où quelques irrégularités seraient permises ». De tels phénomènes, dont la virtuosité na rien de gratuit, peuvent être observés dans la production ultérieure de Verlaine, en particulier dans Sagesse.

Cest un autre travail de la rime sur lequel se penche enfin Alain Chevrier, avec « la Monorimie dans les sonnets de Verlaine et de 13quelques-uns de ses contemporains ». Lauteur montre que les possibilités de la monorimie ont été éprouvées par Verlaine dès les quatrains de « Nevermore », (dès les Poëmes saturniens, donc), avant de gagner les tercets de sonnets ultérieurs, puis de sétendre à la composition dun sonnet dont les quatre strophes sont monorimes (« Jean Richepin », Dédicaces, 1894). Verlaine avait eu des prédécesseurs en la matière : Henri Cantel, Arsène Houssaye, Émile Goudeau ou encore Paul Roinard sy étaient en effet essayés. Inattendues, de telles filiations permettent de situer les audaces de Verlaine dans leur temps, de mieux apprécier leur originalité, sans conférer à celle-ci un caractère absolu.

Dans le prolongement de ces études sensibles à la variété et aux subtilités de lécriture en vers et en prose, la dernière section du volume sintéresse aux « échos » à lœuvre dans la création de Verlaine et aux résonances qua suscitées sa réception. En préambule, Alain Chevrier revient sur les arguments formulés par Frank Stückemann dans le précédent numéro de la Revue Verlaine,concernant lattribution à Nina de Villard de textes signés « Émile Villars », parus entre 1865 et 1870. Des précisions relatives à la biographie et à lœuvre de cet auteur lamènent à mettre en cause cette hypothèse pseudonymique, tout en soulignant les questions que pose la publication de quatre poèmes du Roman de la Parisienne dÉmile Villars (1866) sous le nom de Charles Cros dans LArtiste,en 1870. Larticle invite ainsi à poursuivre les recherches autour de ce contemporain de Verlaine, qui fut à la fois auteur dramatique, journaliste et poète.

Deux contributions envisagent ensuite lœuvre verlainienne sous langle du rapport texte-image, en lien avec une approche critique de la figuration. Sandra Glatigny questionne ainsi lhéritage de Henry Monnier à travers ses déclinaisons picturales et textuelles, dans le cadre dune lecture croisée de « Monsieur Prudhomme » et « À la musique ». Si ce fameux personnage caricatural constitue un point de convergence entre les deux poèmes, Verlaine et Rimbaud semploient à le traiter de façon distincte. Là où le second déploie les ressorts de la charge au sein dune mise en scène ample et dramatisée du type du bourgeois, le premier privilégie une poétique de la condensation en soulignant le caractère artificiel du portrait esquissé. En creux, Verlaine dote ainsi « Monsieur Prudhomme » dune portée « doublement critique », qui articule la satire sociale à un questionnement sur les conventions de la représentation.

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Solenn Dupas revient pour sa part sur la façon dont Verlaine a pu aborder limagerie mélancolique inspirée par la fameuse Melencolia de Dürer. Objet de maintes déclinaisons picturales et littéraires, au risque de la redite et de la saturation, ce référent iconographique semble être dabord évoqué de façon extrêmement diluée dans lœuvre poétique. Quelques pièces, dont « La Princesse Bérénice », « Henri III » et « Dites, navez-vous pas… » témoignent toutefois de ce que Verlaine na pas dédaigné de convoquer plus précisément cette figure en exploitant ses ressorts stéréotypés, voire « kitsch », à travers des variations hétérodoxes et satiriques.

Deux études tournées vers la réception de lœuvre viennent enfin compléter ces approches interartistiques de lœuvre. En 1997, Jean-Jacques Lefrère avait retrouvé la trace dun sonnet-dédicace de Gabriel Marc adressé à lauteur des Fêtes galantes,accompagné dune lettre de Henry Franz, dans le numéro des Annales politiques et littéraires paru le 11 juin 1911. Ayant découvert une version de « cet hommage poétique précoce » dans le journal LImage (Paris-comique) en date du 28 mars 1869, Frank Stückemann propose des éclairages sur le parcours littéraire et journalistique de Marc et sur le contexte de composition de ce sonnet hétérométrique placé sous les auspices de Watteau.

Cest enfin un distique de Verlaine cité par Jules Bois dans son livre LAu-delà et les forces inconnues (1902) quAlain Chevrier met en lumière, en conclusion du volume. Tout en étudiant les ressorts intertextuels de ces deux vers quil est tentant de lire comme le début dun « “vieux Coppée” resté potentiel », larticle éclaire les circonstances qui ont conduit Jules Bois, dans le sillage de Jules Huret et de son Enquête sur lévolution littéraire, à se rendre à lhôpital Broussais en 1895 pour interroger Verlaine. Donnant à voir et à entendre un poète à la santé précaire mais dune grande disponibilité intellectuelle, cet entretien confirme que lauteur de « Mort ! », poème daté de décembre 1895 et paru en janvier 1896 dans La Revue rouge, continua jusquà ses derniers jours à manifester une vivacité et une créativité poétiques certaines.

Adrien Cavallaro,
Bertrand Degott
et Solenn Dupas

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abréviations

Tel quil a été adopté dans les précédents numéros de la revue, voici le système dabréviations en usage pour lensemble du volume :

CG

Correspondance générale de Verlaine (1857-1885), t. I, éd. Michael Pakenham, Fayard, 2005.

Cor. 1, 2 et 3

Correspondance de Paul Verlaine,t. I, II, III, éd. Adolphe Van Bever, Genève, Slatkine Reprints, 1983 [1922, 1923, 1929].

OP

Œuvres poétiques de Verlaine,éd. Jacques Robichez, Garnier, 1969.

OPC

Œuvres poétiques complètes de Verlaine,éd. Yves-Gérard Le Dantec, révisée par Jacques Borel, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1962.

OPr

Œuvres en prose complètes de Verlaine,éd. Jacques Borel, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1972.

RV

Revue Verlaine, no 1 à 10, Charleville-Mézières, Musée-Bibliothèque Arthur Rimbaud (1993-2007) ; à partir du no 11, Paris, Classiques Garnier (2013 à aujourdhui). Ex. RV13, 2015, p. 67.