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Classiques Garnier

Compte rendu

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Revue Verlaine
    2022, n° 20
    . varia
  • Auteur : Bernadet (Arnaud)
  • Pages : 225 à 228
  • Revue : Revue Verlaine
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406146551
  • ISBN : 978-2-406-14655-1
  • ISSN : 2426-8860
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14655-1.p.0225
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 22/03/2023
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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Jean-Michel Maulpoix, Les 100 mots de Verlaine, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 2021, 127 p.

Il nest guère surprenant que le poète et critique de La Voix dOrphée (1989) et Du lyrisme (2000) ait donné un court abécédaire sur la vie et lœuvre de Verlaine. Lincurable élégiaque de « Chanson dautomne » et « Ariettes oubliées », dont lexpression se fonde néanmoins sur un « mélange de rouerie et de fausse candeur » (p. 6), constitue à cet égard un corpus de prédilection. Il importe plus encore de rappeler que Jean-Michel Maulpoix a édité en 1994 une anthologie, Paul Verlaine, Poésies. 1866-1874, aux Éditions de la Différence. Au reste, lexercice auquel il vient de se soumettre lui est très familier puisque en 2018 Maulpoix a publié déjà Les 100 mots de la poésie pour le même éditeur. Le « lexique » quil présente en reconstituant la langue et lunivers de Verlaine nest ni un « précis dhistoire littéraire » ni un « abrégé biographique » (p. 5), il propose une lecture singulière. Il entend ainsi (re)traverser « limaginaire poétique » de Verlaine « à travers ses motifs et ses formes » (id.). Ce qui appelle un premier bémol : à lexception de quelques entrées rhétoriques et métriques, « répétition », « vers », « impair », « ballade » et « sonnet », le champ formel nest en soi guère exploré. Ce nest pas dans ce domaine, par définition technique, que lauteur se sent le plus à laise. En outre, si lidée générale de « poème » est saisie à travers les « innovations » des Romances sans paroles, le régime de la « musique » et du « lyrisme » (p. 99) doublé du rejet de léloquence, elle ne motive en retour quune description succincte en termes de dimension (long vs court). Il aurait été cependant opportun de souligner que Verlaine a été lun des pionniers du poème en prose, non seulement lors de la parution des Mémoires dun veuf (p. 79) mais dès 1867 alors quil vient de composer sous linfluence de Baudelaire son premier recueil Poëmes saturniens. À linverse, le débat qui, à lâge symboliste, met Verlaine aux prises avec le vers-libre est pratiquement ignoré. Dans les deux cas, il en va pourtant des rapports du poète à la modernité. Sous les « motifs » Maulpoix classe aussi bien des anthroponymes, « Élisa », « Mathilde Mauté », « Alphonse Lemerre », 226« Lucien Létinois » relevant de la biographie et de lhistoire littéraire, des toponymes qui dessinent le territoire fictif ou réel de lœuvre, « Londres », « Belgique », « Paris », que des catégories ou thèmes récurrents : « chansons », « commedia dellarte », « impression », « mort », « nuit » ou « zutiste ». Certains items ressortissent plus à la logique du détail et se révèlent variablement significatifs : « pouacre » et « mouette » par exemple. Enfin des sections sont réservées à des œuvres intégrales, Fêtes galantes, Liturgies intimes, Les Poètes maudits voire des textes de premier plan dans lévolution littéraire de Verlaine : « Vieux Coppées » ou « Art poétique ». Dans tous les cas, lobjectif est bien de restituer une voix « autrement variable que celle de ses grands aînés romantiques, de Baudelaire, ou même de Rimbaud » (p. 6), den caractériser le « phrasé lyrique » (p. 22) capable dans sa diversité datteindre ce « toucher si délicat et si inquiétant » : une « voix juste » qui fait surgir les « émotions les plus fugitives » (p. 7). À cet égard, si la liste retient lattention, cest quelle reflète peut-être avant tout le regard dun poète sur un autre poète. Elle soutient en quelque sorte le dialogue entre deux œuvres – ce qui nexclut ni les goûts personnels ni même les partis pris. Verlaine ne se laisse pas seulement décrire, il tend aussi ce miroir par lequel on se dit en le lisant. En ce sens, la « justesse » (p. 6) que Maulpoix attribue à la voix de lauteur qualifie également le commentaire de lœuvre. En particulier, on ne peut quêtre sensible à lart des formulations. Par exemple, de lâme ou « souffle intime du sujet » (p. 11), il est déclaré à titre dhypothèse quelle représente peut-être le « vrai foyer du lyrisme » (p. 11), plus encore que le cœur. De même, à propos de ce mot-caméléon quest le signifiant « chose », instrument par excellence de la suggestion, le désignateur vague se rapporterait le plus souvent à une « matière intime inconnue » (p. 37) dans les textes. Dans lensemble, labécédaire propose une synthèse fidèle de lœuvre. Il promeut spécialement la figure du mélancolique et du rêveur, marqués par le sentiment de lincertitude et de lirréalité. Chez eux, « les plis insidieux de la tristesse » (p. 16) débouchent toutefois rarement sur le pathos. Loin des larmes, lémotion « grince et pique » (p. 77). Il faut savoir gré ici à Maulpoix de reconnaître non seulement les dissonances de la satire et de lironie mais également la Muse familière (p. 54) de Verlaine. Car lintime peut emprunter lexpression la plus ordinaire. Le quotidien revêt alors les traits de « poèmes domestiques » mêlant « réalisme » et « prosaïsme » (p. 48) 227comme il arrive dans Élégies. Ainsi, la manière de Verlaine ne se résume pas à « un lyrisme assourdi, grêle ou frêle, de plus en plus atone et écourté » (p. 75). Les « poèmes de circonstance » (p. 24) y constituent une forme dinspiration à part entière. Cette approche en apparence équilibrée de lœuvre ne doit pas dissimuler cependant de nombreuses lacunes qui laisseront perplexe le lecteur le plus bienveillant. En effet, Jean-Michel Maulpoix réussit cet extraordinaire exploit de commenter Verlaine en ignorant trente ans de travaux universitaires, de publications critiques (articles et essais monographiques), déditions savantes ou grand public. Ce silence est dautant plus troublant lorsquon le mesure à la collection dans laquelle prend place louvrage, le genre du « Que sais-je ? » étant normalement destiné à faire létat dune question, en mettant au jour les savoirs qui sy rapportent… Or cette faille très visible dans lordre des connaissances explique à bien des égards la persistance de lieux communs sur lœuvre de Verlaine. En premier lieu, on ignore à quelle version des textes sadresse lauteur, la physionomie des citations semblant indifférente, quelle(s) édition(s) particulière(s) il emploie. Certes, Maulpoix signale bien Un concert denfers (p. 108), lédition conjointe de Rimbaud et Verlaine réalisée en 2017 par Solenn Dupas, Yann Frémy et Henri Scepi pour la collection « Quarto » de Gallimard. Mais la-t-il vraiment consultée et mise à profit ? Lauteur paraît surtout sappuyer sur les deux volumes de la Pléiade, Œuvres poétiques complètes (1962) et Œuvres en prose complètes (1972) de Jacques Borel, philologiquement datées et peu fiables. Quant à la critique, nétaient les contemporains (Mallarmé, Valéry), et quelques allusions ponctuelles à Vladimir Jankélévitch, Roland Barthes ou Jean-Christophe Bailly, ce sont surtout les noms de Louis Deprez (p. 96), François Porché (p. 94) et Jean-Pierre Richard (p. 113) qui émergent de la tradition ! Des lectures plus amples et informées auraient permis pourtant déviter les fausses citations, « Aussi en vient-il à évoquer dans Sagesse des accords “harmonieusement discordants” » (p. 46 ; cest moi qui souligne), ou certaines déclarations tranchées voire erronées : « Verlaine ne fut pas davantage décadent que parnassien ou symboliste » (p. 43) ; « Le Parnasse, en effet, se conçoit comme lopposé du romantisme » (p. 92) ; « Est souvent cité en exemple cet alexandrin des Fêtes galantes : “Et la tigresse épouvantable dHyrcanie” où la césure est complètement effacée. » (p. 121). Lanalyse aurait aussi probablement gagné en nuance et en complexité, à rebours des préjugés 228qui parcourent le texte depuis les « poèmes longs (et parfois indigestes) » (p. 99) de Jadis et Naguère jusquaux Mémoires dun veuf qui chez Verlaine « dilapide[nt] en prose la monnaie de sa vie et de ses vers » (p. 79). Des recueils postérieurs à Sagesse et Amour, Maulpoix retient pour lessentiel le « néoclassicisme » (p. 30), moins limage dun « poète inspiré » que le savoir-faire dun « versificateur habile » (p. 44) qui, dans Odes en son honneur notamment, « se regarde, se commente, se réécrit et se parodie lui-même » (p. 89). Sil donne une nouvelle fois lavantage au premier Verlaine, Maulpoix reproduit là surtout un discours déjà entendu. Au lieu de tenter (et tester) dautres hypothèses de lecture, il écarte ce qui dans lœuvre ne correspond pas à la figure du poète lyrique quil sest idéalement construite. En retour, il passe très discrètement sur lhomosexualité et la bisexualité de lécrivain, ne rend compte que très partiellement de la religion et de sa composante mystique. Il ne dit mot enfin de lengagement politique du poète, de ses années de démoc-soc et communard aux positions légitimistes et anarchistes qui suivent la conversion catholique… On laura compris, sans être inintéressants, Les 100 mots de Verlaine représente une contribution médiocre au domaine. Cest aussi un nouvel exemple malheureux de surdité intellectuelle, tant les contre-discours développés autour du poète depuis plusieurs décennies paraissent avoir été à peine perçus, discutés ou assimilés. À la lumière de ce cas, il faudra un jour sexpliquer pourquoi lauteur de Sagesse, ce « poète que lon peut dire inégal » (p. 6) daprès Maulpoix, continue de susciter au contraire de Mallarmé, Flaubert ou Proust autant de regrettables clichés et, en dépit de recherches novatrices et dynamiques, nourrit des propos anachroniques et figés.

Arnaud Bernadet

Université McGill