Aller au contenu

Classiques Garnier

Avant-propos

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Revue Verlaine
    2022, n° 20
    . varia
  • Auteurs : Cavallaro (Adrien), Degott (Bertrand), Dupas (Solenn)
  • Résumé : L'avant-propos de ce vingtième numéro de la Revue Verlaine en présente les différents volets. La section « Verlaine en échos » réunit des contributions relevant de l'intertextualité et de l'intermédialité. Une deuxième scansion est consacrée aux relations que le poète a entretenues avec plusieurs de ses contemporains. Enfin, les dernières études de ce volume invitent à prolonger l'exploration du Verlaine en prose.
  • Pages : 13 à 18
  • Revue : Revue Verlaine
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406146551
  • ISBN : 978-2-406-14655-1
  • ISSN : 2426-8860
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14655-1.p.0013
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 22/03/2023
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : poésie, prose, poétique, histoire littéraire, réception littéraire
13

AVANT-PROPOS

La première scansion de ce volume, « Verlaine en échos », réunit cinq contributions qui oscillent entre éclairages intertextuels et explorations intermédiales. Poursuivant une investigation quelle avait menée dans un précédent article, Ludmila Charles-Wurtz sintéresse ainsi au miroir que tend Hugo au Verlaine des Poëmes saturniens. Le parallèle entre « Trois ans après », lun des pivots des Contemplations, et « Après trois ans », ne tient pas dun simple renversement ludique : le poème de Verlaine semble emprunter à la fois au poète des Contemplations et au romancier des Misérables les accents quil donne à lévocation du « petit jardin / Quéclairait doucement le soleil du matin ». Si la « porte étroite » qui donne accès à celui-ci se souvient assurément des Évangiles de Matthieu et de Luc, elle nous plonge dans une mémoire des amours de Marius et de Cosette, de la Pépinière du Luxembourg au jardin de la rue Plumet, qui préfère à lallusion directe la nébuleuse du souvenir.

Cest un autre type de lien quaborde Kazuki Hamanaga en confrontant « Crimen amoris » et « Les Sœurs de charité » de Rimbaud, dont la seule copie connue est due à Verlaine. Il sagit moins, pour lauteur de larticle, de mettre au jour des intertextes, que didentifier deux conceptions de la charité, vertu théologale que Verlaine comme Rimbaud auront interrogée avec obstination, et que « Crimen amoris » associe à « lAmour universel ». Mais si Rimbaud se met en quête de cet « Amour universel » dans son poème de 1871 comme dans sa correspondance et dans Une  saison en enfer, Verlaine y voit un péché dorgueil que semble récuser son poème, mettant en lumière « le moment critique du nouvel amour ».

David Evans choisit quant à lui la voie des poèmes trop longtemps considérés comme mineurs pour proposer une hypothèse intertextuelle globale. « Balanide II », dans Hombres, lui donne loccasion dun retour sur un siècle de poésie, en particulier romantique : lémancipation des « maîtres » comme Hugo, ou encore Banville, peut se donner à lire dans les choix formels comme dans la lettre dun poème qui « nous convie 14à une réflexion sur les relations entre masculinité, sexualité et création poétique chez Verlaine ».

Les échos de cette première scansion concernent, comme on le voit, une mémoire de la poésie et des grands textes du passé qui, à loccasion des textes de souvenirs des années 1890, sous-tend la mise en scène dune vocation. Steve Murphy avait précédemment interrogé cette dimension de lécriture verlainienne de soi dans un article dédié aux Confessions. Il y revient cette fois en décelant, toujours dans Confessions, un souvenir possible de la Vita de Benvenuto Cellini : le jeune Benvenuto, inconscient du danger, se saisit dun scorpion quil prend pour une « belle petite écrevisse », que son aïeul Andrea Cellini parvient à mutiler sans dommages pour lenfant. Une salamandre complète ce bestiaire de lenfance, dont le souvenir est structuré autour dépisodes initiatiques. Chez Verlaine, cest lévocation dun scorpion ressemblant à une « crevette en miniature » qui autorise un rapprochement dont Hugo (toujours lui) nest pas absent puisque le prosateur de Confessions qualifie lui-même lenfant « bébéte » quil était, près davaler un scorpion, de « plagiaire inconscient de Victor Hugo ».

À ces coups de sonde intertextuels, Raisa Rexer ajoute la dimension de limage en sintéressant, pour clore ce premier moment, à lun des premiers grands illustrateurs de Verlaine, Pierre Bonnard, qui composa pour Parallèlement une série de lithographies à partir de photographies de nus. Celles-ci « poursui[ven]t le processus dabstraction et de dématérialisation recherché par le nu photographique de lépoque, dont Bonnard sétait déjà montré maître », et nous aident à appréhender, en retour, une dynamique proche dans les poèmes de Verlaine quaborde Raisa Rexer, « Été », « Sappho » et « Limbes ». Dans ce dernier poème en particulier, léloignement de la « réalité du corps féminin » est concomitant dune « tension entre le réel et lidéal » qui dit aussi quelque chose du lien qui se noue entre le texte et une illustration à première vue assez distante. Souligner cette distance reviendrait toutefois à se méprendre sur le rôle de lillustration, dont la fonction est aussi dassurer un relais métaphorique avec le poème.

La deuxième scansion propose un double décentrement. En effet les trois articles qui la constituent sattachent moins à lœuvre de Verlaine lui-même, quà celle de deux de ses contemporains – la bien connue Nina de Villard/Callias et le bien moins connu Georges de Lys – mais 15aussi au voyage que firent à Oxford Verlaine fin 1893 et, quelques mois plus tard, Stéphane Mallarmé.

Ses recherches sur Charles Cros, dont il vient de retraduire en allemand Le Coffret de santal1, ont conduit Frank Stückemann à réexaminer la production littéraire de Nina de Villard. Dans larticle quil consacre à cette dernière, cest tout un pan de son œuvre poétique quil met au jour. Cest à elle en effet quil convient dattribuer les trente poèmes signés « Émile Villars » que LArtiste dArsène Houssaye publie entre le 1er novembre 1868 et le 1er juin 1870. Dans la mesure où, durant cette même période et dans la même revue, Verlaine publie ses Fêtes galantes, Stückemann nous invite à relire le recueil en fonction de cette coïncidence. Regroupés sous le titre de La Vie parisienne, les poèmes donnés en annexe plaident en faveur dune réévaluation de Villard comme autrice et même, en considération de sa biographie, « comme une poétesse maudite au sens de Verlaine ».

Georges Fontaine de Bonnerive (1855-1931), alias Georges de Lys, à qui Solenn Dupas avait déjà consacré un précédent article, est assurément un écrivain de moindre envergure. Si elle y revient pour un nouvel article, cest à loccasion dune lettre que ce dernier adresse à Verlaine au sujet de son roman Une idylle à Sedôm. Lépisode est particulièrement révélateur des jeux dinfluence où son entourage engage alors Verlaine : sachant quel soutien « il apporte à des écrivains partageant une vision ouverte de lérotisme et des identités de genres », tels Rachilde et Henri dArgis, sans doute de Lys espère-t-il lui voir cautionner son médiocre roman. Si lon ignore ce que Verlaine en put penser, il reste hautement probable quil ne fit pas le geste attendu.

La dernière contribution de cette scansion est la traduction de larticle dEnid Starkie, « Verlaine and Mallarmé at Oxford », paru en 1949. Puisque cest là « moins un article scientifique quune synthèse de témoignages directs sur la visite de deux célébrités poétiques françaises dans une prestigieuse université étrangère », Elsa Courant ne se borne pas à traduire ces pages, mais elle nous révèle également le tissage serré auquel lautrice sest livrée, empruntant tantôt à Men and Memories (1931) de William Rothenstein, tantôt à la correspondance de Mallarmé contemporaine de 16son voyage. Larticle de Starkie nen donne pas moins une idée du renom que les deux poètes avaient dans lAngleterre de la fin du xixe siècle, mais aussi du retentissement dune œuvre quils étaient invités – lun comme lautre mais pour des raisons différentes sans doute – à incarner.

La dernière scansion regroupe deux contributions consacrées à la désinvolture volubile – à la volubilité désinvolte – du Verlaine en prose : lune sattache au « régime de la vérité » à lœuvre dans Confessions et dans dautres proses autobiographiques (Gosses, Mes hôpitaux, Souvenirs dun Messin, Mes prisons), tandis que lautre, à partir de Louise Leclercq et des Mémoires dun veuf, interroge la complexité des interactions entre le récit de fiction et le poème en prose.

Adrien Cavallaro commence son article en sinscrivant en faux par rapport à une tendance – notoirement propre à Jacques Borel – à déconsidérer, sur la base de ses premiers poèmes, toutes les productions ultérieures de Verlaine, dont ses fictions : un tel jugement obère par avance toute réévaluation critique. Dans la genèse des deux ouvrages, il nest pas indifférent que Louise Leclercq et Les Mémoires dun veuf aient été dissociés sur conseil de léditeur Vanier. Pour autant, la nouvelle dun côté et les poèmes en prose de lautre, non seulement nen entretiennent pas moins une réciprocité à la fois esthétique et générique, mais cette réciprocité « joue également à une échelle autobiographique, ou autofictionnelle ». Ici et là, la désinvolture du prosateur avoisine le « pince-sans-ririsme », selon lheureuse formule dun critique contemporain ; non sans évoquer le prosaïsme en vers de Coppée, elle met sa tendance au retrait et à linvraisemblance au service dun traitement très personnel des poncifs romanesques.

Dans la continuité dun précédent article, Arnaud Bernadet interroge une nouvelle fois les rapports entre le sujet et la vérité. Lorsque Verlaine ambitionne dans ses propres Confessions de « dire la vérité vraie sur moi », cest, quoique sous le double patronage laïque de Rousseau et religieux de saint Augustin, suivant une démarche éthique et esthétique propre. Dautres textes y répondent, également en prose, mais dont on aurait tort dexagérer la dimension rétrospective. En effet, écrit Bernadet, « Verlaine associe en priorité la pratique de la prose au domaine autobiographique, comme sil y percevait désormais la continuation dune poétique de lintime en usage surtout dans les vers ». De fait, si ces textes autobiographiques échappent à une théâtralisation complaisante, 17cest quils sont animés par une « pulsion de laveu », quand même les stratégies énonciatives que cet aveu mobilise en accuseraient toutes plus ou moins la pénibilité. À lhorizon dun cheminement vers la vérité, cest toutefois moins lextrême singularité qui préoccupe Verlaine que la communauté quelle permet de révéler.

De la prose autobiographique à la nouvelle et au poème en prose, les liens sont nombreux et complexes : Verlaine lui-même ne présentait-il pas Les Mémoires dun veuf comme une « autobiographie un peu généralisée » ? Les lecteurs et les lectrices de la Revue Verlaine auront compris que cette dernière scansion se veut également lannonce discrète du prochain numéro, en particulier du dossier qui y sera dédié à « Verlaine, lart de la prose ».

Adrien Cavallaro,

Bertrand Degott

et Solenn Dupas

18

abréviations

Tel quil a été adopté dans les précédents numéros de la revue, voici le système dabréviations en usage pour lensemble du volume :

CG

Correspondance générale de Verlaine (1857-1885), t. I, éd. Michael Pakenham, Fayard, 2005.

Cor. 1, 2 et 3

Correspondance de Paul Verlaine,t. I, II, III, éd. Adolphe Van Bever, Genève, Slatkine Reprints, 1983 [1922, 1923, 1929].

OP

Œuvres poétiques de Verlaine,éd. Jacques Robichez, Garnier, 1969.

OPC

Œuvres poétiques complètes de Verlaine,éd. Yves-Gérard Le Dantec, révisée par Jacques Borel, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1962.

OPr

Œuvres en prose complètes de Verlaine,éd. Jacques Borel, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1972.

RV

Revue Verlaine, no 1 à 10, Charleville-Mézières, Musée-Bibliothèque Arthur Rimbaud (1993-2007) ; à partir du no 11, Paris, Classiques Garnier (2013 à aujourdhui). Ex. RV13, 2015, 67.

1 Charles Cros, Das Sandelkästchen / Le Coffret de santal. Édition bilingue. Traduction et avant-propos de Frank Stückemann, Aaachen (Aix-la-Chapelle), Rimbaud Verlag, Lyrik-Taschenbuch Nr. 130, 2022, 391 p.