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Classiques Garnier

Comptes rendus

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Revue Verlaine
    2018, n° 16
    . varia
  • Auteurs : Degott (Bertrand), Frémy (Yann)
  • Pages : 337 à 340
  • Revue : Revue Verlaine
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406090830
  • ISBN : 978-2-406-09083-0
  • ISSN : 2426-8860
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09083-0.p.0337
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 30/03/2019
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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Paul Verlaine, Recueils de jeunesse [Poèmes saturniens, Les Amies, Fêtes galantes, La Bonne Chanson]. Présentation, notes, dossier, chronologie et bibliographie par Nicolas Wanlin, Paris, Flammarion, coll. « GF », 2018, 289 p.

Après Romances sans paroles, présenté par Arnaud Bernadet, cest également sous les espèces de ce quelle nomme « édition avec dossier » que la collection « GF » propose ici les quatre premiers recueils de Verlaine. Par rapport à la première publication, qui date de 2013, on observera que, dans celle-ci, les notes ne se trouvent plus renvoyées au milieu du livre, entre le texte et le dossier, mais – ce qui est tout de même plus commode pour le lecteur – en bas de page. Il convient de saluer ce changement de ligne éditoriale, qui est tout sauf indifférent. Même si à lévidence les deux publications sont censées se compléter, on peut sinterroger sur lintérêt de réunir et de présenter dans lordre chronologique les quatre premiers recueils. Trois dentre eux existent déjà en collection de poche1, mais loin dimposer la même hiérarchie, cette nouvelle édition suggère un itinéraire, un cheminement. Linconvénient est que le titre de Recueils de jeunesse présuppose une maturité qui ne serait atteinte quavec les Romances, mais aussi que celles-ci apparaissent comme une fin de parcours. Ainsi Nicolas Wanlin veut-il « fournir les éléments essentiels au lecteur pour lui permettre de se faire une idée du poète quétait Verlaine dans ses années de jeunesse, avant sa rencontre avec Rimbaud » (p. 7). Contre le cliché dun Verlaine irresponsable et naïf (que le titre Recueils de jeunesse semble cependant frapper dimmaturité), Wanlin défend en maints endroits de sa présentation lidée dune progression concertée, dune « carrière ». Cest pourquoi, écrit-il, « la présente édition prend le parti de restituer les textes tels quils furent publiés par leur auteur au fil de sa carrière » (p. 57). Dans la même perspective, il était en effet essentiel dopposer le « maigre théoricien » (p. 28) et lartisan, émule de Hugo, Baudelaire, Banville et Leconte de Lisle, qui na cessé daffiner son métier et de perfectionner ses procédés.

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Wanlin connaît la critique verlainienne et sait quelle a progressé, depuis les Œuvres poétiques complètes dans la Pléiade (1962), également sur le plan philologique : il renvoie à lédition qua donnée Steve Murphy des Poëmes saturniens ainsi que, pour les trois autres recueils, à celle déjà citée dOlivier Bivort. Cela ne suffit pourtant pas – édition grand public oblige – à lui faire maintenir les archaïsants poëme (dans Poëmes saturniens, par exemple) ou rhythme. Quant à létonnant Stygmate de « Per amica silentia », Wanlin le corrige sans sourciller à la suite de Bivort. Or lAcadémie donne bien stygmates en 1798, et lon pourrait aventurer que, si cet y oriente vers lemploi figuré, il peut également figurer le référent érotique. Cest dautant plus étrange quun second parti pris de cette édition est dappeler un chat un chat. « Aujourdhui encore, remarque Wanlin, les manuels scolaires sont embarrassés, sélectionnent avec précaution les textes donnés à lire aux adolescents, nexplicitent guère certains sous-entendus et usent deuphémismes pour évoquer la liaison amoureuse de Verlaine et Rimbaud, ou son goût immodéré pour la boisson » (p. 6). Nous voici prévenus : ignorant les tabous, le commentaire répugnerait à nourrir le conflit entre éthique et poétique. Ainsi que le notait déjà Bivort, Les Amies nest pas juste un « dérivatif frivole » aux Fêtes galantes ; il ny pas de solution de continuité entre ces sonnets lesbiens et les « scènes galantes pleines de sous-entendus érotiques » (p. 42) du recueil de 1869. Ainsi les notes en bas de page mettent-elles en valeur tout ce que « Mon rêve familier » contient dérotique et le dossier ne manque pas de fournir les poèmes écartés de La Bonne Chanson « parce quils sont trop charnels » (p. 53). Tout cela est en parfaite cohérence avec la lecture que Wanlin propose de Verlaine : « la recherche morale de Verlaine consiste [] à marier le bonheur de la chair à celui de lâme » (p. 40).

Mais la critique a également souligné « la virtuosité avec laquelle le poète révolutionne la versification » (p. 7). Dun recueil à lautre, cest donc un même souci du travail poétique – travail qui selon Verlaine prime linspiration – qui se manifeste. Cest alors peut-être dans sa prise en compte de la métrique que Wanlin se montre le moins convaincant. Peut-on dire que dans le vers « Par la logique dune + Influence maligne », le poète ait « déplac[é] la césure après “dune” » ? Lexpression « déplacer la césure » nalimente-t-elle pas la confusion entre métrique et rythme, déjà dénoncée par Benoît de Cornulier ? De même semble-t-il hasardeux décrire que le premier vers du « Rossignol » (« Comme un vol criard + doiseaux en émoi ») 339« paraît “criard” pour un lecteur qui a lhabitude de lire des décasyllabes scandés 4/6 » (p. 105) : en effet, le poème tout entier est écrit en taratantaras (5+5) et cest la récurrence de cette scansion qui impose ensuite le mètre, certes au détriment du 4+6, mais de tout autre mètre aussi bien.

Ces réserves minimes nenlèvent rien à la qualité de cette édition, aussi irréprochable dans sa présentation que parfaitement cohérente par sa conception densemble.

Bertrand Degott

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Paul Verlaine, Romances sans paroles, texte intégral et dossier par Reynold Le Damany, Folio + collège, 2017, 110 p.

Dans le cadre dune publication à destination des collégiens et en particulier des élèves de Troisième, les éditions Gallimard proposent une édition des Romances sans paroles par Reynold Le Damany. Létablissement du texte est sérieux et il est regroupé sur une vingtaine de pages. Lessentiel du volume est donc constitué par un dossier qui alterne synthèses et propositions didactiques, voire pédagogiques puisque lautre public visé est bien sûr le corps enseignant.

Les mises au point théoriques possèdent dincontestables qualités et témoignent dun savoir universitaire solide. La triple page consacrée à la versification est juste et salutaire : lapproche métrique est privilégiée, alors que règne encore trop souvent dans lenseignement secondaire une conception purement syntactico-accentuelle du vers avec des notions contestables comme celles de déplacement tous azimuts de la césure. Lauteur rappelle avec force que « chaque entorse à la règle est donc pour Verlaine une intention poétique » (p. 46). De même, la double page 340consacrée à la vision du monde de Verlaine est intéressante : si ladjectif « approximative » (p. 77) retenu nest pas forcément le bienvenu, léditeur montre bien que ni la modernité ni la politique ne sont absentes du recueil. Au niveau de lHistoire des arts, des reproductions suivies de questions sont proposées : on y trouve notamment Impression, soleil levant de Monet (limpressionnisme de Verlaine est sans doute stéréotypé, mais on ne peut en faire totalement léconomie, surtout dans le cadre dun premier enseignement) ; le choix dun tableau de Turner aurait pu être quelque peu redondant, mais lœuvre retenue Pluie, vapeur, vitesse, le chemin de fer est déjà largement problématisée ; surtout, le choix dun tableau de Rembrandt (Le Pont de Six) montre une belle connaissance des goûts de Verlaine.

Dautres choix sont moins heureux, notamment le récit « Paul Verlaine raconté par son ami Edmond Lepelletier » (p. 40-41) qui est un authentique faux, réécrit à lusage des collégiens et sachevant par un assez comique : « Je meurs le 22 juillet 1913 » (p. 41). Au niveau pédagogique, les choix opérés laissent parfois sceptiques. Le ludique « Cherchez lintrus » (p. 64-65) propose des questions à choix multiples, dont les deux suivantes : « Comme son titre lindique, la section Aquarelles regorge de couleurs. Laquelle nest pas citée ? Le rouge. Le jaune. Le violet » ou « Quest-ce qui ne chante pas dans Romances sans paroles ? La pluie. Les Chevaux. Un oiseau » (p. 64-65). Nous ne savons pas quel intérêt direct propose ce questionnaire. Si léditeur a sans doute son idée, lenseignant usager du volume peine à la percevoir. De même, « Retour dans le passé : le lecteur contemporain des Romances sans paroles » (p. 42-43) met en scène un vous, sans doute à des fins didentification du collégien, qui sonne vraiment faux, alors que le contenu, lui, est très pertinent. On préférera, quitte à passer pour impersonnel, les pages « Les mots ont une histoire » (p. 53-57) et « Les noms propres sont porteurs de sens » (p. 58-59).

En résumé, lédition proposée par Reynold Le Damany est de qualité. Nos quelques remarques sur les choix plus directement pédagogiques sont anodines : elles montrent la difficulté de sadresser à la fois au public collégien et au corps enseignant, lequel peut recourir avec confiance à ce volume des Romances sans paroles sans craindre de pleurer dans son cœur.

Yann Frémy

1 Verlaine, Fêtes galantes, La Bonne Chanson, précédées des Amies, éd. Olivier Bivort, Paris, Librairie générale française, coll. « Les Classiques de poche », 2000.