Avant-propos France/Amérique, Verlaine entre deux continents, autour de la collection Hervé Vilez
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Revue Verlaine
2017, n° 15. varia - Auteurs : Bernadet (Arnaud), Degott (Bertrand), Dupas (Solenn)
- Pages : 11 à 15
- Revue : Revue Verlaine
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN : 9782406077886
- ISBN : 978-2-406-07788-6
- ISSN : 2426-8860
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07788-6.p.0011
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 09/02/2018
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français
Avant-propos
France/Amérique,
Verlaine entre deux continents,
autour de la collection Hervé Vilez
Le numéro 15 de la Revue Verlaine que nous présentons aujourd’hui revêt un caractère très particulier, sinon inhabituel, qui risque par conséquent de surprendre nos abonnés. Il rassemble en effet les actes d’un colloque qui s’est tenu, du 13 au 15 mars 2017, au Centre W.T. Bandy d’Études baudelairiennes et françaises modernes de l’Université Vanderbilt (Tennessee, États-Unis), sous la direction de Robert F. Barsky, à l’occasion du transfert de la collection privée de M. Hervé Vilez. Comprenant plus de 1500 items, ce très riche catalogue, acquis sur une trentaine d’années, est certes l’œuvre d’un bibliophile patient, délicat et minutieux, mais également d’un lecteur et auteur de poésies, lauréat de plusieurs prix, qui a siégé comme Secrétaire général de la Société des Amis de Rimbaud (1981-1983), accumulant pour cette raison de nombreux trésors sur Verlaine. Sous le nom de l’écrivain, se trouvent ainsi regroupés des éditions originales, des publications illustrées, des périodiques et travaux critiques, des traductions au même titre que des dessins et des peintures allant du xixe au xxie siècle sans oublier les curiosa, l’iconographie érotique inspirée entre autres par Les Amies et Hombres. Cet ensemble représente à ce jour un fonds rare et essentiel pour le spécialiste de Verlaine, comme pour les chercheurs et érudits qui s’occupent de la poésie française des deux derniers siècles. Le lecteur trouvera plus loin dans ce volume la présentation générale qu’Hervé Vilez donne des sources et documents déposés au Centre W.T. Bandy de l’Université Vanderbilt. Il consultera avec profit le descriptif de la bibliothèque sous l’onglet suivant, http://www.library.vanderbilt.edu/bandy/vilez-verlaine-collection.php, et surtout l’inventaire mis à jour, datations et 12cotations comprises, de toute l’archive : http://www.library.vanderbilt.edu/bandy/pdf/verlaine.pdf
Les contributions réunies dans ce numéro sont pour partie un début d’exégèse de ce fonds. Elles ne s’y limitent pas toutefois et s’attachent pour la plupart à remettre en perspective l’événement que constitue l’ouverture publique de cette collection, en repensant notamment la place de l’écrit poétique à la fin du xixe siècle, et la fortune de Verlaine spécialement dans le champ littéraire, d’hier et d’aujourd’hui. Si le catalogue Vilez bénéficie désormais d’un lieu propre, gageons qu’il sera capable, par les découvertes à venir, de déplacer aussi le regard sur l’œuvre. Celle-ci appelle en l’occurrence une multiplicité d’approches possibles, qui déborde le discours nécessairement monologique d’une historiographie étroitement nationale. Pour le dire abruptement, Verlaine n’est pas une question française. C’est ce qu’ont compris, et fait valoir au cours de ces trois journées, Robert Barsky (Université Vanderbilt) et, autre artisan majeur du colloque, Seth Whidden (Université d’Oxford), en réunissant autour de la table des chercheurs canadiens et américains, italiens et français. À mesure que tombent les préjugés longtemps entretenus devant les textes – le cliché du poète élégiaque sans égard pour l’expression comique, les dénégations qui entourent l’engagement politique, l’éclectisme reproché aux productions de la fin, les proses (plus importantes quantitativement que les vers) passées sous silence, ou le mépris dans lequel a été tenue la filiation érotique, – on constate ces dernières années que le spectre des méthodologies s’est considérablement élargi (des instruments philologiques aux Gender Studies), qu’un intérêt nouveau se développe par exemple pour le statut des langues chez Verlaine, la figure du critique, la pratique de l’autobiographie, l’art de la nouvelle ou du poème en prose, une réception qui, strictement mesurée à l’aune des logiques avant-gardistes du xxe siècle, semble fatalement synonyme de déclin, alors que dans le domaine des poésies russe, allemande, anglaise ou italienne on sait que l’œuvre a exercé une influence aussi incontestable que durable.
Ainsi le colloque organisé par l’Université Vanderbilt aura-t-il d’abord placé Verlaine entre deux continents, motivant un dispositif croisé d’analyses. Il revenait à Robert Barsky d’ouvrir ce volume en soulignant, par-delà les parentés internes qui relient Verlaine à Genet (et l’un et l’autre à Villon), sous l’espèce du voleur, du paria, de l’alcoolique ou de 13l’homosexuel, le rôle capital qu’a joué la modernité poétique française de l’autre côté de l’Atlantique, pour nombre d’auteurs nord-américains en quête de nouvelles formes d’inspiration, qu’on parle d’artistes tels que Patti Smith, Leonard Cohen ou Bob Dylan, ou des écrivains de la Beat Generation, Allen Ginsberg, William S. Burroughs et Jack Kerouac. Plus factuels, les deux articles de Seth Whidden et d’Hervé Vilez reconstituent brièvement la genèse de la collection, en décrivent les différentes composantes documentaires, un ensemble presque aussi important que le fonds Baudelaire acquis par le Centre W.T. Bandy. Non que l’archive soit destinée à muséographier définitivement Verlaine. Le poète « traverse frontières, langues, cultures », ainsi que le rappelle Whidden. Mais il doit paradoxalement sa force à l’historicité de l’œuvre qu’il produit.
En effet, de tels textes ne se comprennent pas sans l’évolution qui accompagne dans la deuxième moitié du xixe siècle la poésie, et spécialement ce que Marc Angenot appelle sa « banalisation », entre autres sous l’effet de l’imprimé et du journal ; parce que « le vers pullule », les écrivains de la période symboliste tentent de soustraire la poésie au discours social et d’en préserver la spécificité face aux « impuretés médiatiques et doxiques ». C’est encore le discours social qui est l’enjeu de la construction mythique du poète maudit. Verlaine ne l’invente pas ; il hérite de lieux communs bien mis en valeur en 2005 par Pascal Brissette dans sa thèse La Malédiction littéraire1. C’est cette filiation que remonte Seth Whidden à travers Gilbert, Malfilâtre, Chénier et Vigny, pour tenter de déverrouiller la lecture du libelle de 1884. Il reste qu’avant de passer pour le promoteur de Corbière et de Rimbaud, de se classer lui-même en conclusion de l’anthologie maudite, et de devenir à cette occasion l’une des figures de premier plan de la mouvance symboliste aux côtés de Mallarmé, Verlaine aura dû se faire un nom en négociant le legs romantique et parnassien. C’est en rouvrant le dossier des rapports complexes avec Hugo que Catherine Witt aborde la question : entérinant la coupure que l’auteur établit entre le poète intime des Feuilles d’automne ou des Rayons et les ombres et le personnage public, mêlant de manière inefficace à ses yeux poétique et politique de Châtiments à L’Année terrible, l’auteure souligne « l’ascendant du premier 14romantisme », sa persistance en particulier dans Romances sans paroles, le recueil pourtant le plus novateur peut-être.
C’est plutôt « l’en-vers » des Romances et l’univers de Cellulairement que considère Nicolas Valazza sur la base du manuscrit redécouvert en 2004, en mettant l’accent sur la tension qui y oppose le désir de fuite et la contrainte de l’enfermement. Lui aussi attentif aux données syntaxiques et métriques, Alain Chevrier étudie en contrepoint le genre du poème onirique chez Verlaine, de nature tour à tour allégorique, religieuse, politique ou érotique. Ce dernier aspect, suscité par les curiosa du fonds Vilez, a retenu l’attention de Colette Windish qui, s’arrêtant à la période post-conversion de Verlaine, observe avec minutie la textualité de Femmes et de Hombres. L’auteure y observe en particulier les mutations en cours du sujet lyrique, la manière dont il tend à lier sinon à inverser les registres du sacré et du profane. Entre l’alcôve et la prison, du rêve au désir de fuite, on le constate, chacune de ces études donne de l’œuvre une image de durée et de diversité. Il n’y manque pour en rendre pleinement compte que sa dimension interculturelle, dont la condition première est celle des langues.
Les échanges avec Mallarmé révèlent assez l’intérêt linguistique et poétique que Verlaine a profondément nourri vis-à-vis de la langue anglaise à partir des années soixante-dix selon Federica Locatelli, ce que valident par ailleurs les lectures de Poe et de Swinburne ou, plus tôt encore, le projet de traduction de King Lear vers 1867 en collaboration avec François Coppée2. Si le sens des langues fait partie intégrante du geste de création, à l’inverse la traduction est une composante essentielle de la réception. On doit ici à Samuel N. Rosenberg d’avoir proposé une nouvelle version en anglais de huit pièces de Verlaine, et non seulement parmi les plus connues, « L’Angoisse », « Clair de lune », « En sourdine » ou « Art poétique », puisqu’on y trouve, reflétant la variété de l’œuvre et sa diachronie, « Gais et contents » (Amour), « Chanson à manger » (Invectives), « À Sully Prudhomme » (Épigrammes) et, last but not least, « L’arrivée du catalogue », symbole bibliophilique issu du dernier recueil publié du vivant de l’auteur : Biblio-sonnets. À ce stade, il n’est pas inintéressant pour clore ce numéro de déplacer le curseur 15géolinguistique en confrontant, comme s’y essaie Elina Absalyamova, cette même problématique à l’accueil que le domaine russe a réservé à Verlaine. Nul n’ignore son influence auprès des symbolistes. Mais la capacité d’une œuvre à rester vivante se mesure aussi à la manière dont elle informe de manière explicite ou souterraine des poétiques comme celles d’Alexandre Blok, de Gerhart Hauptmann et même de Vladimir Maïakovski. De la Russie à l’Amérique, ce sont là autant de signes d’une mémoire encore active sous le nom et l’œuvre de Verlaine.
Comme dans les numéros précédents, on trouvera à la fin de ce volume deux importantes recensions signées par Yann Frémy et Romain Courapied.
Tel qu’il a été adopté dans les précédents numéros de la revue, voici le système d’abréviations en usage pour l’ensemble du volume :
CG |
Correspondance générale de Verlaine (1857-1885), t. I, éd. Michael Pakenham, Fayard, 2005. |
Cor. 1, 2 et 3 |
Correspondance de Paul Verlaine, t. I, II, III, éd. Adolphe Van Bever, Genève, Slatkine Reprints, 1983 [1922, 1923, 1929]. |
OP |
Œuvres poétiques de Verlaine, éd. Jacques Robichez, Garnier, 1969. |
OPC |
Œuvres poétiques complètes de Verlaine, éd. Yves-Gérard Le Dantec, révisée par Jacques Borel, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1962. |
OPr |
Œuvres en prose complètes de Verlaine, éd. Jacques Borel, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1972. |
Arnaud Bernadet,
Bertrand Degott et Solenn Dupas
1 Pascal Brissette, La Malédiction littéraire. Du poète crotté au génie malheureux, Presses de l’Université de Montréal, coll. « Socius », 2005.
2 Sur ce dossier voir Wafa Abid, « Le projet de traduction du Roi Lear de Shakespeare », Revue Verlaine, no 9, Charleville-Mézières, Musée-Bibliothèque Arthur Rimbaud, 2004, p. 2-20.