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Classiques Garnier

Avant-propos

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Revue Verlaine
    2015, n° 13
    . varia
  • Auteurs : Bernadet (Arnaud), Dupas (Solenn), Frémy (Yann)
  • Pages : 11 à 16
  • Revue : Revue Verlaine
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782812460739
  • ISBN : 978-2-8124-6073-9
  • ISSN : 2426-8860
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-6073-9.p.0011
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 08/01/2016
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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AVANT-PROPOS

Dans le numéro 13 de la Revue Verlaine, le lecteur reconnaîtra aisément les « pentes dhabitude1 » qui caractérisent désormais les travaux de recherche consacrés au poète de Sagesse. Non pas au sens de la routine mais à la manière dont, retraçant lévolution et le devenir de son œuvre, Verlaine lentendait lui-même au terme dune étonnante « Critique des Poèmes saturniens » : une réflexion ininterrompue alliant les questions philologiques ou historiques à des analyses qui éprouvent la résistance et même la résilience des textes de lauteur. Sous langle de la biographie ou de la réception, des cadres de lénonciation aux agencements narratifs et métriques, les études réunies dans ce volume suivent à leur tour le « lit, profond ou non, clair ou bourbeux » (id.) des vers et des proses, avec leurs « courants deau glacée » et « deau bouillante » mêlés de « débris » et de « sables2 », autant de métaphores privilégiées dont Verlaine se sert pour circonscrire sa manière. Si elles se mesurent toutes à lidiosyncrasie de lécriture, aussi instable quirréductible, selon des options épistémologiques et méthodologiques qui leur appartiennent en propre, ces contributions se partagent néanmoins entre quatre aires de réflexion distinctes.

La première a trait à ce quon pourrait appeler les savoirs à lœuvre. Non seulement ceux dont lœuvre est investie par la multiplicité des regards qui sexercent sur elle, du détail érudit aux maniements systématiques des corpus (sans exclure le hasard des découvertes et même le sens des trouvailles), mais également ceux quelle contient virtuellement ou a le pouvoir dinventer, assignant à la connaissance acquise de nouvelles limites, jusquà susciter le débat voire la polémique. Le dossier souvre dabord par plusieurs inédits. Geneviève Hodin met ainsi en lumière un article signé « Sergines », pseudonyme dAldophe Brisson, qui rend

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compte pour les Annales politiques et littéraires de lannonce officielle de la candidature de Verlaine à lAcadémie française au cours de lété 1893 sous la forme dun portrait à la fois faunesque et mélancolique de « ce fils de Villon ». Ce sont encore le mythe, et le sentiment dadmiration, qui guident au début du xxe siècle lenquête avortée de Daïgaku Horiguchi et Yaso Saïjo, deux poètes et traducteurs japonais préoccupés de recueillir auprès des descendants quelques témoignages dimportance sur Verlaine. En éclairant ce point dhistoire littéraire mal connu, Kensaku Kurakata met certes laccent sur la réception orientale de lœuvre, laquelle sinscrit dailleurs plus largement dans le mouvement de modernité et douverture aux cultures occidentales qui affecte larchipel nippon dès après lère Meiji (1868). Mais en complétant ce récit dun entretien entre Maurice Hamel et Georges Verlaine, dont lissue fut plus heureuse puisque léchange fut publié dans Comœdia en 1924, Kurakata élargit encore le chantier amorcé par Hervé Vilez dans le précédent numéro de la revue autour du fils unique de lécrivain, dédicataire dAmour.

Cest également au niveau de larchive que se situe Eddie Breuil. Dans le sillage des thèses récemment développées dans son essai Du Nouveau chez Rimbaud3, lauteur tente de repenser à nouveaux frais ce quil appelle le « legs » ou le « vrac » de Stuttgart. Non seulement la querelle qui devait mettre aux prises – physiquement – Verlaine à sa sortie de prison avec son ancien amant, mais surtout les documents qui lui ont été communiqués par Rimbaud, ces fameux « poèmes en prose4 » destinés à Germain Nouveau que la tradition critique saccorde depuis les travaux dHenry Bouillane de Lacoste à rapporter aux Illuminations. Ce sont les prémisses de cette identification que conteste lauteur sur la base dhypothèses et darguments qui, sils peuvent se prêter à la controverse, nen interrogent pas moins le rôle complexe que Verlaine a pu jouer à terme dans la circulation puis la publication dun ensemble de textes peut-être hâtivement baptisé « recueil ». Pour finir, la tâche que se donne Christian Hervé autour de Romances sans paroles na pas trait au dialogue avec Rimbaud. En soulevant plutôt deux questions dintertextualité, spécialement autour de la sixième ariette et de lénigmatique personnage de François les bas-bleus, elle sollicite dautres compétences du lecteur. Nécessairement risquée, elle se révèle aussi heuristiquement féconde si on

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la mesure en particulier à la chaîne qui relie Verlaine à Charles Nodier, Paul Meurice, Michel Balisson de Rougemont ou Hippolyte Hostein.

Le deuxième domaine de réflexion ressortit plutôt aux gestes herméneutiques. Sensibles aux échos que trament entre eux les signes, et aux valeurs – même, et surtout, labiles, changeantes ou équivoques – dont ils se chargent dans le cas très particulier dun poète comme Verlaine, ce sont là autant dessais danalyse qui considèrent les bornes radicales de lœuvre, depuis les débuts parnassiens jusquaux « avant-dernière » et « dernière5 » fins. Il revient à Solène Thomas et à Nelson Charest den poser le cadre préalable au moyen de deux lectures transversales : lune qui revisite le statut de lennui, à première vue topique ; lautre qui examine lidée, inversement étrange, de crédit. Aux plaintes continuelles du saturnien, plein de cet « ennui monstrueux » et dun « spleen ingrat6 », emblèmes à la fois de la malédiction et de la distinction qui, peut-être trop « baudelairement7 » encore, impliquent certains effets de pose, répondent les errements et les tribulations du désargenté. Dune figure à lautre toutefois, se met en place une économie symbolique et/ou matérielle dont lenjeu nest autre que lacte décrire lui-même. En effet, à suivre Thomas, lennui doit être dissocié de la mélancolie stricto sensu, lexpression de ce sentiment (par essence uniforme) étant soumise aux nuances comme aux mutations de lœuvre, au point quelle est assimilée à partir du tournant catholique aux sources diaboliques et aux tentations récurrentes du mal. Tout autre est la tentative de conjuration qui entoure le terme de crédit, unissant loptique fiduciaire à une attitude de croyance. Ainsi, tandis que lenjeu concerne dabord « linaptitude apparente du poète à négocier avec le monde marchand », le pouvoir bancaire et les mécanismes de la société capitaliste dont Walter Benjamin a décrit lenracinement dès la Monarchie de Juillet jusquà la période impériale, « Images dun sou » en particulier révèle comment Verlaine est celui qui, daprès Charest, « donne, plutôt que celui qui reçoit » et, opposant crédit et travail, établit une conversion des valeurs, misant sur le temps et lavenir par-delà la condition de pauvreté.

Cest à dautres figurations du sujet quentre ces deux lignes majeures de lœuvre sont destinées des productions telles que Fêtes galantes,

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Parallèlement ou Quinze jours en Hollande. Roland Le Huenen met ainsi en lumière la façon dont, à loccasion des conférences données à La Haye et à Amsterdam, événements qui coïncident de surcroît avec le temps de la célébrité, Verlaine déjoue progressivement les traits génériques de la relation de voyage. Car linstance y est à la fois sujet et objet dune prose narrative aux ressources formelles principalement réglées sur la polyphonie : elle y redécouvre alors les vertus primitives de sensations qui font immédiatement écho à limaginaire poétique mis en place de Poëmes saturniens à Romances sans paroles. Colette Windish raisonne quant à elle sur la composition de la deuxième édition de Parallèlement, parue un an après Quinze jours en Hollande. Loin dy voir une pure stratégie du mélange, qui répondrait à des besoins alimentaires, en sappuyant sur « Allégorie », la série « Lunes » mais aussi « Poème saturnien » et « La dernière fête galante », elle fait valoir chez lécrivain le travail complexe de réconciliation d« identités historiquement distinctes mais poétiquement unifiées », la fragmentation et les effets de miroirs entre « je » passé et « je » présent que Verlaine exploite prioritairement sur le mode de lauto-parodie. Le régime de lindécidable, fondé sur les moyens du comique, gouverne de nouveau lanalyse conversationnelle quArnaud Bernadet propose des « Indolents » et de « Sur lherbe ». Entre dire et sous-dire, la question y demeure celle de limplicite, moins dépliée dailleurs selon les instruments de la pragmatique que dans la perspective dun phrasé en sourdine. Cest au poème du même nom que sadresse Sophie Angot pour éclairer la circulation et lindécision des signes dans Fêtes galantes, et particulièrement des signes érotiques, ludiquement noués à la complicité interprétative du lecteur : le silence et les vocalises du texte modulent, sans toutefois les arrêter absolument, les pièges du sens disséminés tout au long du recueil.

La troisième partie de ce numéro met précisément en tension ce chant avec la mesure et lart virtuose des vers. Si elle souligne linfluence déterminante quont exercée en ce domaine Hugo et Baudelaire, Brigitte Buffard-Moret rattache la référence presque obsédante au genre de la chanson chez Verlaine aux procédés syntaxiques et rhétoriques de la répétition (entre autres, la figure de lantépiphore) mais également aux bouclages strophiques et métriques, démarquant ainsi lhybridation des formes savantes et des formes populaires. Dans une démarche analogue, qui confronte Verlaine à dautres corpus, Baudelaire et Corbière, Benoît

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de Cornulier sintéresse au vers dit taratantara ou 5-5, lui aussi associé à la chanson. Il lève par ce biais une énigme, celle du fameux « nez » sans cartilages attribué par la critique à Jules Claretie, blague épistolaire envoyée par Verlaine à Edmond Lepelletier, le 8 septembre 1874, sous lespèce dun quatrain dont Cellulairement conserve par ailleurs quelques traces. Ne serait-ce que sous langle des refrains, et des combinaisons récursives de la rime, Alain Chevrier rencontre à son tour le genre de la chanson, dont il considère néanmoins les formes à lintérieur dun plus vaste dispositif, celui des contraintes répétitives. Il sagit de la suite dune longue synthèse dont le premier volet a paru dans le numéro 12 de la Revue Verlaine. La présente étude se concentre plutôt sur les expérimentations conduites en parallèle avec Rimbaud jusquaux années 1886-1896, pendant lesquelles Verlaine a maintenu et « diversifié » à la fois son « savoir-faire » métrique. Dabord accueillies avec admiration, ces innovations sont devenues cependant moins perceptibles avec lessor du vers libre et lévolution dune poésie se déliant peu à peu du critère formel qui la définissait jusque-là.

Du reste, les paradoxes de la réception – objet de la dernière partie – ne sont pas réservés au vers comme le montrent les portraits et les contre-portraits établis par Giorgio Villani, Romain Courapied et Mathieu Jung. En observant dans le détail lanthologie verlainienne que Vittorio Pica a commencée au milieu des années quatre-vingt, Villani ne sen tient pas à son rôle de médiateur face au public italien. Il ne cherche pas davantage à en discuter normativement les choix ; au contraire, il explique laccent à la fois téléologique et thématique que Pica met sur le versant érotique (profane ou sacré) par le modèle littéraire du canzionere. En regard, Joyce traducteur et surtout lecteur de Verlaine, apparaît à Jung comme une ligne souterraine mais artistiquement décisive, qui se déplace de Chamber Music à Ulysses voire Finnegans Wake. Ce faisant, larticle a également cet effet de réinscrire Verlaine dans la cartographie littéraire du monde anglophone, et de mesurer au même titre que Joyce son importance auprès décrivains comme T. S. Eliot ou Ezra Pound. À linverse, cette mise en dialogue nen éclaire que mieux la typologie de Courapied qui, passant dÉmile Laurent à Max Nordau, reconstitue le paradigme liant critique et clinique dans les écrits médicaux et littéraires fin-de-siècle. Une pathologisation spectaculaire de la poésie dont lenjeu politique nest autre que la culture elle-même. Là où Verlaine

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en réinvente le concept et les pratiques, ce dont témoigneraient encore les poésies allemande ou russe à côté de la littérature anglophone qui prennent toutes lauteur en héritage, lœuvre a pu être perçue comme une menace, capable de saper les fondements de la société. Aveu, sil en est, de la puissance et du mode daction singuliers de lart.

Tel quil a été adopté dans le précédent numéro de la Revue Verlaine (nº12, 2014), voici le système dabréviations en usage dans lensemble du volume :

CG

Correspondance générale de Verlaine (1857-1885), t. I, éd. Michael Pakenham, Fayard, 2004.

Cor. 1, 2 et 3

Correspondance de Paul Verlaine, t. I, II, III, éd. Adolphe Van Bever, Genève, Slatkine Reprints, 1983 [1922, 1923, 1925].

OP

Œuvres poétiques de Verlaine, éd. Jacques Robichez, Garnier, 1969.

OPC

Œuvres poétiques complètes de Verlaine, éd. Yves-Gérard Le Dantec, révisée par Jacques Borel, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1962.

OPr

Œuvres en prose complètes de Verlaine, éd. Jacques Borel, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1972.

Arnaud Bernadet,
Solenn Dupas et Yann Frémy

1 Verlaine, « Critique des Poèmes saturniens », OPr, 720.

2 Verlaine, réponse à lEnquête sur lévolution littéraire de Jules Huret, OPr, 1135.

3 Eddie Breuil, Du Nouveau chez Rimbaud, Paris, Honoré Champion, coll. « Essais », 2014.

4 CG, 395.

5 Épigrammes, II, 1, OPC, 854.

6 Lettre à Nina de Callias, 17 juillet 1869, CG, 162.

7 Autobiographie, OPr, 424.