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Classiques Garnier

Éditorial

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Revue Nerval
    2017, n° 1
    . varia
  • Auteurs : Illouz (Jean-Nicolas), Scepi (Henri)
  • Pages : 11 à 13
  • Revue : Revue Nerval
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406069096
  • ISBN : 978-2-406-06909-6
  • ISSN : 2554-8948
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06909-6.p.0011
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 31/03/2017
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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ÉDITORIAL

« Lamicale, à tous prête », écrivait Mallarmé de la Revue Blanche, à laquelle il venait de confier quelques-unes de ses Divagations1 : cest par un tel « Salut » – que lon aimerait en vérité adresser à toute nouvelle revue ayant trait aux choses de la poésie – que nous voudrions ici, non sans quelque « ivresse belle2 », baptiser la Revue Nerval en son numéro 1.

Sans doute conviendrait-il de faire le bilan des vagues successives, de plus en plus amples, par lesquelles se sont constituées, au fil des générations, avec toujours plus de science et de patience, les études nervaliennes. Nous savons ce que nous leur devons. Et les articles qui seront publiés ici même dans les années à venir témoigneront assez, nous nen doutons pas, de la dette immense que les chercheurs daujourdhui ont contractée à légard de leurs aînés. Mais une revue est aussi une aventure et une ouverture : cest vers ce qui viendra, – et donc vers ce que nous ignorons –, que nous voulons nous tourner au seuil de ce premier volume, en invitant chacun à inventer avec nous ce que deviendra la Revue Nerval.

Nous avons bien évidemment veillé à donner à celle-ci les garanties et le mode de fonctionnement de ce que lon appelle aujourdhui, trop uniformément, une « revue scientifique ». Nous ne saurions trop remercier les membres du comité de lecture et nos correspondants à létranger davoir bien voulu sengager à nos côtés dans cette entreprise ; et, pour ce numéro 1, nous ne saurions trop remercier ceux qui ont dès à présent participé à lappréciation et au perfectionnement des articles reçus. Ces articles, au reste, ainsi que leurs auteurs (nouveaux dans les études nervaliennes ou des plus confirmés), augurent du meilleur.

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Dun numéro à lautre, nous expérimenterons diverses configurations possibles : à côté des varia, qui resteront sans doute majoritaires dans une revue consacrée à un auteur, nous constituerons quelquefois des ensembles darticles portant sur un texte en particulier ou des dossiers thématiques recentrés sur une question ; à côté des études, nous publierons, au grès des occasions, tels documents nouveaux qui peuvent réapparaître, telles notules dérudition ou dintuition, ainsi que diverses informations sur le cours des études nervaliennes. Un souhait plus profond nous guide (quatteste, dans lorganigramme de la revue, la présence dun comité dhonneur) : que des écrivains daujourdhui trouvent ici un espace pour écrire en écho à Nerval, – à la recherche dune forme critique qui suspende, un moment, la dimension méta-discursive de linterprétation, afin de faire participer le lecteur, dune autre manière, à la connaissance de notre auteur : selon quelque « raison poétique » qui aurait encore à voir avec ce que les romantiques allemands appelaient la « poésie de la poésie3 » ou encore avec ce que Mallarmé nommait quant à lui le « poème critique4 ».

Une ligne éditoriale ici sindique.

Nous voudrions profiter de lespace polyphonique de la revue pour réaccorder deux gestes herméneutiques opposés, trop souvent séparés, mais complémentaires et constitutifs ensemble, dans leur tension même, de tout acte de lecture authentique et un tant soit peu exigeant : dun côté, un geste qui éloigne Nerval de nous pour le resituer dans lépoque qui fut la sienne ; de lautre, un geste qui le rapproche de nous pour le rendre à nouveau présent, à la fois parlant et poignant jusque dans léloignement doù, à travers maints relais et autant de recréations, il questionne encore notre temps et parle à notre intelligence ou notre sensibilité. Pour le dire autrement, avec les mots dAntoine Compagnon5, il sagira de donner à la revue tout lempan que mesure loscillation de la critique entre un geste « philologique », qui met le passé de son objet à côté du présent de la lecture, et un geste « allégorique », qui met le passé de lobjet dans le présent de son interprétation. La démarche herméneutique se garde ainsi du double écueil signalé par Bertrand 13Marchal à propos des interprétations de Mallarmé : lillusion « historiciste », qui fait du passé une chose sans avenir ; et lillusion « moderniste », qui rabat toute profondeur temporelle sur le seul présent sans mémoire du contemporain6. Bref, il sagira de comprendre lœuvre de Nerval dans son historicité, par laquelle elle invente sa valeur dans le temps, en se faisant alors, non plus simplement objet de son histoire, mais sujet vivant de celle-ci7.

Une telle herméneutique reste, on le sait, « romantique » dans son inspiration première : comprendre lœuvre comme sujet, ou comme vie, revient, non pas à létouffer sous un savoir positif qui en vérité la méconnaît, mais à augmenter toujours plus son mystère, dans la chaîne indéfiniment ouverte de ses interprétations.

À chacun alors en effet de reprendre sa lecture ; à chaque lecteur de dialoguer avec dautres ; et à tous dœuvrer ensemble à quelque tâche collective inconsciente. Bref à nous dinventer, en lutopie de son « bel aujourdhui », une Revue Nerval.

Jean-Nicolas Illouz
et Henri Scepi

1 Mallarmé, Divagations, dans Œuvres complètes, édition présentée, établie et annotée par Bertrand Marchal, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, t. II, 2003, p. 276.

2 Mallarmé, « Salut », Poésies, dans Œuvres complètes, édition présentée, établie et annotée par Bertrand Marchal, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, t. I, 1998, p. 4.

3 Voir, de Friedrich Schlegel, le fragment 238 de lAthenaeum, dans Ph. Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy, LAbsolu littéraire, Seuil, 1978, p. 132.

4 Mallarmé, Divagations, édition citée, t. II, p. 277.

5 Antoine Compagnon, « Allégorie et philologie », dans Anna Dolfi et Carla Locatelli (dir.), Retorica e interpretazione, Rome, Bulzoni, 1994, p. 191-202.

6 Bertrand Marchal, Introduction à Mallarmé, Œuvres complètes, édition citée, t. I, p. XII.

7 Nous renvoyons implicitement à la définition que Gérard Dessons donne de « lhistoricité » dans son Introduction à la poétique. Approche des théories de la littérature, Armand Colin, 2005 [Dunod, 1995], p. 264 ; voir également Gérard Dessons et Henri Meschonnic, Traité du rythme. Des vers et des proses, Paris, Armand Colin, 2005 [Dunod, 1998], p. 234.