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Classiques Garnier

Comptes rendus

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Revue européenne de recherches sur la poésie
    2022, n° 8
    . varia
  • Auteurs : Dotoli (Giovanni), Devincenzo (Giovanna), Selvaggio (Mario), Sassi (Serena), Valentini (Alessandra)
  • Pages : 315 à 345
  • Revue : Revue européenne de recherches sur la poésie
  • Thème CLIL : 4028 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes de littérature comparée
  • EAN : 9782406145677
  • ISBN : 978-2-406-14567-7
  • ISSN : 2555-0241
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14567-7.p.0315
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 01/02/2023
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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Alessandro Maras, Apollinaire, les musiciens et la musique, Paris, Classiques Garnier, « Études de littérature des xxe et xxie siècles », 2021, 232 p.

Lauteur de ce livre est docteur en musicologie et chercheur postdoctoral à luniversité La Sapienza de Rome. Il est spécialiste des relations entre musique, littérature et arts figuratifs aux xixe et xxe siècles. Ses recherches portent sur le surréalisme, le néoclassicisme et la musique du siècle dernier.

En amateur dApollinaire, jaffirme tout de suite que cest un livre de grande qualité. Alessandro Maras va à la recherche de tout élément, textes et événements, pour essayer de définir la position dApollinaire par rapport à la musique.

Cest une position complexe et contradictoire. Chez lui, le cubisme absorbe tout. Malgré sa collaboration avec le musicien Alberto Savinio et son amitié avec Ricciotto Canudo, lequel situe la musique au centre de ses théories, et quelques poèmes où résonne la question musicale, il semble quApollinaire ne sintéresse pas à la musique culte et quil privilégie la musique populaire, fort présente dans sa poésie.

Mais est-ce vrai, à la lettre ? Ce livre est une mine dépisodes et de textes, lesquels montrent que la musique pour Apollinaire est le chant du peuple, de nous tous. Son affirmation « La musique na pas le moindre attrait pour moi et je la tiens en peu destime », le 24 juillet 1918, lors dune interview avec Joan Pérez-Jorba, ne doit pas être lue à la lettre. La grande érudition du poète nous confirme quil connaît lessence de la musique et quil « se rattache à une tradition poétique étroitement liée à la musique et qui, de Baudelaire à Mallarmé en passant par Verlaine, a conditionné le cours de la littérature française » (p. 15).

Alcools et le Méditations esthétiques gardent de toute évidence un lien avec la musique. Ce livre se compose de trois grands axes : « De la jeunesse aux Méditations esthétiques », « Savinio, Tirésias, Casanova », « Apollinaire dans la musique et la pensée musicale ».

Alessandro Maras nous aide à mieux comprendre les mille chemins dApollinaire, son lien avec la modernité, son esthétique. Une bibliographie 316très riche et très utile boucle le livre. Pour comprendre à fond la poésie et le rôle dApollinaire, il faut partir aussi de cette recherche.

Giovanni Dotoli

Université de Bari Aldo Moro

Cours de Civilisation française

de la Sorbonne

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Adrien Cavallaro, Yann Frémy, Alain Vaillant, sous la direction de, Dictionnaire Rimbaud, Paris, Classiques Garnier, « Dictionnaires et synthèses », 2021, 888 p.

Ce Dictionnaire Rimbaud est le troisième de ce genre consacré au grand Arthur. Le premier, Le Dictionnaire Rimbaud, par le grand rimbaldien Claude Jeancolas, première édition en 1991, aux éditions Balland, Paris, 428 pages, le deuxième, Le Nouveau Dictionnaire Rimbaud, en 2012, Paris, FVW Édition, 304 pages.

Le deuxième dictionnaire paraît en 2014 : Dictionnaire Rimbaud, Paris, Robert Laffont, 2014, 738 pages, sous la direction de Jean-Baptiste Baronian, auteur dune importante biographie de Rimbaud chez Gallimard, en 20091, et dun roman, LEnfer dune saison2, dans lequel notre poète est mis en scène.

Les deux premiers auteurs-coordinateurs de ce dictionnaire sont des spécialistes rimbaldiens : le premier, maître de conférences en littérature française à luniversité de Grenoble, est lauteur de Rimbaud et le rimbaldisme. xixe-xxe siècles.

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Le deuxième, docteur et agrégé de lettres, chercheur associé à luniversité de Strasbourg, ancien co-rédacteur en chef des revues Parade sauvage et Revue Verlaine, est lauteur de « Te voilà, cest la force ». Essai sur « Une saison en enfer » de Rimbaud.

Le troisième est professeur de littérature française à luniversité Paris – Nanterre. Il est spécialiste du romantisme.

La mode de ce type de dictionnaire, malgré les risques de la dispersion et de la discontinuité, offre une grande chanche pour tout posséder de lauteur en question.

Les auteurs et les collaborateurs de ce Dictionnaire Rimbaud privilégient les textes et la pluralité de leur interprétation. De À la musique à Zutisne, ce livre réussit à concentrer toute question concernant le grand poète.

Une bibliographie imposante clôt ce dictionnaire, même si je remarque labsence des actes de mon colloque Rimbaud et la modernité, que jai organisé à Naples avec Carolina Diglio,et de mon livre, Rimbaud, lItalie, les Italiens. Le géographe visionnaire, même dans lentrée elle-même Italie.

Mais cest petite chose. On est face à un dictionnaire de première importance qui fait avancer la recherche sur Arthur Rimbaud. Les plus grands rimbaldiens sont présents. Cest une œuvre de synthèse et de référence, de grande utilité pour les jeunes chercheurs qui décident de relire lœuvre sublime du poète des Illuminations.

Giovanni Dotoli

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Guido Oldani,Il realismo terminale, Milano, Mursia. 2010, 50 p.

Cest un petit livre crucial, pour comprendre notre temps. Guido Oldani pose un problème capital. Celui du réalisme de la nouvelle 318littérature, celle du xxie siècle, et aussi celle daprès le futurisme et de tous les ismes du siècle dernier.

Oldani pose une question dévidence : le monde habite désormais surtout en ville. Cela a des conséquences énormes. On aperçoit de moins en moins la nature. Ce qui comporte un réalisme différent, terminal donc, qui arrive à la fin dun parcours millénaire.

Lobjet triomphe sur la vérité de la nature. Cest aussi le développement du Nouveau Roman français. Le personnage de la nouvelle poésie est lobjet. Même la nature se fait objet.

Le poète subit une révolution de la perception. La distance entre poète – homme – et objet est annulée. Le « réalisme terminal est un accident de lesprit » (p. 6). « Lobjet devient le sujet des phrases dont le complément objet est maintenant lhomme et le texte poétique se fait court tel les indications pour prendre un médicament » (ibid.).

Il y a de lironie aussi derrière ce processus. Mais cest une ironie tragique. Un espoir : peut-être que dans un siècle on ira vers « un réalisme post-objet ».

Le langage poétique change. Court et explosé, il avance par traces. Léquation de la nouvelle poésie est : « réalité = peu de nature + tant dobjets – être remplacé par lobjectivisme ou un mot analogue » (p. 17).

Mais le poète ne se rend pas encore compte de cette révolution. Il parle de complexité. Mais cest une révolution totale.

Giovanni Dotoli

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Amedeo Anelli, Oltre il Novecento. Guido Oldani e il Realismo Terminale, nuova edizione con laggiunta della raccolta inedita Teste in gabbia, Voghera, Libreria Ticinum Editore, 2022, 72 p.

Ce livre analyse le réalisme terminal du poète italien Guido Oldani – voir le compte rendu précédent. Oldani apparaît comme lune des voix les plus originales de la poésie européenne de notre temps. Son ironie se fait espoir, ouverture sur le monde qui viendra et qui est déjà sous notre regard.

Anelli observe quOldani situe sa poésie au-dedans des drames de notre époque. Critique et poète avancent la main dans la main, en montrant la même vision du monde.

La poétique du réalisme est la poétique de lobjet, et donc la dénonciation dune situation qui va détruire lêtre humain. Il faut que lhomme retrouve le chemin de lesprit et de la raison. Depuis deux siècles, la science avance comme une bombe qui tout détruit, sans se rendre compte des tragédies quelle procure.

Oldani er Anelli indiquent aux jeunes la nouvelle voie à suivre. Science et esprit doivent collaborer, être du côté de lhomme et non pas de la machine. Lhistoire doit souvrit et non pas se fermer.

Ce livre se termine par un entretien entre Amedeo Anelli et Guido Oldani : à lire dun souffle. Il résume toute la poétique dOldani et les chemins à suivre pour sortir de limpasse.

La poésie se fait action, par ses moyens les plus simples et les plus forts : les mots.

Giovanni Dotoli

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Guido Oldani,E hanno visto il sesso di Dio. Testi poetici per agganciare il cielo (2000-2019), Milano – Udine, Mimesis Edizioni, « La Nuova Rosminiana / Poesia performativa », 2019, 214 p.

Vingt ans de poésie résumés de façon anthologique. Un défi, et un regard fort sur lavenir. Je viens de parler du réalisme terminal de ce poète si original de la littérature italienne contemporaine.

Le titre est un immense programme : des textes poétiques pour rejoindre le ciel, et le garder. Cest une poésie de la grande spiritualité, celle que nous avons perdue. Cest un message dénergie de la parole poétique, lun des quelques espoirs pour sauver le monde.

Guido Oldani part des petites mains de Jésus dans son sa crèche, pour élargir sa perspective vers les grands problèmes de notre temps. Son réalisme si unique et si nouveau, tout en se reliant à une longue tradition – je pense à Charles Baudelaire, à son ironie, à sa lutte contre le progrès sans issue – part tu travail manuel – celui de ses grands-pères forgeron et boulanger – pour rejoindre la pureté, qui est celle du fer forgé et de la farine.

Pour Oldani, la poésie romantique de notre temps na pas davenir. Il faut que la poésie entre dans le monde et dans ses objets, qui désormais en sont les symboles, pour commencer un nouveau voyage.

Tous les recueils de poésie précédents reviennent : de Stilnostro daté de 1985 à Poesie italiane datéde 2016, pour nous dire que la poésie est la langue de lesprit et de lespoir, de la vie et de lamour.

Il faut des Oldani, pour redonner une force à la poésie. Il faut que son manifeste et sa poésie soient lus dans les écoles, pour acheminer les élèves sur la bonne route, dont lhorizon est de plus en plus urgent.

Giovanni Dotoli

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Constellation Cendrars, 2021, n. 3, Paris, Classiques Garnier, 160 p.

Cest un numéro fabuleux de la revue « Constellation Cendrars », dirigée par Christine Le Quellec Cottier (Suisse) et Claude Leroy (France), publiée par le Centre dÉtudes Cendrars, place Saint-François, 1002 Lausanne.

Claude Leroy est en train de réaliser un travail sublime sur Blaise Cendrars. Un écrivain immense, dont on trouve peu de traces dans les textes soi-disant officiels de la littérature française et suisse.

Jai eu loccasion de traverser et daimer son œuvre grâce à mes recherches sur Ricciotto Canudo, litalien créateur de lesthétique cinématographique et de lexpression Septième Art, qui est un grand ami de Cendrars. Et jai tout de suite compris limportance fondamentale de ce personnage des avant-gardes historiques, inventeur de tant de chemins de la littérature, de la musique et de lart.

Dans ce numéro, nous découvrons les raisons profondes de lamour de Cendrars pour la musique, le jazz, les musiciens, les formes davant-garde de la musique.

On rencontre Cendrars en relation avec les grands musiciens de son époque : Ravel, Satie, Debussy, Honegger, le groupe des Six. Et aussi avec les poètes tels Apollinaire et Tzara, et les peintres tels Modigliani et Picasso.

Cendrars est un géant de lavant-garde. À partir de son poème Musique embrasse-moi ! Music kiss me, que Cendrars transforme en Le musickissme, le voilà organiser des concerts durant la Première guerre mondiale, comprendre le jazz et le music-hall, annoncer Parade en 1917 et puis sa grande Création du monde en 1923.

Cendrars renouvelle toute sorte de forme. Cest un inquiet de la forme, nimporte quelle forme dart. Son Anthologie nègre est un chef-dœuvre, en parallèle avec lanthologie similaire de Tristan Tzara. Senghor se souviendra certainement de ces anthologies, pour réaliser la sienne.

Une énergie créatrice émane de lamour de Cendrars pour la musique. On voit le grand avant-gardiste aimer la musique populaire, les traditions du monde entier, surtout dAfrique, du Brésil et de Russie.

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Cendrars vagabonde par la musique comme il le fait dans sa poésie et dans ses textes en prose. Music kiss me est un symbole dun créateur polymorphe, dont il y a encore tant à découvrir.

Giovanni Dotoli

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René Corona, Linquilino delle parole, prefazione di Claudio Piersanti, Riva del Po, Book Editore, 2021, 200 p.

Je laffirme immédiatement. Jaime la poésie de René Corona. Jai même publié des recueils de poèmes de lui, par amour total à légard de son esthétique et de son écriture.

Et puis nous avons quelque chose en commun : les deux, nous sommes des poètes bilingues, de langue française et italienne, les deux des professeurs duniversité, de littérature et de langue française, les deux nous aimons une poésie narrative, qui va au cœur de la réalité et du vécu.

Ce livre a un titre sublime : Linquilino delle parole, « Le locataire des mots ». Oui, René Corona loue les mots, pour en orchestrer la valeur et la profondeur. Il a le sens du mot, presque à la Ferdinand de Saussure.

Cest pourquoi il a brillamment traduit du français en italien et de litalien en français, des écrivains tels Gozzano, Caproni, Yves Leclair, Paul de Roux, Kadhim Jihad Hassan, Cartafi, Ripellino. Cest comme sil avait besoin dun andante, à la lettre, du mot qui va et vient, dune langue à lautre, pour dire que le mots cest nous, cest le voyage des hommes, cest leur philosophie et leur poésie.

En allant par citations qui encadrent le texte, et par solutions typographiques souvent davant-garde, voilà René Corona quitter règles et équations de la grammaire, pour sacheminer sur les routes de la langue, en suivant la lignée de la musique.

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LItalie et la France apparaissent des sœurs. Leur moi est celui de la poésie, dans une bibliothèque géante, que René Corona possède tout naturellement.

À lire et relire ce poète. À le proposer aux jeunes. À le présenter comme un modèle de dialogue et de langue.

Giovanni Dotoli

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Matthias Vincenot,Ce nest quune histoire de minutes et de vent. Anthologie de poèmes parus entre 1998 et 2021. Inclus : textes inédits, Saint-Chéron, Éditions Unicité, 2022, 470 p.

On est face à une anthologie nécessaire, si ce nest indispensable. Je le redis : je considère Matthias Vincenot comme le plus grand poète « jeune » de la poésie française, aujourdhui.

Ce livre est un panorama-sélection de presque un quart de siècle de poésie, à partir de 1998. Matthias Vincenot traverse avant-gardes et classiques tel un papillon. Il connaît les secrets de la poésie, et les dévoile par textes, avec amour, passion, profondeur, sens de la langue et du poétique.

Je lai défini dun côté un « soldat de la poésie », de lautre le poète de la conversation. Dun côté il défend la poésie de toutes ses forces, en président de Poésie en liberté, de lAssociation Poésie et Chanson Sorbonne et du Festival DécOUVRIR, de lautre il se bat pour le lien profond entre poésie et musique, par sa rubrique « Le mot et la note », dans le magazine FracoFans, et en tant que sociétaire de lAcadémie Charles Cros et co-fondateur et co-directeur du Prix Georges Moustaki.

La Note de léditeur à la fin du livre explique bien la valeur de la poésie de Matthias Vincenot. Ce poète nous réconcilie avec le monde, nous 324fait aimer les mots, leur musique, leur lien avec notre âme. Ses poèmes passent tout naturellement en musique : cest quils sont de la musique.

Matthias Vencenot se révèle comme un troubadour, un barde, un chanteur de foires et rues : il conte des histoires, des moments de notre vie, avec nonchalance et humour. Il nous dit que la vie va, en suivant son cours, et quil faut laimer sans trop se demander quels sont ses parcours.

Matthias Vincenot est le poète par excellence de notre temps : il en affronte les problèmes, mais il trouve les solutions. Son sourire est larme juste pour nous protéger, et pour suivre notre chemin.

Giovanni Dotoli

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Charles Baudelaire. 1821-2021. Exposition du bicentenaire, Paris, Librairie Jean-Claude Vrain, 2021, 332 p.

Tout le monde connaît mon amour pour Charles Baudelaire. Toute ma vie, jai traversé sa douleur et son spleen, son rapport avec la société de son temps, ses textes, à la loupe, à la recherche de quelques secrets cachés – voir mon livre La douleur de Baudelaire, Paris, Hermann, 2020.

Jai consulté des montagnes de documents, de lettres, de journaux, pour essayer daller un peu au-delà, dans la lecture de ce grand poète.

Mais je naurais jamais pensé me trouver face à un trésor comme celui-ci. Le libraire Jean-Claude Vrain a passé une vie à la recherche de documents authentiques, aussi avec laide du plus grand spécialiste de Baudelaire, ClaudePichois, que jai eu la joie de connaître lors de la parution de « Lannée Baudelaire » chez Klincksieck de mon ami Alain Baudry, rue de la Sorbonne.

Ainsi, à loccasion du bicentenaire de la naissance du poète (né le 9 avril 1821 à Paris, au numéro 13 de la rue de Hautefeuille), Jean-Claude 325Vrain a la sublime idée de recueillir toute sa collection Baudelaire et de lexposer à la Mairie du Vie arrondissement de Paris, du 15 septembre au 16 octobre 2021.

Cette exposition a un catalogue dimportance exceptionnelle, celui que je suis en train de présenter. On y repère des introductions dimmense qualité : du maire du Vie arrondissement, M. Jean-Pierre Lecoq, dAndré Guyaux, Bertrand Marchal, François-Marie Banier, Anne-Marie Springer, Pascal de Sadeleer, Jean-Claude Vrain lui-même. Ces texte ne sont pas de la simple rhétorique de circonstance, mais apportent des ajouts, des développements, des éclairs.

Cest un catalogue à suivre pas à pas, à feuilleter comme un missel. Il nous fait revivre la vie de Baudelaire, ses angoisses, ses envols, sa grandeur.

Merci Jean-Claude Vrain de moffrir ces moments de joie, parmi les plus beaux de ma vie, dans la conviction que tous les baudelairiens partagent mes sentiments.

Giovanni Dotoli

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Hugues Fontaine,Arthur Rimbaud. Photographie, Paris, Textuel, 2019, 216 p.

Que je suis heureux de ce livre ! Si je lavais eu entre mes mains quand jai écrit mes livres Rimbaud lItalie les Italiens (Paris, Schena – Presses de lUniversité Paris – Sorbonne, 2004, 256 p., 79 ill. hors-texte) et Rimbaud ingénieur, préface dAlain Tourneux, conservateur du Musée Rimbaud à Charleville-Mézières, Fasano – Paris, Schena – Presses de lUniversité Paris – Sorbonne, 2005, 320 p., 64 ill. hors-texte).

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Hugues Fontaine, photographe et connaisseur du Yemen et de lAfrique orientale, nous produit quelque chose dextraordinaire. Dun côté il réunit toutes les photos tirées par Rimbaud lui-même et celles qui lui sont attribuées, de lautre il met ensemble les photos du monde de notre poète en Afrique et à Aden et des personnages et paysages qui ont un lien profond avec sa vie.

Cest un matériau de très grande importance, parfois inédit, pour une nouvelle biographie du poète et pour avancer dans la connaissance de son œuvre.

Nous connaissons la célèbre lettre de Rimbaud aux siens, où le 6 mai 1883 il envoie à sa mère et à sa sœur Isabelle trois portraits « de moi-même par moi-même ».

Ce sont des portraits à peine lisibles. Mal lavés, ils blanchissent, et le visage du poète est comme voilé par le temps, léloignement, la pensée.

Mais la photo que Rimbaud nous a laissée de son ami grec Sotiro est parfaite. A-t-il exprès caché son identité ? A-t-il voulu se montrer comme dans un film muet, dans la pénombre du temps ?

Lauteur de ce livre capital se demande : « Rimbaud se dissimule-t-il dans le paysage ? ». Ma réponse est : oui ! Ce qui pose tant de fascinantes hypothèses.

Hugues Fontaine réussit aussi à découvrir trois nouvelles photographies attribuées à Rimbaud par lexplorateur autrichien Philipp Paulitschke, qui est dans la Corne de lAfrique en 1885.

Cela confirme, comme je lavais suggéré dans mes livres ci-dessus, quil faut chercher de nouveaux documents rimbaldiens du côté des européens qui fréquentent les terres rimbaldiennes à cette époque-là. On trouvera sûrement des surprises exceptionnelles.

Ce livre est à lire, à voir, à toucher, à aimer. Il restitue latmosphère Rimbaud, aussi par sa couleur ocre des photos de lépoque.

Cest un sublime film par images et par textes, qui rend encore plus mythique la vie et lœuvre de lauteur dUne saison à lenfer.

Giovanni Dotoli

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Patrick Picornot,Paul Fort. 1872-1960. Linventeur de Montparnasse, prince des poètes à la Closerie des Lilas. Cent cinquantenaire de sa naissance, Paris, Éditions Parole et Poésie, « Collection de la Barque du Soleil », 2022, 66 p.

Patrick Picornot nous a habitués à ces petits livres-trésors, lesquels sont au cœur de lactivité de lassociation de loi 1901 Parole & Poésie, quil a créée avec Aumane Placide, en 2009.

Autour de lui, est né un monde fabuleux de poésie, de vie, de dialogue, damour pour la parole. Chez lui, Paris retrouve son rôle du début du xxe siècle, celui de capitale mondiale de la culture

Cest comme un art de magicien. Patrick Picornot est le magicien des lieux parisiens et de ses poètes et artistes. Il déniche rues, ruelles, lieux, plaques, comme des lieux dor, où les grands et les petits poètes ont résidé, ont écrit, ont inventés. De même il fait pour les artistes.

Ainsi Montmartre et Montparnasse revivent leurs moments de gloire, leurs passions. Picornot sait recréer des atmosphères, des amitiés, des lignées de bonheur, autour de la poésie, de la chanson, de la musique et de la littérature.

Dans ce petit livre, on se balade par le vieux Paris où la poésie est vivante, naissent les groupes des bohémiens, se lancent des ponts sur lavenir. On naurait jamais eu Picasso, Chagall, Apollinaire, Brassens, sans ce monde féerique.

Ainsi, nous aussi nous nous promenons en flâneurs de rêve, à la recherche des coins de Paul Fort, cet immense poète injustement oublié, auteur des Ballades françaises. La Closerie des Lilas resplendit et perd son atmosphère désormais américaine. Elle redevient lendroit fabuleux des années 1900-1925. De même le Café François-Coppée et quelques théâtres, dont le Théâtre dArt fondé par Paul Fort, le Café Voltaire, les revues Vers et Prose et Soirées de Paris.

Apollinaire parle de Festin dÉsope. Oui, cest un festin, tout le temps. Paul Fort revoit ses paysages urbains. Picornot nous donne quelques traces de sa grande poésie : Fort est le ménestrel de lâme, et le chanteur dun peuple.

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Suivons lactivité de Patrick Picornot. Toutes ses initiatives sont des messages pour un monde qui est en train de se perdre. Merci Patrick !

Giovanni Dotoli

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Sylvestre Clancier, Un jardin où la nuit respire. Poèmes, avec des lavis dAnne Ar Moal, Differdange, Éditions Phi, en coédition avec Écrits des Forges, Québec, « Graphiti », 2008, 136 p.

Sylvestre Clancier a eu la gentillesse de moffrir ce livre le 26 mars 2022, à Paris, avec cette dédicace : « À toi, cher Giovanni, Un jardin où la nuit respire, et je lespère la poésie aussi, en fraternelle amitié. Sylvestre Clancier ».

Je lai dévoré. Les thèmes du jardin et de la nuit font partie de ma propre poésie, et je voulais savoir comment, doù Sylvestre prenait le voyage par ces terres de poésie.

Immense agréable surprise. Un chef-dœuvre. Un recueil de poèmes à lire demblée, comme de lor qui coule. Chaque poème est une étoile. Chaque vers est un éclair.

Le premier poème, Poésie, dit tout :

Tu es la ferveur sacrée des mots

tu apparais couleur qui scintille

dans la nuit où tu m invites

Fixe-toi au cœur de mon chant

délie mes lèvres ici et maintenant

Là où tu souffles la vie commence

pareille au cri innocent de l enfant

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Miracle de ces quelques vers. Cest un tableau de la poésie de Sylvetsre Clancier. Sa poésie est un « feu sacré ». Elle resplendit dans la nuit par ses mots. Elle se fixe au cœur par le chant de lâme. Les lèvres du poète se délient comme des roses. Où souffle la poésie, commencent le monde et la vie. Le cri innocent de lenfant revient.

La nuit si chère à Rilke et à Baudelaire, et même à Michel-Ange – le poète mais aussi le sculpteur – accompagne le poète. Il pense, il dialogue avec le ciel, il renaît à tout instant. Il na pas peur, accompagné par la voix de Dieu.

La poésie de Sylvestre Clancier est un chemin dans les profondeurs de lhomme. Il est capable daller où nul psychologue et nul psychiatre ne pourront aller. Et avec simplicité, avec un petit sourire, et une douce ironie.

Des rêves se précipitent à la mémoire de Sylvestre, tels des oracles et des présages (p. 31). Cest « le grand commencement / qui fait frémir la vie ». Rêves et chimères se présentent à la porte du poète. Cest la « saison nouvelle / quand vient la nuit » (ibid.).

Des poèmes à lire comme des cris du cœur et de douces épopées de nos secrets.

Giovanni Dotoli

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L e poète et son critique. Hommage à James Lawler (1929-2013), sous la direction de Arnaud Coulombel & Florence de Lussy, Paris, Hermann, 2021, 376 p.

James Lawler est lun des plus grands spécialistes en poésie française des xixe et xxe siècles. Ce livre réunit les communications données à loccasion du colloque international sur son œuvre, son rôle critique, 330sa lecture de poètes fondamentaux, à lÉcole normale supérieure et au Centre de lUniversité de Chicago à Paris, les 5 et mars 2015.

Ce colloque fut organisé par Yves Bonnefoy, lun des plus grands amis de James Lawler, un lien de repère qui a duré une vie.

Quinze spécialistes internationaux dialoguent en profondeur. Je ne rappelle que quelques noms de première importance : Michael Bishop, Pierre Brunel, John E. Jackson, Michel Jarrety, Patrick Labarthe, Bertrand Marchal, Jean Mesnard, Steve Murphy, Jean-Luc Steinmetz.

Formé à lécole australienne, Lawler est un symbole de la lecture poétique, dApollinaire à Bonnefoy, de Mallarmé à Valéry, à Rimbaud. Ce livre rend hommage à lhomme et à lœuvre.

Amoureux de la langue française, il nous a laissé des pages mémorables dapproche humaine de la poésie. On connaît sa force dans le dialogue. Lun des premiers, Lawler tisse des liens internationaux au plus haut niveau.

La contribution incontournable de Lawler pour la lecture de Valéry, Laforgue, Poe, Claudel est capitale. Lawler est un point de repère. Celle pour Bonnefoy est une grande ressource pour le comprendre à fond. James Lawler est un homme-symbole, pour sa chaleur, sa simplicité, sa force daller en avant.

Giovanni Dotoli

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Girolamo Comi, Poesie. Spirito darmonia. Canto per Eva. Fra lacrime e preghiere, a cura di Antonio Lucio Giannone e Simone Giorgino, Neviano, Musicaos Editore, « Novecento in versi e in prosa », 2022, 348 p.

Un livre que lon attendait. Girolamo Comi est un immense poète du Sud de lItalie. Né à Casamassella en 1890 et décédé à Lucugnano, 331dans la province de Lecce, en 1968, il occupe une position unique dans le panorama de la poésie italienne et européenne de la première partie du xxe siècle.

On le voit voyager de sa région, les Pouilles, vers lEurope, en Suisse et en France, puis aller vivre à Rome, enfin retourner dans sa région natale, toujours dans une position individuelle.

Il est en contact avec les avant-gardes européennes de lépoque, mais il ne se laisse jamais prendre par leur révolution trop souvent provisoire.

Girolamo Comi conduit une vie solitaire et cohérente. Il cherche une poésie spirituelle à la hauteur du salut de lhomme. Il ne pense jamais au succès.

De fait, il publie ses œuvres presque toujours en autoédition, tirées à peu dexemplaires, lesquels ont une diffusion très restreinte.

Dans ce livre, les deux auteurs, de grands spécialistes de poésie contemporaine, surtout du Sud et des Pouilles, présentent trois textes célèbres de Comi : Spirito darmonia, Canto per Eva, Fra lacrime e preghiere.

Cest une anthologie qui va faire époque. Après les recherches fondamentales de mes regrettés amis Donato Valli et Mario Marti, Giannone et Giorgino redonne leur rôle à Comi, par une édition parfaite, qui montre sa connotation européenne.

Comi refuse le je si cher à tant de poètes, pour écouter la voix de son cœur et pour être en contact avec le transcendant.

Cette anthologie de son œuvre est un modèle de respect du texte et de lecture enrichissante.

Giovanni Dotoli

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Albert Samain, Correspondance (1876-1900), édition critique par Christophe Carrère, Paris, Classiques Garnier, 2021, 2 vol.

Après avoir publié la première édition critique des Œuvres poétiques complètes dAlbert Samain et dirigé ses Œuvres en prose, Christophe Carrère nous donne ici lédition de la Correspondance, en partie inédite, qui est un prolongement de lœuvre du poète lillois.

Ces lettres offrent dun côté une précieuse clé daccès au panorama littéraire de la Belle Époque et de lautre, elles jettent une nouvelle lumière sur la production dun poète aux humbles origines, ainsi que sur ses liens familiaux, ses voyages, ses amitiés.

Lédition est précédée dune Introduction où C. Carrère trace un lucide parcours bio-bibliographique de cet auteur qui « cristallise plusieurs tendances de son temps » (p. 16) sans aucun souci doriginalité et se distinguant en cela des décadents. A. Samain « est un idéaliste en crise [] qui cherche, dans un art consommé de lévocation et de la suggestion, à témoigner [] de lénervante exquisité des sentiments humains » (p. 16).

Les morceaux des lettres dA. Samain que léditeur cite dans sa réflexion préliminaire annoncent lapport précieux de la correspondance pour un accès plus averti à lœuvre de cet écrivain et accroissent en même temps lenvie de tout lecteur – spécialistes et néophytes – de sengager dans la découverte de cet univers créatif fascinant.

LIntroduction est suivie dune utile Note sur létablissement du texte où léditeur nous éclaircit sur le corpus – sources, datation, etc. – sur la normalisation du texte, sur lannotation.

Un travail denvergure qui restitue la figure dA. Samain dans ses plis inédits, dans la richesse de sa pensée, dans la profondeur de son âme.

Giovanna Devincenzo

Université de Bari Aldo Moro

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Pablo Poblete,Ode à lîle de la Guadeloupe, Saint-Chéron, Éditions Unicité, « Poètes francophones planétaires », 2019, 92 p.

Pablo Poblete est chilien – il est né en 1955 à Santiago du Chili –, mais il habite Paris dès 1979. Depuis 2012, il vit entre Trois-Rivières, Paris et lîle de la Guadeloupe.

Poète francophone par excellence – et aussi artiste visuel et conférencier culturel –, ici il fait léloge poétique dune île, la Guadeloupe, qui est terre de rêve et de désir.

Poblete se laisse prendre par le bleu de la mer, la nature luxuriante et les silences dune terre qui fait partie des grands mythes. Il hypnotise et se fait hypnotiser par la grandiloquence du paysage. Il se fait île lui-même, pour en pénétrer lessence.

Chaque baignade quotidienne devient un voyage au cœur du mystère et de la beauté. Lhistoire de lîle et le regard ébloui se marient dans un hymne à lire comme une prière.

Vent, mer et espaces se font poésie de la joie, du bonheur, de lénergie de lhomme. Cest une poésie de la nature qui est poésie de lesprit, pour retrouver le bon chemin, par ces temps de guerre et de douleurs.

Mario Selvaggio

Université de Cagliari

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Aumane Placide,Linattendu chemin. Poèmes, Canéjan, Flammes vives, 2022, 160 p.

Aumane Placide se situe dans la longue tradition de la poésie damour, laquelle remonte au Moyen Âge, passe par Christine de Pizan, Louise Labé, Louise Colet et Catherine Pozzi.

Cosmopolite par excellence – elle naît dans le VIe arrondissement de Paris –, Aumane Placide est dorigine caribéenne. En effet, elle est citoyenne du monde. Dorigine martiniquaise, elle décrit lamour sous toutes ses formes, le dialogue, la rencontre avec lautre.

En un monde de mondialisation qui refuse lautre et les migrants, cette poète a le pas de lautre pour lautre. Elle parle de « reliance », pour désigner lun pour lun, lamour et lexpérience de lassociation.

L inattendu chemin est le chemin de lamour, de la vie, de la cohérence, de la certitude que cela devra arriver, malgré souffrance et angoisse.

Aumane Placide propose lunité de la conscience, en éloignant toute ambivalence. Elle narre les routes de la liberté, dans un engagement qui est un modèle. Elle fait sienne cette expression dOscar Wilde : « Soyez vous-même. Tous les autres rôles ont déjà été pris ».

Des poèmes à lire comme on effeuille des roses. Lémotion devient forte, et on entre dans un monde de magie et de vie. Chemin inattendu, dans la vie que nous vivons. Et donc encore plus forte et plus terre de lautre.

Les temps nouveaux avancent, sous le signe de la poésie.

À suivre ces propositions :

« Sans Amour, il ny a plus de fraternité,

Sans fraternité, il ny a plus de solidarité,

Sans solidarité, il ny a plus dunité ».

Mario Selvaggio

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Sandrine Bédouret-Larraburu, Isabelle Chol, Jérôme Hennebert, sous la direction de, Paul-Jean Toulet, les « prismes » de lécriture, Pau, Presses de lUniversité de Pau et des Pays de lAdour, 2021, 334 p.

Cet ouvrage réunit les actes du colloque consacré à lœuvre de Jean-Paul Toulet à Pau et à Guéthary, du 23 au 25 septembre 2020, à loccasion du centenaire de sa mort.

Cet événement a été loccasion pour redéfinir limportance de son œuvre, ancrée entre le Sud-Ouest, Paris et lÎle Maurice. Y compris les textes de voyage en Europe, en Asie et en Afrique.

Est apparue une œuvre polymorphe composée de récits, poèmes, théâtre, maximes, journal, textes sur lart et sur la littérature.

Une œuvre diverse qui a ses lignes de force, un « prisme », pour utiliser un mot cher à Toulet. Ce livre aborde ses différentes facettes, non seulement son ouvrage le plus célèbre, Contrerimes.

Jean-Paul Toulet apparaît au centre dune époque de transition, qui continue le symbolisme. Il en découle une actualité de premier ordre, de la délicatesse du texte au sens de la dérision, de la poétique de la brièveté, au prisme des Contrerimes, des amitiés fréquentées par lécrivain aux liens avec le nouveau monde qui est en train de se créer. On découvre un Toulet polygraphe, ainsi que Michel Décaudin lavait bien suggéré et montré.

On est au cœur de la Belle époque, où tout chemin est possible, en pleine confiance dans lart et dans la littérature.

Toulet, cet homme mince et élégant, est à redécouvrir. Son œuvre est capitale, pour comprendre le passage du passé à lavenir, du symbolisme aux avant-gardes.

À partir de ce livre, une nouvelle aventure souvre pour Jean-Paul Toulet. Il entrera peut-être à plein titre dans les manuels dhistoire littéraire de la France.

Mario Selvaggio

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Olfa Abrougui, Du Bellay et la poésie de la Ville : Rome nest plus Rome…, Paris, LHarmattan, « Critiques littéraires », 2013, 316 p.

Joachim Du Bellay, au milieu des premiers triomphes de la Défense et de lOlive, part pour lItalie. Quand son cousin, le cardinal et diplomate Jean du Bellay, en 1553, lui demande de le suivre à Rome en tant que son secrétaire, Joachim accepte sans hésitation. Ne serait-ce pas là une opportunité pour connaître les anciens et pour se faire connaître comme poète ? La prédisposition de Joachim du Bellay au voyage en Italie mérite un intérêt particulier : voir Rome, cétait réaliser son rêve, car il entrevoyait ce voyage comme le commencement de son succès littéraire. Toutefois, au bout de presque quatre ans de séjour, son admiration pour la Rome Antique fait place à la déception et à lindignation. En effet, les vices et le relâchement des mœurs des membres du Saint-Siège le poussent à renier son voyage en Italie : limage de la Ville éternelle est désormais morte.

Cest à ce sujet quest consacré cet intriguant volume de Olfa Abrougui. Cette étude imposante, remaniement dune thèse de doctorat soutenue en 2008, permet de mieux approfondir comment lAngevin élabore un processus de « démythification » (p. 26) de la Ville, visant à la détrôner de sa gloire éternelle. Lensemble de la réflexion et de lanalyse sarticule en trois parties, dont la première (« La représentation de Rome », p. 25-99) approfondit le long processus souffert de désacralisation de Rome apporté par le poète dans son chant. Sappuyant sur une analyse toujours ponctuelle, lexploration des recueils tels Les Antiquitez, Le Songe, Les Regrets et les Poemata proposée à lintérieur de la deuxième partie intitulée « Le voyage à Rome, la Ville à ressusciter et le livre à écrire » (p. 105-183), permet de comprendre comment ce processus de démythification va peu à peu se dissiper, pour laisser la place aux interrogations sur « les enfers intérieur » (p. 105) du poète, où lécriture devient une véritable « Odyssée existentielle » (p. 11) qui juxtapose laventure poétique à lexpérience de vie.

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Avec la troisième et dernière partie, « la Ville dans le texte » (p. 191-277) Abrougui conclut son parcours en expliquant que le mythe de la Ville éternelle na pas tout à fait disparu chez Du Bellay : la consolidation dans lexpérience personnelle, tout comme la résonance retrouvée entre la Ville et le « moi » du poète, lui permettent de surmonter définitivement sa déception initiale. La représentation et lécriture de Rome dans lœuvre de Du Bellay devient donc polyphonique, presque impossible à définir et à réduire à une seule signification. Les interférences de lhéritage littéraire italien et latin finissent pour se lier aux interrogations du poète, créant une expérience scripturale divisée entre sources anciennes et expérimentation. Voilà le fil rouge qui éclaire la relation ambivalente que Du Bellay entretient avec Rome, qui alterne « amour et désamour, attraction et répulsion, adoration et dénigrement » (p. 285).

Le volume senrichit en conclusion dune bibliographie sélective (p. 289-301) riche et structurée en sous-sections, ce qui facilite sa consultation, et dun index des noms propres. Il est évident que les pages dOlfa Abrougui sont un réservoir infini de suggestions stimulantes : lapparat critique ample et ponctuel, tout comme les pistes de lecture claires et rigoureuses font de ce volume un outil pratique pour les spécialistes et les chercheurs.

Serena Sassi

Université de Bari Aldo Moro

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Ainsi parlait Charles Péguy, dits et maximes de vie choisis et présentés par Paul Decottignies, Paris-Orbey, Arfuyen, « Ainsi parlait », 2020, 175 p.

La maison dédition Arfuyen propose, dès 2015, la collection « Ainsi parlait » faisant écho à louvrage du philosophe allemand Friedrich Nietzsche. Le 24e volume de la collection vise à présenter le poète Charles Péguy, à travers ses citations, tirées de plusieurs œuvres, choisies par Paul Decottignies.

Les pages initiales (Péguy lhérétique, p. 7-26), en guise dintroduction, nous fournissent des informations sur le tempérament de Charles Péguy et sur trois « ruptures » qui ont marqué profondément le poète : lentrée à lécole primaire en 1880, lapparition des premières idées politiques découlant de 1905, lorsquil comprend quil est sous légide de lAllemagne, le retour à la foi en 1910. Les citations, en ordre chronologique, transportent le lecteur dans le monde créatif de Charles Péguy. Les notes en bas de page indiquent les sources doù ont été tirés les « dits ». À la fin du livre, une Liste des ouvrages cités (avec les numéros des fragments concernés) (p. 169-172) fournit un résumé des œuvres mentionnées.

En lisant le volume, on simagine à côté de Péguy lorsquil prononce, de sa propre voix, chaque phrase pour accuser, pour affirmer avec rigueur, pour défendre ses idéaux. On dirait un carnet de réflexions, journal intime du poète qui nous fait goûter la beauté des mots que lon avait peut-être oubliés. En fin de compte, cest lui-même qui affirmait que « Les vers les plus beaux ne sont pas ceux dont on sest occupé tout le temps. Ce sont ceux qui sont venus tout seuls. Cest-à-dire, en définitive, ceux qui ont été abandonnés. À la fortune » (no 366, p. 149). Ce volume donne à Charles Péguy la chance dêtre redécouvert par la communauté des lecteurs.

Alessandra Valentini

Université de Bari Aldo Moro

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Ainsi parlait Maeterlinck, dits et maximes de vie choisis et présentés par Yves Namur, Paris-Orbey, Arfuyen, « Ainsi parlait », 2021, 175 p.

La maison dédition Arfuyen fait paraître en 2021 un volume dédié à Maurice Maeterlinck à lintérieur de la collection « Ainsi parlait » dont le but est de présenter un écrivain à travers ses citations. Le 30e volume, sous la direction dYves Namur, vise à introduire Maurice Maeterlinck, écrivain belge de langue française, membre de lAcadémie royale de langue et de littérature française de Belgique et premier belge à recevoir le prix Nobel pour la Littérature. Maeterlinck a écrit des pièces de théâtre, des recueils de poèmes, des ouvrages de philosophie et des volumes dentomologie. Une personnalité éclectique compte tenu de ses différents intérêts.

Yves Namur dans son Ainsi parlait Maeterlinck rassemble plusieurs citations de lécrivain tirées des œuvres dont il nous donne les titres à la fin du volume (p. 171-172). La lecture nous plonge dans le monde de Maeterlinck, dans les idées qui ont animé sa pensée décrivain, à savoir « le Moi des hommes, lobscur des cœurs, linfiniment grand ou linfiniment petit, linnommé et linnommable » (p. 17), « la logique des contraires » (p. 9).

Maintenant, on a à portée de main un opuscule contenant plusieurs citations de Maeterlinck, qui a impressionné tant dartistes. On peut goûter la beauté de ses phrases, on peut se perdre dans ses écrits et se retrouver à la fin du volume, le sourire aux lèvres, avec une connaissance bien plus ample de cet extraordinaire écrivain. Et sil est vrai qu« il faut être heureux pour rendre heureux ; et il faut rendre heureux pour demeurer heureux » (no 119, p. 66) nous sommes redevables à Yves Namur de nous avoir rendu la joie de lire Maurice Maeterlinck.

Alessandra Valentini

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Ainsi parlait Pétrarque, dits et maximes de vie choisis et traduits de litalien et du latin par Antoine de Rosny, Paris-Orbey, Arfuyen, « Ainsi parlait », 2021, 173 p.

Pétrarque est un poète et écrivain humaniste italien du xive siècle très aimé par la critique française. On lui a consacré beaucoup de traductions en français, ce qui atteste le désir toujours vif de lire ses œuvres. Antoine de Rosny nous propose, à lintérieur de la collection « Ainsi parlait », un volume consacré à lauteur du Chansonnier.

À la fin de létude, une Liste des textes cités (p. 169-170) représente un point de repère pour tout lecteur qui voudrait sorienter dans limmense nombre douvrages utilisés pour rédiger le volume. Antoine de Rosny puise dans diverses typologies de textes de Pétrarque, en nécartant que « les œuvres historiques et érudites, accumulation dexemples historiques pour lessentiel, [qui] se prêtaient mal à lexercice » (p. 166-167). Les œuvres poétiques, les œuvres morales, les œuvres polémiques, la correspondance et dautres textes figurent dans cette précieuse publication. Lauteur donne sa traduction aussi bien des maximes en latin que des maximes en italien ; une traduction respectueuse, claire qui rend parfaitement la pensée du poète.

La beauté dAinsi parlait Pétrarque découle du mérite dAntoine de Rosny davoir si bien su rassembler tant de maximes du poète italien, en permettant au lecteur davoir entre ses mains un opuscule ne contenant pas seulement les œuvres les plus connues. Nous avons tout Pétrarque à portée de main : le poète, le moraliste, le moine.

Nous ne pouvons quêtre redevables à Antoine de Rosny pour son louable travail. Le lecteur passionné de Pétrarque lui sait gré de ce beau compendium.

Alessandra Valentini

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Massimo Blanco, Il presente nella storia. Chateaubriand, Lamartine, Hugo, Firenze, Olschki editore, 2021, 290 p.

Massimo Blanco fait paraître en 2021 ce volume auprès de la maison dédition Olschki.

Létude porte sur trois auteurs romantiques, Chateaubriand, Lamartine et Hugo autour desquels foisonnent bien des recherches. La « Premessa » (p. v-ix) expose les raisons qui ont mené lauteur à écrire ce volume, esquissant déjà la structure.

Massimo Blanco décrit les liens qui existent entre les termes « Ragione, sentimento e libertà » (p. 1-24) aux xviiie et xixe siècles. Sont-ils des termes antinomiques ou un territoire de milieu est-il possible ? Louvrage vise l« individuazione di zone di transizione che vadano a sfumare il contrasto tra ragione-sentimento » (p. 7).

Lauteur sinterroge aussi sur les différentes manières de Chateaubriand, Lamartine et Hugo de traiter le thème du présent, voire du « commencement ». Lamartine se méfie du futur ; Hugo veut « ritardare linizio, considerando il presente come un filtro incaricato di preservare il futuro dalle insidie del passato » (p. 16) ; pour Chateaubriand, par contre, le commencement est synonyme dévolution.

Le but de la réflexion de M. Blanco est danalyser les « co-occurrences » de certains termes et de montrer comment ils varient à lintérieur dun ensemble de textes choisis.

Les pages 25-52 (« Il conflitto irrisolto nella Poesia del Settecento »), à partir dun corpus composé de textes de poésie, de théâtre, dune œuvre de Pierre Baour-Lormain intitulée Ossian et de quelques ouvrages de Jean-Jacques Rousseau, étudient les fréquences dun certain nombre de mots à lintérieur des différents genres ou auteurs choisis.

Les chapitres qui suivent (« Chateaubriand : la Storia come innesto », « Il rumore della Storia » (Lamartine poeta), « Hugo e le consequenzialità nascoste nella Storia ») se concentrent spécifiquement sur les trois auteurs romantiques, au centre du volume. Ici, lauteur, à laide dun corpus de 342textes choisi pour chaque auteur, en incluant tout genre de texte, part à la recherche des fréquences de termes à lintérieur du recueil douvrages de lécrivain analysé, pour voir comment lemploi dun terme peut varier selon le contexte ou la typologie de texte où il apparaît.

Cet ouvrage, si bien structuré et au langage rigoureux, est doté dune précision scientifique ; lanalyse avance ponctuellement pour offrir aux lecteurs un autre travail qui enrichit le cadre détudes sur le Romantisme français et sur trois de ses piliers, Chateaubriand, Lamartine, Hugo.

Alessandra Valentini

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Kevin Saliou, Le Réseau de Lautréamont. Itinéraire et stratégies dIsidore Ducasse, Paris, Classiques Garnier, 2021, 318 p.

Kevin Saliou, directeur de la revue annuelle Cahiers Lautréamont, Président de lAssociation Amis passés, présents et futurs dIsidore Ducasse et déjà auteur de La réception de Lautréamont, donne au lecteur un autre volume consacré à cet écrivain.

Ce livre, issu du travail de thèse de lauteur, se propose de tirer au clair la vie dIsidore Ducasse. Malgré les nombreuses informations biographiques qui existent à propos du poète, on a eu tendance à amplifier le mystère sur la vie de Lautréamont plutôt quà le résoudre. Cette étude se propose de « désépaissir le mystère pour exhiber les mécanismes qui construisent le mythe et aborder Isidore Ducasse sous un aspect plus réaliste, afin dobserver le jeune écrivain à lœuvre et de comprendre ses stratégies pour accéder à la reconnaissance de ses contemporains » (p. 8). La sociologie sera loutil utilisé pour avancer dans cette analyse. Kevin Saliou, en étudiant les relations que le poète a tissées pendant sa vie, 343entend créer une cartographie qui puisse rendre compte des nombreux contacts de cet écrivain, trop longtemps défini solitaire et isolé.

Dans la première partie du volume, Pour une représentation dIsidore Ducasse (p. 11-46), Kevin Saliou cherche à éliminer les éléments de mystère de la vie du poète pour restituer au lecteur une biographie aussi vraie que linéaire. Plutôt que cacher, lauteur veut dévoiler, parce que cest là le meilleur point de départ pour une étude qui veut apporter des résultats nouveaux à la critique littéraire. Témoignages (p. 20-30), portraits (p. 30-37), lettres de lécrivain (p. 37-43), tout sert pour dévoiler lidentité de ce poète si contradictoire.

Une deuxième partie, Le Paris dIsidore Ducasse (p. 47-84) fournit aux lecteurs toutes les informations nécessaires pour connaître le comte de Lautréamont, pour lencadrer à lintérieur dun espace bien délimité, le Paris du xixe siècle. À travers les descriptions du quartier où il vivait, des rues quil fréquentait (p. 47-55), on passe à des suppositions sur son orientation sexuelle et au traitement des homosexuels pendant la période du Second Empire (p. 56-72). Létude géographique des lieux où, la nuit tombée, se réunissent les homosexuels, révèle que ce sont les mêmes endroits fréquentés par les personnages de lœuvre de Ducasse, Les Chants de Maldoror et par le poète lui-même (p. 73-77). Malgré tout, ces hypothèses ne peuvent pas être considérées comme des « preuves qui viendraient attester de lhomosexualité dIsidore » (p. 75) étant donné que Kevin Saliou nous explique quil na pas trouvé le nom dIsidore Ducasse à lintérieur des registres des arrêts de la police de Paris (p. 78-80). En outre, aux alentours de sa maison, se situait aussi le quartier des sud-américains (Ducasse, en effet, était né en Uruguay puis sétait, contraint par son père, transféré à Paris), constatation qui nous fait croire quil avait choisi ce quartier-là parce quil lui permettait de garder un lien avec son pays dorigine (p. 80-84).

Une troisième partie, plus longue que les autres, Le Réseau social dIsidore Ducasse (p. 85-163) nous permet de connaître les noms de certains des personnages que lauteur des Chants de Maldoror fréquentait pendant sa permanence en France. À laide de ses relations professionnelles et amicales, on cherche à comprendre comment le comte de Lautréamont ouvrait sa voie vers le monde de la littérature pour essayer de se faire connaître à travers ses œuvres, les Chants de Maldoror et ses Poésies. Qui étaient les lecteurs de Ducasse ? Comment faisait-il pour permettre la 344circulation de ses livres afin dobtenir des comptes rendus, des agréments du milieu littéraire de lépoque ? Une « cartographie des relations sociales dIsidore Ducasse » (p. 99-100) est aussi proposée au lecteur. Fait suite une longue liste de personnalités entrées en contact avec le comte de Lautréamont (p. 101-163).

La quatrième section Quelques spécificités du réseau dIsidore Ducasse (p. 165-195) définit la structure du milieu littéraire qui découle de la définition de Pierre Bordeau de « champ littéraire » (p. 166-170). Ici, létude porte sur les différentes « attitudes » voire « postures » que les écrivains se donnaient pour construire leurs carrières dans le monde littéraire (p. 170-175). Lanalyse nous montre comment Isidore Ducasse « se présente à ses éditeurs et à ses contemporains » (p. 176). Les pages qui suivent continuent à démasquer la figure du comte de Lautréamont pour faire comprendre sa « posture » à lintérieur du milieu artistique où il vivait (p. 175-195).

Lavant-dernière partie du volume sintitule La réception contemporaine desChants de Maldoror (1868-1870). Ici, lauteur sinterroge sur la circulation des œuvres dIsidore Ducasse dans les revues les plus populaires de lépoque (p. 198-217).

Une dernière partie, intitulée À travers les générations (p. 220-246) qui se veut un « complément sociologique à létude de la réception de Lautréamont » (p. 220) conclut la recherche de Kevin Saliou. Il sattache à appliquer les « outils sociologiques développés dans les pages précédentes afin de matérialiser, sous la forme dun graphe, le réseau des premiers lecteurs de Lautréamont » (p. 219).

Une section dAnnexe (p. 255-290) a été conçue dans le but de fournir une « liste des lecteurs ou des acteurs qui, sils ne se sont jamais prononcés sur Les Chants de Maldoror, constituent des points de jonction entre dautres lecteurs » (p. 255).

En conclusion de cet intéressant volume, nous trouvons une bibliographie riche et détaillée (p. 291-306), très bien divisée en différentes sections pour mieux sorienter dans la grande liste de volumes utilisés comme support de létude sur Isidore Ducasse.

Louvrage, qui se lit très aisément, apporte à la critique littéraire de grandes nouveautés à propos du comte de Lautréamont. Tout se tient dans létude de Kevin Saliou, rien nest laissé au hasard. Le lecteur ne peut que lire cet ouvrage avec passion et curiosité, il ne peut que se 345perdre dans cette lecture qui le transpose dans le Paris du xixe siècle et qui lui permet de marcher à côté de Ducasse pour connaître ses mouvements et ses fréquentations.

Alessandra Valentini

1 Jean-Baptiste Baronian, Rimbaud, Paris, Gallimard, 2009.

2 Paris, Éditions de Fallois – LÂge dhomme, 2013.