Aller au contenu

Classiques Garnier

In memoriam Daniel Ménager (1936-2020)

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Revue d'Histoire littéraire de la France
    3 – 2021, 121e année, n° 3
    . varia
  • Auteur : Millet (Olivier)
  • Pages : 755 à 757
  • Revue : Revue d'Histoire littéraire de la France
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406120827
  • ISBN : 978-2-406-12082-7
  • ISSN : 2105-2689
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12082-7.p.0243
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 18/08/2021
  • Périodicité : Trimestrielle
  • Langue : Français
755

In memoriam

Daniel Ménager (1936-2020)

Olivier Millet

Daniel Ménager, qui a quitté soudainement les siens, ses amis et ses proches au terme dune brève maladie, le 15 août 2020, occupe une place éminente dans les études littéraires du second xxe et du premier xxie siècle, comme spécialiste de la littérature française de la Renaissance, et, plus largement, par lensemble de son œuvre critique, qui sétend au-delà de ce qui fut son champ initial de prédilection. Sa carrière rend compte de cet enracinement dans le xvie siècle, et de louverture qui distingue notamment la dernière période de ses travaux. Dès 1968, cet ancien élève de lÉcole Normale supérieure de la rue dUlm (1958), agrégé de Lettres classiques, sétait imposé dans le monde académique par un ouvrage dinitiation en apparence modeste, Introduction à la vie littéraire du xvie siècle, qui reste la meilleure présentation sur le sujet, ce qui justifie ses constantes rééditions. Le plus étonnant est quen effet ce manuel, qui présentait alors une synthèse pratique des états de la question concernant la Renaissance et lhumanisme littéraires, notamment en France, na pas pris une ride, même si, depuis, les savoirs spécialisés ont progressé. Il repose sur un art de la synthèse et une hauteur de vue parfaitement informée rarement égalés dans ce genre. Sa thèse dÉtat (1973, sous la direction de V.-L. Saulnier), Ronsard : le Roi, le poète et les hommes, parue chez Droz en 1979, porte sur la dimension politique de lœuvre de Ronsard. Cet ouvrage fondamental explore un pan essentiel de linspiration du poète, quil sagisse de ses rapports avec les monarques et les grands, des thèmes concernés ou de la poétique. D. Ménager a également renouvelé par cette étude les questions afférentes qui ne cessent, depuis, denrichir notre regard sur la poésie de la Renaissance. Outre ses qualités en histoire littéraire et en matière critique, 756ce livre témoigne déjà également dun autre caractère général des travaux du maître : cet historien de la littérature a lart de poser, sans anachronisme, des questions modernes aux œuvres du passé, et dentretenir avec elles un rapport non seulement fervent, mais vivant pour les lecteurs actuels. D. Ménager est resté fidèle à Ronsard en lui consacrant de très nombreuses publications. Parmi elles, il y a évidemment sa participation (avec Jean Céard et Michel Simonin) aux œuvres complètes dans la Pléiade, à côté de lAnthologie de la poésie française. Moyen-Âge, xvie-xviie siècle (avec Gérard Gros et Jean-Pierre Chauveau) dans la même collection. Dautres poètes de la Pléiade furent également bien servis, entre autres Du Bellay et Jean-Antoine de Baïf. Les grands prosateurs ont aussi suscité son intérêt, notamment Rabelais et Montaigne (par exemple avec Montaigne et la culture de lâme, 2020). Pour les auteurs les plus importants dont il a traité, D. Ménager sest fait à la fois éditeur philologue, vulgarisateur et interprète savant. Cette capacité à dominer des « genres » éditoriaux si différents est une des ses marques de fabrique. Elle nest pas étrangère à son souci de la cité et de léducation des jeunes générations. Fidèle à des convictions politiques et religieuses, mais étranger à tout dogmatisme, D. Ménager fut aussi un homme généreux et engagé, notamment au service de luniversité de Nanterre. Il la servie durant la totalité de de sa carrière (1965-1998) comme enseignant-chercheur ainsi que dans des responsabilités élevées, au point de ne pas envisager de la quitter. Mettant toujours à laise ses interlocuteurs, il savait leur indiquer, sans gravité inutile et avec humour, ses préoccupations et ses espoirs pour les communautés humaines, de la plus intime à la plus vaste, auxquelles il songeait constamment en menant les travaux les plus savants. Il fut donc digne de cet humanisme de la Renaissance quil étudiait avec érudition sans jamais perdre de vue son message et son legs à la culture occidentale. Ce spécialiste de Ronsard et de la littérature de la Renaissance française et latine a rapidement attiré, une fois devenu professeur, de nombreux jeunes chercheurs, quil accueillait dans son séminaire de Nanterre avec une gentillesse et une attention toute personnelle à leurs travaux respectifs. Il les faisait travailler sur un thème annuel, de conserve et dans une atmosphère amicale, quils fussent ses doctorants ou quils vinssent dautres horizons pour enrichir leur expérience de la recherche à son contact et à celui de ses élèves les plus proches. Pendant des années mémorables, ce séminaire « seiziémiste » fut un lieu de rassemblement et de production intense qui navait guère son pareil ailleurs. On y faisait dialoguer la fréquentation des humanistes latins (notamment Érasme, dont D. Ménager fut un excellent spécialiste, à la fois éditeur, traducteur et critique, comme dans son Érasme de 2003), linterprétation des textes, célèbres ou oubliés, du xvie siècle français, les questions de genre et de poétique, et les perspectives idéologiques, religieuses ou politiques, selon lactualité de leur temps.

Cette largeur de vue la finalement conduit, à partir de son éméritat, à produire de nombreux ouvrages de critique littéraire dune originalité 757toujours surprenante. Que nos lecteurs nous pardonnent de mentionner ici sous forme de liste ceux qui napparaissent pas déjà supra et quannonçait déjà La Renaissance et le rire (Presses universitaires de France, 1995) : Diplomatie et théologie à la Renaissance, (Presses universitaires de France, 20011 ; devenu en 20132 : LAnge et lambassadeur : diplomatie et théologie à la Renaissance) ; La Renaissance et la nuit (Droz, 2005) ; LIncognito : dHomère à Cervantès (Les Belles Lettres, 2009) ; La Renaissance et le détachement (Classiques Garnier, 2011) ; Le Roman de la bibliothèque (Les Belles Lettres, 2014) ; LAventure pastorale (Les Belles Lettres, 2017). Convalescences : la littérature au repos (Les Belles Lettres, 2020) fut, de manière inopinée pour lui comme pour nous, son dernier titre. On est admiratif devant la richesse (digne dun grand comparatiste), des thèmes et des auteurs traités – qui vont dHomère et de la Bible à des romans français ou étrangers du xxe siècle –, et, dans certains cas, devant linvention à proprement parler du sujet, jusque-là négligé ou même inaperçu par la critique, et pour lequel D. Ménager ouvre des perspectives entièrement nouvelles. Sa manière critique, enfin, simpose comme celle dun lecteur attentif au détail significatif et qui révèle, grâce à un faisceau dhypothèses et de rapprochements, une intention créatrice laquelle anime la totalité de lœuvre en question et reconfigure le thème.

On ajoutera à cette liste un bref roman, Chronique vénitienne (Les Éd. du Cerf, 2009), où lauteur sest offert le plaisir, cette fois, dinventer des personnages en les plaçant dans une cité et à une époque qui lui permettaient dexplorer la Renaissance qui lui était chère, celle des grandes espérances collectives et des consciences sensibles ou déchirées. Les élèves, collègues et amis de D. Ménager organisent à Nanterre, le 24 septembre prochain, une journée détude qui sera consacrée aux dernières productions de ce maître de tant desprits et de cœurs reconnaissants. Il ne les a jamais déçus, il les a toujours édifiés par ses exigences critiques, enchantés par sa générosité, et conduits sur des terrains constamment renouvelés. Cette journée sajoutera aux Mélanges que nombre dentre eux lui avaient offert sous le titre Cité des hommes, cité de Dieu (Droz, 2003), deux pôles quil savait, dans son œuvre comme dans sa vie, harmoniser avec simplicité et bonheur.