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Classiques Garnier

Comptes rendus

423

Le destin dune grand-mère
dans les manuscrits des Garçons
de Montherlant

Pierre Duroisin

Quels sont les rapports secrets, les métamorphoses nécessaires qui existent entre la vie dun écrivain et son œuvre, entre la réalité et lart, ou plutôt […] entre les apparences de la vie et la réalité même qui en faisait le fond durable et que lart a dégagée ?

Marcel Proust, Jean Santeuil.

On connaît Les Garçons de Montherlant, quil sagisse de la version expurgée de 1969 ou de la version complète de 1973, comme le second volet de La Jeunesse dAlban de Bricoule, cette trilogie romanesque plus ou moins autobiographique dont le premier volet, Les Bestiaires, avait paru en 1926 et le troisième volet, Le Songe, en 1922, un « désordre » qui tient au fait que lauteur porta Les Garçons pendant plus dun demi-siècle, jusquà hésiter sur le titre quil leur donnerait1.

Cette lente maturation explique aussi la masse de notes, de brouillons, de dactylogrammes, de versions provisoires ou définitives, pas moins de mille deux cent douze folios, que le Service des Manuscrits modernes et contemporains de la Bibliothèque nationale de France conserve pour les seuls Garçons sous la cote « NAF 28165 (boîtes 9 et 10) ».

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De cet impressionnant volume où Michel Raimond a reconnu « quatre couches rédactionnelles2 », nous avons retenu deux morceaux « inemployés » que domine la figure – autoritaire mais aimante et vénérée – de Mme de Coantré, la grand-mère maternelle du héros, aussi proche bien souvent de Marguerite de Riancey, la grand-mère maternelle de Montherlant3, que Bricoule est proche de son créateur au même âge.

Nous lirons dabord ces pages, nous verrons ensuite pourquoi elles furent délaissées par lauteur.

Le premier texte vient de la boîte 9, où il fait partie dune liasse intitulée « Chemise bleue titrée “Brouillons Ville / 1929 et 1913” », même si on ny trouve aucun manuscrit datant de 1913.

Il compte huit pages, numérotées de 1 à 7 avec une page 3bis, qui correspondent aux folios 43 à 50. Son titre au crayon bleu : « Nuances religieuses de la famille dAlban », est suivi dune mention à lencre violette : « à mettre au net », qui suppose que Montherlant avait la ferme intention de lintégrer au roman. Mais il se ravisa. On lit aussi sur la première page les mots « brouillon inemployable », dûment soulignés, au stylo à bille rouge, indice dune époque plus récente. Et de fait, ces pages nont laissé aucune trace dans Les Garçons4.

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Nuances religieuses de la famille dAlban

[1] Une scène, qui sétait passée lorsque Alban avait douze ou treize ans, était restée imprimée en lui. On avait invité à déjeuner un vieil aumônier des zouaves, quon jugeait imbécile, mais que par hasard on respectait, parce que sa barbe, toute blanche, était parfaitement soignée, et parce quil tenait au militaire. À je ne sais quelle parole de Mme de Coantré, ce bon homme sétait écrié avec un rire dont il voulait atténuer sa réprobation : « Oh, mais cest là une idée janséniste ! » Mme de Coantré, répliquant, avait prononcé le nom, quAlban entendait pour la première fois, dun certain abbé de Saint-Cyran. « Cétait un mauvais prêtre », avait tranché le vieillard. Jamais Alban noubliera comment, à ce mot, il avait vu Mme de Coantré pâlir, ni la lutte qui se peignit sur son visage avant quelle eût la force de dire : « Allons, parlons dautre chose, cela vaudra mieux. » Scène quun initié eût rapprochée peut-être de celle où la sœur Angélique Arnaud, au réfectoire, entendant un esprit fort risquer une plaisanterie sur la lecture pieuse que lon faisait, navait pu retenir ses larmes.

[2] Le jour où, à seize ans, Mme de Coantré avait été avertie par un incident du même ordre que ce mot de jansénisme nétait pas de ceux quon pouvait prononcer avec indifférence dans sa famille, elle avait demandé, elle, des explications. Sa mère lui avait alors appris, en affaiblissant beaucoup la chose, que son bisaïeul et son trisaïeul avaient été suspects de jansénisme.

En réalité5................................................................................................... ..........................................................................................................................

La jeune Coëtnempern, effrayée et curieuse, avait lu et interrogé. Alors elle avait su que, depuis lâge où on peut dire quon est quelque chose, elle était janséniste de tendance sans le savoir.

Laustérité et la dureté, le courage et lindépendance des Messieurs de Port-Royal faisaient lunisson avec laccent de son âme, petite fille au front bombé, aux grands yeux fixes de nocturne, déjà déshabituée du sourire, élevée dans les deuils et les drames. Son cœur était aux Messieurs et aux grandes Sœurs, quand son esprit ne [3] saisissait pas encore la raison de leur différence ni le sens de leurs combats. Elle ne comprenait pas bien les paroles, mais leur accent lempoignait. Elle était de leur race6, dabord, par ces parties profondes où lintelligence ne pénètre pas7.

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Quand elle dédaignait si singulièrement les prêtres, jusquà parler deux avec mépris devant ce petit-fils quelle avait laissé mettre entre leurs mains, était-ce bien différent de la croyance en une sorte de communication divine qui arriverait directement à ceux qui sont réservés, en passant par-dessus la tête des ministres ? Quand elle demandait tant à ceux-ci, que, de prime abord, elle les rebutait presque tous comme indignes, nétait-ce pas voisin de létat desprit qui avait voulu que, depuis sept cents ans, lÉglise fût dans le mauvais chemin ? Et quest-ce que respirait tout cela, sinon le jansénisme ? Elle allait plus loin, sur tel et tel point, jusquà ladhésion nette et jaillissante. Si8 elle [3bis] lisait, de M. de Saint-Cyran : « De mille âmes il nen revient pas une », ou encore : « La pénitence différée jusquà lheure de la mort reste fort douteuse », une voix profonde, qui avait laccent de lexaltation, jetait en elle le pure ! fameux : « Et pourtant, cest tout de même là la vérité ! » Inconsciente de son scandale, elle se fût affirmée de bonne foi orthodoxe. Son « Pourtant ! » pathétique nétait quune idée de derrière la tête.

ill., et quand […]9 avait marqué dans sa famille, elle sy était attachée dautant plus fortement, par cet orgueil indéfendable que nous prenons à ressembler à nos ancêtres, fût-ce dans leurs défauts, et qui suffit à lui seul à juger la valeur morale du « Je mets mes pas dans les pas de mes parents ». Mme de Coantré se flattait dêtre janséniste, comme tel jeune noble de 1930 tire vanité davoir le nez en pied de marmite, parce que, dans sa maison, le nez en pied de marmite se retrouve dès Charles IX10.

[4] Mme de Bricoule navait pas hérité du côté sombre de sa mère. En elle avait marqué surtout le caractère Coantré, léger, rieur, sans âpreté, plein dun désir de bonheur dont on navait jamais vu beaucoup de traces chez les Cöetnempern ; elle eût peut-être été superficielle, à la Coantré, sans lapport du sang maternel. De sa religion il ny a rien à dire. Sa supériorité était autre part que là ; elle avait la religion dune femme du monde, honnête, sensible, et élevée dans les principes de son milieu, mais qui est tout cela sans avoir besoin de religion, et pour qui la religion ne compte guère. Mais le Cte de Bricoule avait apporté, pour le mêler au sang dAlban, un génie sombre qui nétait pas sans analogie avec celui des Coëtnempern. Ce petit homme qui neût pas [été] déplacé dans une toile du Greco, olivâtre et velu, aux grands yeux noirs, à la courte barbe noire peignée à la madrilène, et de qui la famille était espagnole il y a quatre siècles, navait aucune idée des nuances du catholicisme qui inquiétaient les Coëtnempern, mais, avec une foi de charbonnier, il avait poussé la pratique 427catholique jusquà une dévotion rigoriste où il mettait quelque chose de son caractère taciturne, un peu étroit, et presque sauvage : Conférence Saint-Vincent de Paul, Confrérie du Sacré-Cœur, messe quotidienne, retraites, etc. ; le dogme était indiscutable, le clergé parfait : un doute, une plaisanterie sur lun ou lautre étaient sévèrement jugés, et la blague des Coantré, comme lâcre indépendance desprit des Coëtnempern, étaient [sic] une des nombreuses raisons pour lesquelles il était assez froid avec la famille de sa femme. Ce nétait pas que M. de Bricoule neût des passions : il en avait, dautant plus ardentes que plus matées. Il disait, [5] par exemple, que, sans la religion, il eût tué. Dans ces conditions, on le louera de sêtre maintenu énergiquement à celle-ci, et peut-être ne lexagérait-il tant que parce quil la connaissait comme lunique garde-fou qui le retînt au-dessus des abîmes.

Tels étaient les différents affluents du catholicisme qui venaient donner dans Alban. Lui, sa religion était plutôt celle de sa mère avec cette différence – et certes, cen est une ! – quelle nétait même pas pour lui un devoir. Il aimait lÉglise, nageait à merveille dans <les méandres> de la [vie] spirituelle, invoquait Dieu et les saints quand il avait peur de quelque chose ou désirait vivement quelque chose ; cela nallait pas plus loin. Jamais, au moins depuis quil avait quitté lenfance, le fait quun acte fût classé « péché » ne lavait empêché de le faire, sans lutte et sans remords. Mais, le poussât-on, on voyait que cette sorte de catholicisme nétait sienne que parce quil ne prenait pas le catholicisme au sérieux. Si on le poussait il disait : « Si le catholicisme est vrai, le vrai catholicisme est celui de ma grand-mère. » De tout lui-même, le catholicisme où le côté contre-nature est développé, celui des Paul et des Augustin, lui semblait la conséquence logique de Jésus-Christ. Le côté rigoureux [6] – Coëtnempern, voire Bricoule, – quil y avait en lui sétait jeté du côté « vieux Romain », trouvait son expression dans des Catons, des Gracques, des Césars, comme chez M. de Coëtnempern il trouvait son expression dans des Saint-Cyran et des Rancé. Mais, quelque coup de la grâce (pour employer le vocabulaire catholique) aurait fondu sur Alban, pour lui donner une foi véritable, au lieu de ce succédané de la foi qui était le sien, comme il est celui des quatre cinquièmes des catholiques, on leût vu basculer subitement du côté austère, et faire bénéficier la religion des rigueurs dont il fait bénéficier plutôt le civisme. Son catholicisme nétait si pâle et si commun que parce que au fond, il ne croyait pas. Sil eût cru, – ce qui sappelle croire, – il eût tendu vers la sainteté.

Bref, pour résumer le côté passionnel de ces familles en une formule amie de la mémoire, on peut dire que, dans un temps extraordinaire, M. de Bricoule se fût fait une vertu de couper des têtes dhérétiques ; [7] que Mme de Bricoule neût coupé de tête à personne ; que Mme de Coantré, qui naimait que la hauteur, eût coupé des têtes de tout ce qui était bas, ou plutôt, par indifférence les eût laissé couper, tandis quAlban, sans passion sur les choses religieuses, se fût plutôt réservé avec joie le rayon des ennemis de la patrie. Tous dailleurs, 428tant quils étaient, prêts à donner leurs propres têtes, pour nimporte quoi, ou presque, comme ils étaient prêts à prendre celles des autres.

*

La première question quon se pose est forcément : « De quand datent ces pages ? » On noserait dire quelles sont précisément de 1929, malgré lintitulé de la liasse où elles se trouvent : « Brouillons Ville / 1929 et 1913 », car si lon ne peut rien déduire de leurs versos, hélas vierges, le texte lui-même nous invite à la prudence.

On a bien lu, à la p. 3 : « Mme de Coantré se flattait dêtre janséniste, comme tel jeune noble de 1930 tire vanité davoir le nez en pied de marmite… », sauf que Montherlant avait dabord écrit : « comme telle famille se flatte devant davoir le nez en lair pcq pied de marmite », qui, en soi, nest pas daté, mais enfin la correction suggère quelquun qui écrit en 1930, voire plus tard, donnant même à penser que le morceau ne sintégrerait plus, désormais, dans un roman dont laction démarre en 1912-1913. Quand il commettra un anachronisme dans Les Garçons en excipant dun ouvrage de Meier paru en 1930 : Histoire de lamour grec, lécrivain sen excusera en disant que cest « par licence poétique » quil la situé « avant 191211 ». Un 1930 dans « Nuances religieuses de la famille dAlban » aurait demandé une pareille note.

Quoi quil en soit, on a, pour dater le texte, un autre indice, plus solide et net de toute ambiguïté : lempreinte du Port-Royal de Sainte-Beuve, que Montherlant, ainsi quil la expliqué dans une « Note sur “Port-Royal” » davril 1944 et dans la « Préface » des Garçons de 1969, avait découvert en 1929.

Que disait-il en 1944 ? Que sa « famille grand-maternelle désencadra et relégua dans une boîte, au fond dun placard, comme un objet obscène, un Christ aux bras étroits qui avait appartenu à une aïeule », et que sil « avai[t] près de trente ans quand [il] mi[t] au jour ce Christ à létreinte réticente, et le cilice que [s]a grandmère portait encore sur son lit de mort […], quinze ans plus tôt [il] avai[t] été excité et alléché par les airs mystérieux, et gros de réprobation, avec lesquels [s]a grandmère parlait des survivances du jansénisme chez certains membres de [sa] famille, presque contemporains ».

En 1944, Montherlant évoquait aussi trois manuscrits du xviiie siècle découverts « dans lenfer de la bibliothèque grand-maternelle », des « “journaux de bord” de conventicules du jansénisme finissant » qui le firent entrer « dans le jansénisme par sa caricature et son Bas-Empire », avant quil ne découvrît à Alger, par lentremise de Sainte-Beuve, le « vrai Port-Royal ». Et de rappeler ce quil avait écrit en 1929 dans Pour une Vierge noire, que sil devait être un jour « foudroyé par la Grâce », il se mettrait dans « la ligne de cœur du 429christianisme », celle « qui va de lÉvangile à Port-Royal, en passant par saint Paul et par saint Augustin12 ».

Toutes choses que lécrivain redira plus ou moins dans la préface de 1969 pour LesGarçons, où il rapporte quen 1929, il « lisai[t] le Port-Royal de Sainte-Beuve, qui [l]e touchait extrêmement » pour une double raison : parce qu« il flattait la part rigoureuse de [lui]-même, tant par lesprit du jansénisme que parce quil débutait sur une réforme morale, – alors quadolescent [il] avai[t] tenté une réforme de cette sorte au collège », et parce que « cette œuvre qui, de toutes celles qu[il] avai[t] lues tendant à [l]e rapprocher du christianisme, était la seule qui eût atteint ce but, avait été écrite par un incroyant13 ».

Où trouve-t-on Sainte-Beuve dans « Nuances religieuses de la famille dAlban » ?

Dans ceci dabord : « Scène quun initié eût rapprochée peut-être de celle où la sœur Angélique Arnaud, au réfectoire, entendant un esprit fort risquer une plaisanterie sur la lecture pieuse que lon faisait, navait pu retenir ses larmes », qui sinspire dune note de Sainte-Beuve sur la clôture dans le chapitre v de son livre premier, « Origine et renaissance de Port-Royal » : « Cette clôture même du monastère devint tout à linstant une occasion de charité et de sanctification commençante au dehors. On mit au travail quantité de pauvres du voisinage ; outre leur salaire, on les nourrissait à labbaye ; la jeune abbesse assistait elle-même à la distribution, et leur faisait lire par un petit garçon, pendant le repas, un livre spirituel proportionné à leur intelligence. Un jour quun libertin, là présent, se permit une plaisanterie sur ce quon lisait, elle ne put, dit-on, retenir ses larmes14. »

On relève ensuite les mots mêmes de Saint-Cyran : « De mille âmes il nen revient pas une », et : « La pénitence différée jusquà lheure de la mort reste fort douteuse », quon lira pareillement dans le tome premier de Sainte-Beuve.

« De mille âmes il nen revient pas une » est extrait du discours que Saint-Cyran tint à la sœur Marie-Claire quand, après lavoir rebutée pendant six mois, il accepta enfin de lentendre « au commencement de lannée 1637, la veille de la Purification de la Vierge ». Il lui dit notamment ceci : « Je loue Dieu de 430vous voir revenir à lui en vérité. Cest une grâce de laquelle vous nestimez pas assez la rareté : de mille âmes, il nen revient pas une », quon lit dans le chapitre ii du livre deuxième, et dont lessentiel se retrouve dans le chapitre iv du même livre : « De même quil disait à la sœur Marie-Claire dans loracle de la pénitence : De mille âmes il nen revient pas une, il redisait, sarmant du mot de saint François de Sales, et y redoublant le tonnerre : Sur dix mille prêtres, pas un ! progression effrayante dans les chances de labîme et dans la hauteur de plus en plus périlleuse de lélection15 ! » Et là-dessus non plus, Mme de Coantré nétait pas en reste, qui, sagissant des « ministres » de Dieu, « les rebutait presque tous comme indignes ».

Quant à lautre parole de Saint-Cyran : « La pénitence différée jusquà lheure de la mort reste fort douteuse », elle est aussi dans le tome premier de Sainte-Beuve, dans une note où il la cite comme une des « trois ou quatre opinions rigoureuses » que daucuns ont reprochées à Saint-Cyran16.

Tout converge donc, les extraits de Sainte-Beuve bien plus encore que lallusion au jeune noble de 1930, pour situer le premier jet de notre texte aux environs de 1929-1930.

Reprenons maintenant chacun des membres de la famille Bricoule, de la grand-mère au petit-fils.

Pour Mme de Coantré, il ny a pas lombre dun doute, son modèle fut bien ici Marguerite de Riancey, qui déjà lavait été pour Les Bestiaires, les deux grands-mères ayant eu la révélation de lart tauromachique en même temps que leurs petits-fils respectifs.

Le premier portrait quon ait delle, ce nest pas à Montherlant quon le doit, mais à son ami Jacques-Napoléon Faure-Biguet17 dans la biographie que celui-ci publia chez Plon en 1941 sous le titre Les Enfances de Montherlant (de neuf à vingt ans).

Voici ce que dit Faure-Biguet de la grand-mère maternelle, quand il passe en revue tous les membres de la « gens » : « Mme de Riancey, quand je lai connue, était une vieille dame18 aux yeux de hibou, largement dilatés, comme si elle fixait toujours quelque spectre. Continuellement en deuil, nécrivant que sur du papier bordé de noir, égrenant la nuit tombée, dans lobscurité, dinterminables chapelets qui exaspéraient les siens, elle vivait dans une chambre aux meubles 431désuets, où il ny avait rien qui ne fût lugubre […]. Quand Mme de Riancey fut morte, on trouva dans ses affaires une sorte de ceinture de crin, dont on ne devina pas dabord lusage : cétait un cilice. Notons quelle avait de famille une teinte janséniste. » Faure-Biguet ajoute que « Montherlant a dans sa bibliothèque un manuscrit ancien, sorte de “journal de bord” dun conventicule janséniste du xviiie siècle, provenant de sa grandmère », et qu« il y a là une hérédité quil était intéressant de signaler », lintéressé ayant lui-même reconnu « sans détour son “côté janséniste”19 ».

La similitude entre la page de Faure-Biguet et la « Note sur “Port-Royal” » de 1944 est telle quon est en droit de se demander si Montherlant suggéra son texte à lauteur des Enfances ou sil le lui emprunta, mais il y a plus surprenant encore.

En 1971, Montherlant rédige une « Préface des “Convulsionnaires” » qui occupe près de dix pages dans La Marée du soir. Il y décrit sa grand-mère comme une personne qui, « de goût et de circonstances […] avait vécu dans le tragique » ; il fait allusion au cilice quelle a porté20 et la montre dans « une chambre estampillée de son génie » : « Elle disait son chapelet interminablement entre chien et loup, laissant le noir envahir sa chambre ; de ses yeux noirs et vastes doiseau de nuit crucifié, elle fixait quelque part les Choses Horribles : langoisse était sa raison de vivre. Le bruissement de son chapelet, et tout ce lugubre environnant exaspéraient son fils, mon oncle, qui venait et linsultait, puis revenait et lui demandait pardon. » Ces traits, quon a lus chez Faure-Biguet en 1941, sont en germe chez la jeune Coëtnempern de notre inédit, cette « petite fille […] aux grands yeux fixes de nocturne, déjà déshabituée du sourire, élevée dans les deuils et les drames ».

On a pu sétonner de lire dans la « Note » de 1944 que, lorsque Mme de Riancey « parlait des survivances du jansénisme chez certains membres de sa famille », elle prenait « des airs mystérieux, et gros de réprobation ». Le Montherlant de 1971 sen explique plus longuement, qui nous dit que « Mme de Riancey parlait souvent avec une sévérité de bon aloi de certains de [leurs] parents qui jansénisaient plus ou moins au siècle dernier », mais qui se demande pourquoi, à son mur, pendait le masque de Pascal, pourquoi elle tenait bien serrés, dans sa « modeste armoire à livres », les manuscrits déjà cités en 1944, parmi lesquels ce « journal de bord dun conventicule de convulsionnaires, jansénistes dégénérés », pourquoi enfin on ne trouva quaprès sa mort, « au fond dun placard, ce christ à lembrassement étroit qui aurait dû avoir place dans sa chambre, à côté de lautre christ qui dominait sa petite chapelle ». Pourquoi, sinon parce que sa grand-mère, « suivant la coutume que la nécessité imposait aux jansénistes, se cachait un peu de lêtre, surtout à cause de son mari, de 432son fils, de son gendre, compagnons de sa gens, élevés chez les Jésuites, et qui ne juraient que par les Jésuites21 ». La veille dame de la fiction, de même, est contrainte de cacher son jansénisme au « vieil aumônier des zouaves22 ».

Après Mme de Coantré, sa fille, marquée surtout par « le caractère Coantré, léger, rieur, sans âpreté, plein dun désir de bonheur dont on navait jamais vu beaucoup de traces chez les Cöetnempern ».

Dans le portrait quil a laissé de la mère de Montherlant, Faure-Biguet ne dit rien de ses convictions religieuses, peut-être parce que, comme pour Mme de Bricoule dans « Nuances religieuses de la famille dAlban », il ny avait sur ce chapitre « rien à dire ». Il souligne en revanche que « Mme de Montherlant avait été, entre 1890 et 1895, une des jeunes filles les plus “lancées” de Paris […], jolie, aimant passionnément le monde, le flirt, la danse, lopéra, les fêtes23 ».

Quant à Montherlant, il en usera pour sa mère comme il a fait pour sa grand-mère, reprenant plus ou moins les mots de Faure-Biguet pour brosser dabord le portrait de Mme de Bricoule dans LesGarçons, pour esquisser ensuite celui de sa mère dans linterview quil donna en mai 1971 à Jean José Marchand. Nous en retiendrons que Mme de Bricoule dans Les Garçons est « bonne chrétienne à la manière du monde », une autre façon de dire qu« elle avait la religion dune femme du monde », mais aussi qu« elle avait été une jeune fille très lancée, raffolant du bal, des flirts, des bijoux, du Palais de Glace, du cheval au Bois, de lOpéra-Comique24 », comme Mme de Montherlant de qui son fils dira à J. J. Marchand, quelle « avait été une des jeunes filles les plus lancées du Paris des années davant 190025 ». Faure-Biguet estimait que « les Riancey [étaient], dans les “composantes” Montherlant, lélément rieur, brillant, heureux, peut-être un peu superficiel26 » ; transposé, cela donnerait que « les Coantré étaient, dans les “composantes” Bricoule, lélément rieur, brillant, etc. »

On en est loin avec le Cte de Bricoule, de qui le « génie sombre nétait pas sans analogie avec celui des Coëtnempern ». Son physique : un « petit homme qui neût pas été déplacé dans une toile du Greco, olivâtre et velu, aux grands yeux noirs, à la courte barbe noire peignée à la madrilène, et de qui la famille était espagnole il y a quatre siècles », sapparente à celui du père de Montherlant, 433que Faure-Biguet a dépeint comme « un petit homme au teint bistre, aux cheveux, aux moustaches et aux grands yeux noirs », qui « navait pas seulement laspect physique dun Espagnol », mais « sembl[ait] en avoir eu le caractère, taciturne et assez sombre27 ».

Montherlant ne parlera pas à J. J. Marchand du physique de son père28. Pour les convictions religieuses en revanche, quand il déclare que son « père était un homme très sérieux, un peu terne, un peu morose, très bon chrétien, toujours faisant partie des conférences Saint-Vincent-de-Paul des paroisses où il se trouvait, faisant des retraites chez les jésuites à Manrèse, enfin vraiment très catholique », qu« il était le plus catholique de toute [la] maisonnée avec [s]a grand-mère29 », on est proche de cette « dévotion rigoriste » où le Comte de Bricoule « mettait quelque chose de son caractère taciturne, un peu étroit, et presque sauvage : Conférence Saint-Vincent de Paul, Confrérie du Sacré-Cœur, messe quotidienne, retraites, etc. »

Montherlant ne dit rien non plus à Marchand des rapports entre son père et le reste de la famille, mais ce quil écrivait en 1929-1930 du Comte de Bricoule, que « la blague des Coantré, comme lâcre indépendance desprit des Coëtnempern, étaient [sic] une des nombreuses raisons pour lesquelles il était assez froid avec la famille de sa femme », rappelle Faure-Biguet citant, parmi les épreuves qui accablèrent Mme de Riancey, « sa mauvaise intelligence avec son gendre ».

Reste Alban, qui « ne prenait pas le catholicisme au sérieux », mais qui disait : « Si le catholicisme est vrai, le vrai catholicisme est celui de ma grand-mère », Alban pour qui « le catholicisme où le côté contre-nature est développé, celui des Paul et des Augustin, semblait la conséquence logique de Jésus-Christ », au point que, si « quelque coup de la grâce » lui avait donné « une foi véritable, au lieu de ce succédané de la foi qui était le sien […], on leût vu basculer subitement du côté austère ».

Cest « la ligne de cœur » du christianisme telle que lauteur de Pour une Vierge noire se la représentait à lépoque même de « Nuances religieuses de la famille dAlban », et quil a redite, presque dans les mêmes termes, dans sa « Note » de 1944 sur Port-Royal : « Sil marrivait quelque jour dêtre foudroyé par la Grâce, je me mettrais dans une ligne que je serais tenté dappeler la 434ligne de cœur du christianisme, parce quil me semble la voir courir, comme la sève dans un arbre, au cœur du christianisme : elle est une tradition qui va de lÉvangile à Port-Royal, en passant par saint Paul et par saint Augustin (ne frôle-t-elle pas Calvin ?)30 »

Le second morceau annoncé dès labord compte quatre pages numérotées de 13 à 16 qui correspondent aux folios 388 à 391 de la boîte 9 dans une liasse intitulée « Notes générales ». Cela dit, elles ont leur titre propre : « Sentiments de Mme de Coantré au renvoi dAlban », que suit la mention « Rôle de Mme de C » au crayon. Leurs versos sont vierges, mais les « Notes générales » se situant toutes autour de 1929, il est raisonnable de les situer vers la même époque. Et sil ny a pas ici le « brouillon inemployable » que nous connaissons bien, cest un fait quelles furent inemployées.

On est au moment où Alban vient dêtre renvoyé de son collège (Notre-Dame du Parc ou simplement le Parc) pour avoir été surpris avec son protégé en un lieu où ils navaient que faire ensemble.

Sentiments de Mme de Coantré au renvoi dAlban

[13] La conduite de Mme de Coantré, dans cette affaire, fut admirable. Mme de Bricoule, un peu remise le lendemain matin31, annonça le renvoi dAlban à sa mère ; toutefois elle se borna à dire quAlban, ayant la garde et la responsabilité dune cabane où étaient enfermés des ustensiles de jeux, en avait confié la clef à un élève qui avait fait delle mauvais usage. Enfin elle mentit comme elle put, cest-à-dire mal, et avec force froncements du nez. De tout cela Mme de Coantré crut ce quelle voulut, mais lidée ne leffleurait même pas quAlban avait pu faire quelque chose de bas. Elle dit simplement : « Cela vaut mieux ainsi. Tu nas quà le mettre au Lycée, il y a longtemps que je te lai dit. »

Mme de Coantré ne se sentait nullement offensée que son petit-fils fût mis à la porte dun collège. Il ny avait guère quune vingtaine de personnes, toutes dune naissance si solide que les Coëtnempern se donnaient lélégance de les respecter, qui eussent le pouvoir doffenser Mme de Coantré. À nulle autre, elle navait donné ce pouvoir. Vis-à-vis de ces autres personnes, elle [14] était, si jose dire, comme un hippopotame vis-à-vis dun chasseur qui ne serait armé que de C 32 : dix balles frappent lhippopotame ; il ne le sent pas ; il ne sait 435même pas que cela a eu lieu. Cette position de Mme de Coantré nétait pas le fruit de léducation, dun raidissement : elle était vraiment naturelle. Quand elle disait : « Personne ne ma jamais fait de tort », elle le disait vraiment avec ingénuité. En effet, si on lui faisait un tort évident, le tort, en la touchant, cessait den être un dans son esprit, parce que le dogme était intangible, quelle était hors de portée. Ainsi lun de ses frères, officier, avait été cassé de son grade pour avoir répondu à un supérieur ; eh bien, cela se résumait pour Mme de Coantré en cette seule petite phrase triomphante : « Il lui a dit son fait. » Elle acceptait de nêtre pas ménagée, ne ménageant pas elle-même.

Le talent quavait Mme de Coantré déchapper aux torts lui était facilité par ce fait notable que, dans la famille, quand une situation acquise nétait pas ruinée par un tiers, il était dusage quon la ruinât soi-même par quelque extravagance. Jadis, un Coëtnempern, tout de même que le Marquis dAmbres, avait quitté le service pour ne pas donner du Monseigneur à Louvois. Le sens de cette belle tradition était pieusement respecté. Le feu Cte de Coantré avait été surpris de trouver un soir à sa table, hors du temps des vacances, son fils, qui [15] était interne à la « rue des Postes » (1). Cétait Mme de Coantré qui, sur lheure, sans consulter son époux, lavait retiré de cet établissement fameux, à cause dune observation faite sur son carnet de notes, qui lui avait déplu. Ce même jeune Coantré (mort aujourdhui), et fort doué, sétait fait tout jeune une brillante situation dans lindustrie : il lavait abandonnée parce que son associé avait lhaleine mauvaise et que le jeune Coantré ne parvenait plus à vaincre sa répugnance à sapprocher de lui pour lui parler. M. de Coëtnempern (celui qui rotait si bien32) avait été reçu, jeune homme, à lÉcole des Chartes, ce qui lui ouvrait un avenir détude et de dignité au lieu du désœuvrement et de la bohème où il vivait. Mais il avait renoncé aux Chartes quand on était venu sinstaller à Auteuil, parce quil ny avait pas de restaurant convenable dans les environs de lÉcole, et que cela lennuyait daller en chercher un trop loin, ou de venir déjeuner à Auteuil. Et nous ne parlons pas de la demi-douzaine de Coëtnempern, officiers, qui avaient [16] donné leur démission au moment des inventaires, ce geste ressortissant davantage au genre sublime quà la loufoquerie.

On comprendra donc quil importait assez peu aux membres de la famille Coëtnempern quun tiers leur causât un tort, assurés quils étaient que, de toutes façons… Cest pourquoi Mme de Coantré était infiniment Coëtnempern en prenant avec insouciance le renvoi dAlban : il y avait même, dans ce renvoi, quelque chose qui était si purement dans lesprit de la famille, que pour un peu elle en eût été flattée. Cet événement eût-il gêné Alban dans ses études, 436quelle nen eût pas eu cure davantage : elle avait toujours poussé Mme de Bricoule à ne pas faire passer à son fils le baccalauréat, qui ne lui servirait à rien de rien, et paraissait presque à la vieille dame une humiliation, à cause de la nécessité où serait Alban daller se faire juger « Dieu sait par qui ». Car cétait la coquetterie de ces familles, de ne pas sentir dhumiliation où il y [en] avait une, et den mettre une où il ny en avait pas. Bref, tout ce qui surnagea en Mme de Coantré, du renvoi de son petit-fils, fut que les prêtres du Parc étaient des saligauds (ce fut son expression), et que dailleurs elle nen était pas surprise.

(1) Quelques personnes ignorent peut-être que ce nom est lappellation familière de lÉcole…, où les jeunes gens bien sont chauffés à haute pression pour les examens des grandes écoles. Cette École, située autrefois à Paris, rue des Postes, est aujourdhui à Versailles.

*

On commencera par un remords de lauteur.

Mme de Coantré, quand sa fille lui annonce le renvoi dAlban, lui répond : « Cela vaut mieux ainsi. Tu nas quà le mettre au Lycée, il y a longtemps que je te lai dit. » Sauf que le texte fut dabord : « Tu nas quà le mettre chez les Jésuites, où il sera enfin avec des garçons de son milieu », qui saccordait aussi mal avec son jansénisme quavec celui de Mme de Riancey. Faure-Biguet nous le dit bien, quand il avait fallu, à la rentrée de 1910, choisir une école qui fût « en mesure de préparer solidement au bachot », on sagita ferme chez les Montherlant : « M. de Montherlant désire les Jésuites, où il a été élevé. Le “côté Riancey” de la villa Saint-Ferdinand nen veut pas ; il y a une vieille prévention contre la Société », prévention dont Faure-Biguet croyait avoir trouvé un indice dans une lettre de Montalembert sur laquelle on reviendra. « Mais il y a plus profond encore, ajoute le biographe : lautoritaire Mme de Riancey ne veut pas que, par lintermédiaire des Jésuites, M. de Montherlant prenne trop dinfluence sur son fils33. » Ce qui nous renvoie à La Marée du soir, quand Montherlant lui-même suppose que si Mme de Riancey camouflait son jansénisme, cétait « surtout à cause de son mari, de son fils, de son gendre, compagnons de sa gens, élevés chez les Jésuites, et qui ne juraient que par les Jésuites34 ». Substituer le Lycée aux Jésuites dans « Sentiments de Mme de Coantré au renvoi dAlban », ce nétait que corriger un lapsus.

Cela posé, venons-en à la figure majeure de ces pages.

Que Mme de Coantré ait eu le caractère bien trempé, on sen serait douté, et limage de lhippopotame quune décharge de carabine de jardin laisse 437insensible lui convient à merveille35. De Mme de Riancey, quil a commencé de connaître quand la famille habitait encore rue Lauriston, Faure-Biguet dira moins cavalièrement quelle en était « la personnalité la plus forte », ce que Montherlant confirmera en 1971, en la présentant comme « la personnalité la plus accusée » de la famille36. Quant à la susceptibilité que la vieille dame a héritée des Coëtnempern et quillustre si bien la « réponse » que fit lun de ses frères, officier, à un supérieur, elle fait un peu penser à la réaction de Montherlant lorsquil sétait inscrit, au début de 1915, à une « société » où il se retrouva sous les ordres dun instructeur qui nétait autre que lacteur Louis Gauthier37. Celui-ci « na du sergent que le képi, pour le reste il est habillé en civil. Les Suisses ne voulaient pas saluer le chapeau de Gessler ; Montherlant trouve que le képi de M. Gauthier ne vaut pas le salut militaire. Plusieurs fois linstructeur le rappelle à lordre. Las enfin de nobtenir pas les “marques extérieures de respect” auxquelles il a droit, il prie Montherlant de ne plus revenir. » Faure-Biguet, quand il rapporte cette anecdote, compare le réfractaire à Guillaume Tell et les siens38 ; lauteur de « Sentiments de Mme de Coantré au renvoi dAlban » avait illustré larrogance des Coëtnempern par un trait, ajouté en marge, qui vient de Saint-Simon : « Cétait, dit-il dans ses Mémoires quand il parle du marquis dAmbres, un grand homme très-bien fait, du nom de Gelas, très-brave homme, qui avait grande mine, de lesprit, beaucoup de hauteur, qui quitta le service pour ne pas écrire monseigneur à Louvois, qui ne lui pardonna jamais, ni le roi non plus39. »

Autoritaire, Mme de Coantré lest au point de retirer son fils de lécole Sainte-Geneviève40 « sans consulter son époux », mais Mme de Riancey navait pas agi autrement pour son fils. Quand Faure-Biguet évoque le renvoi de Montherlant de Sainte-Croix de Neuilly en mars 1912, il souligne que le père ne sut jamais rien « de ces drames », Mme de Montherlant ayant simplement prétendu « quelle avait retiré son fils dun collège où il y avait trop dindiscipline ». Si « le coup dÉtat » fut si facilement accepté, ajoute Faure-Biguet, cela tient sans doute au 438fait que M. de Montherlant naimait pas Sainte-Croix, mais cest aussi parce qu« il y avait un précédent dont on parlait souvent dans la famille : Mme de Riancey, autrefois, avait dautorité retiré son fils des Jésuites sans consulter son époux41 ».

Cela dit, les deux phénomènes de notre inédit : le « jeune Coantré » retiré de la « rue des Postes42 » et le Coëtnempern « reçu, jeune, à lÉcole des Chartes », nous conduiront aussi aux Célibataires, qui paraîtront en 1934.

Léon de Coantré, dans LesCélibataires, vit chichement dans un pavillon du boulevard Arago avec son oncle Élie (un Coëtquidan, sinon un Coëtnempern) et gère péniblement lhéritage de leur mère et sœur, décédée il y a tout juste six mois. Il est à peine nécessaire de rappeler que Montherlant a créé les deux bonshommes en sinspirant plus ou moins de ce quil avait connu à la villa Saint-Ferdinand, où Mme de Riancey soutenait financièrement et son frère et son fils43 ; ce quil faut en revanche souligner, ce sont les traits communs aux deux phénomènes de 1929 et aux « deux magots », tel étant leur surnom, de 1934.

Le Coantré des Garçons, « fort doué, sétait fait tout jeune une brillante situation dans lindustrie », avant dy renoncer « parce que son associé avait lhaleine mauvaise ». Léon de Coantré de même, « était un garçon doué », qui sétait associé avec un certain Levier, ex-camarade de régiment, pour monter une affaire, « un dispositif permettant lagrandissement des clichés photographiques », qui aurait dû marcher mais qui périclita par sa faute, et cest alors quil « publia quil ne pouvait plus travailler à côté de Levier, tant lhomme empoisonnait de la bouche44 ».

Quant au Coëtnempern qui, après un déménagement, « avait renoncé aux Chartes » pour des raisons que nous dirons alimentaires, il annonce un peu le Coëtquidan qui, après un déménagement là aussi, cessa « daller aux cours des Sciences politiques comme il faisait auparavant chaque jour », en arguant quil ne pouvait pas faire « une heure et demie de bus par jour45 ». Ce ne sont là que des traits épars, mais qui ajoutent à la cohésion de lœuvre, éditée ou non.

Dans lavant-propos quil rédigea en 1947 pour une éventuelle édition de son roman, Montherlant, tout en admettant que « certains personnages ou certains traits des Garçons sont inspirés de souvenirs de [s]on adolescence », 439insiste aussi sur le fait que « lœuvre nen est pas le moins du monde, pour cela, autobiographique » et que « toute identité donnée à un personnage de ce roman, toute croyance que telle scène ou telle situation ont été “effectivement ainsi” seraient […] de grossières erreurs46 », mais enfin personne ny croit vraiment, M. Raimond le premier, qui reconnaîtra sans hésiter Mme de Riancey derrière Mme de Coantré47.

On ira même plus loin. Le jeune Coantré de « Sentiments de Mme de Coantré au renvoi dAlban », qui deviendra Léon de Coantré dans Les Célibataires, nous rappelle que loncle de Montherlant avait fondé en 1899, sinon une fabrique dagrandisseurs pour la photographie, une « société automobile H. de Riancey » qui eut le temps de produire une « Riancey » avant de péricliter48.

Et cest aussi vrai, dune certaine façon, pour ces Coëtnempern « qui avaient donné leur démission au moment des inventaires ». On se souvient davoir lu chez Faure-Biguet quil y avait chez les Riancey « une vieille prévention » contre les Jésuites et quil la trouvait déjà chez larrière-grand-père maternel de Montherlant, Henry de Riancey, ce « chevalier du catholicisme » nayant pas été élève des Jésuites, ayant même été « plutôt contre eux », durant toute sa carrière politique49. Faure-Biguet a mal interprété, en loccurrence, un passage du Montalembert du R. P. Lecanuet50, mais on en retient que laïeul sétait opposé aux « Universitaires », les Victor Cousin et autres. Les Coëtnempern prenant fait et cause pour lÉglise un demi-siècle plus tard, quand éclate la Querelle des Inventaires51, sinscrivent dans la tradition Riancey. On en revient toujours au même constat : un incessant va-et-vient entre souvenirs de ladolescence et fiction. Et la figure de Mme de Coantré est à cet égard emblématique, même si elle pâlit au fil des versions.

440

En 1929, et cela se voit bien quand on parcourt lensemble des manuscrits, la vieille dame intervient très régulièrement, samusant autant que Mme de Bricoule dune toquade dAlban pour une « fille du catéchisme », se réjouissant autant quelle de lélection de son petit-fils à la présidence dune « Académie de collège », soutenant que labbé Coquelan, le directeur du collège, « a lair dun veau », prenant enfin une dimension tragique avec lÉpilogue du roman, quand Mme de Bricoule, qui sent sa fin proche, lui fait promettre « de ne laisser entrer Alban dans sa chambre <que> quand tout sera fini, quaprès quon lui [aura] mis la jugulaire, pour quil ne la v[oie] pas défigurée52 ».

« Mme de Coantré, poursuivait lauteur, vécut encore dix ans. La guerre était finie depuis quatre ans que son unique lecture était encore de(s) livres de guerre ; tout se passait comme si elle avait adoré ce cataclysme, parce quil lavait portée dans les hauteurs. […] Une semaine avant sa mort, elle disait avec défi, quand les médecins et le prêtre, quelle méprisait tous, avaient quitté la chambre : “Est-ce quon croit que je vais mourir comme ça ?”, semblant croire que cétait déchoir que mourir pour une personne de qualité. Elle non plus [pareille en cela à sa fille], durant ses dernières heures, ne dit pas un mot à Alban. On mourait sans phrases dans cette famille. »

Enfin, « quelque temps auparavant, la garde avait trouvé dans le lit de Mme de Coantré un objet dont elle ne comprenait pas lusage. Elle le montra à Alban, qui crut deviner, mais qui senquit auprès de M. de Coëtnempern. “Cest un cilice”, dit M. de Coëtnempern, les larmes lui sortant des yeux. Mme de Coantré, à soixante-dix-huit ans, portait un cilice. Mais elle avait son franc-parler sur les prêtres53 ».

Nul ne sait si Mme de Riancey tint précisément sur les prêtres de Sainte-Croix les propos que tenait Mme de Coantré sur ceux du Parc : « des saligauds », mais pour le reste, les recommandations que lui fait Mme de Bricoule, le cilice et jusquau silence qui précède sa mort, il faut rouvrir Faure-Biguet et Montherlant.

Il faut rouvrir Faure-Biguet à deux reprises : à la page où il dit que « parmi ses dernières volontés Mme de Montherlant commandait quon ne laissât pas entrer son fils dans la chambre mortuaire, avant de lui avoir mis la mentonnière54 » (ce qui, dans la version finale des Garçons, deviendra une recommandation trouvée dans les papiers de la défunte : « Que mon fils nentre pas chez moi tant que je serai ridicule avec la mentonnière, et quon laisse mes cheveux comme 441ils sont55 »), et à la page, déjà citée, où il évoque le cilice quon a trouvé dans les affaires de Mme de Riancey après son décès56.

Il faut aussi relire Montherlant. Pour le cilice, ce sera la « Note sur “Port-Royal” » de 1944 et la « Préface des “Convulsionnaires” » de 1971 quon a lues plus haut dans le même contexte « jansénisant ». Pour le silence dans le temps qui précède la mort, ce sera un court passage de Mais aimons-nous ceux que nous aimons ? : « Ma grandmère mourut et jen eus une grande peine. […] Les derniers mots quon entendit de sa bouche avaient été : “Je nai rien à dire57.” ».

En 1947, Mme de Coantré commence de seffacer, mais elle est encore citée lorsquil est question des passions amoureuses du tout jeune Alban58. En 1969, elle est, avec sa fille et les gouvernantes, de ces femmes qui ont éduqué le jeune Alban, même si lauteur ajoute quelle était « morte bientôt59 ». Elle reparaît comme une lectrice de Byron, pareille en cela à la grand-mère de Montherlant60, dans la version intégrale du roman, la différence majeure entre les versions de 1929 et 1947 et celles de 1969 et 1973 tenant au fait quen 1929 Mme de Coantré survivait dix ans à sa fille, comme Mme de Riancey avait survécu plus de huit ans à la sienne61.

« Toute identité donnée à un personnage de ce roman, toute croyance que telle scène ou telle situation ont été “effectivement ainsi” seraient […] de grossières erreurs », disait Montherlant en 1947. On ne nous en voudra pas trop davoir cédé à ce funeste penchant toutes les fois que nous avons reconnu Mme de Riancey et les siens derrière Mme de Coantré et sa famille.

Une question reste pendante : pourquoi ces « brouillons » si proches du net furent-ils en fin de compte délaissés ?

Dans le cas très précis qui nous occupe, il est clair quau fil des ans et des remaniements, le personnage de Mme de Coantré, malgré les quelques 442soubresauts que nous venons de décrire, perdit de son importance aux yeux de lauteur. À quoi bon dès lors alourdir une œuvre déjà copieuse avec des pages qui ne servaient pas directement lintrigue ? Dautres pages subiront dailleurs le même sort, qui affecteront dautres figures, mais que lauteur va parfois « récupérer » ici et là, donnant ainsi aux morceaux sacrifiés une seconde vie.

Prenons tout justement cette boîte 9 doù est issu « Nuances religieuses de la famille dAlban ».

Nous tombons presque tout de suite sur quatre pages intitulées « Deux collégiens de rhétorique62 » dont il ne restera que peu de chose dans le roman, que ce soit dans la version de 1969 ou dans celle de 1973. Sauf que, dès 1930, Montherlant les publiait telles quelles dans la revue Europe, sous le titre « Deux élèves de rhétorique », en même temps que deux autres textes de la même liasse : « M. labbé Coquelan, directeur du collège N.-D. du Parc » (nous avons vu plus haut comment Mme de Coantré le traitait) et « Une académie de collège » (celle que nous avons évoquée en parlant de Mme de Coantré), lensemble dans Europe sintitulant « Sage comme une image (Fragments dun roman abandonné)63 ».

Mieux que cela. En 1941, Montherlant donne sa bénédiction à Faure-Biguet pour que le tout paraisse dans Les Enfances sous le titre « Fragments dun roman abandonné (inspiré à Montherlant par lécole Sainte-Croix)64 ». En fait, chacun de ces morceaux connut un sort particulier : « Deux collégiens de rhétorique », on vient de le dire, se résumera à une dizaine de lignes65 ; Coquelan sera purement et simplement éliminé du roman66 ; « Une académie de collège », 443en revanche, sera maintenu, au prix certes de quelques remaniements67, mais il occupera une place de choix : en tête des Garçons.

Cela dit, le morceau essentiel, quand il sagit déliminer dun côté tout en récupérant de lautre, se trouve dans les folios 13 à 28 de la boîte 9 : seize pages intitulées « Serge Sandrier » dont on a de fortes raisons de croire quelles devaient venir en tête du roman68, jusquà ce que Montherlant décide de les éditer à part. Ce quil fait en 1948 dans une édition de luxe quil intitule tout simplement Serge Sandrier69après les avoir publiées dans Les Nouvelles littéraires du 20 février 1932 sous le titre « Scènes de la vie de foyer. Serge Sandrie ».

Ici aussi, on cherchera des raisons à ce déclassement. Serge nest-il pas ladolescent dont Alban est amoureux, ce « durus amor » valant à laîné dêtre renvoyé du collège70 ? La raison, cette fois-ci, tient probablement au fait que ces pages mettent en scène Sandrier et sa famille à lexclusion de Bricoule et des siens71. En déclassant « Serge Sandrier » au profit d« Une académie de collège », le romancier a braqué notre regard sur Alban, comme pour nous rappeler que Les Garçons sintégraient dans une trilogie intitulée La Jeunesse dAlban de Bricoule72 ; en léditant à part, il conservait le bénéfice de lavoir écrit.

Les seize pages de « Serge Sandrier » éliminées, Montherlant ne pouvait agir autrement avec les deux pages intitulées « Comte ! Comtesse ! » quon trouve dans la boîte 9 juste avant « Nuances religieuses de la famille dAlban » : même si Alban y est cité par Serge pour son titre de noblesse, la scène se passe toute chez les Sandrier73. Le « brouillon inemployable » au stylo à bille rouge 444qui va obéliser « Nuances religieuses de la famille dAlban » fit de même pour « Comte ! Comtesse ! ».

Autant daléas dans la composition qui nous rappellent que Montherlant, à qui lon a volontiers reproché les avant-propos, les postfaces, les notes dont il entourait ses œuvres, choisissait aussi, à loccasion, la demi-mesure. Que de fois, à lépoque des Olympiques, navait-il soutenu avec Hésiode que « la moitié est plus que le tout » ! Mme de Coantré entrait sans doute dans la moitié dont lauteur des Garçons jugea bon de se délester74.

1. À preuve, la façon dont est présentée la trilogie parmi les « Ouvrages de Henry de Montherlant » dans lédition Grasset des Bestiaires en 1926 : « I. Les Bestiaires, roman, 1926 (les taureaux). / II. La Ville dont le Prince est un Enfant, roman (le collège), paraîtra un jour. / III. Le Songe, roman, 1922 (la guerre) », et ce quon en lit encore en 1929 dans lédition Grasset de La petite Infante de Castille : « Les Bestiaires, roman, 1926 (les taureaux). / La Ville dont le Prince est un Enfant, roman (lamour), àparaître. / Le Songe, roman, 1922 (la guerre) ». On sait que La Ville sera finalement une pièce, dont le texte parut en 1951.

2. Savoir quelques notes « jetées sur le papier » dès 1914 ; « un brouillon de plusieurs dizaines de pages » que M. Raimond situe en 1929 ; « un ensemble de dix-sept chapitres dune vingtaine de pages chacun » qui fut « sans doute élaboré au cours des années 40 » mais que Montherlant avait mis au point en 1947 « pour le cas où il viendrait à mourir subitement » ; la dernière main enfin, entre 1965 et 1967, qui aboutit aux version de 1969 et de 1973 (voir la « Notice » aux p. 1375 et sv. du volume Romans II regroupant La Rose de sable, Les Garçons suivis de Serge Sandrier, Le Chaos et la nuit et Un assassin est mon maître qui a paru dans la « Bibliothèque de la Pléiade » en 1982). Il faut toutefois souligner que, la BnF ayant acquis les manuscrits des Garçons lors dune vente qui se fit à Drouot en novembre 2000, M. Raimond na sans doute pas travaillé sur les bases dont nous disposons maintenant. Nous-même dailleurs nous naurions pu lire ces manuscrits dans de bonnes conditions sans lautorisation expresse de M. Jean-Claude Barat, layant-droit de Montherlant, et le concours de M. Guillaume Fau, le directeur du Service des Manuscrits modernes et contemporains à la BnF ; nous leur en sommes très reconnaissant.

3. Nous avons donné dans la RHLF de mars 2018 le récit de son agonie par Montherlant lui-même. De la correspondance que le petit-fils et la grand-mère ont échangée entre 1917 et 1919, et que Pierre Sipriot publia chez Laffont, en 1982, dans le tome I de son Montherlant sans masque, on retient le plus souvent quelle écorna la réputation guerrière de lauteur du Songe, mais cette correspondance a aussi montré que lattachement de Montherlant pour sa grand-mère navait dégal que celui quelle-même lui porta. Un mot, dune lettre du 3 mars 1919, est à cet égard révélateur : « Je tai mis sur un piédestal et je ne veux pas que tu en tombes » (Pierre Sipriot, op. cit., p. 100 et Henri de Meeûs en épigraphe de son article « Marguerite (des barons) Potier de Courcy (1847-1923), grand-mère maternelle dHenry de Montherlant » sur le site www.montherlant.be).

4. On a donné le texte sans les remords mais on a signalera les points où la lecture est incertaine. Quant à lintitulé inattendu de cette liasse, il traduit les hésitations de Montherlant sur le titre à donner au roman sur le collège.

5. Ici deux lignes de points pour un développement qui manque.

6. En marge : « qui nétait pas de la race du doux », comme pour compléter : « Elle était de leur race ».

7. La page 3 (fo 45) est composée de deux demi-pages. La première va de « saisissait » à « Elle était de leur race, dabord, par ces parties profondes où lintelligence ne pénètre pas », où « dabord » est un ajout interlinéaire. La seconde demi-page, collée sur la première, commence avec « Quand elle dédaignait ». Entre les deux, on lit : « Elle létait plus encore », qui explique le « dabord » de plus haut, mais que Montherlant na pas développé. On est manifestement à un point où il avait modifié le plan de son texte.

8. Après ce « Si », une note : « page ci-contre », invite à lire la suite sur la page 3bis : « elle lisait, de M. de St Cyran… » Mais avant de retenir cet état du texte et dajouter ce « Si » qui fait le lien entre les deux pages, Montherlant avait écrit en haut de la page 3bis : « On lui avait dit que ces hommes étaient dans lerreur. / Elle létait plus encore, elle sen apercevait bientôt. Quand elle lisait », quil a soigneusement barré pour aboutir à : « Si elle lisait… », ce « Elle létait plus encore » barré rejoignant celui de la page 3 évoqué dans la note 7.

9. Le texte est amputé.

10. Dans la marge de gauche : « Elle devait communiquer ».

11. Voir Romans II, op. cit., p. 608 en note. Le passage nétant pas dans lédition de 1969, la note ny est pas non plus.

12. Le Maître de Santiago, Paris, Gallimard, 1947, p. 139-141 (Théâtre, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1972, p. 525-526). Pour une vierge noire, premier avatar de Trois Jours au Montserrat, est daté de 1929. Il a paru aux Éditions du Cadran en 1930. Le passage quon vient de lire se trouve à la p. 399 dans le vol. Essais de la Bibl. de la Pléiade (1963). On notera surtout que la note davril 1944 reprenait des paragraphes entiers dun article paru dans Comœdia le 24 juillet 1943 sous le titre « Demain il fera jour ».

13. Romans II, op. cit., p. 436. Pour tout ce qui concerne les liens entre Montherlant et Port-Royal, il faut lire, dans lordre des parutions : Montherlant du côté de Port-Royal. La pièce et ses sources de Bona Rondini (Paris, Nouvelles Éditions Debresse, 1962) ; “LAventure janséniste” dans lœuvre de Henry de Montherlant de Jacqueline Michel (Paris, A. G. Nizet, 1976) ; La dramaturgie catholique de Henry de Montherlant. La tentation du christianisme “pris au sérieux” de Michel Monnerie (Paris, Séguier, 2009, p. 229-265) ; « Le Port-Royal de Montherlant et ses sources »de Laurence Plazenet (RHLF, 2012/1, p. 179-213).

14. Sainte-Beuve, Port-Royal, Paris, L. Hachette et Cie, 1878 (4e éd.), t. I, p. 111, note 1.

15. Ibid., p. 354 et 450 respectivement.

16. Ibid., p. 505. On en retrouve lécho dans Pour une Vierge noire, à la suite des lignes que Montherlant citait en 1944. Il vient de ranger les « pénitences in extremis » parmi les étranges façons de se sauver ; il ajoute quil lui « semble que les chrétiens se font de grandes illusions » et que « si leur Dieu est le bon, il y aura des surprises, et du vide dans le ciel » (Pour une Vierge noire, op. cit., p. 56 et Trois Jours au Montserrat dans Romans II, op. cit., p. 400).

17. Ils avaient fait connaissance à Janson de Sailly en mars 1905.

18. La « veille dame », née en 1847, navait donc pas soixante ans, mais il faut tenir compte de ce que représentait une quasi-sexagénaire, perpétuellement endeuillée, pour un gamin de douze ans à peine en ce début de xxe siècle.

19. Jacques-Napoléon Faure-Biguet, Les Enfances de Montherlant (de neuf à vingt ans), Paris, Plon, 1941, p. 12-13.

20. La Marée du soir, Paris, Gallimard, 1972, p. 116.

21. Ibid., p. 108-109 passim. M. Monnerie a fait ces rapprochements entre Montherlant et Faure-Biguet dans La dramaturgie catholique de Henry de Montherlant (voir la note 13).

22. Autre allusion au passé de Mme de Riancey, dont le mari avait servi dans les zouaves pontificaux du temps où Garibaldi envahissait les États du pape. Selon Faure-Biguet, elle sétait évanouie lorsque son fiancé avait rejoint les troupes pontificales (Les Enfances de Montherlant, op. cit., p. 12). On note aussi que Coëtnempern, le nom de jeune fille de Mme de Coantré, est très proche du Coëtnempren de larrière-arrière-grand-mère de Montherlant, Agathe de Coëtnempren de Kersaint (voir à ce sujet, H. de Meeûs, Pour Montherlant, Bruxelles chez lauteur, 2011, p. 313).

23. Les Enfances de Montherlant, op. cit., p. 10.

24. Voir Les Garçons, 1969, p. 45-46 (Romans II, op. cit., p. 474).

25. Jean José Marchand, Montherlant, Paris, J-M. Place, « Archives du xxe siècle », 1980, p. 26-27 passim.

26. Les Enfances de Montherlant, op. cit., p. 11.

27. Ibid., p. 9-10.

28. Un trait assez irrévérencieux lui était cependant venu à lesprit en septembre 1938, quand il se trouva au British Museum, devant « le taureau no 1254, bas-relief de la décoration de la scène au théâtre dÉphèse ». Il lui semble alors que le taureau « ressemble à [s]on père » : « Même œil rond et caverneux et même parti du nez » (Carnet XXXV, Essais, op. cit., p. 1264).

29. J. J. Marchand, op. cit., p. 25. Dans Tous Feux éteints, Montherlant résumera les choses comme suit : « De mes parents et proches parents avec qui je cohabitais durant plus dun quart de siècle, mon père et ma grand-mère maternelle étaient les seuls à être catholiques fervents ; les autres, plus ou moins superficiels » (op. cit., Paris, Gallimard, 1975, p. 141, parmi les « Carnets sans dates et Carnets 1972 »). Pour Manrèse, qui existe depuis 1877, on rappelle quil est « le Centre spirituel jésuite en Île de France », et quil est situé à Clamart, sur le diocèse de Nanterre.

30. Voir la note 12 pour les références. La version de Pour une Vierge noire se lit à la p. 399 du volume Essais de la « Bibliothèque de la Pléiade » dans Trois Jours au Montserrat. On comprend le sous-titre que M. Monnerie a donné à son livre : La tentation du christianisme “pris au sérieux”.

31. Le dernier mot de cet ajout au crayon : « un peu remise… », est dune lecture incertaine.

32. Rappel, semble-t-il, dun trait déjà noté dont on na pas trouvé trace dans les manuscrits des Garçons. On relève en tout cas ceci : « Il y avait là le vieux pli Coënempern, dont nous parlerons plus tard », sur le fo 373 de la boîte 9, dans un ajout à lexposé des raisons pour lesquelles Alban nétait pas vraiment affecté par son renvoi.

33. Les Enfances de Montherlant, op. cit., p. 62-63.

34. Voir plus haut dans le texte.

35. Le calibre 32 est utilisé pour la destruction des « nuisibles », pies, rats et autres. Des chasses aux rats furent en leur temps organisées dans le jardin du 106 rue Lauriston, où la gens Montherlant a vécu jusquen mars 1907, et le jeune Henry en fit dhomériques descriptions où il décalquait des scènes de cirque de Quo Vadis dans ses lettres de lété 1906 à Faure-Biguet (Les Enfances de Montherlant, op. cit., p. 25-27). Les chasses de la rue Lauriston se faisaient avec un ratier, mais la carabine de jardin était dusage courant dans ce genre de situation.

36. Ibid., p. 11 et J. J. Marchand, op. cit., p. 26, respectivement.

37. Gauthier (1864-1946) ne fut pas quacteur, il fut aussi le directeur de lhygiène à la Fédération nationale des sociétés déducation physique de France. Doù ses fonctions dinstructeur.

38. Les Enfances de Montherlant, op. cit., p. 155.

39. Saint-Simon, Mémoires, tome 34, chap. 558, Paris, H.-L. Delhoye, 1840, p. 242. Pour se soustraire à lobligation dappeler monseigneur un secrétaire dÉtat, ce quétait Louvois, il fallait être prince, duc ou maréchal de France, ce que dAmbres nétait pas.

40. Qui était le vrai nom de lécole de la rue des Postes. La Ginette, comme on lappelle familièrement, avait été fondée en 1854. Son siège fut dabord au 18 de la rue Lhomond du temps que celle-ci sappelait rue des Postes. Cest en 1913 quelle migra à Versailles.

41. Les Enfances de Montherlant, op. cit., p. 91. On aura noté la concordance des formules : « sans consulter son époux » chez Faure-Biguet comme dans notre texte, où ces quatre mots sont dailleurs un ajout postérieur au premier jet.

42. Dans Les Garçons, Linsbourg, ex-camarade de Bricoule, lui dira lorsquils se retrouveront par une belle nuit de mai 1914 : « Je suis bouclé aux Postes », et Montherlant ajoutera une note toute pareille à celle quon a lue dans « Sentiments de Mme de Coantré au renvoi dAlban » : « Collège dirigé par les jésuites, à Paris, rue des Postes. On y préparait aux grandes écoles. Fréquenté par toute laristocratie » (Romans II, op. cit., p. 783).

43. Nous renverrons ici à la p. 188 de « Trois inédits de Montherlant (I) » paru dans la RHLF de mars 2018.

44. Les Célibataires, Romans I, op. cit., p. 756.

45. Ibid., p. 761.

46. Voir Romans II, op. cit., p. 1399.

47. Ibid., p. 1396.

48. On lit ceci sur le site France Archives – Portail national des Archives : « Société des Automobiles de Henry de Riancey ou “Moteurs H de Riancey” [appartenant à Henry Joseph Marie Pie Camusat de Riancey, constructeur, demeurant à Paris, 18 rue Duphot], 1899 : dépôt de pièces de publication, 1899 ; dépôt au greffe de lacte de formation de la société anonyme des Automobiles H de Riancey, Moteurs H de Riancey et Gévin, 26 juin 1899 ; statuts, 1899 », tandis que sur le site du Royal Veteran Car Club Belgium, on apprend que la firme belge Snoeck, installée à Ensival-lez-Verviers et spécialisée dans la fabrication de machines textiles, ayant décidé de se lancer dans laventure automobile entre 1899 et 1905, obtint à lépoque « lexclusivité de la vente en Belgique des voitures construites à Levallois-Perret par le comte Henri de Riancey ». La Riancey était un « véhicule deux places à roues avant motrices, équipé dun moteur de 2,5 cv, à deux cylindres horizontaux opposés et refroidis par ailettes, la direction se faisant par barre franche et pivot central ».

49. Les Enfances de Montherlant, op. cit., p. 63. Dès la p. 9, il est présenté comme le « champion de la monarchie et de la religion ».

50. On ne refera pas la démonstration quon a faite dans « Les mystères de la Lettre sur le serviteur châtié de Henry de Montherlant », Les Lettres romanes, 69, no 1-2, 2015, p. 197 et notes 25 et 26.

51. La Querelle surgit à la suite de la Loi de séparation des Églises et de lÉtat de 1905 qui prévoyait linventaire des biens des Églises, notamment de lÉglise catholique. Des troubles éclatèrent ici et là, notamment en Bretagne, le « pays » des Coëtnempern comme des Riancey.

52. Fo 481 dans la boîte 9 et Romans II, op. cit., p. 1394.

53. Fo 483 dans la boîte 9 et Romans II, op. cit., p. 1395. M. Raimond a eu raison de lire « son unique lecture était encore des livres de guerre » : Montherlant, qui avait dabord écrit : « …quelle ne se nourrissait encore que de livres de guerre », a modifié son texte mais en oubliant dajouter une s à de. En revanche, on croit pouvoir lire sans hésiter Coëtnempern à deux reprises.

54. Les Enfances de Montherlant, op. cit., p. 164.

55. Romans II, op. cit., p. 817 (p. 346 dans la version de 1969). À rapprocher de ce quon lit sur un feuillet de La Vie en forme de proue, le roman prévu pour 1919 mais avorté que la BnF conserve dans la boîte 15 des NAF 28165 du fonds Montherlant : « Elle avait dit : Je ne veux pas que mon fils soit là pendant assiste à mon agonie. Je ne veux pas quil me voie ridicule. Ce sera bien assez quil me voie soit là pendant la veillée mortuaire, avec qud jaurai une mentonnière et des mouches sur ma figure. »

56. Les Enfances de Montherlant, op. cit., p. 13 et plus haut dans notre texte, p. 431.

57. Que Montherlant commente comme suit : « Cest ce quon dit quand on en aurait trop à dire » (Mais aimons-nous ceux que nous aimons ?, op. cit., p. 113).

58. Et avec les mêmes mots quen 1929 : « Mme de Bricoule et la grand-mère dAlban, Mme de Coantré, furent au courant de “la fille”, et sen amusèrent beaucoup » (voir Romans II, op. cit., p. 1441 et fo 56 de la section « Manuscrit de 1947 » dans la boîte 10).

59. Voir p. 45 dans la version de 1969 et Romans II, op. cit., p. 473 pour la version de 1973.

60. De qui Faure-Biguet rapporte quelle avait, jeune fille, un Byron sous son traversin » (Les Enfances de Montherlant, op. cit., p. 11-12)

61. Le « dix » du manuscrit a remplacé un mot biffé illisible.

62. « Deux collégiens de rhétorique » était surmonté dun autre titre au crayon : « De Menvielle » (car Montherlant, à lépoque, maintenait la particule dans tous les cas), qui fut barré, ledit Menvielle étant appelé à céder finalement sa place à Linsbourg.

63. Voir les pages 164 à 171 du no 94 du 15 octobre 1930. Sil faut entrer dans les détails (mais ces détails donnent la mesure des hésitations de lécrivain), on note que, lors de la parution des Bestiaires en 1926, sur la page détaillant les « Ouvrages de Henry de Montherlant », Sage comme une image était présenté comme un roman en préparation, avec la mention « (lamour) », mais quil ne devait pas concurrencer les futurs Garçons, la trilogie La Jeunesse dAlban de Bricoule étant, on la déjà dit, présentée comme suit : « I. Les Bestiaires, roman, 1926 (les taureaux). / II. La Ville dont le prince est un enfant, roman (le collège), paraîtra un jour. […] / III. Le Songe, roman, 1922 (la guerre). » (Grasset, 1926, p. 4). Les choses prendront une autre tournure en 1929 quand paraîtra La petite Infante de Castille : Sage comme une image aura disparu et il aura cédé son identité : « lamour » à La Ville, toujours « à paraître ».

64. Les trois textes y figurent aux pages 217 à 227, Sainte-Croix, où Montherlant fut de janvier 1911 à mars 1912, étant léquivalent du collège Notre-Dame du Parc de la fiction.

65. On trouvera ce reliquat aux pages 63-64 de lédition de 1969 du roman et Romans II, op. cit., p. 491-492.

66. Il en ira de même pour certain abbé Pestour, qui surgit ici et là, furtivement, dans les manuscrits des Garçons et qui pour les lecteurs du Songe est une vieille connaissance : directeur de conscience dAlban dans les premières versions du Songe (cest même à ce titre quil est cité en 1940 dans Paysage des “Olympiques”), Pestour disparaît des versions ultérieures. Il y aurait du reste un parallèle à faire entre toutes ces « escamotades ».

67. Il faudrait reprendre les deux versions d« Une académie de collège » pour bien montrer en quoi consistèrent ces remaniements. Disons, pour faire bref, que labbé de Pradts, figure centrale du roman comme de la pièce parente La Ville dont le prince est un enfant, et qui joue dans la première version un rôle essentiel, est éliminé de la version définitive parce que son apparition dans le récit à ce moment-là aurait été prématurée : son heure viendra plus tard.

68. On ne peut que suivre M. Raimond sur ce terrain.

69. Ce fut chez Gilbert Droin avec des illustrations de Mariette Lydis. Aux pages que nous venons dévoquer, Montherlant avait adjoint trois courts extraits de ses futurs Garçons où Sandrier, par la force des choses, est omniprésent. Notons au passage que Serge finira par sappeler Souplier, comme dans La Ville dont le prince est un enfant, où il sétait dabord appelé Soubrier. Voici dailleurs ce quon lit à ce propos dans lédition de 1958 du Théâtre dans lédition de la « Bibliothèque de la Pléiade », p. 851 : « Certains pourront rêver, sils en ont le goût, que Serge Soubrier est un petit cousin de Dominique Soubrier », ladite Dominique étant lhéroïne du Songe. Une parenté qui sétait amorcée dès 1929 : Alban « connut […] longtemps plus tard, lit-on sur le fo 463 de la boîte 9, une admirable fille, Dominique Soubrier, qui peut-être ne se fixa dabord en lui que parce que son nom avait une telle consonance avec celui de Serge » (Romans II, op. cit., p. 1388).

70. Cétait, transposée, la passion du collégien Montherlant pour un de ses condisciples, Philippe Giquel.

71. Sur le manuscrit, « Serge Sandrier » est suivi dune ébauche de sous-titre barrée : « (Scènes de la vie ». Un autre titre fut ajouté au crayon, avant dêtre à son tour barré : « Scène Serge et sa mère », qui est en effet le thème essentiel de ces seize pages.

72. Dans LeSonge comme dans LesBestiaires, Alban apparaît dès les premières lignes.

73. Nous avons édité et commenté « Comte ! Comtesse ! » sur le site www.montherlant.be (voir le no 150 de la rubrique « Articles »).

74. Reprendre tous les passages inemployés des boîtes 9 et 10 nous aurait conduit fort loin, loin en tout cas de notre grand-mère, mais sil est un blanc considérable dans Les Garçons tels que Montherlant les publia, cest bien celui quaurait dû, quaurait pu combler le texte des folios 657 à 726 de la boîte 10. La dernière chemise de la boîte 10 porte un titre qui intrigue : « Montherlant / Les Garçons / Inédits », suivi dun second titre quon doit à une main avisée : « Chapitres xvii et xviiiInédits des “Garçons” – Texte qui devait correspondre au chapitre xx de la “Bibliothèque de la Pléiade” (Très peu didentique) ». Ledit chapitre xx dans lédition de la « Bibliothèque de la Pléiade » sintitule « La nuit de mai dAlban et de Linsbourg (27 mai 1914) ». Bricoule et Linsbourg, amis et rivaux à Notre-Dame du Parc, en ont été exclus pour les mêmes raisons, Linsbourg quelque temps après Bricoule, mais le hasard les fait se retrouver dans une réunion mondaine. Ils quittent la réunion et vont rôder du côté de lancien Parc, ravivant leurs souvenirs communs. Les chapitres « inédits », qui datent selon toute apparence de 1955 et suggèrent par là même une cinquième « couche rédactionnelle », font se rencontrer Bricoule et Menvielle, celui que remplacera Linsbourg dans les dernières versions du roman, et il ny est pratiquement question, par le fait de Menvielle dailleurs, que de pédérastie, à un point tel que Bricoule en est agacé. M. Raimond a bien montré que la version de 1969 des Garçons était une version expurgée par la volonté de Montherlant (voir Romans II, op. cit., p. 1410). Sil avait eu connaissance de ces chapitres que nous dirons sulfureux, il naurait pas manqué de les signaler, dautant plus que la version manuscrite est accompagnée de son dactylogramme dûment revu par lauteur. Nous ne renonçons pas, quant à nous, à lidée de les publier un jour comme les témoins de la censure renforcée que Montherlant exerça sur son roman.