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Classiques Garnier

Les Illuminations de Rimbaud « à tous les airs » Avant-propos

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Revue d'Histoire littéraire de la France
    1 – 2022, 122e année, n° 1
    . varia
  • Auteur : Cavallaro (Adrien)
  • Pages : 5 à 12
  • Revue : Revue d'Histoire littéraire de la France
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406128229
  • ISBN : 978-2-406-12822-9
  • ISSN : 2105-2689
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12822-9.p.0005
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 16/02/2022
  • Périodicité : Trimestrielle
  • Langue : Français
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Les Illuminations de Rimbaud
« à tous les airs »

Avant-propos

Adrien Cavallaro1

À considérer le massif que composent les éditions et les ouvrages critiques dévolus aux Illuminations, on pourrait songer, avec quelque impatience, aux deux premières phrases de « Départ » : « Assez vu. La vision sest rencontrée à tous les airs2. » Fascinée par ses singularités, toute une branche de la réception a vu dans les Illuminations, pour reprendre la formule dun texte fondateur de Félix Fénéon, une « œuvre […] hors de toute littérature3 », fruit dun esprit visionnaire, et qui serait à elle-même son propre genre. Si lheure nest plus, sans doute, à de telles conceptions, on ne lit guère comme elles lexigent ces Illuminations depuis LArt de Rimbaud de Michel Murat, qui leur consacrait en 2002 une partie importante4. Avec Rimbaud pourtant, nous nous trouvons face à un poète du xxe siècle, autant que du xixe siècle (assumons le paradoxe) – face à une trajectoire et une œuvre qui nont pas simple valeur exemplaire, mais dont certains schémas narratifs, certaines formules, la légende aussi sont les réservoirs dune façon de penser la poésie que lon appelle moderne. 6Ouvrir les Illuminations, ce nest donc pas seulement se mettre à lécoute de ces poèmes composés plus dune dizaine dannées avant lessentiel de leur première publication dans La Vogue, en mai-juin 1886 ; cest envisager un temps beaucoup plus long, qui engage le devenir même de notre histoire poétique. Leur perception critique, autant que le dialogue que nourrissent avec elles nombre de poètes du xxe siècle – citons Claudel, Fargue, Segalen, Reverdy, Max Jacob, Aragon, Breton, Éluard, Char, Dupin, Bonnefoy –, est de première importance5. On aurait pu choisir dapprofondir ici cette voie de la réception des Illuminations : entendons par là, encourager non pas les études qui auraient décrit à quel type de lectures, éventuellement subdivisées en catégories (poétique, politique, etc.), se sont livrés critiques et écrivains au cours du xxe siècle, mais qui auraient éclairé par quels chemins et dans quels cadres ils se sont emparés des options esthétiques du recueil6, dans quels discours ils ont convoqué celui-ci, et ce quen retour ces pratiques nous invitent à repenser de notre approche des poèmes en prose rimbaldiens7.

Il ma pourtant semblé que le purgatoire – relatif – où les Illuminations ont été reléguées pouvait faire entrave à une telle entreprise, et quune considération substantielle de la réception de lœuvre impliquait avant tout de reprendre de celle-ci la lecture la plus directement attentive. Les études rassemblées dans ce dossier voudraient ainsi semployer à livrer à nouveau les Illuminations « à tous les airs » critiques, pour conjurer une impression de saturation que laccumulation des gloses a pu fallacieusement produire. À la vérité, les ferments de cette impression sont tardifs, et tiennent davantage à un effet déclatement quà une saturation réelle du discours critique. Ils accompagnent un renversement complet de perspective, des heures de sacralisation de la « poésie difficile8 » à la constitution véritable du champ critique universitaire, au cours de la seconde moitié du xxe siècle, puis à son renouvellement, en 7particulier dans les années 1980 et 19909. 1949 fut lannée dun basculement : cinq ans avant le centenaire de la naissance du poète de Charleville, deux événements allaient en effet favoriser un passage de témoin entre la critique décrivain et la critique universitaire. Henry de Bouillane de Lacoste soutint alors une thèse importante sur le « problème des Illuminations10 » qui avançait, sur le fondement détudes graphologiques et de témoignages de Verlaine, que les poèmes en prose de Rimbaud étaient postérieurs à Une saison en enfer, contestant frontalement une chronologie fictive du parcours littéraire fixée depuis les Œuvres éditées par Delahaye et Berrichon en 189811. Au même moment éclatait laffaire de La Chasse spirituelle12, la plus fameuse des querelles de lhistoire du rimbaldisme : en réaction à ce faux publié au Mercure de France, derrière lequel se trouvaient Nicolas Bataille et Akakia-Viala (Marie-Antoinette Allévy), André Breton donnait avec Flagrant délit. Rimbaud devant la conjuration de limposture et du truquage (Thésée) un essai qui, après les cibles compromises par la publication, prenait à partie Henry de Bouillane de Lacoste. Sans contester le changement de perspective scientifique auquel luniversitaire conviait les lecteurs, et que lon a par la suite infléchi et étoffé13, Breton incriminait avec brio létroitesse de cet examen des manuscrits, sourd à tout discours interprétatif amoureux sur la « poésie difficile » : « son auteur na jamais été en communication profonde avec Rimbaud, […] il nest pas de ceux qui aiment Rimbaud et en sauront toujours davantage sur Rimbaud que ceux qui déchiffrent son message au 8moyen dune loupe14. » La critique décrivain, qui a fait le rimbaldisme de la première moitié du xxe siècle dans ce quil a de plus substantiel, allait toutefois rendre les armes devant la critique universitaire, qui semploierait, au cours des décennies suivantes, à linstigation dÉtiemble notamment15, à comprendre autrement les Illuminations. Il faut souligner que ce conflit entre deux approches, lune amoureuse, lautre scientifique, est favorisé par ce que lon appelle souvent, dun terme qui néchappe pas à une tradition dannexions ésotériques16, lhermétisme des Illuminations : pour ceux qui se rangeraient à linvitation de Segalen à ne pas « comprendre17 », prime la puissance déblouissement des « merveilleuses images » du recueil ; pour les autres, un besoin délucidation méticuleux lemporte, qui, de concert avec la difficulté pour ainsi dire proverbiale des poèmes, tient aussi à des facteurs matériels bien particuliers.

Face aux Illuminations en effet, où trouver une « main amie18 », en dehors des poèmes ? Grand lecteur, Rimbaud ne nous a pas laissé dœuvre critique, à la différence de Baudelaire ou de Mallarmé. Sa réflexion sur la poésie se concentre surtout dans des lettres fameuses auxquelles on a voulu prêter une cohérence et des propriétés qui ne relevaient ni du type de discours quelles endossaient, ni de la famille desprit où lintelligence dun tel poète prend rang. Dans Une saison en enfer, « Alchimie du verbe » porte dans la fiction dun récit de crise cette réflexion, avec toutes les implications quun tel espace peut avoir sur lusage de la première personne, toutes les libertés quil autorise. Il y a une forme de tyrannie de la glose, qui, pour des raisons matérielles (les lacunes du corpus), pour des raisons qui relèvent aussi de la puissance assertive dun certain nombre dénoncés dont lœuvre est émaillée, nous enjoint duser, pour aborder Rimbaud, dinstruments dont nous connaissons les limites : formules frappantes, rapprochements internes au risque dun textualisme trop strict, entre autres. Sagissant des Illuminations, nous navons pas même lassurance dun titre (il ny a cependant pas de raison de douter de ce que nous en dit Verlaine), encore moins dune indication générique ou formelle de la main de lauteur. La correspondance et les textes dont nous disposons ne portent aucune trace certaine de ces poèmes qui nous prennent sans ménagement aux rets de leurs virtuosités syntaxiques, et de ce 9que nous pouvons déduire des intertextes auxquels ponctuellement ils nous renvoient, des conceptions éthiques, philosophiques, esthétiques, sociales, historiques quils brassent sans que jamais nous puissions nous trouver fondés à en faire système. À défaut de présenter une contrainte imprescriptible, la difficulté que soulèvent ces lacunes encourage assurément le repli des explorations critiques dans lespace singulier des poèmes, et suscite une forme démiettement interprétatif.

Autant que lexigence des Illuminations, cette caractéristique explique que la période la plus féconde de renouvellement de lapproche du recueil, des années 1980 au tout début des années 2000, coïncide avec un âge dor des « lectures » et des « études », dont lédition critique de Pierre Brunel donne un foisonnant aperçu19. Cest ici quil faut préciser lambition de ce dossier. Pour brillantes et utiles quelles aient été et demeurent, ces « études » ont occulté un mode dexploration global du recueil, coupé de sa réception, coupé souvent de son temps20. Étonnamment rares sont, à léchelle darticles, les examens densemble des questions qui ont pourtant agité les meilleurs lecteurs de Rimbaud : genre, traitement de la représentation, place du sujet ou encore pensée à lœuvre dans les poèmes. Steve Murphy en a fait le constat, avec netteté, dans lun des articles les plus suggestifs de Stratégies de Rimbaud, présentant deux écoles critiques, dont le présent dossier voudrait contribuer à dissiper les antagonismes21. Sans entrer dans le détail de ces débats, rappelons quils se structurent autour de la possibilité même de donner des Illuminations des lectures densemble, fondées notamment sur des rapprochements thématiques ou « autotextuels », qui se heurteraient le plus souvent à la clôture apparente et à la singularité des poèmes. Prêter à cette singularité un caractère irréductible nourrit toutefois, à divers degrés, un scénario critique qui alimente la croyance en une vocation autotélique des Illuminations, et quil conviendrait de situer dans un contexte de réception spécifique. Linterrogation dun tel mode dexploration – mais non sa reconduction – serait féconde, mais elle appartient au domaine des études de réception. Retour aux textes donc, pour un nouveau départ, « à tous les airs » critiques.

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En privilégiant ici les approches transversales des Illuminations, on a tenté, non pas de « releve[r] les Déluges » de linterprétation, mais plus modestement de prendre un peu de champ par rapport au régime des « études », et doffrir aux lecteurs une vue aussi surplombante que possible du recueil. Conjurer la dispersion, voire la dilution des grandes questions que pose celui-ci, trancher dans le même temps quelques nœuds gordiens traditionnels, en particulier celui qui sest consolidé autour de lalternative entre explorations linguistiques et explorations historiques : telles sont les ambitions des articles réunis dans ces « Illuminations de Rimbaud “à tous les airs” ».

Trois lignes de force, entrecroisées, sen dégagent : le monde, le sujet, la pensée – ce que montrent les Illuminations, le « je » qui sy construit et sy réinvente, ce quelles pensent, et selon quelles modalités. Olivier Bivort, Virginie Yvernault et Andrea Schellino explorent chacun le premier pôle. Dans son titre, « Représenter lirreprésentable », Olivier Bivort fait surgir un paradoxe qui touche dans les poèmes descriptifs des Illuminations au traitement de la mimésis : le problème, central, a occupé tout un pan de la réception attaché à comprendre ce que, bien longtemps, lon a voulu aborder à lenseigne exclusive des visions hallucinées et autres fulgurances22, suivant un mécanisme, courant, de confusion entre certains termes et motifs traversant le recueil, et lart du poète. Bien au contraire, lauteur souligne que ce caractère visionnaire est ancré dans des cadres rhétoriques nettement circonscrits et que les Illuminations ne se défient nullement du réel : le lecteur peut perdre ses repères, les espaces, excéder les possibilités mentales de la figuration, un monde simpose dans son évidence, légitimé par un processus de concrétisation « des sensations et des perceptions du poète ».

Virginie Yvernault sempare de cette question de l« irreprésentable » en examinant la passion théâtrale des Illuminations : les effets de spectacle produits par un « poète-machiniste » qui se joue de lillusionnisme sont à comprendre à laune des évolutions majeures que connaissent les industries du spectacle dans le dernier tiers du xixe siècle, et dont témoignent en particulier lopéra-comique et la féerie. La dynamique spectaculaire nourrit une approche esthétique, large, de poèmes comme « Bottom », « Antique », « Fête dhiver », « Royauté », « Parade » ou encore « Fairy », qui font apparaître lacuité de la culture dramatique de Rimbaud.

La multiplication des effets de saturation de lespace, qui caractérise pour partie le monde spectaculaire des Illuminations, communique avec cette « passion rimbaldienne de la totalité23 » quen des pages éblouissantes Jean-Pierre 11Richard avait jadis analysée. Reprenant à son compte le « superlativisme des Illuminations », Andrea Schellino en examine les moyens. Si le « style superlatif » de Rimbaud, qui remodèle les êtres et les choses, le temps et lespace, les sentiments et les idées, participe assurément dune torsion généralisée de la perception de ce « monde » invoqué dans « Génie24 », ses enjeux sont à la fois linguistiques et existentiels : la pression hyperbolique à lœuvre dans nombre de poèmes alimente une « auto-ironie », toujours près de démasquer les ruses dune rhétorique exhibée à plaisir.

Le pôle du sujet, on le voit, est en réalité inséparable des divers modes de manifestation et de constitution du monde, dans les Illuminations. On a remarqué que le « je », si présent dans le recueil, différait du « je » dUne saison en enfer en raison même de ce qui sépare, sur un plan générique, deux traitements bien différents de la prose. Naturellement, on ne saurait en conclure quaucun substrat empirique ne vienne nourrir ses avatars, ni que les projections de la subjectivité à lœuvre dans les Illuminations ne partagent avec celles du « carnet de damné » un ensemble de traits communs, ainsi quy insiste Yoshikazu Nakaji. De lune à lautre des représentations du sujet, dans ces figurations qui semblent toujours nous souffler à loreille « – Je suis caché et je ne le suis pas25 », se noue un rapport profond à la création : le triptyque « enfant, artiste, Génie » se donne à voir dans les suites dites autobiographiques (« Enfance », « Vies », « Jeunesse »), et jusque dans un poème comme « Génie », dont lauteur se propose ici dapprécier la part subjective.

Seth Whidden et Henri Scepi abordent de leur côté le pôle sensoriel de linscription du sujet dans le monde. Pour le premier, cest la conjonction de la vue et de louïe, au principe de toute poésie, que redéfinit Rimbaud. L« enharmonie » de la lettre du 16 avril 1874, par les échos quelle peut trouver dans un poème comme « Matinée divresse », par lactualisation que lui donnent les « Phrases » surtout, lui paraît propre à assumer au cœur de la langue une fonction de rupture, par ailleurs si souvent thématisée dans le recueil. Henri Scepi choisit sous ce rapport un poème emblématique de la rupture, « Après le Déluge », non seulement pour en éclairer les « points de résistance », mais, de façon bien plus large, pour faire de ce poème auquel la tradition éditoriale confère un rôle douverture, à la fois un bréviaire du lecteur des Illuminations, renfermant un pacte herméneutique implicitement scellé, et la caisse de résonance dune rencontre du visible et de lintelligible, dans le sillage de la tradition diluvienne du premier romantisme, celui de Vigny.

Aborder les Illuminations à laune de visions et de fulgurances idiosyncrasiques na pas simplement occulté, pendant longtemps, un questionnement substantiel du statut de la représentation ; cétait aussi plonger dans lombre 12la pensée à lœuvre dans le poème en prose rimbaldien. Encore convient-il denvisager deux branches en ce domaine : les idées qui circulent dans le recueil et leur mode de manifestation. De la première, Jean-Luc Steinmetz donne un exemple quil situe lui-même dans lhistoire du rimbaldisme : à près dun demi-siècle de distance, lauteur revient sur lune des grandes approches idéologiques – en loccurrence, marxiste – du recueil. Façon de mettre en perspective un moment de la réception des Illuminations, où la circulation à bride abattue entre les poèmes et les formules était mise au service dun éclaircissement sociologique du projet de Rimbaud.

En étudiant une « physique des idées », je me suis attaché à définir les contours dune approche poétique de la pensée dans les Illuminations, considérant, un peu à la manière dont le locuteur de « Nuit de lenfer » constate que « lenfer est certainement en bas – et le ciel en haut26 », que les poèmes en prose de Rimbaud étaient des poèmes et que la pensée sy exerçait par des voies spécifiques. Lexamen de quelques figurations physiques du « monde de lesprit » (« Jeunesse I. Dimanche ») et dun mouvement des idées affectant en particulier les énoncés idéologiques des Illuminations se voudrait un préalable à lapproche de la pensée politique, historique, philosophique, mouvante, qui sous-tend la « confrontation », pour emprunter un mot de Mallarmé, des poèmes avec le « monde moderne » (« LImpossible27 »). Steve Murphy en propose une exploration en conclusion de ce dossier, abordant la délicate question de lutopie des Illuminations, sous la bannière de la « prose davenirs possibles ». Ce sont ces « avenirs possibles » quorchestrent les espaces urbains, en particulier ceux des « Villes », et qui se trouvent au cœur dun poème en clair-obscur comme « Mouvement » : à la « physique des idées » peut ainsi faire pendant une « théorie du mouvement », qui pose les fondations, sous les feux multipliés de la rampe historique, dun questionnement philosophique et politique essentiel à léchelle des Illuminations.

1. Université Grenoble Alpes (Litt&Arts).

2. Illuminations, Œuvres complètes, éd. A. Guyaux, collab. A. Cervoni, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2009, p. 296.

3. Félix Fénéon, « Les Illuminations dArthur Rimbaud », Le Symboliste, no 1, 7-14 octobre 1886.

4. LArt de Rimbaud [2002], Paris, J. Corti, « Les Essais », 2013, p. 190-329. Signalons toutefois louvrage de Bruno Claisse qui a rassemblé en 2012 une série détudes dans Les « Illuminations » et laccession au réel (Paris, Classiques Garnier, « Études rimbaldiennes »), dont la grille de lecture métaphysique plonge dans lombre, de façon regrettable, des aperçus çà et là éclairants. Voir sur ces questions métacritiques Adrien Cavallaro, « Illuminations [Herméneutique et poétique] », dans Dictionnaire Rimbaud, A. Cavallaro, Y. Frémy et A. Vaillant (dir.), Paris, Classiques Garnier, « Dictionnaires et synthèses », 2021, p. 363-367.

5. On parlera ici de dialogue poétique, assumant notamment tous les régimes de lallusion, dans des cadres formels divers, plutôt que dune postérité strictement conçue, qui poserait un ensemble de questions délicates.

6. Parler de recueil pour les Illuminations ne va pas de soi, comme on sait, en raison dune genèse éditoriale heurtée. Il ne faut pas, toutefois, sexagérer la particularité des Illuminations à cet égard : rappelons que près de Rimbaud, Le Spleen de Paris est une fiction éditoriale, comme y insistent Aurélia Cervoni et Andrea Schellino dans leur édition (Paris, Flammarion, « GF », 2017, p. 28-33). Que la critique sen soit moins préoccupée est lun des signes, interprétables à léchelle du rimbaldisme, du statut « hors de toute littérature » longtemps conféré aux poèmes en prose de Rimbaud.

7. Une saison en enfer, Œuvres complètes, éd. cit., p. 246. Voir, pour le versant critique dune telle investigation, Adrien Cavallaro, Rimbaud et le rimbaldisme. xixe-xxe siècles, Paris, Hermann, « Savoir Lettres », 2019. Lapproche du devenir des Illuminations dans la poésie du xxe siècle appellerait, elle, une étude distincte de celle dUne saison en enfer, pour des raisons qui tiennent à lapproche densemble du corpus rimbaldien par les écrivains, dès la fin du xixe siècle, et à limportance narrative dévolue à Une saison en enfer.

8. Cest dans cette catégorie, ironique, que Gracq range implicitement lœuvre de Rimbaud dans Un beau ténébreux, en 1945 (Œuvres complètes, éd. B. Boie, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1989, t. I, p. 107).

9. Citons, pour les Illuminations, et dans des registres très divers, les travaux dAndré Guyaux, qui ont renouvelé lapproche des manuscrits (Poétique du fragment. Essai sur les « Illuminations » de Rimbaud, Neuchâtel, À la Baconnière, « Langages », 1985 ; édition critique des Illuminations, Neuchâtel, À la Baconnière, « Langages », 1985) ; dAntoine Fongaro (Sur Rimbaud. – Lire « Illuminations », Toulouse, Presses universitaires du Mirail-Toulouse, « Les cahiers de Littératures », 1985) ; dAntoine Raybaud (Fabrique d« Illuminations », Paris, Éditions du Seuil, 1989) ; de Claude Zissmann (Ce que révèle le manuscrit des « Illuminations », Paris, Le Bossu Bitor, 1989) ; de Bruno Claisse (Rimbaud ou « le dégagement rêvé », Charleville-Mézières, Musée-Bibliothèque Arthur Rimbaud, « Bibliothèque sauvage », 1990) ; dAlbert Henry (Contributions à la lecture de Rimbaud, Bruxelles, Académie royale de Belgique, « Mémoire de la Classe des Lettres », 1998) ; de Sergio Sacchi (Études sur les « Illuminations » de Rimbaud, éd. O. Bivort, A. Guyaux et M. Matucci, Paris, Presses de lUniversité Paris-Sorbonne, « Mémoire de la critique », 2002) ; ainsi que lensemble des articles quOlivier Bivort a consacrés à la langue des Illuminations (voir par exemple « Pour une lecture “textuelle” des Illuminations », dans Rimbaud. Le poème en prose et la traduction poétique, éd. S. Sacchi, Tübingen, Gunter Narr, « Études littéraires françaises », 1988, p. 39-49).

10. Henry de Bouillane de Lacoste, Rimbaud et le problème des « Illuminations », Paris, Mercure de France, 1949.

11. Œuvres de Jean-Arthur Rimbaud, éd. P. Berrichon et E. Delahaye, Paris, Mercure de France, 1898.

12. Voir Bruce Morrissette, La Bataille Rimbaud.Laffaire de « La Chasse spirituelle » [1956], trad. J. Barré, Paris, Nizet, 1959 ; et Jean-Jacques Lefrère, postface à La Chasse spirituelle, Paris, Éditions Léo Scheer, 2012, p. 19-280.

13. Voir André Guyaux, Poétique du fragment, op. cit. ; Steve Murphy, « Les Illuminations manuscrites », Histoires littéraires, no 1, 2000, p. 5-31 ; et Michel Murat, « Illuminations [Manuscrits] », dans Dictionnaire Rimbaud, op. cit., p. 355-362.

14. André Breton, Flagrant délit. Rimbaud devant la conjuration de limposture et du truquage [1949], Œuvres complètes, éd. Étienne-Alain Hubert, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, t. III, p. 821.

15. René Étiemble, Le Mythe de Rimbaud, t. II : Structure du mythe, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des idées », 1952.

16. Cristallisée par louvrage dAndré Rolland de Renéville, Rimbaud le voyant, Paris, Au Sans Pareil, 1929.

17. Victor Segalen, Le Double Rimbaud [1906], Œuvres, éd. Ch. Doumet, collab. A. Cavallaro, J.-F. Louette, A. Schellino et M. Schmitt, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2020, t. I, p. 208.

18. « Adieu », Une saison en enfer, Œuvres complètes, éd. cit., p. 280.

19. Pierre Brunel (éd.), Éclats de la violence. Pour une lecture comparatiste des « Illuminations » dArthur Rimbaud, Paris, José Corti, 2004. Voir, comme illustration de ces approches, les études de Sergio Sacchi, Études sur les « Illuminations » de Rimbaud, op. cit. Pour sorienter parmi ce massif détudes, on se reportera avec profit aux panoramas critiques que propose pour chaque poème Alain Bardel sur son site (http://abardel.free.fr/).

20. Voir Yves Reboul, Rimbaud dans son temps, Paris, Classiques Garnier, « Études rimbaldiennes », 2009. Les éclairages historiques ont aussi leur tradition, moins prolifique toutefois sur les Illuminations que sur lœuvre en vers. Citons Bruno Claisse, Rimbaud ou « le dégagement rêvé », op. cit., et les travaux dAntoine Fongaro, comme De la lettre à lesprit. Pour lire « Illuminations », Paris, Honoré Champion, 2004. Voir surtout les études dYves Reboul dans Rimbaud dans son temps op. cit., et de Steve Murphy dans Stratégies de Rimbaud [2004], Paris, Honoré Champion, « Champion classiques essais », 2009.

21. SteveMurphy, « Interprétation et autotextualité dans les Illuminations », Stratégies de Rimbaud, op. cit., p. 443-461.

22. Dont on trouve trace par exemple chez Hugo Friedrich : « Les Illuminations sont un recueil de textes qui ne sadressent plus à aucun lecteur. Ce sont des orages dexplosions hallucinées et qui ne comptent, dans le meilleur des cas, quéveiller la crainte de ce danger doù jaillit lamour » (Structure de la poésie moderne [1956], trad. M.-F. Demet, Paris, Le Livre de Poche, « Références », 1999, p. 117).

23. Jean-Pierre Richard, « Rimbaud ou la poésie du devenir », Poésie et profondeur [1955], Paris, Éditions du Seuil, « Points », 2015, p. 237 sq. et p. 289.

24. « Ô monde ! – et le chant clair des malheurs nouveaux ! » (Illuminations, Œuvres complètes, éd. cit., p. 316).

25. « Nuit de lenfer », Une saison en enfer, Œuvres complètes, éd. cit., p. 257.

26. Ibid., p. 256.

27. Ibid., p. 272.