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Classiques Garnier

Liminaire

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Liminaire

Le présent numéro de la RHPR évoque plusieurs fils des relations sinueuses et parfois ambiguës entre spiritualité et écologie.

Dans un premier temps, larticle dAurélie Choné sintéresse à la filiation entre des traditions spirituelles mises au goût du jour par des auteurs dans le sillage du romantisme allemand et des spiritualités orientales. Le psychiatre suisse Carl Gustav Jung est lune des figures emblématiques de ce fil important pour comprendre les liens qui se sont tissés entre spiritualité et écologie. Ses pensées et écrits nourrissent encore actuellement lécopsychologie et lécospiritualité, avec notamment lidée, évoquée dans cet article, selon laquelle il est nécessaire de bien prendre soin de « sa terre intérieure ». La terre est ainsi intériorisée et psychologisée, ce qui permet à lindividu de sen rendre responsable et dentrer en relation symbolique avec elle au moyen dexercices et de considérations dordre spirituel.

Un deuxième fil est celui tissé par les mouvements de la contre-culture des années 1960. Face au modernisme triomphant, une partie de la jeunesse révoltée a alors embrassé les spiritualités orientales quelle a rencontrées lors de ses voyages en Inde – le séjour initiatique des Beatles auprès du gourou Maharishi Mahesh Yogi étant le plus emblématique. Certaines formes de ces spiritualités réinterprétées sont entrées dans la culture occidentale en même temps que la conscience écologique. Celle-ci naît également du constat des maux produits par la société triomphante de la fin des années 1960. Une des formes les plus caractéristiques de ces mouvements est la naissance de communautés hippies, de villages communautaires autour dune utopie ou dune alternative aux formes de vie occidentales de la fin du xxe siècle. Larticle de Frédéric Rognon nous offre lanalyse dune des communautés les plus marquantes de cette époque, la Communauté de lArche, qui, contrairement à nombre dentre elles, perdure. À travers lhistoire de cette communauté, lauteur interroge le lien entre écologie et spiritualité en montrant les tensions qui existent entre ces deux pôles. Comme dautres, la Communauté de lArche sest constituée 6autour dune utopie nabordant pas frontalement lécologie, mais un autre thème dactualité de lépoque, en loccurrence la non-violence.

Un troisième fil que lon peut repérer dans le tissu des relations entre spiritualité et écologie apparaît, dès le milieu des années 1960, au sein des élites protestantes qui commencent de souligner les conséquences désastreuses pour lenvironnement dune certaine conception théologique. Le christianisme serait trop anthropocentrique, pour reprendre le propos de Lynn White, Jr. que Stéphane Lavignotte discute dans son article. Depuis, la théologie sest transformée avec des impulsions fortes au sein du COE dès la fin des années 1960, mais surtout pendant les années 1970 et 1980. Lauteur du troisième article tente de reprendre ces transformations dans une évolution de ce quil appelle les théologèmes. Dans la ligne classique des protestants artisans dune théologie environnementale, qui cherchaient alors à influencer les représentations de la société sur le vivant, il pose la question du rayonnement des théologèmes sur la société.

Dans ce fil du débat théologique, il est important aussi de mentionner les ouvriers de la première heure que furent Bernard Charbonneau et Jacques Ellul alors que la France – et particulièrement la France protestante – se distinguait par linaction patente dans le domaine de lenvironnement. Cest dans ce contexte que Jean-Sébastien Ingrand discute lengagement de Charbonneau dans une perspective spirituelle et celui dEllul dans une relation en continuel dialogue dont il faut souligner le caractère novateur pour lépoque.

Ces quatre articles forment ainsi autant dentrées dans lanalyse des liens entre écologie et spiritualité. Ils ont issus dun colloque « Écologie et spiritualité » qui sest tenu les 1er et 2 juin 2023 à lUniversité de Strasbourg. Ils soulignent la complexité des idées qui, avec le temps, se sont peu à peu tissées pour devenir des sortes de valeurs partagées dans le monde de la militance écologique, mais aussi dans les Églises qui sécologisent pour rester… actuelles et spirituelles.

Christophe Monnot