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Classiques Garnier

Revue des livres

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REVUE DES LIVRES

SCIENCES BIBLIQUES

Généralités

Lukas Bormann (éd.), Abrahams Family. A Network of Meaning in Judaism, Christianity, and Islam, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament » 415, 2018, ix + 498 pages, ISBN 978-3-16-156302-7, 154 €.

Fruit dun projet commun de recherche aux universités dÅbo et de Marbourg, conclu par un colloque qui sest tenu dans la seconde de ces villes en 2016, louvrage rassemble 22 contributions, dont dix (3 et 7) sont dues à des auteurs appartenant aux deux institutions partenaires.

Il couvre les trois religions précisément appelées abrahamiques et sintéresse à la fois à la figure du patriarche lui-même mais aussi à sa famille dès lors que cest non seulement autour dAbraham mais aussi autour de sa descendance que se sont cristallisés controverses, débats et polémiques.

Le champ de lAncien Testament est dabord couvert. K. Schmid distingue trois phases, successivement pré-sacerdotale, sacerdotale et post-sacerdotale, au sein du développement de la tradition dAbraham dans lhistoire littéraire du Pentateuque. A. Laato propose, en tension avec létude précédente, que différents récits du cycle dAbraham conservent la trace de lidéologie royale sous la monarchie unifiée de David et de Salomon et soutenue par lÉgypte. M. Kartveit montre comment les Samaritains se sont employés à rattacher les figures dAbraham et de Salomon à leur lieu de culte, le mont Garizim. L. Valve sintéresse à la façon dont est présentée Rébecca en Gn 24 et montre combien la riche histoire de la réception du passage sen écarte en opérant des coupes, des reformulations ou des développements.

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Cest ensuite la littérature juive ancienne qui est abordée. J. van Ruiten traite de la famille dAbraham dans les Jubilés et montre notamment que cet écrit fait remonter la séparation entre Israël et les autres nations non à Abraham mais à la création du monde. A. El Mansy se focalise sur Jubilés 27,17 et y voit, à travers la présentation de Jacob en tant quhomme parfait et véritable, la promotion dun type de masculinité hégémonique en opposition à la figure dÉsaü, conçu comme représentant dune masculinité marginalisée mettant en danger la conception de la judéité promue par lécrit. J. Høgenhaven sintéresse au rôle sacerdotal attribué à Abraham qui apparaît à la fois comme ancêtre de la lignée sacerdotale, et notamment des sadocites, et fondateur de pratiques sacrificielles dans la littérature qumrânienne. M. Becker se penche sur Abraham et loffrande dIsaac dans les exégèses juives et chrétiennes anciennes et conclut à lexistence dinfluences vraisemblables, notamment sur Rm 8,32. Chr. Noack traite de la famille dAbraham chez Philon en montrant limportance quy revêtent la signification étymologique des noms et linterprétation allégorique qui en est proposée pour gagner les lecteurs à la véritable philosophie.

Vient le tour du Nouveau Testament. L. Bormann scrute Rm 4,1 et lappellation unique, que lon y rencontre, dAbraham en tant quancêtre et montre comment elle sert largumentation de Paul visant à faire dAbraham un modèle pour le peuple de Dieu. A. Standhartinger se penche sur la figure dAgar en recourant aux théorisations féministes de lintersectionnalité. Chr. Boettrich traite dAbraham conçu, avec un regard orienté vers le futur plutôt que vers les origines, comme un personnage céleste, image de lespérance, avocat des justes et « symposiarche de leschaton » en Luc-Actes. G. Baltes propose de comprendre la parabole du fils perdu et retrouvé sur larrière-plan de lhistoire de Jacob et Ésaü, litinéraire du fils prodigue illustrant linclusion à venir des gentils en dépits des réticences de Jacob-Israël. J.C. de Vos sintéresse au traitement dAbraham et de sa famille en Hébreux et y voit autant de figures types pour le présent et le futur, sur lesquelles les destinataires sont appelés à modeler leur propre foi et leur propre espérance sur la voie conduisant à la cité céleste. E.-M. Kreitschmann traite, de façon globale, du réseau familial dAbraham dans le NT et relève une différence entre la plupart des écrits, qui mettent en œuvre le motif dAbraham, Isaac et Jacob en tant que représentants dune entité ethnique, Israël, et Paul, qui sintéresse à Abraham en tant que père universel des croyants.

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Part est faite ensuite à la littérature chrétienne ancienne. M. Meiser présente Abraham et sa famille dans lexégèse patristique latine qui affronte en Gn 12–25 des questions proprement exégétiques et des problèmes moraux. A.M. Laato aborde, dans la perspective du dialogue interreligieux contemporain, lexégèse proposée de la prophétie relative à Jacob et Ésaü en Gn 25,23 jusquà Augustin. M. Durst sintéresse à la manière dont lempereur Julien lApostat intègre, en fonction de sa conception dune universalité englobant toutes les nations tout en maintenant leurs différences, Abraham et sa famille dans sa polémique anti-chrétienne.

Enfin, la famille dAbraham est étudiée au sein de lexégèse juive et dans la rencontre qui seffectue avec lislam. R. Firestone se concentre sur limportance que revêtent Agar et Ismaël dans la tradition musulmane, au sein de laquelle ils deviennent des personnages clés alors quils sont respectivement absents et peu présents dans le Coran. M. Gomez Armenda présente les vifs débats relatifs à la rivalité entre Jacob et Ésaü dans lexégèse juive médiévale, cela au sein de discussions mettant en tension justice et malice, idolâtrie et éducation rabbinique, ou encore le peuple dIsraël et les autres nations. B. Beinhauer-Köhler montre comment le récit que propose Ibn Jubayr (1145-1217) de son pèlerinage à La Mecque révèle que les pèlerins devenaient eux-mêmes partie prenante du récit relatif à Abraham, Ismaël et Agar. Enfin, C.-St. Popa sintéresse à la façon dont les auteurs chrétiens syriaques en appelaient à Abraham en faveur de la doctrine de la Trinité et de la christologie à laube de la domination musulmane.

Louvrage, complété par les index (des textes anciens cités, thématique, des auteurs modernes cités, les deux derniers nétant cependant pas exhaustifs) habituels dans la collection qui laccueille, est extrêmement riche et divers. Il ouvre bien des perspectives et invite au dialogue entre traditions diverses et religions monothéistes autour dune figure et dune famille centrales et fondatrices. Le néotestamentaire pourra cependant regretter que place ne soit quasiment pas faite au conflit dinterprétation auquel donne lieu la figure dAbraham chez Paul et chez Jacques.

Christian Grappe

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Jörg Frey, Claire Clivaz, Tobias Nicklas (éd.) en collaboration avec Jörg Röder, Between Canonical and Apocryphal Texts. Processes of Reception, Rewriting, and Interpretation in Early Judaism and Early Christianity, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament » 419, 2019, ix + 490 pages, ISBN 978-3-16-153927-5, 149 €.

Louvrage est le fruit quelque peu tardif de deux colloques et dune école dété qui ont eu lieu à lUniversité de Zurich en 2011 et 2012 et qui avaient pour thème le processus de composition de textes ou paratextes apocryphes à partir de textes revêtant déjà un statut canonique ou faisant autorité (Apokryphisierung). Il ne fait lobjet ni dune introduction détaillée ni dune segmentation particulière, si bien que le lecteur nest pas guidé dans la découverte des différentes contributions – 19 au total, dont 9 en anglais, 9 en allemand et 1 en français – qui se succèdent, même si on devine que cest un principe chronologique qui a été privilégié le plus souvent pour ordonner les diverses études après les trois premières qui se situent davantage sur le plan méthodologique.

J. Frey part dabord en quête de procédés d« apocryphisation » dans les littératures juive et chrétienne anciennes, tandis que S. Mimouni revient sur le débat mettant en jeu concept dapocryphicité et concept de canonicité et que M. Meiser se penche sur des problèmes de méthode dans la prise en compte des techniques dinterprétation à lœuvre dans la Septante des prophètes.

V. Bachmann étudie, au miroir du livre dEsther tel quil se présente respectivement dans le texte massorétique, dans la Septante et dans le texte Alpha, les variations que lon observe et les approches différentes qui sont proposées de la thématique pouvoir et identité. M. Becker étudie la présentation dAbraham en tant que patriarche non dépourvu de faiblesses dans lApocryphe de la Genèse. D. Hamidović sintéresse à la chaîne scripturaire faisant autorité visant à garantir un lien direct entre ciel et terre dans le livre des Jubilés. J. Jokiranta sinterroge, entre citation, écriture et lecture, sur ce qui fait autorité dans le Pesher dHabacuc à Qumrân. St. Krauter situe Esdras entre Canon et apocryphes. A. Houtman montre comment leur croyance en une juste rétribution post mortem et en la résurrection des corps a influencé le travail des traducteurs du targum dÉsaïe. K.H. Ostmeyer compare le Prière de Manassé 79dans les formes respectives quelle revêt à Qumrân (dans le fragment 33 de 4Q381), dans la Septante et dans la version rabbinique retrouvée dans la geniza du Caire. E.E. Popkes traite de l« apocryphisation » du message de Jésus dans lÉvangile de Thomas, en tenant le plus grand compte de la place quil occupe au sein du deuxième codex des écrits de Nag Hammadi. Cl. Cilvaz met en parallèle les témoins les plus anciens dHébreux et de lÉvangile selon les Hébreux et propose de les lire en tant que reflets de la manière dont ils étaient lus dans le premier lieu connu de leur réception, lÉgypte. W. Grünstäudl sintéresse à la construction de lautorité apostolique de Pierre dans lApocalypse de Pierre et en 2 Pierre en établissant que le second de ces écrits est en fait dépendant du premier et en tirant des conséquences de ce fait pour ce qui est de la nature et de la fonction du canon. M. Henning aborde la notion dEnfer en tant quhétérotopie et présente la façon dont elle est construite depuis la littérature hénochique jusquaux apocalypses de Pierre et de Paul. J. Snyder considère le degré de dépendance variable entre les différents actes apocryphes et les Actes des Apôtres canoniques. Trois contributions tournent ensuite autour des récits de miracles et de leur réception : J. Spittler étudie le développement que connaissent les traditions de miracles dans les actes apocryphes des apôtres et invite à le situer dans le contexte du monde réel et pas dune réalité séparée ; J. Röder semploie à préciser le rapport entre littératures biblique et parabiblique au miroir des récits de miracles que lon trouve dans les Actes de Pilate ; T. Nicklas situe les récits de miracles chrétiens anciens entre les deux notions de canonicité et dapocryphicité. Enfin, M. Sommer propose des réflexions sur la réception de lÉcriture, sur leschatologie et sur la conception de lauteur que défend lauteur de lépître « apocryphe » aux Laodicéens.

Lintérêt de ces différentes études est indéniable et les deux index (textes anciens cités et des thématique) sont très utiles. On aurait cependant aimé que le lecteur soit davantage guidé et que lui soit indiqué un fil conducteur, même si la première contribution pose les questions essentielles et présente létat actuel des débats.

Christian Grappe

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Michael R. Jost, Engelgemeinschaft im irdischen Gottesdienst. Studien zu Texten aus Qumran und dem Neuen Testament, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 2. Reihe » 505, 2019, xvi + 454 pages, ISBN 978-3-16-156740-7, 104 €.

Version légèrement retravaillée dune thèse préparée sous la direction de Jörg Frey, soutenue à la Faculté de Théologie de lUniversité de Berne et récompensée par le prix de la « Fondation pour lenseignement du judaïsme à lUniversité de Lausanne », louvrage présente une approche encore plus large que ne lindique son sous-titre puisque, même sil se concentre bel et bien sur lanalyse des données qumrâniennes et néotestamentaires, il conduit en fait de lAncien Testament jusquaux littératures rabbinique et patristique.

Après une introduction très claire, une première partie est dévolue à la détection des textes et des motifs clés que lon trouve dès lAncien Testament et les écrits deutérocanoniques et hénochiques : le Temple en tant que lieu de la présence de Dieu ; la représentation des chérubins dans le Temple ; la vision des séraphins dans le Temple en Es 6 ; la louange cosmique dans les Psaumes ; lassistance des anges dans la prière (Tb 12,12.15) ; la communion eschatologique avec les anges (Dn 12,3 et 1 Hénoch). On peut regretter toutefois ici que ne soit pas discutés et pris en compte des passages comme Za 3,7 ou Ps 73,23-26, qui permettent denvisager dès ce stade que la liturgie fasse communiquer les mondes, ou encore Testament de Job 46-51, où les trois filles de Job, Héméra, Casia et Corne dAmalthée, se mettent à chanter dans la langue des anges après que leur père leur a donné à chacune une cordelette magique.

Sont ensuite mis en perspective et étudiés les uns après les autres les manuscrits de la mer Morte. Les données qui résultent de cette étude sont récapitulées ainsi : le culte est conçu comme le fondement même dune identité dans le cadre dun cosmos en guerre ; la communion avec les anges est partie constitutive non seulement de la réalité cultuelle mais aussi de la réalité terrestre ; la louange de Dieu revêt une dimension à la fois communautaire et cosmique qui se concrétise dans la communion présente avec les anges, conçue elle-même dans une perspective eschatologique ; les divers aspects de la communion avec les anges donnent lieu au développement dune taxinomie propre.

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Vient le tour du Nouveau Testament, trois écrits étant successivement étudiés : 1 Corinthiens ; Hébreux et lApocalypse, lA. se concentrant en fait, pour ce qui est des deux premiers dentre eux, sur 1 Co 11,2-16 et He 12,18-24. Il conclut son parcours en affirmant quil ny a pas de preuve en faveur de la conception dune véritable communion avec les anges, dans un cadre cultuel, dans le NT. Au fil de la discussion, même là où dautres avant lui ont suggéré que pareille conception puisse cependant être au moins implicitement présente, notamment dans lApocalypse où de nombreux rapprochements ont été effectués avec les Chants pour lHolocauste du Sabbat, lA. déclare que les rapprochements sont frappants (augenfällig ; p. 328) mais que lon na pas affaire pour autant explicitement à une communion avec les anges. Il est quelque peu révélateur, nous semble-t-il, dans cette perspective, quil nétudie pas un passage comme 1 Co 13,1, dans lequel Paul envisage pourtant quil pourrait parler la langue des anges, ou encore quil ignore la deuxième édition du commentaire de lApocalypse de Pierre Prigent, pourtant traduite en anglais chez Mohr Siebeck en 2001 et qui sappuie également sur le témoignage des Chants pour lHolocauste du Sabbat pour défendre que lidée dune communion avec les anges est sous-jacente à nombre de passages de lécrit.

LA. en vient enfin aux perspectives rabbiniques et patristiques pour arriver là aussi à des conclusions négatives, Origène et Jean-Chrysostome étant tenus pour responsables, en ce qui concerne la littérature chrétienne ancienne, du passage dune représentation dune communion eschatologique à une communion présente avec les anges. On peut être quelque peu surpris de constater que, pour ce qui est de la littérature rabbinique, une seule page soit dévolue à la mystique juive et aux Hekhalot (p. 350) dont une prise en compte sérieuse aurait pu permettre de tracer des lignes – de continuité – avec les représentations déjà attestées à Qumrân.

Louvrage, complété par de précieux index (textes anciens et auteurs modernes cités, thématique), apparaît ainsi, aux yeux du présent recenseur, un peu trop catégorique dans ses conclusions. Cela ne doit pas pour autant minimiser lintérêt dune enquête dont les résultats auraient sans doute gagné à être quelque peu nuancées.

Christian Grappe

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Jörg Frey, Nicole Rupschus (éd.), Frauen im antiken Judentum und frühen Christentum, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 2. Reihe » 489, 2019, viii + 320 pages, ISBN 978-3-16-154290-9, 99 €.

Fruit dune journée détude qui sest tenue à lAcadémie catholique de Schwerte en 2015 et dédié au regretté Michael Becker auquel est dû la contribution qui le clôt, cet ouvrage, introduit avec beaucoup de soin par N. Rupschus, rassemble douze études.

B. Ego traite dabord des figures respectives de la Sara du livre de Tobit, dEsther et de Judith, et de leur attitude religieuse caractérisée par la prière et lobservance de prescriptions halachiques, dans un monde marqué par la place revenant au Temple, si bien quelles se trouvent à lentrecroisement de la piété privée et du culte célébré dans le sanctuaire. A. Standhartinger sintéresse, à partir surtout du De vita contemplativa de Philon dAlexandrie et du Testament de Job, aux femmes exerçant des fonctions liturgiques à lépoque du Second Temple. C. Wassén compare les lois de pureté concernant les hommes et les femmes dans les manuscrits de la mer Morte et considère que les sectaires qumrâniens, loin de faire de limpureté un problème féminin, tenaient lobservance des règles de pureté telles quils les concevaient comme une question les concernant tous et qui savérait constitutive de leur identité même. N. Rupschus prend en compte 4Q502 et 4Q184 et se demande si ces deux documents, qui ne sont pas proprement sectaires et qui relèvent lun du registre liturgique et lautre de la sphère sapientiale, peuvent être reliés dune manière ou dune autre à des préoccupations de la communauté qumrânienne. K. Czajkowski propose une nouvelle approche de la Loi telle quelle est comprise dans les archives privées de deux femmes, Babatha et Salomé Komaïse, archives qui ont été retrouvées dans la Grotte aux lettres du Nahal Hever et qui permettent de reconstituer la manière dont ces femmes semployaient à faire valoir leurs droits. T. Ilan sintéresse à un autre aspect que laissent transparaître ces mêmes archives, à savoir la discrimination dont font lobjet les femmes et qui les amène à conserver des documents écrits précisément parce quelles ne bénéficient pas du même statut que les hommes. Chr. Kreinecker se penche sur le quotidien des femmes, leurs droits et les possibilités qui leur étaient offertes à lépoque néotestamentaire, cela à partir de papyri égyptiens qui montrent quelles étaient avant tout considérées comme épouses et mères mais quelles pouvaient aussi mener des actions juridiques, si du moins elles disposaient des moyens financiers 83pour ce faire. M. Sommer aborde la question des veuves au début du christianisme et invite, en recourant à la sémantique mémorielle, à considérer dabord les textes où il est question delles comme des tentatives de transformer lenvironnement historico-social des destinataires plutôt que comme des témoins dune vulnérabilité particulière qui aurait été la leur. Chr. Böttrich, dans une contribution particulièrement remarquable, situe entre sensibilité de lauteur et conventions ambiantes le rôle assigné et reconnu aux femmes dans lœuvre double à Théophile. A. Merz jette un regard critique sur la thèse de B. Winter dans son ouvrage Roman Wives, Roman Widows. The Apparence of New Women and the Pauline Communities (2003) et sur sa réception au sein de lexégèse contemporaine. St. Janz explore la place occupée par Marie Madeleine dans lÉvangile de Marie et semploie à faire le départ entre tradition littéraire et réalité historique dun rôle particulier joué par Marie Madeleine aux côtés de Jésus, rôle qui se reflète dans son érudition et dans les conflits concernant sa position au sein de la communauté des disciples. Enfin, M. Becker aborde le champ de la littérature rabbinique, relève que les femmes y sont largement sous-représentées mais que, dans les textes relatifs à Hanina ben Dosa en particulier, son épouse fait lobjet dune évaluation tout à fait positive en tant que femme dun personnage doué dun don de guérison charismatique.

Louvrage, complété par plusieurs index (textes anciens et auteurs modernes cités, thématique), jette des éclairages tout à fait intéressants et parfois nouveaux sur les écrits et les passages qui sont abordés. Reflet aussi dapproches méthodologiques diverses, il donne à penser et invite à reconsidérer des thèses prétendument avérées au sein de la recherche.

Christian Grappe

Jörg Frey, Michael R. Jost, Franz Tóth (éd.), unter Mitwirkung mit Johannes Stettner, Autorschaft und Autorisierungsstrategien in apokalyptischen Texten, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament » 426, 2019, xii + 462 pages, ISBN 978-3-16-157024-7, 149 €.

Fruit dun symposium qui sest tenu à Zurich en 2016 en lhonneur dAdela Yarbro Collins et de John J. Collins qui avaient été distingués lannée précédente dun doctorat honoris causa de luniversité de 84la ville, ce volume, pourvu dun préambule mais pas dune réelle introduction, se divise en quatre parties.

Sont proposées dabord une introduction et des généralités. F. Tóth traite du sujet même du volume et lexplicite en quelque sorte, en se livrant à une discussion des notions dauteur et dautorité, qui prend en compte notamment lapproche narratologique, introduit les notions dauteur implicite et dauteur abstrait et sachève par un exercice dapplication des catégories préalablement définies à lApocalypse de Jean pour établir un modèle de communication en son sein. M. Janßen sinterroge à son tour sur la notion dauteur en étudiant, à laune de la littérature grecque, à la fois la représentation et la mise en scène de la paternité des œuvres dans lAntiquité.

Place est faite ensuite au judaïsme antique. K. Schmid sintéresse à la manière dont les prophètes sont devenus, au fil des actualisations et de lexpansion progressive de leurs textes, des auteurs bibliques capables dembrasser de leur regard la totalité de lhistoire du monde et comment, en fonction de ce processus, les auteurs bibliques sont devenus prophètes. E. Bosshard-Nepustil fait valoir, à la lumière dEs 34,16 (« Cherchez dans le livre du Seigneur et lisez »), que Jhwh lui-même est présenté comme lauteur du livre dÉsaïe et comme lautorité suprême qui sy exprime, cela pour laisser entendre que la médiation de ce livre permet de se rapprocher de lui et de trouver la voie du salut en des temps troublés. J.J. Collins traite de la présence de plus en plus forte de la Torah au sein des apocalypses juives et montre que même là où elle constitue en quelque sorte le point de départ (à Qumrân, en 4 Esdras et en 2 Baruch), elle nen est pas moins surpassée en quelque sorte dans la mesure où il est fait appel à une révélation plus haute encore pour guider son interprétation, la compléter, voire loutrepasser. M.J. Goff montre comment, en en appelant comme auteur à une figure antédiluvienne conçue comme transmetteur dune connaissance divine préservée en son sein, la littérature hénochique veut offrir à ses lecteurs un moyen de se relier au passé primordial et de le comprendre. S. Krauter se demande pourquoi 4 Esdras se revendique de ce personnage et propose que lauteur fictif du livre soit en fait un Esdras redivivus qui plaide à la fois en faveur dune continuité avec la tradition biblique et, en des temps où cette tradition traverse une crise profonde, en faveur dune issue à cette crise, qui consiste en une transformation de cette tradition. I. Czachesz reconsidère, à la lumière des neurosciences et en recourant aussi au comparatisme, les origines et la transmission 85des visions apocalyptiques en accordant une attention particulière aux pseudépigraphes juifs et chrétiens. Il estime que le recours à la pseudépigraphie permet un ancrage dans la tradition culturelle tout en générant des chaines de représentations, dexpériences et de conduites à travers les siècles. J. Kiffiak comprend le recours à la pseudonymie en 2 Baruch en considérant de manière plus particulière Jr 45,1-5 et montre que le Baruch qui sexprime désormais, dans le contexte postérieur à la première révolte juive, et dont les propos sont garantis par Dieu – ce qui nétait pas le cas pour son devancier – est tout désigné pour exhorter les destinataires à la fidélité à la Torah afin quils bénéficient, dans le présent, de la protection divine et, dans le monde à venir, de la vie éternelle. Dans une contribution très riche, Chr. Böttrich se tourne vers lÉchelle de Jacob et étudie la présentation qui y est faite du patriarche en tant que porteur de révélation. Enfin, M. Tilly se penche sur lapocalyptique et la mystique au sein du judaïsme rabbinique et conclut que, pour ces milieux rabbiniques, les traditions apocalyptiques que lon trouve au sein de la littérature des Hekhalot font autorité non parce quelles viennent du ciel mais parce quelles y conduisent.

Le christianisme antique est illustré pour sa part par quatre contributions. A. Yarbro Collins étudie la construction de lautorité de lauteur dans lApocalypse, un auteur dont le rôle se limite à la simple médiation, mais la médiation dun texte qui revêt lui-même la plus haute et la plus sûre autorité divine, si bien que lauteur apparaît en retour paré des plus grands privilèges et dune autorité insigne. J. Dochhorn traite de la construction de lauteur dans lAscension dÉsaïe, écrit quil tient pour témoin dune frange du christianisme antique qui avait tendance à faire parler et vivre les prophètes en un sens explicitement chrétien. T. Nicklas dissèque la construction de lautorité de lauteur dans lApocalypse de Pierre, un « Pierre » qui tient son autorité du Christ lui-même, qui, en tant que Fils de Dieu, annonce aux siens quils auront part ultimement à sa miséricorde et peut leur ouvrir laccès à la corporéité céleste dans le Paradis. Quant à T.J. Kraus, il traite du Paul de lApocalypse de Paul et conclut que cest moins le personnage ayant autorité qui est mis en avant que, dans une perspective émotionnelle, celui qui perçoit lau-delà, qui a compassion et qui prie et intercède pour les autres.

Une dernière étude, due à G. Regen, franchit les siècles, et explore révélation, allégorie et poésie dans la Divine comédie de Dante.

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Lensemble, dont on cherche parfois avec quelque peine le fil conducteur alors que les contributions quils rassemblent sont dexcellente qualité, est complété par trois index (des textes anciens, des auteurs modernes et thématique).

Christian Grappe

Jörg Frey, Qumran, Early Judaism and New Testament Interpretation. Kleine Schriften III. Edited by Jacob N. Cerone Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament » 424, 2019, ix + 905 pages, ISBN 978-3-16-156015-6, 214 €.

Ce volume rassemble 24 contributions qui ont toutes été écrites ou traduites (pour 10 dentre elles) en anglais et qui ont été publiées entre 1997 et 2019, deux dentre elles paraissant dailleurs ici avant même quelles soient publiées par ailleurs.

Il souvre par deux études que lon peut tenir pour programmatiques, la leçon inaugurale de lA., donnée en 2011 à lUniversité de Zurich et intitulée « Recherche néotestamentaire et judaïsme ancien : problèmes, représentations, perspectives », et un article très développé qui a paru dans la Realenzyklopädie für Antike und Christentum en 2017 sous le titre « Qumrân : un panorama » et qui traite, dans sa dernière partie, de limportance de Qumrân et des manuscrits qui y ont été retrouvés pour la compréhension du christianisme primitif. La conclusion illustre fort bien la position générale de lA. : « Les découvertes de Qumrân ont changé, comme aucune autre découverte, limage des contextes juifs dans lesquels sinscrit le christianisme primitif. Sont concernés linterprétation de lÉcriture, leschatologie, le messianisme, langélologie et la démonologie, la coexistence de partis religieux et de discours halachiques, les calendriers et les fêtes, le développement de la sagesse et de lapocalyptique, les genres littéraires et les traditions liturgiques. Rien de tout cela ne saurait être compris de manière adéquate sans les textes de Qumrân. Cela étant, toute spéculation relative à des liens directs entre esséniens et premiers chrétiens est infondée. Plus importante que la question des influences “esséniennes” sont les affleurements qui apparaissent à travers les analogies et parallèles [que lon observe] dans les textes (quils soient spécifiques du 87groupe ou non) et qui aident à comprendre le mouvement chrétien naissant au sein du judaïsme multiforme contemporain » (p. 81).

Sont regroupées ensuite des études relatives aux textes de Qumrân et juifs anciens qui se réfèrent peu au Nouveau Testament. Elles traitent successivement : de la recherche qumrânienne et de la recherche biblique en Allemagne ; de Qumrân au miroir de larchéologie (lA. se rallie dans lensemble à lhypothèse de Roland de Vaux tout en la nuançant sur bien des points ; il conclut quil y a encore de nombreux arguments en faveur de la thèse selon laquelle un groupe religieux juif a utilisé Khirbet Qumrân comme installation communautaire) ; de la valeur historique des anciennes sources relatives aux esséniens ; de limportance des découvertes de Qumrân pour la compréhension de lapocalyptique ; des différents modèles de pensée dualiste (dualisme cosmique, eschatologique, éthique, anthropologique… avec toute une série de nuances possibles) attestés dans la bibliothèque qumrânienne ; de la formation et de lhistoire des débuts du dualisme apocalyptique ; des origines du genre littéraire des testaments ou discours dadieu ; du texte relatif à la Nouvelle Jérusalem dont des fragments ont été retrouvés dans plusieurs grottes à Qumrân et qui est replacé ici dans son contexte historique et dans lhistoire, quil vient rendre plus complexe, dune tradition allant dÉzéchiel à lApocalypse ; des témoignages relatifs aux repas communautaires à Qumrân (pour conclure que, loin des conclusions proposées par les premiers chercheurs, ils fournissent au mieux des analogies indirectes aves le dernier repas de Jésus) ; de lautorité des Écritures dans les écrits qumrâniens ; de la vision du monde, à la fois temporelle et spatiale, du Livre des Jubilés et de la façon dont elle contribue à façonner lidentité collective dun peuple appelé à être à la fois sacré et saint ; des temples concurrents du Temple de Jérusalem (à Éléphantine, au mont Garizim et à Léontopolis).

Suivent des contributions dévolues pour leur part directement à limportance des découvertes faites à Qumrân pour létude des textes du NT et la recherche néotestamentaire en général. La première, qui est un article paru dans une encyclopédie, passe en revue, dans une perspective méthodologique, des questions cruciales en la matière et invite à la prudence déjà recommandée dans le passage, cité ci-dessus, de la page 81. Suivent : des propositions, des questions et des perspectives relatives à limpact des manuscrits de la mer Morte sur linterprétation du NT à lexemple de la 88figure de Jean Baptiste et de lopposition entre chair et esprit ; des considérations herméneutiques sur le même thème mais en lien plus particulièrement avec la tradition relative à Jésus et les origines de la christologie ; une étude qui constitue une nouvelle variation sur le thème envisagé par les deux précédentes ; un exemple (Mt 5,25-26) de lintérêt de littérature retrouvée à Qumrân pour éclairer le NT, exemple pour lequel les parallèles proposés, tirés notamment de 4QInstructions, écrit qui napparaît pas propre à la secte, illustrent pour lA. que les textes non sectaires retrouvés sur le site sont peut-être plus importants encore que les textes proprement qumrâniens pour éclairer le NT dès lors quils livrent un aperçu des traditions en vigueur dans le judaïsme aux alentours du tournant de notre ère ; deux études qui reviennent lune et lautre sur la tension chair – esprit, la première consacrée tout entière à la manière dont Paul conçoit lesprit à la lumière de Qumrân, la seconde envisageant de manière plus large comment la tradition sapientiale juive et les textes de Qumrân incluant ici encore 4QIntructions peuvent éclairer cette tension ; des contributions relatives respectivement à lintérêt de 4QMMT, qui fournit larrière-plan de lemploi terminologique de lexpression « œuvres de la Loi » chez Paul, à la manière dont le dualisme johannique peut être mieux cerné à la lumière des dualismes attestés dans la bibliothèque qumrânienne, et cela sans quil y ait pour autant influence qumrânienne directe, à lintérêt de la bibliothèque qumrânienne pour éclairer la question, éminemment complexe, de lémergence progressive du canon de la Bible hébraïque en la replaçant dans le cadre dun judaïsme décidément pluriel.

Lensemble est complété par différents index (des textes anciens, des auteurs modernes, thématique, des mots araméens, hébreux et grecs). Si la matière est parfois quelque peu redondante dès lors que plusieurs thèmes sont étudiés à diverses reprises, louvrage illustre à merveille la hauteur de vue de lA., sa capacité à présenter de manière à la fois très honnête et très bien informée des débats complexes et à faire saisir les enjeux de la recherche tout en proposant des vues équilibrées et toujours parfaitement argumentées. Ce recueil darticles savère ainsi dune remarquable cohérence et de la plus grande utilité.

Christian Grappe

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Mikael Tellbe, Tommy Wasserman (éd.) with assistance of Ludwig Nyman, Healing and Exorcism in Second Temple Judaism and Early Christianity, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 2. Reihe » 511, 2019, xii + 317 pages, ISBN 978-3-16-158936-2, 79 €.

Fruit dun colloque éponyme qui a eu lieu en Suède, à lÖrebo School of Theology, en 2018, louvrage, introduit par M. Telbe, se divise en deux grandes parties.

La première est dévolue au judaïsme du Second Temple et au christianisme émergeant. L.-S. Tiemeyer explore la façon dont les trois prophéties de Za 3,1-10, 5,1-4 et 5,5-11 envisagent lexpulsion du mal hors du pays pour purifier, restaurer et, de quelque manière, guérir ce dernier, cela en exportant spatialement le mal dans une terre étrangère. Elle trouve des analogies avec des textes proche-orientaux et aussi avec Lv 16 et esquisse des trajectoires très suggestives qui conduisent, pour Za 5,5-11, jusquà Mc 5,1-20 et au récit de la rencontre entre Hanina ben Dosa et Agrat dans le Talmud. C. Wassén sintéresse à limpureté et aux esprits impurs dans les évangiles, considère que cette dernière appellation remonte au Jésus de lhistoire lui-même et que, en associant ainsi ces esprits à limpureté, dune part, le Nazaréen relie maladie et péché et reproche aux démons dégarer ceux qui sont leur proie et, dautre part, les démasque en tant quimpurs par nature et, en les combattant, pose des signes de lirruption du Royaume. S. Grindheim envisage les implications christologiques des exorcismes et du pardon des péchés. Il fait valoir, quant à lui, que dans le Nouveau Testament aucun lien nest effectué entre exorcisme et pardon de pardon des péchés mais que, dans les deux cas, ce qui est jeu, cest lautorité de Jésus, une autorité sans égale qui le fait agir en lieu et place de Dieu lui-même. S.R. Garrett fait valoir que le miracle que Jésus ne peut pas faire chez Marc, cest ouvrir à son message les esprits des humains dès lors que la défaite de Satan na pas encore été consommée lors des événements décisifs de la Crucifixion et de la Résurrection, ce quillustre Mc 8,33, en lien avec Mc 8,22-26 (ou encore avec la fuite des disciples en Mc 14,50) et en tension avec Mc 4,11-12. Après voir très opportunément cité les passages qui, dans la littérature intertestamentaire, associent émergence des temps derniers et défaite ou disparition de Satan et de ses troupes (1QS 4,18-21 ; 1 Hénoch 55,4 ; Jubilés 23,29 ; 50,5 ; Testament de 90Moïse 10,1 ; Testament de Siméon 6,6 ; Testament de Lévi 18,12-13 ; Testament de Zabulon 9,8-9 ; Testament de Dan 5,11), passages qui auraient pu être pris en considération dans les trois précédentes contributions, S. Walton envisage, en termes de sunkrisis, les deux passages de lœuvre à Théophile dans lesquels Jésus et Paul adressent une consigne de silence à des démons (Lc 4,31-37 et Ac 16,16-18) et estime que ce motif a pour but déviter une mécompréhension de Jésus, de sa mission et de la proclamation évangélique en empêchant un dévoilement prématuré et partiel de son identité. G. Twelftree fait valoir, à laune de Paul, de Marc et de Jean, que lon a affaire à des approches sensiblement différentes des guérisons et des exorcismes au sein de lÉglise primitive mais quelles ont en commun le fait que le motif de la guérison apparaît comme une expression de la bonne nouvelle et que cette guérison advient par le nom de Jésus. L. Hurtado se penche précisément sur le recours rituel au seul nom de Jésus dans les récits dexorcismes et de guérisons aux origines du christianisme et y discerne une marque de la centralité de la personne de Jésus au cœur de la première prédication chrétienne.

La deuxième partie traite de lÉglise ancienne. J. Knust et T. Wasserman sintéressent à la première réception du quatrième évangile au miroir de lancienne numérotation des chapitres (kephalaia) et font valoir que cette numérotation atteste que lœuvre était lue alors comme un évangile empli de récits miraculeux, et cela alors même, ajouterons-nous, que le mot « miracle » ny est jamais employé, le terme « signe » lui étant systématiquement préféré. K.O. Sandnes traite des débats relatifs à Jésus thaumaturge à partir de deux exemples, les controverses opposant respectivement Origène à Celse et Eusèbe de Césarée à Hieroclès, et constate que le fait que Jésus ait pu faire des miracles nest pas contesté, lexplication étant seule en débat. C.J. Berglund fait valoir que la lecture que propose Héracléon de la guérison du fils de lofficier royal en Jn 4,46-54 nest pas valentinienne et se comprend très bien à partir de la méthodologie de critique littéraire gréco-romaine et du recours à des parallèles pauliniens et synoptiques. B. Corsini analyse lhomélie que Cyrille de Jérusalem consacre au paralytique de la piscine de Bethesda en Jn 5,1-18, homélie dans laquelle il compare le grabat que doit porter le paralytique à la litière de bois de Salomon, dont il est question en Ct 3,9-10 et qui est elle-même conçue comme préfiguration de la croix. A. Lappin étudie comment, dans la seconde moitié du ive siècle, les chrétiens ont purifié, le plus souvent de manière non 91violente, les lieux (notamment les temples) et les objets qui étaient associés à une présence démoniaque.

Lensemble, à la fois ciblé et cohérent, rassemble une documentation précieuse tout en examinant des textes et des écrits représentatifs et savère aussi bien édité que conçu.

Christian Grappe

David Lincicum, Ruth Sheridan, Charles M. Stang, Law and Lawlessness in Early Judaism and Early Christianity, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament » 420, 2019, x + 232 pages, ISBN 978-3-16-156708-7, 109 €.

Fruit dun colloque qui sest tenu en 2015 à Oxford, louvrage, bien mis en perspective par les trois Éd., regroupe onze contributions sur le thème choisi. Précisons tout de suite que traduire lawlessness en français nest pas évident et que nous rendrons ici le terme par « non-respect de la Loi ».

L. Doering traite dabord de la Loi et du non-respect de la Loi à Qumrân et constate que, dans une communauté dont les membres sont convaincus quils sont élus et prédestinés à lêtre et que, en tant que tels, ils sont ceux qui se tournent vers la Loi de Moïse, le non-respect de la Loi sert essentiellement à stigmatiser lautre sur les plans temporel (dans le passé, tous ceux qui se sont égarés et, dans le présent, tous ceux qui nadhèrent pas à la communauté), social (ceux qui ont rejoint la communauté dans une démarche insincère ou qui lont reniée) et halachique (ceux qui ne rejoignent pas la communauté dans son interprétation de la Loi). G. Macaskill aborde le thème dans la littérature hénochique et se livre à une analyse successive des différents écrits qui constituent ce corpus (1 Hénoch, avec une étude à part des Paraboles, et 2 Hénoch). Il constate quils partagent une appréciation positive de la Loi, mais dans le cadre dune sotériologie qui accorde dans chaque cas la priorité à quelque chose dautre. J. Garroway met en parallèle litinéraire de Paul et celui du rabbin allemand Samuel Holdheim (1806-1860), qui est à lorigine du judaïsme réformé radical aux États-Unis, et suggère quune telle juxtaposition permette de mieux comprendre Paul comme se situant à lintérieur de judaïsme tout 92en remettant en cause la Loi et sa valeur permanente tant pour les païens que pour les juifs. P. Fredriksen montre comment Origène et Augustin, confrontés respectivement aux vues des marcionites et des manichéens, eux-mêmes influencés par Marcion, se rejoignent pour dépeindre un Paul respectueux de la Loi face à des adversaires qui la rejettent. D. Moffitt fait valoir que lauteur dHébreux, en recourant aux notions de pureté, de perfection et en envisageant la possibilité de sapprocher de la présence divine, qui se concrétise à travers Jésus, est loin de rejeter la Loi et comprend en fait la perfection dune manière qui recouvre très largement les préoccupations juives relatives à la pureté tout en les subvertissant. D. Lincicum propose une taxonomie des formes de critique de la Loi que lon rencontre au sein du christianisme primitif (disputes halachiques relatives à linterprétation de la Loi ; approches en termes dhistoire du salut ; critique de fond de la Torah elle-même ; approches herméneutiques) et situe celle que lon rencontre dans lÉpître de Barnabé dans la dernière catégorie, lépisode du veau dor faisant office de tournant herméneutique. P. Bradshaw, en partant de la Didachè et en allant jusquau ve siècle, propose que les ordonnances ecclésiastiques les plus anciennes soient des lois ecclésiastiques et quelles prennent au fil du temps un aspect plus apologétique. S. Fraade étudie les manières dont les rabbins comprennent et interprètent le non-respect de la Loi par les païens en fonction de la possession par les juifs non seulement de la Loi, qui a été communiquée en hébreu, mais aussi et plus encore des lois orales véhiculées par la tradition rabbinique. M. Bar-Asher Siegal compare les traditions légales rabbiniques et les règles monastiques et fait valoir que dans les unes et les autres les références à lÉcriture jouent un rôle central et que, par ailleurs, on relève des préoccupations communes quant à des gestes quotidiens comme le port de la ceinture. Chr. Rowland étudie, à laune de textes postérieurs pour la plupart au xvie siècle, comment lassujettissement à une loi externe se transmue en une internalisation de la loi sous leffet de textes comme Ez 36,25-27 et Jr 31,33-34. Enfin, M. Peppard mène une réflexion à partir de larrêt du tribunal de Cologne qui, en 2012, a interdit la circoncision au motif que le droit dun enfant à son intégrité physique prime sur le droit des parents, tout en enrichissant sa réflexion par des rapprochements avec les données de Galates et lhistoire allemande récente.

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Lensemble propose des jalons plus quun continuum autour du thème retenu, mais, redisons-le, lintroduction des trois Éd. semploie à assembler le tout et à en montrer la cohérence.

Christian Grappe

Proche-Orient ancien

Spencer L. Allen, The Splintered Divine. A Study of Ištar, Baal, and Yahwe Divine Names and Divine Multiplicity in the Ancient Near East, Boston – Berlin – Munich, De Gruyter, coll. « Studies in Ancient Near Eastern Records » 5, 2015, xxi + 457 pages, ISBN 978-1-61451-293-6, 119,95 €.

Cette thèse de doctorat soutenue à lUniversité de Pennsylvania a été dirigée par Jeffrey H. Tigay, Professeur émérite dhébreu et de langues et littératures sémitiques, et par Grant Frame, Professeur associé émérite dassyriologie et de langues et civilisations du Proche-Orient ancien. LA. procède à un vaste survol dune quantité importante de textes de genres variés et émanant de différents siècles, le spectre géographique sétendant de la Mésopotamie à lAnatolie, en passant par lItalie moderne (sic), et de la Syrie du Nord à Israël/Juda, et pose à ces écrits une même question : quest-ce ou qui était un dieu ? Son enquête concernant lunicité ou la multiplicité de divinités associées à un certain lieu géographique est motivée par la recherche déventuelles divinités yahwistes localisées.

Dès lintroduction est énoncée lidée qui sera exprimée à plusieurs reprises dans louvrage (p. 11, 309, 316), selon laquelle, malgré un manque de données et de preuves, les Assyriens et Phéniciens avaient probablement tenu le Yhwh de Samarie et le Yhwh de Teman pour des divinités distinctes. Le chapitre portant sur les inscriptions trouvées à Kuntillet Adjrud au Sinaï occupe en conséquence la plus grande partie du livre. Il sappuie sur la lecture incertaine de « Samarie » dans un texte et, trois fois sur quatre, sur la lecture reconstruite de Teman (p. 411), ainsi que sur quelques expressions figurant dans la Bible hébraïque et provenant de différents contextes et siècles (dans les livres de Juges, de Samuel, dÉsaie, de Joël et des Psaumes), voire de différentes idéologies et théologies qui associent Yhwh au Sinaï (une fois), à 94Sion ou à Hébron (une fois). LA. traite ces textes sans aucun esprit critique, ne sinterroge pas sur la fonction quils revêtaient dans leur contexte spécifique (cest-à-dire sur le « comment » de leur signification), sa démarche étant exclusivement orientée, dans une perspective sémantique, vers la représentation (cest-à-dire vers le « quoi » de la signification impliquée). À la fin du livre (p. 316, 318 sq.), il postule quun Israélite polythéiste aurait facilement pu considérer le Yhwh de Samarie et le Yhwh de Teman comme des divinités distinctes, tout en concédant quune telle affirmation ne trouve appui dans aucun texte biblique.

La soussignée ne craint pas de dire que lobjectif de lenquête nest pas atteint. Le livre est doté dun nombre très réduit de notes de bas de pages (149 notes pour 319 pages de texte), dune annexe, de listes dabréviations, dindex et dune bibliographie.

Régine Hunziker-Rodewald

Beate Pongratz-Leisten, Religion and Ideology in Assyria, Boston – Berlin, De Gruyter, coll. « Studies in Ancient Near Eastern Records » 6, 2015, xvii + 553 pages, ISBN 978-1-61451-482-4, 113,95 €.

LA., Professeur détudes du Proche-Orient ancien au prestigieux Institute for the Study of the Ancient World (ISAW) de lUniversité de New York, axe ses recherches sur lhistoire politique, intellectuelle et religieuse du Proche-Orient ancien, la culture matérielle, la formation de communautés textuelles, la transmission de la mémoire culturelle et la performativité des textes rituels. La présente monographie est consacrée aux rapports quentretiennent religion et idéologie, que lA. considère inextricablement liées dans le contexte du monde ancien (p. vii). Le sujet principal est le développement de lidéologie royale assyrienne telle quelle se dégage des textes, rituels et images remontant à la période sétendant du IIIe au Ier millénaire avant J.-C. en interaction notamment avec les traditions babyloniennes, hourrites et hittites.

LA. sinterroge en particulier sur le rôle (agentivity) des artisans-artistes, scribes et prêtres dans lentourage du roi ; elle voit ces agents activement impliqués dans la construction de son « corps politique », tel quil a été présenté au monde et aux dieux (p. 448). 95Le roi et les érudits étaient à tout moment en conversation lun avec les autres, puisquils devaient se mettre daccord sur le message idéologique quils entendaient transmettre en fin de compte (p. 450). À partir de Sennachérib (fin viiie-début viie siècle) limage du roi guerrier victorieux sest doublée de celle du roi savant, habile et sage, ce qui a puissamment contribué à la formation du « corps politique » royal (p. 456) ; les savants lont placé dans la proximité des dieux (p. 457). Les érudits se révèlent ainsi les gardiens de la mémoire culturelle et les agents dun réseau dintertextualité et dintermédialité qui relie la réalité historique de la société à son passé mythique (p. 467).

Le livre, divisé en 11 chapitres, contient des cartes, des tableaux, des dessins et des photos en noir et blanc dassez bonne qualité. Il est complété par une annexe contenant deux textes assyriens transcrits (mais sans traduction), une bibliographie et une série dindex. Livre dense et fascinant, fruit de plus de dix ans de recherche, cet ouvrage se recommande par la richesse des informations inédites quil recèle.

Régine Hunziker-Rodewald

Ancien Testament

Carolyn J. Sharp (éd.), The Oxford Handbook of the Prophets, Oxford – New York, Oxford University Press, 2016, xxxv + 726 pages, ISBN 978-0-199859559, 139,60 €.

Cet important volume de la prestigieuse collection des Oxford Handbooks contient 37 contributions portant sur Ésaïe, Jérémie, Ézéchiel et les Douze Petits Prophètes, rédigées par des spécialistes et destinées non seulement aux chercheurs, mais encore aux non-initiés. Il est divisé en trois parties qui visent, respectivement, à contextualiser les prophètes (I), à les interpréter (II) et à entrer en discussion avec eux (III).

Les articles de la première partie sattachent à préciser la période durant laquelle des prophètes sont apparus et ont été actifs – dans le Proche-Orient ancien, la Diaspora et en Yehud à lépoque perse. Sont également abordées les relations que la prophétie entretient avec la prêtrise ou lapocalyptique. Dans la deuxième partie, on 96trouve des contributions sur la structure, les thèmes et des questions controversées de chacun des livres (les Douze étant ici considérés comme formant un seul livre), ainsi que sur des sujets transversaux tels que lutilisation de métaphores, la critique du genre, le prophète en tant que persona, Dieu et la violence chez les prophètes. Une attention particulière est accordée à lhistoire de la réception (à Qumrân, dans le Nouveau Testament, chez les rabbins, les premiers chrétiens et au Moyen Âge). Dans la troisième partie, des points de vue récents sont mis en avant : approches juives modernes, féministes, matérialistes, postcolonialistes et postmodernes. Particulièrement novateur est le chapitre 30, portant sur la « Queer Theory », qui expose les structures de pouvoir culturel et déstabilise les normes de genre. Le volume se clôt par deux contributions qui sinterrogent sur les perspectives futures en matière de méthodes, dangles dapproche et dinterprétations, et plaide en faveur dune lecture qui, dépassant la simple détermination du sens originaire des textes, prenne également en compte la situation contemporaine.

On regrette labsence de référence aux approches fondées sur la théorie cognitive comme, par exemple, celle illustrée par J. Sørensen dans « Ideology, Prophecy and Prediction : Cognitive Mechanisms of the “Really Real” » (A. K. Petersen et al. [éd.], Evolution, Cognition, and the History of Religion : a New Synthesis, Brill, 2018, p. 334-347). Il nen reste pas moins que ce volume est incontournable et quil profitera tant aux chercheurs et aux étudiants quà un public plus large.

Régine Hunziker-Rodewald

Rüdiger Lux, Ein Baum des Lebens. Studien zur Weisheit und Theologie im Alten Testament. Herausgegeben von Angelika Berlejung und Raik Heckl, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Orientalische Religionen in der Antike » 23, 2017, viii + 377 pages, ISBN 978-3-16-155377-6, 129 €.

Ce volume, formellement très soigné, réunit 21 contributions de Rüdiger Lux, qui a été pasteur, aumônier, enseignant dhébreu biblique et, à partir de 1995, Professeur dAncien Testament à lUniversité de Leipzig. Il lui a été offert par ses collègues de lInstitut détudes de lAncien Testament de lUniversité susdite 97à loccasion de son 70e anniversaire, sous le mot dordre dOdo Marquard (« grise est toute théorie, et vert larbre de vie – Grau ist jede Theorie und grün der Baum des Lebens »). Il recueille des articles, tous rédigés en allemand, qui, à lorigine, ont paru entre 1984 et 2015, dans lesquels lA. sattache à différents aspects de la sagesse et de la théologie dans lAncien Testament. On y trouve des études sur Job, Qohéleth, la Nouvelle de Joseph, 1 Samuel 1–3, ainsi que sur des thèmes comme lart de vivre la vieillesse, le mythe dans lAncien Testament, la généalogie comme principe structurel, la promesse et la construction de lhistoire, la relation entre lhistoire de la religion dIsraël et sa théologie, limage de Dieu et des dieux, la diaspora et, finalement, linterprétation des écritures dEsdras. Louvrage, qui contient une bibliographie de 30 pages, est rehaussé dutiles index.

Régine Hunziker-Rodewald

Ernst Axel Knauf, Richter, Zürich, Theologischer Verlag, coll. « Zürcher Bibelkommentare AT » 7, 2016, 176 pages, ISBN 978-3-290-14756-3, 43 €.

LA., Professeur associé émérite (depuis 2018) dAncien Testament et du monde biblique à la Faculté de Théologie de lUniversité de Berne (Suisse), propose souvent, et à vrai dire même toujours, des interprétations astucieuses et novatrices. À linstar de son commentaire sur le livre de Josué (Zürcher Bibelkommentare AT 6, 2008, 203 pages), cet ouvrage concis sur le livre des Juges est dune qualité extraordinaire. Quon en juge : classification des textes du livre des Juges au sein du contexte pour lequel ils ont été rédigés, fondée sur des arguments historiques relatifs à la langue ; datations appuyées sur des caractéristiques linguistiques et phraséologiques, historico-culturelles et archéologiques ; démarcation par rapport à la théorie dun ouvrage historique deutéronomiste (Dt – 2 R) ; sélection des sources (les Codices dAlep, du Caire, de Léningrad, la Vulgate comme tradition parallèle du texte massorétique) ; traduction prudente et précise, qui veut ouvrir au texte source et ne pas lobstruer en recourant aux traditions modernes de traduction ; interprétation qui témoigne de limmense culture philologique, historique et socioculturelle de lA. et de sa connaissance fine de la Bible hébraïque ainsi que de sa réception au sein du judaïsme 98antique (livres deutérocanoniques, Nouveau Testament, Philon dAlexandrie, Flavius Josèphe) et rabbinique.

Ce commentaire est écrit de manière très dense et comprend de nombreuses références intra- et intertextuelles qui sont justifiées par le fait que le livre des Juges présuppose, dans sa forme finale, au moins la Torah (Gn – Dt) et les Nebiim (Jos – Ml). Lenchaînement des phrases suit un principe de cumul, supposant beaucoup dinformations implicites. Une lecture rapide et superficielle manquerait le but et lintérêt de la présentation. Le volume est complété par des illustrations, des tableaux, des cartes, des liens sur internet (non datés), une bibliographie sélective douvrages majoritairement récents et un fichier mis sur le site Academia de lA. qui contient des détails philologiques et exégétiques ayant guidé linterprétation sans pouvoir trouver leur place dans le volume. Il nest malheureusement doté daucun index. Cet ouvrage constitue un commentaire ambitieux, stimulant et intéressant.

Régine Hunziker-Rodewald

Jean-Daniel Macchi, Le Livre dEsther, Genève, Labor et Fides, coll. « Commentaire de lAncien Testament » xive, 2016, 588 pages, ISBN 978-2-8309-1598-3, 49 €.

Ce commentaire dEsther prend également en compte les six additions (A-F) qui figurent dans les traductions grecques du livre. Son A., Professeur dAncien Testament à lUniversité de Genève, les a ajoutées à la fin du volume et les a rapidement présentées et analysées. Devenues canoniques au sein du catholicisme et de lorthodoxie, ces additions représentent une partie importante du Livre.

Louvrage, riche en explications, est le fruit de dix ans de recherche. Il contient une longue introduction de quelque 150 pages, le commentaire proprement dit sétendant sur plus de 350 pages, à quoi sajoutent presque 30 pages sur les additions ; une bibliographie de plus de 30 pages clôt lensemble.

Lintroduction renferme des informations détaillées sur les étapes rédactionnelles de lœuvre, sur le contexte intellectuel de sa production, sur les caractéristiques littéraires et thématiques de la forme massorétique, du proto-Esther et des versions grecques, sur lorganisation spatiale et le système chronologique du livre dEsther, et sur la canonisation et la réception de lœuvre. La structure du 99commentaire suit le modèle classique dune présentation scientifique qui avance chapitre par chapitre, péricope par péricope et ensuite verset par verset. Au début de chaque chapitre, un résumé des thèmes et enjeux établit un certain cadre de compréhension qui est suivi dune traduction plutôt littérale du Codex Leningradensis et accompagné de notes textuelles très détaillées (incluant les variantes figurant dans les traditions grecques et latines). Suit le commentaire au sens strict, bien annoté et augmenté dencadrés très utiles sur des sujets pertinents comme, par exemple, les banquets, le vin, les édits, les eunuques, la fiscalité, les vêtements et le pouvoir. Une section intitulée « processus rédactionnel » complète le commentaire de chacun des chapitres.

La grande compétence de lA. et sa passion pour le livre dEsther font du travail quil présente un ouvrage fort réussi.

Régine Hunziker-Rodewald

Judaïsme

A. Jordan Schmidt, Wisdom, Cosmos, and Cultus in the Book of Sirach, Boston – Berlin, De Gruyter, coll. « Deuterocanonical and Cognate Literature Studies » 42, 2019, xiii + 505 pages, ISBN 978-3-11-060110-7, 129,95 €.

Version légèrement révisée dune thèse soutenue en 2017 à la Catholic University of America (Washington), louvrage se concentre en fait, dune part, sur la relation entre lenseignement de Ben Sira relatif à lordre de lunivers créé, sa doctrine de la création, et la compréhension qui est la sienne de lacquisition par les humains et de la dispensation par Dieu de la sagesse et, dautre part, sur la manière dont il conçoit que les êtres humains constituent et maintiennent à la fois lordre de la création par leur conduite empreinte de sagesse.

Une introduction nourrie et fort bien informée, faisant une large place, tout comme le reste de louvrage, aux travaux des auteurs francophones et surtout à ceux de M. Gilbert et de J.-S. Rey, situe la rédaction du livre, dont il fait remonter la rédaction finale aux années 185-175 avant notre ère, dans le contexte historique, politique et social de cette période et présente les importants problèmes de critique textuelle qui se posent à propos de lœuvre ainsi que sa structure.

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Lensemble se présente ensuite en deux parties.

Dans la première sont étudiées les instructions de Ben Sira relatives au cosmos, cela en trois volets. LA. sintéresse dabord, à partir de Si 16,24–17,14, à la conception dun cosmos bien ordonné au sein duquel la Torah joue tout son rôle dans la mesure où elle permet à ceux qui lobservent de contribuer à lordre cosmique en préservant et en promouvant lordre divinement institué du monde terrestre. Il étudie ensuite, à partir de Si 39,16-31, le rôle que Ben Sira assigne, en fonction de cet univers de représentation, aux bonnes œuvres. Il explore enfin, au miroir de Si 42,15–43,33, la merveilleuse beauté, expression de la gloire divine, que lécrit associe au cosmos et dont il invite ses lecteurs à faire lexpérience dans leur propre vie pour être conduits à la louange et à la prière.

Dans la seconde partie, il traite du rôle des humains au sein du monde créé. Il présente, à lappui de Si 1,1-10 et de Si 24,1-34, la façon dont Ben Sira conçoit la sagesse et sa présence dans le cosmos sur les deux plans spatial et temporel, son acquisition devant habiliter à comprendre lordre cosmique et à agir en fonction de lui pour le conforter. Il sintéresse ensuite à la contribution humaine à lordre cosmique, à lexemple des responsables de la cité (Si 9,17–10,5), des épouses (26,13-18, des médecins (38,1-8), des travailleurs manuels (38,24-34ab), des scribes (38,34c–39,11) et, enfin et surtout, du personnel cultuel et du grand prêtre, ce dernier jouant un rôle clé au centre du microcosme de lunivers qui se fait présent dans le sanctuaire pendant la célébration du rituel sacrificiel, ce qui confère au peuple juif le privilège daccéder à une compréhension plus profonde de cet ordre créé (45,6-26 ; 50,1-24). Lensemble, remarquablement construit et cohérent, impressionne et convainc à la fois.

Christian Grappe

Dale C. Allison, 4 Baruch. Paraleipomena Jeremiou, Berlin – Boston, De Gruyter, coll. « Commentaries on Early Jewish Literature », 2019, vii + 640 pages, ISBN 978-3-11-026973-4, 89,95 €.

Ayant déjà publié un commentaire du Testament dAbraham dans la même série, lA. nous en propose désormais un des Paralipomènes 101de Jérémie, écrit qui pose des problèmes pour le moins complexes. Il nous est parvenu sous deux formes, lune longue, attestée par 24 manuscrits (grecs pour la plupart, mais aussi éthiopiens…) sans que les éditeurs successifs du texte aient toujours privilégié les mêmes parmi ces témoins – un projet de recherche mené à luniversité de Würzburg devait apporter plus de lumière sur la question mais a été abandonné avant terme –, lautre brève, qui est manifestement secondaire. Le texte commenté ici est un texte éclectique, lA. ne proposant donc pas une nouvelle édition, ce qui eût représenté une tâche considérable, et se limitant à signaler les lieux variants les plus complexes à démêler, ceux qui présentent un enjeu quant au sens ou encore qui font apparaître des différences importantes entre témoins grecs et éthiopiens… Il assigne lécrit au genre littéraire de la Bible réécrite tout en précisant que ce nest vraiment le cas que pour les chapitres 1–4 et que lauteur fait preuve de beaucoup dimagination et ne suit jamais pas à pas le texte biblique. Il propose une structuration de lœuvre en trois grandes parties, les deux premières (exil et lamentation ; retour et réjouissance) se répondant de façon contrastée autour dune section centrale narrant le temps de lexil et la façon dont il a pris fin. Il identifie les thèmes principaux suivants : la souveraineté divine ; lespérance en Dieu ; la lamentation ; la prière ; le nouvel exode et le nouveau Moïse ; la séparation avec les païens. Il estime que lœuvre, écrite dans un grec simple de la koinè, a été initialement rédigée dans cette langue et que les sémitismes quelle contient dérivent soit de la Septante, soit dautres sources que lauteur, dont il suppose quil devait être pour le moins bilingue (grec et hébreu), a utilisées. Il pose encore la question cruciale de lorigine juive ou chrétienne de lœuvre et se rallie à lopinion de Charles selon lequel on a affaire à un écrit fondamentalement juif qui a été refondu par un auteur chrétien, tout en se montrant encore plus enclin à majorer la composition juive puisquil parle finalement de la présence de touches chrétiennes ici et là (p. 34). Quant aux phénomènes dintertextualité, ils lui apparaissent si nombreux quil faut supposer que lauteur a recouru, outre au substrat biblique, à des nombreux récit et légendes préexistants. LA. envisage encore les parallèles de lœuvre avec des écrits comme 2 Baruch, lApocryphe de Jérémie ou encore Pesiqta Rabbati 26 et situe la rédaction du substrat juif de lœuvre quelque part en Palestine avant la Deuxième guerre juive, la rédaction chrétienne, imputable à plusieurs mains successives, sétalant ensuite dans le temps et transformant lécrit 102de légende juive conçue pour des juifs en une légende chrétienne conçue pour des chrétiens.

Le commentaire à la fois précis, érudit et détaillé seffectue chapitre par chapitre. Lensemble est complété par des index fort utiles mais un peu trop aérés (près de 200 pages) qui achèvent de faire de ce commentaire un ouvrage de référence.

Christian Grappe

Nouveau Testament

Garrick V. Allen (éd.), The Future of New Testament Textual Scholarship. From H. C. Hoskier to the Editio Critica Maior and Beyond, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament » 417, 2019, xi + 523 pages, ISBN 978-3-16-156662-2, 149 €.

Louvrage se propose denvisager lavenir de la critique textuelle du Nouveau Testament à partir du passé et du présent de cette discipline. Il traite de la manière dont les changements technologiques, idéologiques et politiques ont modifié le discours scientifique dans ce champ très technique, et cherche à savoir si les profondes évolutions technologiques (liées au recours à loutil informatique) qui font désormais partie intégrante de la recherche en matière de critique textuelle ont des effets similaires. Lune des originalités du volume est de ne pas se cantonner à la critique textuelle elle-même mais de sintéresser aussi aux manuscrits, à leur disposition, leur format, leur écriture… Lensemble se déploie en trois grandes sections.

La première se consacre à lhistoire intellectuelle de lapproche scientifique en matière de critique textuelle et se concentre surtout sur la figure et les travaux de Herman Charles Elias Hoskier (1864-1938) dont il est question à de nombreuses reprises dans le reste du volume. G.V. Allen évoque linfatigable chercheur dans son rapport avec la philologie de lau-delà, cela dans la mesure où il sest passionné pour la théosophie et a même écrit deux œuvres sous le pseudonyme de Signpost (panneau directionnel). Une bibliographie annotée décrits significatifs dHoskier complète cette contribution. J. Hernández Jr. étudie ensuite la contribution dHoskier à lhistoire du texte de lApocalypse, en prenant en compte sa théorie polyglotte et les regroupements de manuscrits 103quil a opérés, sujet que M. Karrer étudie dune autre manière. J. Karns revient pour sa part sur le monde spirituel dHoskier et son rapport au spiritisme, influencé quil a été par Louis de Guldenstubbé. Quant à J. Wright Knust, elle se penche sur la collation du Codex Evangelium 604 par Hoskier et fait valoir que, si ses collations gardent leur valeur, ses excentricités, sa propension à transformer une théorie en fait et son intérêt pour le spiritisme déroutent. Enfin, P.J. Gurry revient sur lélaboration du Greek New Testament de Wescott et Hort et montre combien il a marqué la recherche et a pu servir en quelque sorte de référence pour ceux qui ont suivi.

La deuxième partie établit un état des lieux et sintéresse à lavenir de lapproche scientifique en matière de critique textuelle. S.E. Porter revient sur le but et le propos de la critique textuelle, puis sur la notion même de lieu variant avant daborder la place accordée aux donnée para- et métatextuelles, tout cela en articulant état de la recherche et perspectives davenir. G.P. Fewster sintéresse à la manière dont, au ive siècle, Eusèbe et Euthalius ont innové en développant des systèmes paratextuels de références croisées, quillustrent notamment les demeurés célèbres canons dEusèbe. Chr. Kreinecker traite plus particulièrement des papyri et de la manière dont la papyrologie contribue au développement des études néotestamentaires. J.W. Peterson sintéresse, à lexemple du Papyrus 46, sur lintérêt quil peut y avoir à considérer les corrections apportées à un texte non pas isolément mais en réseau pour en tirer des indications sur le correcteur ou la communauté qui a corrigé le texte. D. Jongkind part en quête déléments rédactionnels dans le codex Vaticanus (B) et y voit un texte qui reflète la liberté dexpression dun auteur ne cherchant pas luniformité et qui a été élaboré sans doute dans un cadre au sein duquel on possédait une expertise philologique à la fois en grec et en hébreu. H.A.G. Houghton semploie à montrer, à laide de ressources électroniques et de données digitales, limportance du Codex Usserianus Secundus (r2) pour ce qui est du texte latin de Matthieu, alors que ce témoin est resté jusque-là négligé. C. Niccum revient, dans une perspective méthodologique, sur la façon dont Hoskier, en comparant le Papyrus 46 et la version éthiopienne, a exagéré leurs correspondances. Th.J. Kraus insiste sur la place qui doit être faite aux ostraca et aux talismans à côté des papyri et des manuscrits en tant que témoins majeurs en vue de létude du christianisme des premiers siècles. A.-T. Yi présente lapparat critique du Nouveau Testament grec de Robert Estienne (1550) et lusage 104qui y est fait du Codex Regius (L ou 019). T. Wasserman traite des méthodes permettant dévaluer les relations textuelles entre les manuscrits, de Bengel à la CBGM (Coherence-Based Genealogical Method) et de la détermination de grandes familles de manuscrits à létude plus fine des relations entre manuscrits grâce à loutil informatique. J.K. Elliott, prônant une critique textuelle éclectique, sintéresse aux témoins de lApocalypse, moins nombreux que pour dautres écrits du NT, doù la nécessité de porter une attention plus grande aux manuscrits écrits en minuscules et à des variantes en leur sein. J. Unkel présente la collection, éclectique, des manuscrits écrits en diverses langues, rassemblés par Alfred Chester Beatty et les efforts qui sont effectués afin de les faire mieux connaître.

La troisième section traite de lédition du NT à lère du numérique. D.C. Parker envisage lavenir de lédition critique en insistant sur le fait quil ne sagira plus seulement déditer un texte mais aussi dexplorer lhistoire du texte en reconstituant une ou plusieurs formes de textes plus anciennes que dautres, de comparer les états dans lesquels le texte a pu exister à différentes époques, de sintéresser à lintérêt de tel témoin original… C. Smith dresse un historique de lédition électronique et présente les outils numériques à disposition pour éditer le NT ainsi que les problèmes qui se posent en matière de transcription, de collation et aussi de préservation et de durabilité des données recueillies. K. Wachtel présente la CBGM et son importance dans le cadre de lélaboration de lEditio Critica Maior (ECM) du NT grec. Enfin, A. Hüffmeier présente, à laide dexemples concrets, les aspects méthodologiques et techniques de lélaboration de lapparat critique à lère de lECM.

Un ensemble très intéressant et complet qui, à partir de lœuvre pionnière de Hoskier, donne un excellent aperçu de lhistoire et du développement dune discipline en constant renouvellement.

Christian Grappe

Eyal Regev, The Temple in Early Christianity. Exploring the Sacred, Yale – New Haven – London, Yale University Press, coll. « The Anchor Yale Reference Library », 2019, xiii + 480 pages, ISBN 978-0-300-19788-4, $ 55.

Louvrage se propose de traiter du Temple, de sa signification, de sa fonction et de la manière dont il était considéré par les 105premiers chrétiens. Pour ce faire, lA., qui enseigne à lUniversité Bar Ilan à Ramat Gan en Israël, définit quatre critères pour classer les attitudes à lendroit du Temple : participation (en se rendant au Temple) ; analogie (dès lors que lon modèle des idées ou des rites en fonction du Temple et des sacrifices), critique, rejet. Dès lintroduction, il pose la thèse quil va développer tout au long de louvrage : « il ny a pas de raisons de présupposer quil y a une tension directe entre le premier christianisme et le Temple, et il ny a aucun indice du fait que Jésus aurait hérité cette approche de son maître, le Baptiste » (p. 7).

Dans un premier temps, lA. traite de la figure de Jésus à travers trois temps forts : lexpulsion des marchands du Temple, dans laquelle il discerne une affirmation par Jésus du fait que largent de personnes injustes corrompt ou souille le culte du Temple ; la Passion, au sein de laquelle il voit, dans le logion de Jésus annonçant la destruction de sanctuaire, lélément déclencheur, dans la mesure où il aurait été compris comme une attaque politique contre le pouvoir romain ; le dernier repas, qui permettrait à Jésus non pas de remplacer le sacrifice mais de létendre à un nouveau domaine. Il aborde ensuite les lettres de Paul et fait valoir que Temple et sacrifice ny revêtent pas leur signification originale, telle quon la trouve dans la Loi, mais servent à dépeindre une nouvelle symbolique. De fait, Paul utiliserait les caractéristiques générales et symboliques du système sacrificiel juif et les rapporterait à la communauté chrétienne, à Jésus et à lui-même pour leur conférer une valeur similaire, mais seulement dans un sens métaphorique. LA en infère quil ny a pas de contradiction fondamentale entre la foi de Paul en Christ et le culte au Temple. Il se demande ensuite où se situe Marc et arrive à la conclusion selon laquelle Marc souhaite que son lecteur conçoive Jésus en relation avec le Temple et le comprenne comme un personnage qui se situe au cœur même de la religiosité juive et a autorité en son centre que représente le sanctuaire. Quant à Matthieu, envisagé ensemble avec la source Q, il prioriserait à la fois le Temple et Jésus, Mt 12,3-7 étant un exemple du fait que le culte sacrificiel est pleinement reconnu, tout en affirmant, à travers Mt 12,42, que Dieu est présent en Jésus dans une plus large mesure encore que dans le sanctuaire. Lensemble Luc-Actes présenterait quant à lui le Temple comme un marqueur de lidentité juive, un symbole du judaïsme, et Jésus, les apôtres et les chrétiens comme étant parfaitement respectueux du Temple et de son culte, non seulement pour protéger les chrétiens 106de toute suspicion de la part des autres juifs mais aussi parce que lauteur à Théophile lui-même était attaché au judaïsme et voulait dire que le christianisme est non seulement fidèle à ses racines juives mais quil est le judaïsme. Le quatrième évangile utiliserait pour sa part le Temple comme un modèle explicatif pour comprendre Jésus en analogie avec le sanctuaire. Jésus ny ferait donc pas figure de nouveau Temple mais serait conçu à la manière du Temple, sans dailleurs en assumer toutes les fonctions, et cela à une époque où le sanctuaire nest plus quun symbole et un objet de mémoire, laissant le lecteur avec Jésus incarnant un mode vivant dadoration et de rapprochement avec Dieu. Dans lApocalypse, le Temple céleste et son culte joueraient un rôle majeur en réponse à la perte du Temple terrestre, lidée étant que, si les Romains ont détruit le Temple de Jérusalem, ils ne peuvent pas détruire son homologue céleste vers lequel juifs et païens sont appelés à se tourner. Enfin, Hébreux ferait valoir que le système sacerdotal continue davoir cours dans un format à la fois nouveau et meilleur dès lors quil sert de clé de compréhension du Christ et de la manière dont il sauve le monde. Hébreux estimerait ainsi que le christianisme est le successeur direct du culte sacrificiel et non pas celui qui vient labolir.

Un dernier chapitre, qui traite de la relation du mouvement chrétien naissant au judaïsme, se clôt par des propos dune grande profondeur : « Leur manière de se situer par rapport au Temple fournit aux auteurs du NT et à leurs lecteurs loccasion dexprimer leur dette à lendroit de la tradition juive, et en même temps leur différence avec elle. Plus encore, cette manière de se situer renforce leur sentiment de se sentir forts, authentiques et sacrés – cest-à-dire proches de Dieu. Pour eux, le Temple est un moyen dexpérimenter le sacré de manière à la fois ancienne et nouvelle, quelque part sur le spectre compris entre ce qui sera appelé plus tard “judaïsme” et “christianisme” » (p. 313).

Même si lon est loin, comme lauteur de ces lignes, de suivre en tout lA., il faut reconnaître limportance de cet ouvrage, dû à un savant juif qui fait preuve dune compréhension et dune sympathie profondes envers le christianisme et qui engage un dialogue qui ne peut que contribuer à rapprocher les points de vue entre juifs et chrétiens et montre la voie pour cheminer dans cette direction : le profond respect de la tradition de lautre et la volonté de la comprendre et de la faire aimer.

Christian Grappe

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Simon Butticaz, Le Nouveau Testament sans tabous, Genève, Labor et Fides, coll. « Essais bibliques » 53, 2019, xv + 188 pages, ISBN 978-2-8309-1683-6, 18 €.

La vocation de cet ouvrage de vulgarisation de haute voilée est expliquée par lA. à partir de la citation suivante de Paul Ricœur : « À défaut de sens objectif, le texte ne dit plus rien ; sans appropriation existentielle, ce quil dit nest plus une parole vivante. Cest la tâche dune théorie de linterprétation darticuler dans un unique procès ces deux moments de la compréhension. » Lécriture du livre a donc été guidée par ce souci darticulation et cela autour de questions dune brûlante actualité sur lesquelles est proposée ici, dans une perspective herméneutique souvent conçue en tension, un éclairage à partir des textes néotestamentaires : Le monothéisme est-il intolérant ? Faut-il sauver Dieu de la tentation ? Pourquoi le NT ne condamne-t-il pas lesclavage ? Paul, lennemi des femmes ? Le NT contre lhomosexualité ? Le tombeau était-il vide ? Quelle espérance pour Israël ?

Un excellent livre dont on espère quil rencontrera le succès quil mérite.

Christian Grappe

Arie W. Zwiep, Jairuss Daughter and the Haemorrhaging Woman. Tradition and Interpretation of an Early Christian Miracle Story, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament » 421, 2019, xxvi + 454 pages, ISBN 978-3-16-157560-0, 139 €.

Fruit dun long compagnonnage de lA. avec le passage étudié (Mc 5,21-43 ; Mt 9,18-26 ; Lc 8,40-56) et dune attraction quil confesse pour les textes dans lesquels il est question dune absence – ici celle dune jeune fille morte –, louvrage souvre par un historique de la recherche et passe ainsi en revue les essais dharmonisation, les interprétations allégoriques, les théories historico-critiques, les perspectives ouvertes par lhistoire des formes, la quête de sources, les approches littéraires et narratives, et enfin les approches contextuelles, féministes et psychanalytiques surtout.

Il procède ensuite de manière très méthodique pour avancer dans lanalyse successive et en parallèle du passage et des trois 108temps que lon peut y distinguer dans chacun des trois évangiles synoptiques (interpellation de Jésus par Jaïrus et mise en route avec lui ; intervention de la femme hémorroïsse et guérison de cette dernière ; résurrection de la fille de Jaïrus). Sont dabord envisagées les questions relatives au texte et à sa traduction, traitées à partir de notes lexicales, syntaxiques et sémantiques qui font apparaître la multitude des enjeux et des aspects à prendre en compte, cela dans la mesure où la traduction est elle-même un phénomène qui sinscrit dans lhistoire de la réception du texte lui-même. Vient le tour de la structure et de la forme, mais aussi du contexte littéraire, un appendice fort utile proposant dailleurs un tableau des anciennes divisions des péricopes dans la tradition manuscrite grecque des évangiles synoptiques. On passe ensuite à lhistoire de la tradition et de la rédaction. Il apparaît à lA. que Marc a utilisé deux récits autonomes ou peut-être déjà combinés au stade de la tradition et que Matthieu, en émondant le passage, et Luc, en le réarrangeant, se sont appuyés sur lui, même sils ont pu disposer chacun dune forme différente de son œuvre. Mais lanalyse ne sarrête pas là car lA. poursuit dans la veine de loralité, en quête de marqueurs de cette dernière et les trouve surtout chez Marc. Il voit là un argument très fort en faveur de lhypothèse déjà formulée précédemment. Lavant-dernier chapitre, intitulé « Histoire et récit », propose que Marc ait utilisé les deux récits enchâssés pour illustrer les pouvoirs que confère à Jésus ladvenue du Royaume et la façon appropriée de se situer par rapport à son message, que Matthieu les ait repris en les mettant au service de sa christologie en fonction dEs 49,7 LXX et que Luc en ait fait des illustrations, dans le sillage de la prédication de Nazareth, de la proclamation du Royaume de Dieu par Jésus et par les disciples. Un dernier chapitre, conclusif, noue la gerbe, tandis que trois appendices viennent prolonger létude. Ils sont consacrés respectivement : à la critique textuelle et à lhistoire de la transmission du texte ; au texte et à lintertexte, une attention toute particulière étant portée à lévolution de lannotation marginale du Nestle-Aland au fil des éditions ; à la réception et à la Wirkungsgeschichte du texte.

LA. effectue ainsi un parcours exégétique très complet, qui illustre les vertus et les fruits que peut porter une approche qui conjugue les perspectives pour quelles se complètent mieux. On pourra parfois hésiter à le suivre sur les chemins de loralité quil retrace car on se meut là dans un champ très hypothétique, ce 109quil reconnaît tout en nhésitant pas à se montrer assez affirmatif lorsquil sagit de conclure. Il nen demeure pas moins, et cest très important, que lenquête quil conduit est exemplaire et montre ce que peut être encore aujourdhui une véritable travail dexégèse conduit par quelquun qui en maîtrise à la fois les techniques et les méthodes.

Christian Grappe

Kylie Crabbe, Luke/Acts and the End of History, Berlin – Boston, De Gruyter, coll. « Beihefte zur Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft und die Kunde der älteren Kirche » 238, 2019, xvii + 418 pages, ISBN 978-3-11-061455-8, 86,95 €.

Fruit dune thèse rédigée sous la double direction de Christopher Rowland et de Markus Bockmuehl, louvrage reprend un questionnement marqué par les travaux de Hans Conzelmann (Die Mitte der Zeit) et dOscar Cullmann (Christ et le temps et Le salut dans lhistoire) en sappuyant sur un éventail de textes grecs et latins de la période gréco-romaine, tant juifs que païens : lHistoire générale de Polybe ; lHistoire universelle de Diodore de Sicile ; lÉnéide de Virgile ; les Faits et paroles mémorables de Valère Maxime ; les Histoires de Tacite ; 2 Maccabées ; le Règlement de la Guerre (1QM) retrouvé à Qumrân ; la Guerre juive de Flavius Josèphe ; 4 Esdras ; 2 Baruch. Elle justifie son choix de retenir ainsi des écrits de genres littéraires différents dans un chapitre argumenté dans lequel elle fait valoir que la présence de motifs communs dans des textes transcende précisément la question du genre littéraire. Elle se livre ensuite, dans quatre chapitres qui constituent le cœur de la thèse, à une étude comparée de motifs que lon retrouve en Luc-Actes.

Ce sont tout dabord le sens et la schématisation de lhistoire qui sont explorés, lA. partant en quête de textes qui puissent faire écho dune manière ou dune autre à la périodisation et à la conception téléologique de lhistoire que lon trouve dans lœuvre double à Théophile. LÉnéide, 1QM, la Guerre juive, 4 Esdras, 2 Baruch, et, à un degré moindre, 2 Maccabées savèrent ici les plus éclairants. Ce sont ensuite le déterminisme et la conduite divine de lhistoire qui sont étudiés. Les parallèles que lA. observe avec 1QM, 4 Esdras, 1102 Baruch, et même la Guerre juive, écrits qui tous conjoignent conduite divine et conception téléologique de lhistoire, lamènent à affirmer que Luc considère que la volonté et la conduite divines englobent et concernent tous les temps jusquà la fin. Pour ce qui est de la responsabilité et de la liberté humaines, lA. fait valoir que, si Luc-Actes suggère une forme de synergie entre action divine et action humaine, la plupart des personnages étant appelés tout au long du récit à prendre une décision urgente en relation avec la fin prochaine, dautres apparaissent aussi qui entravent temporairement la volonté et laction divines mais sont finalement mis hors détat de nuire (cest le schéma de léchec paradoxal mis en évidence par Jean Zumstein, que lA. ne connaît pas). Sont enfin pris en considération le présent et la fin de lhistoire, lA. aboutissant au constat selon lequel, en Luc-Actes, la vie est vécue par des personnages conscients que le temps présent sinscrit dans la période finale de lhistoire et confiants dans le fait que les événements de la fin des temps qui restent à venir sont déjà en cours.

Malgré les fréquentes affirmations de lA. selon lesquelles elle parviendrait à des résultats nouveaux, le présent recenseur na pas été si convaincu que cela de leur originalité et de lapport de louvrage à la recherche, même si lanalyse est conduite de manière méthodique et fine. Il reste au final, mais on sen doutait dès le départ, que la proximité de Luc-Actes est plus grande avec les écrits qui ont un horizon eschatologique ou une dimension apocalyptique.

Ce que pourra regretter aussi le lecteur, cest que la bibliographie ninclue quasiment pas de titre en une langue autre que langlais, dans laquelle heureusement un certain nombre douvrages en allemand et en français ont été traduits.

Christian Grappe

Eduard Käfer, Die Rezeption der Sinaitradition im Evangelium nach Johannes, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 2. Reihe » 502, 2019, xiv + 479 pages, ISBN 978-3-16-156240-2, 104 €.

Fruit dune thèse préparée sous la direction de Florian Wilk à lUniversité de Göttingen, louvrage souvre par des considérations dordre méthodologique sur lintertextualité, qui lui permettent de 111préciser que cette dernière va se concentrer sur la signification et la fonction communicative de la référence intertextuelle dans un texte. Le modèle danalyse suivi, celui de Stocker, consiste, pour chaque passage du quatrième évangile pris en compte, à étudier la relation établie entre auteur, texte et lecteur et à procéder selon trois étapes successives fondamentales : analyse du phénomène de désintégration par lequel le lecteur, alerté par un marqueur donné qui fait fonction dinterférence co-textuelle, est en quelque sorte distrait (abgelenkt) de son axe de lecture linéaire ; prise en compte de la phase de digression au cours de laquelle, dévié (umgelenkt) de sa lecture linéaire, il va partir en quête de lhypotexte, guidé quil est en cela par des phénomènes déchos et de correspondances qui font lobjet dune étude spécifique dans chacun des cas ; analyse de la phase de réintégration à loccasion de laquelle le lecteur tient compte de lhypotexte ou des hypotextes quil a identifiés pour poursuivre sa lecture linéaire du texte en le réinterprétant en conséquence. Il convient dajouter à cela que la tradition du Sinaï quenvisage lA. ne se limite nullement à la Bible hébraïque et à la Septante, mais aussi aux targumim et à dautres interprétations juives anciennes.

Dans le corps de louvrage, quatre passages sont étudiés dans le cadre précédemment décrit. Il sagit dabord de Jn 1,14-18 en lequel lA. discerne une allusion évidente à la tradition du Sinaï, avec un marqueur intertextuel explicite, quoique non littéral, renvoyant au don de la loi (v. 17a) et dautres motifs collatéraux qui peuvent y être rattachés : la tente (v. 14) ; la vision de la gloire (v. 14) ; limpossibilité de voir Dieu (v. 18) ; lexpression « plein de grâce et de vérité » (v. 14) dont lA. affirme peut-être un peu vite quil sagit dune citation littérale. Il en résulte, selon lA., que ce nest pas la Loi ou son interprétation qui mène à la connaissance et à la relation à Dieu octroyant la vie éternelle mais celui par lequel grâce et vérité sont advenues dans la mesure où les lecteurs croient en lui. Il sagit ensuite de Jn 5,37-38 (« vous navez ni écouté sa voix, ni vu son aspect, et vous navez pas sa parole demeurant en vous »), dans lequel elle discerne un résumé concis du récit de la théophanie au Sinaï, sans correspondance littérale, mais qui serait détectable en raison de la présence de trois motifs (écouter la voix ; voir son aspect ; sa parole). Il en résulterait que la révélation au Sinaï et la Torah avec elle se situent dans un continuum avec la révélation de Dieu en le Christ et que la fête à larrière-plan de laquelle 112se déploie Jn 5 serait celle des Semaines. On notera ici que, dans son commentaire du quatrième évangile, qui est ignoré par lA., X. Léon-Dufour plaide aussi dans le sens dune compréhension de Jn 5,37-38 à partir de Dt 5,24, passage dont on peut sétonner quil ne soit pas évoqué. On passe ensuite à Jn 6,31-32.45-46, étudié en deux temps, à partir dabord de lépisode de la manne et des échos quil trouve en 6,31-32 et ensuite de la révélation finale relative à Dieu (6,45-46) que celui qui vient du ciel de la part de Dieu apporte, ce que navaient pu faire ni Moïse ni la Torah, incapables quils étaient de conférer comme lui la vie éternelle. Vient enfin le tour de Jn 10,34-36 qui, pour lA., montre que la Loi sinaïtique est pour lauteur du quatrième évangile parole de Dieu, qui fait de ceux qui la reçoivent des dieux et constitue un jalon sur une trajectoire qui conduit à la révélation de Dieu en Jésus qui en représente le climax.

LA. conclut de manière très logique que nulle part dans le quatrième évangile on ne trouve de polémique contre la révélation au Sinaï comme lieu central de lhistoire du salut ou encore une discontinuité radicale entre révélation au Sinaï et en Christ et que la révélation sinaïtique est, au contraire, valorisée car elle rend témoignage au Fils.

Louvrage, complété par les index habituels dans la collection qui laccueille, est à la fois intéressant et solide.

Christian Grappe

R. Alan Culpepper, Jörg Frey (éd.), Expressions of the Johannine Kerygma in John 2:23–5,18. Historical, Literary, and Theological Readings from the Colloquium Ioanneum 2017 in Jerusalem, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament » 423, 2019, xviii + 324 pages, ISBN 978-3-16-157636-2, 129 €.

Louvrage est issu dun troisième colloque johannique qui a eu lieu en 2017 à Jérusalem et qui a rassemblé du beau monde puisque la plupart des auteurs des commentaires majeurs du quatrième évangile parus ces vingt dernières années étaient au rendez-vous. Les contributions, au nombre de treize et qui sont publiées en anglais sauf deux qui le sont en allemand, se suivent logiquement en fonction de lordre des passages étudiés dans le quatrième évangile et, 113si lon va jusquen 5,18, cest que le colloque se tenait à Jérusalem et que le récit de 5,1-18 a pour cadre la ville.

J. Zumstein sinterroge sur la stratégie de révélation en Jn 3 et 4 et montre que les deux chapitres recourent à un même modèle rhétorique qui se déploie en deux temps : un moment dialogal où le Jésus johannique se révèle de manière indirecte (à travers le motif de la nouvelle naissance ou de leau vive) en traitant de questions anthropologiques ou sotériologiques ; une phase de révélation directe contribuant à dévoiler son identité. Cette gradation suggère selon lui une stratégie cognitive qui vise à faire passer dune connaissance élémentaire à une connaissance authentique tout en éclairant la condition humaine (autour de la question du salut) plus encore que lidentité de Jésus. Par ailleurs, un langage de changement est présent dans les deux passages qui ont encore commun de mettre en œuvre le motif de la reconnaissance et de reconfigurer la figure de Dieu.

Chr. Karakolis propose ensuite une lecture centrée sur le lecteur de lhistoire inachevée de Nicodème, ce dernier faisant office de personnage représentatif des pharisiens dont il est espéré que, comme lui, ils jettent des ponts entre judaïsme et christianisme. J. van der Watt sintéresse, à partir de Jn 3,3.5, au Roi et au Royaume en Jean et propose que ces deux versets soient programmatiques au sein du macro-récit et soulignent la présence du Royaume en la personne et en les œuvres de Jésus dès le début du macro-récit. Conjointement à celle du Fils qui se déploie par ailleurs, limagerie du Royaume suggèrerait que ce qui est en jeu, cest la constitution de la famille du Roi, non pas sous le mode dune relation souverain – peuple mais dune relation Père roi – enfants érigés eux-mêmes à la dignité royale. W. Loader examine le lien exaltation/glorification/ascension à partir de Jn 3,13-15, en fonction du contexte proche et dans le cadre général du macro-récit. Il le fait à la lumière du motif de lheure qui pointe vers le grand événement à venir, la mort de Jésus qui inclut précisément ces trois moments. R. Zimmermann sinterroge sur la façon dont sarticulent œuvres et éthique en Jn 3,19-21 et propose que « faire la vérité » ne se limite pas à croire en le Christ mais consiste aussi, et peut-être plus encore, à suivre ses actes et ainsi à œuvrer comme lui en Dieu. J. Frey propose des réflexions historiques et théologiques sur Jn 3,22-30 et la présentation qui y est faite de Jésus et de Jean en tant que baptiseurs, et relève fort opportunément que Jean place laccent bien davantage sur le don de lEsprit qui seffectue à partir de lévénement de la Croix que sur 114leau, sans que cela ne signifie pour autant quil y ait dénigrement du baptême. C. Williams étudie, en fonction de lespérance samaritaine et des promesses scripturaires, le dialogue avec les Samaritains et ses enjeux en Jn 4 et arrive à la conclusion selon laquelle Es 45,18-25 est le passage qui éclaire le mieux la façon dont le quatrième évangile conçoit que loffre du salut se déploie au-delà des frontières traditionnelles jusquaux extrémités de la Terre. U. Schnelle aborde à son tour Jn 4, dans la tension entre tradition enracinée localement et programme universel, et y voit, dans la ligne de la contribution précédente, lémergence dun nouveau système de pensée et de valeurs au sein du mouvement chrétien naissant. M. Theobald considère que 2 R 17,24-41 constitue lhypotexte de Jn 4,4-26 et plaide en faveur dune compréhension allégorique des cinq maris de la Samaritaine. Il comprend dès lors ce passage comme reflétant la religion présente et tenue pour illégitime des Samaritains plutôt que comme une description de la situation immorale dans laquelle se trouverait présentement la femme. A. Reinhartz se penche sur Jn 4,19-23 et surtout sur le verset 22 et estime que laffirmation du Jésus johannique selon laquelle le salut vient des juifs ne saurait exonérer le quatrième évangile dantisémitisme dès lors que son auteur est convaincu que lon naccède au salut quen Christ et que les juifs sen trouvent donc exclus. R.A. Culpepper considère Jn 4,35-38 dans le contexte de la théologie missionnaire du quatrième évangile et pense que Jésus doit en fait jouer le rôle du semeur dont le labeur va permettre la moisson future. Quant à la référence aux autres, elle aurait pour fonction de rappeler à la communauté quelle a été introduite dans la longue histoire de lœuvre de Dieu dans le monde. Avec D.F. Tolmie, on quitte la Samaritaine et on aborde la caractérisation de lofficier royal en Jn 4,46-54. Il propose ultimement de lire le passage autour de la tension vie/mort et observe que, pour finir, ce nest pas seulement le fils de lofficier royal qui revient à la vie mais toute sa maisonnée, incluant donc le fils, qui accède au croire et ainsi à la vie au sens plénier du terme. Enfin, C. Koester propose de jeter un éclairage sur Jn 5,1-18 à partir des données archéologiques relatives à la piscine de Bethesda, des pratiques juives et gréco-romaines et du récit johannique, et conclut que ce qui est le plus sûr, cest que le quatrième évangile met en scène la manière dont, à travers Jésus, la réponse divine est accordée à ceux qui sont en quête de guérison et qui trouvent en lui non seulement la guérison physique de leurs maux mais laccès à la vie.

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Un ensemble à la fois divers et varié et dont la cohérence apparaît tout naturellement dès lors quest étudiée une section relativement brève du quatrième évangile qui trouve là des éclairages tout à fait intéressants et stimulants.

Christian Grappe

Bruce D. Chilton, Resurrection Logic. How Jesus First Followers Believed God Raised Him from the Dead, Waco, Baylor University Press, 2019, xiii + 305 pages, ISBN 978-1-4813-1063-5, 164 €.

LA. aime sortir des sentiers battus et proposer de nouvelles perspectives sur des questions essentielles et lourdes denjeux existentiels. Il se propose ici dexplorer la logique de la résurrection en se centrant sur la manière dont Jésus a pu être vu en tant que ressuscité par les premiers témoins de sa résurrection telle quen est dressée la liste en 1 Co 15,5-7. Cela étant, il ne sintéresse pas à la nature même de la résurrection, à la façon dont elle sest ou se serait produite, mais aux diverses manières dont, au miroir des textes, on peut envisager que les disciples ont été amenés à croire que Jésus était ressuscité. Il fait valoir ainsi demblée que la variété des manières dont les disciples envisagent la résurrection suscite la question non pas de ce que (what) mais de comment (how) les disciples ont été amenés à croire (p. 3). Et cest ce comment, qui se décline en fait de différentes manières, que lon retrouve dans le sous-titre de louvrage alors que le titre lui-même évoque une logique, et non pas des logiques, de la résurrection car ce qui est finalement en jeu, pour lA., cest ce qui a amené les disciples à confesser que Jésus était ressuscité. Pour autant, il ne se livre nullement à une étude qui ferait abstraction de lhistoire et du terreau qui a vu naître la foi des premiers chrétiens et fait commencer cette enquête par une première partie dans laquelle il traite des conceptions de la vie après la mort que lon rencontre dans le monde antique, que ce soit à Sumer, autour de Gilgamesh et Utnapishtim, en Égypte, autour dIsis et dOsiris, en Grèce, autour de Sémélé et de Dionysos, en Syrie, autour dIshtar et de Tammuz. Il aborde ensuite le tournant que représente ce quil appelle la révolution de lespérance dIsraël, une révolution très lente à sopérer dès lors que les textes de la période du premier Temple manifestent une réticence à dénier à la mort sa victoire et 116que ceux du second Temple laissent certes percevoir une montée en puissance de leschatologie mais pas encore une affirmation claire dune espérance post mortem, sauf en 1 Hénoch. Cette dernière va surgir en fait avec la révolte maccabéenne, mais elle ne sera plus telle que limmortalité soit conçue sans solution de continuité avec la vie quotidienne. De fait sera envisagée une résurrection en rupture avec le cours de la vie présente, cela à partir de lexpérience des martyrs promis à être victorieux en étant justifiés par Dieu. Cette résurrection – et le terme prend ici une acception très large qui recouvre au moins partiellement, nous semble-t-il, la notion dimmortalité – peut revêtir plusieurs modalités (esprits ressuscités, résurrection astrale, résurrection sous forme angélique, résurrection de la chair, résurrection de lâme immortelle). Il nen demeure pas moins que ces représentations diverses – lA. parle de sciences – de la résurrection ont en commun, selon lui, de supposer un Jugement final à loccasion duquel la justice de Dieu et dIsraël lemportent dans le cadre dun scénario cosmologique permettant à Dieu daccueillir les siens dans un sens large. Ce que lA. fait valoir ensuite, cest que, dans la logique de telles espérances, celles qui se font jour dans le Nouveau Testament sont fédérées en quelque sorte par la conviction selon laquelle Dieu a ressuscité Jésus dentre les morts, si bien que lon passe du domaine dune espérance générique en quelque sorte à une espérance déterminée par le fait quun précédent a déjà eu lieu. Dès lors, lattente nest plus conçue en fonction de ce qui doit arriver mais en fonction de ce que Dieu a fait dans le cas de Jésus. Ainsi, la résurrection devient laffirmation dune réalité présente : Jésus vit après la mort et simplique activement dans la transformation de lhumanité en tant que telle dans un état de résurrection. Ainsi, chaque témoin de la résurrection de Jésus fait lexpérience dune rencontre décisive qui modifie le cours de sa propre existence, mais il nen a pas forcément la même perception que dautres. Cest là que, pour lA., la liste des témoins de la résurrection de Jésus produite par Paul en 1 Co 15,5-7 savère déterminante. Que Jésus ait été vu par Céphas et par les Douze renvoie, pour lA., à partir des finales respectives de Matthieu et de Jean, à une expérience telle que tout ce que Jésus a enseigné, ainsi que ce que lEsprit continue dattester, représente la présence vivante quil sagit de proclamer. Quil ait été vu par 500 frères à la fois renvoie, pour lA., à la lumière surtout du début des Actes, à lexpérience dune rencontre qui nest pas limitée à un cercle fermé mais résolument ouvert, expérience déterminée 117par la réception de lEsprit à loccasion du baptême. Quil ait été vu par Jacques renverrait à la conviction selon laquelle la présence de nature angélique de Jésus requiert laccomplissement de la pureté. Quil ait été vu par tous les apôtres renverrait tant aux expériences à caractère visionnaire de Marie-Madeleine quà la perception de Jésus ressuscité en tant que Fils de lHomme appelé à juger la terre ou bien encore à la compréhension de Jésus en tant que personnage venu accomplir les Écritures ou en tant que figure dont la mort et la résurrection génèrent un ébranlement cosmique promis à se poursuivre jusquau Jugement dernier (Mt 27,51-53). Quant à Paul lui-même, son témoignage en 1 Co 15 attesterait quil perçoit le Ressuscité comme corps spirituel alors que Lc 24,39 montre que dautres ont été convaincus de la réalité charnelle de la résurrection. Mais ce qui fait, pour lA., lunité de ces perceptions pourtant très différentes en soi, cest que chacun des témoins développe un récit qui fait état dun impératif donné par le Ressuscité, impératif en rupture avec les pratiques et les conduites du passé et qui génère une nouvelle représentation du monde selon laquelle cest à partir du Ressuscité que Dieu refaçonne le monde et que cela a des conséquences fondamentales sur les plans ontologique et sociologique tout à la fois. LA. fait valoir dès lors que le véritable enjeu, aujourdhui comme hier, est de percevoir Jésus en tant que réalité vivante et requérante, en ce sens que, ressuscité, il nous appelle à une perception, à une vie, à un engagement nouveaux.

Un livre original, brillant et important qui offre une synthèse fort stimulante par-delà la diversité des textes et qui atteste la profondeur et la hauteur de vue dun auteur qui est la fois un éminent bibliste et un vrai théologien.

Christian Grappe

Martin Hengel, Anna Maria Schwemer, Die Urgemeinde und das Judenchristentum, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Geschichte des frühen Christentums » 2, 2019, xxiv + 790 pages, ISBN 978-3-16-149474-1, 134 €.

Invitée à œuvrer en ce sens par Martin Hengel quelques mois avant sa mort en 2009, A.M. Schwemer est désormais parvenue au terme de la tâche consistant à écrire une histoire de la communauté 118primitive et du judéo-christianisme des débuts, la période couverte allant pour lessentiel jusquaux années 48-49 de notre ère, exception faite pour le judéo-christianisme dont la trace est suivie jusquà la séparation entre judéo-christianisme palestinien et judaïsme. Elle a pu sappuyer pour ce faire sur des travaux du maître dont elle prolonge ainsi lœuvre qui se caractérise par lextraordinaire ampleur que lon sait.

Louvrage se divise en quatre grandes parties.

La première, consacrée à la communauté primitive, semploie à reconstruire les origines même du mouvement chrétien. Est abordée la naissance de lÉglise primitive de Jérusalem au prisme de la présentation idéale, mais tenue néanmoins pour globalement fiable, même sil faut prendre en compte la tendance à harmoniser de lauteur à Théophile, qui en est proposée en Actes 1–12, mais aussi des traditions anciennes dont Paul fait usage surtout en Romains et dont il est défendu ici quelles remonteraient aux années 30, lexistence dune tradition indépendante galiléenne, que préserverait la source Q, étant, quant à elle, écartée. Limpulsion donnée par les apparitions du Ressuscité qui ont généré elles-mêmes le retour des disciples à Jérusalem, lévénement de la Pentecôte, dont lauthenticité substantielle est admise, lexpérience de lEsprit, la constitution dune première communauté de salut à connotation eschatologique et linstauration du baptême au nom de Jésus sont posées avant que ne soit étudiée cette assemblée elle-même dont la communauté des biens est admise et est expliquée notamment en fonction dune attente eschatologique imminente et dun souci danticiper de quelque manière la plénitude du Royaume. Les charismes et les fonctions en son sein sont passés en revue avant que ne soit abordé le premier culte chrétien dont loriginalité par rapport à son homologue juif est conçue en fonction du repas communautaire célébré en tant que repas du Seigneur et de lémergence dun service de la Parole. Quant au contenu de lenseignement chrétien, il est présenté autour de trois pôles : lélaboration en un temps court dune christologie et dune sotériologie comprises en termes kérygmatiques ; lattente prochaine du retour du Christ ; la poursuite de la proclamation de Jésus, lensemble de ces points déterminant lethos communautaire.

La deuxième partie est consacrée à laccroissement de la communauté et aux commencements de la mission aux païens. Il est question ici : des hellénistes, de leur mission active et de leur 119persécution sélective ; de la mission de Philippe en Samarie et de sa rencontre avec leunuque éthiopien conçue comme exemplaire dune mission qui se déploie aux marges des communautés synagogales juives et prépare la voie à la mission aux païens ; des débuts de Paul, de ses origines à Tarse à sa conversion, envisagée surtout au miroir dAc 26,1-23 ; de son séjour à Damas, de sa mission en Arabie et de sa visite à Pierre à Jérusalem, interprétée comme une visite écourtée en raison de la menace exercée sur lui par ses anciens amis. Au passage, une chronologie est insérée telle que lavait déjà proposée M. Hengel dans une de ses publications.

La troisième partie traite du conflit (Kampf dans le titre, selon la volonté expresse de M. Hengel) autour de la mission aux païens. La séquence des Actes est suivie alors même quAc 11,19-20 laisse clairement transparaître une antériorité de lannonce aux païens par les hellénistes une fois ces derniers parvenus à Antioche. Cest ainsi que la conversion de Corneille par Pierre est étudiée en premier lieu, lA. reconnaissant cependant que la présentation lucanienne vise à conférer à Pierre linitiative de la mission aux païens pour mieux la légitimer. Il est question ensuite des hellénistes et de Paul et Barnabas en Syrie, un développement fort intéressant étant consacré à léclairage que peut apporter linterprétation juive ancienne de la promesse dune terre à Abraham sur la première mission chrétienne. La nouvelle situation des chrétiens à Antioche est abordée ensuite. Puis sont évoquées la persécution à Jérusalem et la libération de prison de Pierre sans que ne soit à aucun moment pris en compte le genre littéraire des récits de libération merveilleuse de prison dans lequel a pourtant été coulée ici la narration lucanienn. La priorité accordée à lenquête historique occulte ainsi, de notre point de vue, la part revenant à la rédaction lucanienne, ce qui vient précisément fragiliser les conclusions que lon peut tirer sur le plan historique des données du récit tel quil nous est parvenu. [Peut-être pourrais-tu faire 2 phrases ?]On aborde ensuite le premier voyage missionnaire de Barnabas et Paul puis le concile apostolique, lincident dAntioche et le décret apostolique interprété de manière très classique comme devant permettre aux judéo-chrétiens de partager leur table avec les pagano-chrétiens tout en préservant leur identité juive et sans encourir le risque dêtre expulsés de la Synagogue.

La quatrième partie en vient enfin au judéo-christianisme palestinien. Ici, on abandonne pour la première fois la séquence des Actes pour passer à des présentations successives de différents 120sujets : la situation de la communauté palestinienne ; la figure de Jacques, frère du Seigneur, dans le Nouveau Testament et dans lépître qui lui est attribuée et dont lA. est encline à lui reconnaître la paternité ; Jacques le Juste tel quil apparaît dans les sources non canoniques ; son martyre ; la migration de la communauté de Jérusalem à Pella, dont la réalité est là aussi acceptée ; Siméon, fils de Clopas et successeur de Jacques ; lexpulsion des judéo-chrétiens palestiniens du judaïsme, que lA. situe avec son maître dès la fin du premier siècle.

Louvrage est complété par près de 60 pages de bibliographie et par des index extrêmement bien faits concernant tant les textes anciens, les auteurs modernes, les thèmes étudiés (54 pages !). Très classique, on laura compris, et défendant des thèses finalement traditionnelles – on pourra comparer aux résultats quatteint Backhaus (voir ci-après) –, il nen déploie pas moins une impressionnante érudition et constitue dès lors une mine et un livre de référence. Il faut savoir gré à lA. pour le tour de force quelle a réalisé et pour lhommage quelle rend ainsi à M. Hengel et à son œuvre considérable.

Christian Grappe

Knut Backhaus, Die Entgrenzung des Heils. Gesammelte Studien zur Apostelgeschichte, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament » 422, 2019, viii + 496 pages, ISBN 978-3-16-154687-7, 154 €.

Après avoir publié en 2009 à la fois un commentaire et un recueil détudes sur le sermon aux Hébreux, lA. se tourne résolument désormais vers létude des Actes, selon une trajectoire déjà amorcée auparavant comme latteste le fait que les 19 contributions ont été rédigées entre 1998 et 2018, même si la plupart sont postérieures à 2012.

La première de ces études, qui fait office dintroduction, est aussi la seule qui soit inédite. LA. y présente les Actes comme un récit, rédigé de main de maître, qui vise à faire apparaître le mouvement chrétien comme transcendant et abrogeant toutes les frontières géographiques, culturelles, ethniques, chronologiques et théologiques. Il fait valoir que cette capacité à briser les frontières 121senracine dans le choix qui y est fait de représenter le salut en tant que relation au Ressuscité et au Seigneur de tous (Ac 10,36).

On trouve ensuite deux études qui ont trait à lhistoire de la recherche, lune situant les Actes au sein de la littérature gréco-romaine et à lentrecroisement de lhistoire ancienne, de la philologie classique et de lexégèse néotestamentaire, lautre les présentant au miroir de la recherche actuelle, une attention toute particulière étant accordée au commentaire de R. Pervo qualifié de majeur. Le débat contemporain relatif à la datation des Actes est aussi abordé, lopinion traditionnelle (rédaction dans les années 80-90) étant de plus en plus battue en brèche par des tenants soit dune datation plus ancienne soit dune datation nettement plus récente, lA optant quant à lui pour une composition relativement tardive (entre 100 et 130).

Les trois contributions suivantes sintéressent à la reconstruction lucanienne de lhistoire. Lhistoriographie gréco-romaine est étudiée dabord dans son recours à lhybridation littéraire entre reconstruction des circonstances extratextuelles et facteurs dordonnancement régis par la construction rhétorique, la mimétique narrative et lorganisation de lensemble. Luc est décrit ensuite comme un peintre qui recourt à lhistoriographie apologétique et plus particulièrement à la peinture commémorative pour décrire ce qui va devenir le christianisme dans la profondeur apparemment objective de sa première période, et cela à des fins diverses : le doter dune origine biblique et dun récit de fondation ; faire apparaître ce qui le rend attractif ; le situer dans une histoire à la fois présente et à venir. La troisième contribution vient situer plus précisément la manière décrire lhistoire lucanienne dans le cadre du discours de vérité antique, lobjectif étant de proposer une reconstruction théologique en vue de façonner une mémoire chrétienne spécifique ayant trait à la fois à lorigine et à une autodéfinition reliée à un passé.

Sont abordés ensuite différents thèmes ou passages : le recours récurrent à lhumour dans la deuxième partie des Actes ; le récit des pèlerins dEmmaüs conçu comme programme christologique des Actes ; la mise en œuvre de largument de lancienneté du judaïsme en faveur de lattractivité du christianisme ; la fonction historiographique dAc 12, qui est conçu ici comme le premier chapitre de lhistoire de lÉglise, une histoire appendue à lhistoire dIsraël et aussi à la vie de Jésus quelle prolonge à sa manière ; le Paul lucanien qui fonctionne en fait en tant que topos théologique 122si bien que, avant de se demander comment Paul a influencé Luc, il faut se demander comment Luc a façonné Paul ; le récit de naufrage dAc 27 placé sous léclairage de lidéologie gréco-romaine à la lumière duquel il devient le reflet dune transition décisive ; Paul et les Dioscures qui, associés largement au salut, à la justice et à la revendication de lEmpire romain sur le monde, font figure de patrons protecteurs de lÉvangile au moment où il parvient à Rome (Ac 28,11) ; le tyran comme topos : Néron/Domitien dans la perception juive ancienne et chrétienne primitive, une contribution qui traite aussi des Oracles sibyllins et de lApocalypse ; Marcion et les Actes, étude qui fait valoir que lon ne peut pas dire que Marcion a rejeté les Actes ni que les Actes réagissent à Marcion, comme certaines voix récentes le laissent entendre, mais quIrénée, en redécouvrant les Actes, leur a offert une deuxième carrière ; la dimension apologétique de Luc-Actes ; la portée symbolique du fait quil soit dit que Paul enseigne durablement dans lauditoire de Tyrannus en Ac 19,9 ; la découverte de lOikouménè, contribution conclusive qui outrepasse les frontières temporelles pour montrer combien les Actes demeurent actuels dans la pluralité post-moderne.

Lensemble, complété par des index particulièrement bienvenus (textes anciens, auteurs modernes, notions et termes grecs et latins, noms propres, noms de lieu, thèmes) est dune érudition extraordinaire et ouvre de nouveaux horizons. Comme déjà le recueil détudes sur Hébreux, il laisse augurer dun commentaire qui fera date, et nul spécialiste des Actes ne pourra lignorer sans se priver déléments aussi stimulants que nouveaux.

Christian Grappe

Scott J. Hafemann, Paul : Servant of the New Covenant. Pauline Polarities in Eschatological Perspective, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament » 435, 2019, xviii + 420 pages, ISBN 978-3-16-157701-7, 154 €.

Louvrage rassemble différentes études rédigées par lA. (douze au total si lon inclut lintroduction et la conclusion) autour de ce qui représente sa thèse majeure qui a trait à la nature à la fois eschatologique et frappée du sceau de lhistoire du salut de Paul. LA. 123explique demblée que lorientation qua prise sa recherche a été déterminée par la monographie quil a consacrée en 1985 chez le même éditeur à 2 Co 3,4-18 et qui la convaincu que, si le ministère de Moïse est tenu pour un ministère de mort et de condamnation, ce nest pas en raison de quelque déficience qualitative ou quantitative de la Loi, mais du fait de lendurcissement du peuple. Il en résulte, selon lui, que le problème résidait non dans la nature de lalliance conclue avec Israël, mais dans la nature dIsraël avec qui elle avait été conclue, le peuple ayant reçu la Loi sans lEsprit et donc sans la capacité octroyée par Dieu dy obéir. Selon lui, le ministère de lEsprit et de justice que proclame Paul est en revanche celui qui médiatise la gloire de Dieu rayonnant sur le visage du Christ et qui rend possible, par loctroi du pardon des péchés dans le cadre de la nouvelle Alliance, la transformation du peuple eschatologique de Dieu désormais en capacité daccomplir la Torah. LA. affirme en conséquence que, pour comprendre Paul, il faut partir de son auto-compréhension en tant quapôtre du Christ appelé à être serviteur de la nouvelle alliance qui a été établie par le Messie et habilitée par lEsprit Saint. Il estime aussi que les polarités que lon rencontre chez Paul et dont un tableau cumulatif est proposé aux pages 18 à 21 séclairent dans la perspective eschatologique quil adopte, un nouvel âge succédant à lancien et induisant, sur le plan anthropologique, une transformation radicale, la nouvelle alliance venant à la fois ratifier et renouveler la relation dalliance ancestrale avec Dieu, qui demeure la même mais qui a été en quelque sorte recréée par la délivrance, tant attendue, du peuple de Dieu du monde présent mauvais.

Comme lA. le précise encore dans son introduction, selon lui, « les polarités dans la pensée de Paul, considérées dun point de vue eschatologique, présupposent une continuité dans la structure de la relation dalliance de Dieu avec son peuple tout au long de lhistoire du salut tout en reflétant en même temps la discontinuité qui existe entre la nature du peuple dans les deux ères de cette même histoire » (p. 9).

Les diverses études mettent plutôt laccent sur ce quinduit la nouvelle alliance. Les unes portent sur la réalité présente de cette nouvelle alliance et traitent respectivement de la perspective eschatologique, plutôt quanthropologique, de Paul (à partir de Ga 3,6-14), de la restauration eschatologique en Christ (à partir de Ga 3–4), du ministère de la nouvelle alliance de Paul qui a trait 124à la vie eschatologique (à partir de 2 Co 3,6-18 conçu le cœur de 2 Co 1–9), de la légitimité de son apostolat (à partir de 2 Co 10,12-18), de la souffrance apostolique quil endure, conçue elle aussi dans une perspective eschatologique (à partir de Ga 4,12-20 et de 2 Co 4,7-12), de lunique justice prévalant au cours de chacune des deux ères de lalliance (à partir de Ph 3,8-9). Les autres études ont trait, quant à elles, à lespérance future de la nouvelle alliance. Elles portent : sur Rm 2,12-16, que lA. interprète comme si, en 2,14, les païens dont il est question étaient en fait les gentils de la nouvelle alliance, gentils dont lobservance de la Torah sera le critère du jugement eschatologique de ceux qui pèchent sans la Loi ou alors dans la Loi ; sur lespérance de Paul pour Israël conçue comme le parachèvement de lalliance (à partir de Rm 11,25-32) ; sur lavenir dIsraël et lespérance de Paul pour les nations (à partir de Rm 15,1-13) ; sur le lien entre nouvelle création et parachèvement de lalliance (à partir de Ga 6,15 et de 2 Co 5,17).

Un chapitre conclusif porte sur leschatologie de la nouvelle alliance quélabore Paul, cela en comparaison avec la documentation qumrânienne. LA. discerne de nombreuses analogies : une même conviction que la communauté est le peuple de la nouvelle alliance, quelle est le lieu de la présence de Dieu dans le monde et quelle est fondée sur une interprétation eschatologique et juste des Écritures ; une même conviction aussi que lobéissance à la Loi est rendue possible au sein de la nouvelle alliance par la puissance de lEsprit Saint, la différence se situant en fait dans la conviction que Jésus est le Messie.

Ces études ont, pour la majorité dentre elles (8 sur les 12 apparemment), été publiées antérieurement, même si cela napparaît pas très clairement dès lors quil faut chercher dans une note de bas de page les explications relatives à leur origine (p. xiii) et quun addendum bibliographique placé au terme de la préface ne contribue pas à clarifier la situation puisquil a été indiqué juste avant, dans la note dont il vient dêtre question, que les textes ayant connu une publication antérieure ont été quelque peu actualisés. Cela étant, et par-delà les oppositions initiales, dont on peut estimer quelles sont formulées de manière un peu brutale, louvrage est en fait plein de nuances et, même si le lecteur ne suivra pas forcément lA. dans toutes ses analyses, il trouvera là une synthèse qui ne manque ni de cohérence ni de pertinence sur bien des points.

Christian Grappe

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Peter J. Tomson, Studies on Jews and Christians in the First and Second Centuries, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament » 418, 2019, xix + 827 pages, ISBN 978-3-16-154619-8, 264 €.

Limpressionnant volume qui est proposé là vient couronner les patientes recherches de lA. qui a inlassablement labouré le champ du judaïsme ancien et du Nouveau Testament pour les mettre en relation et en dialogue.

Comme il lexplique à la fin dun prologue par ailleurs plus descriptif que programmatique, sa démarche consiste à mettre en relation les textes, et cela sans privilégier un sens plutôt quun autre : « On peut utiliser les lettres de Paul comme sources qui documentent les phénomènes juifs du premier siècle de notre ère. On peut aussi utiliser les sources juives pour éclairer les lettres de Paul, les sources qumrâniennes pour démontrer la préhistoire de certains éléments et les sources rabbiniques pour mettre en évidence lexistence précoce dautres. Dans le cadre dune même discussion, il ne faut pas faire les deux choses à la fois. Ce livre contient différents types de discussions et, en conséquence, différentes manières de comparer des sources antérieures et postérieures ou alors juives et chrétiennes. En fin de compte, notre discipline suppose que lon travaille avec un réseau de sources littéraires et archéologiques qui séclairent mutuellement. » (P. xiv.)

Concrètement, 26 études sont rassemblées, et le plus souvent mises à jour. Elles ont été écrites et longuement mûries sur une durée de près de 35 années, mais limmense majorité a été publiée entre 2003 et nos jours, deux dentre elles étant dailleurs inédites. Lensemble sordonne en quatre parties.

La première est consacrée à la halakha, une halakha dont lA. trouve les premières attestations dans la documentation qumrânienne mais quil discerne aussi à lœuvre dans le NT et, bien sûr, dans la littérature rabbinique. Il semploie à la fois à définir le terme, à montrer lancienneté des halakhot que lon trouve en Mishna Zavim 5,12, à comparer des lettres halakhiques que lon trouve à Qumrân, dans le NT et dans le Talmud de Babylone, à comparer les systèmes halakhiques que lon trouve chez Flavius Josèphe (celui du Contre Apion savérant beaucoup plus rigoureux de celui de la Guerre juive et des Antiquités juives), à confronter les dispositions halakhiques en matière de divorce que lon rencontre dans le NT et dans le judaïsme ancien, à montrer comment les prières juives évoquent les règles de 126pureté dune manière qui nest pas immédiatement lévitique et qui pourrait porter la trace dusages hellénistiques. Deux études enfin, distantes de 15 années, abordent, pour essayer déclairer le plus objectivement possible les données du quatrième évangile, les noms « Israël » et « juif » tels quils sont employés dans les sources juives et chrétiennes anciennes. Elles montrent la complexité des emplois des deux termes, la deuxième contribution revenant dailleurs sur certaines des conclusions de la première pour prendre acte dune forme dantijudaïsme dans les emplois de Ioudaios chez Jean.

La deuxième partie traite des enseignements de Jésus et du développement de la tradition juive et chrétienne. LA. sintéresse successivement à lannonce de la bonne nouvelle aux pauvres qui se trouve au centre du message de Jésus, à la présence du Cantique des Cantiques dans ses enseignements, à la parabole des dix vierges, au Notre Père, au passage que lon observe, chez Matthieu, de la Maison dIsraël à lensemble des nations, à Jn 7,22-23 quil met en regard dun midrash rabbinique halakhique. On retrouve dans toutes ces contribution une perspective ouverte tant à déventuels antécédents aux textes ou aux thèmes étudiés quà leur réception ultérieure.

Six études se concentrent ensuite sur Paul et sa place au sein du judaïsme : 1 Th 4,1-12 est lu dans une perspective à la fois hellénistique et juive ; lexpression « ceux qui font la loi seront justifiés », que lon trouve en Rm 2,13, est comprise dans le cadre de largumentation générale du Paul dans lépître ; Rm 7,1-4 est étudié au prisme de ceux qui connaissent la Loi dont il est question au v. 1 ; Paul est envisagé en tant que récipiendaire et enseignant des traditions à la fois halakhiques et « mystico-apocalyptiques » quil hérite de Jésus ; 2 Co 6,14–7,1 est étudié à la lumière du dualisme et du séparatisme tel quil est attesté dans certains écrits juifs au tournant de notre ère, les incrédules que vise le passage étant rapprochés pour leur part de ceux qui sont en ligne de mire en 4,4 ; 2 Co 8–9 et les développements que lon y trouve sur la collecte au profit des saints qui sont à Jérusalem sont interprétés sur fond dun durcissement qui se serait produit en peu de temps au sein de la communauté corinthienne contre le principe même de cette collecte, rassemblée par les païens, raidissement qui aurait été suscité par des adversaires judéo-chrétiens radicaux de Paul.

La dernière partie est dévolue à limportance que revêt la documentation chrétienne des deux premiers siècles non seulement pour lhistoire chrétienne mais aussi pour lhistoire juive. La Didachè, 127Matthieu et lÉpître de Barnabé sont ainsi étudiés en tant que sources pour lhistoire à la fois juive et chrétienne. Josèphe et lauteur de Luc-Actes sont comparés notamment en ce quils semploieraient lun et lautre à complaire à des milieux romains influents ; Flavius Josèphe mais aussi Galates, Romains et Actes sont conçus comme des sources pour mieux appréhender la politique conduite en Judée dans les années 50 ; les épîtres pauliniennes sont étudiées en tant que sources relatives aux pharisiens ; le conseil donné par Gamaliel en Ac 5,38-39 est analysé comme un révélateur de la stratégie apologétique poursuivie par lauteur des Actes ; lexpulsion des chrétiens de la Synagogue dont il est question dans le quatrième évangile est analysée est rapprochée dun passage de Tosefta Hullin qui prône quune distance soit prise par rapport aux adeptes de Jésus. Elle est située ainsi au début du iie siècle.

Comme on le voit, on a affaire à un ensemble tout à fait cohérent et aux fruits dune œuvre résolument ouverte aux diverses sources juives et chrétiennes pour les faire entrer en résonnance et mieux comprendre ainsi à la fois le judaïsme ancien et le mouvement chrétien naissant qui en émane et se meut encore en son sein. Les index fort bien faits qui complètent le volume auront toute leur utilité pour ceux qui voudront venir puiser dans cette mine et bénéficier ainsi de la grande érudition de lA. et de sa remarquable connaissance des textes.

Christian Grappe

VIENT DE PARAÎTRE

Christian Grappe (dir.), La cathédrale de Strasbourg en sa ville. Le spirituel & le temporel, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, coll. « Études alsaciennes et rhénanes », 2020, 240 pages, ISBN : 978-2-86820-760-9, 39,50 €.

Le présent ouvrage est le fruit tardif dun colloque qui sest tenu les 3 et 4 septembre 2015 à lUniversité de Strasbourg, dans le cadre du Palais Universitaire, pour marquer le millénaire de la pose de la première pierre symbolique de la cathédrale de Strasbourg par lempereur du Saint-Empire Henri II et lévêque de Strasbourg Werner, en 1015. Un événement que la ville avait souhaité célébrer avec un éclat tout particulier, mais que luniversité navait pas 128prévu de marquer, doù linitiative dun protestant pour pallier ce qui lui était apparu, à lorée de lannée dudit millénaire, comme un manque. Le colloque avait pour particularité de ne réunir que des spécialistes strasbourgeois et dêtre résolument interdisciplinaire, tout en se concentrant sur la thématique définie. Louvrage traite ainsi de larticulation du temporel et du spirituel tant dans le rôle, la situation, la construction, le décor, la symbolique et lentretien de la cathédrale de Strasbourg, tout en faisant également une place à la manière dont elle rythme le temps de la ville depuis les processions qui scandaient la vie de la cité au Moyen-Âge jusquà la sonnerie des cloches qui garde toute son importance de nos jours.

Les contributions rassemblées, au nombre de quatorze, brossent, pour les unes, un cadre et montrent lintrication de la vie respective de lédifice religieux et de la cité depuis les origines, le bâtiment en étant venu à symboliser lidentité et la liberté mêmes de la ville. Les autres sattachent à des éléments de larchitecture et du décor de lédifice – et plus particulièrement aux programmes iconographiques et à la statuaire. Elles montrent notamment en quoi ils intègrent et reflètent les relations, fluctuantes mais toujours prégnantes, entre spirituel et temporel, au cœur dune ville dont ils attestent aussi louverture à la modernité.

Quatre enseignants-chercheurs de la Faculté de Théologie protestante ont participé à cette entreprise qui débouche sur un volume très richement illustré et dune mise en page particulièrement soignée. Louvrage est dédié à la mémoire de deux éminents universitaires strasbourgeois, Lucien Braun et Francis Rapp, décédés tous deux en mars 2019, le premier cheville ouvrière des Presses universitaires de Strasbourg pendant plusieurs décennies, le second auteur ici dune magistrale étude, liminaire, sur la cathédrale et la ville.

Christian Grappe

Frédéric Rognon, Martin Niemöller. Prisonnier personnel de Hitler, Paris, Éditions Ampélos, coll. « Résister », 2020, 164 pages, ISBN 978-2-35618-175-6, 12 €.

Martin Niemöller (1892-1984) reste méconnu en francophonie. Le seul ouvrage en français qui lui est consacré date de 1938, et sinscrit dans un registre nettement hagiographique. Le petit livre que viennent de publier les éditions Ampélos, dans une collection 129consacrée aux figures protestantes qui ont diversement décliné le principe de la résistance, vient donc combler un manque.

Il sagissait aussi, en retraçant la trajectoire biographique du pasteur allemand, den souligner les ruptures et les tensions : de lofficier de marine durant la Première Guerre mondiale au pacifiste radical daprès la Seconde ; du militant ultranationaliste des Freiekorps (« Corps francs ») en 1920 à linstigateur de la Pfarrernotbund (« Alliance pastorale de détresse ») en septembre 1933 ; de la cheville ouvrière du Synode de Barmen en 1934 au pourfendeur de la Communauté économique européenne en 1977 ; du chef de file de la Bekennende Kirche (« Église confessante ») hostile aux Deutsche Christen (« Chrétiens allemands ») à lartisan de la réconciliation au sein dune unique Evangelische Kirche in Deutschland (« Église protestante en Allemagne ») ; du déporté qui subit huit années durant le terrifiant régime des camps de concentration (Sachsenhausen puis Dachau), au chantre, dès sa libération en 1945, dun acte de repentance de la part de lensemble du peuple allemand convaincu de sa « culpabilité ».

Martin Niemöller ne laisse pas dintriguer lobservateur attentif du fait des discontinuités de sa vie et des paradoxes hyperboliques de sa personnalité : ses revirements sont-ils des reniements ou, au contraire, lindice dune quête exigeante, jamais en repos, de plus grande fidélité à soi-même ?

Louvrage met au jour litinéraire hors du commun de lhomme, avant dinterroger sa théologie : si Martin Niemöller sapparente davantage à une figure dengagements et dactions quà un systématicien en chambre, cest essentiellement parce que sa compréhension des textes bibliques en fait un vecteur de permanente intranquillité. Sil rejoint son ami Dietrich Bonhoeffer pour rappeler le prix de la grâce, cest au gré dune inflexion singulière : le coût élevé quil convient de payer réside dans larticulation étroite entre la grâce et la Croix.

Frédéric Rognon

Frédéric Rognon, Le défi de la non-puissance. Lécologie de Jacques Ellul et Bernard Charbonneau, Lyon, Olivétan, coll. « Convictions et Société », 2020, 299 pages, ISBN 978-2-35479-524-5, 22 €.

Un quart de siècle après sa mort, Jacques Ellul (1912-1994) commence à bénéficier dune relative reconnaissance. Bernard 130Charbonneau (1910-1996), pour sa part, continue à rester dans lombre. La mise en regard de ces deux amis, « unis par une pensée commune », permet cependant de mieux saisir les influences mutuelles entre le barthien converti et lagnostique de culture protestante. Cest pourquoi ce livre a pris le parti dalterner les œuvres de lun et celles de lautre, en trente-deux chapitres, sur une thématique au sujet de laquelle ils sont deux insignes précurseurs : lécologie.

Suivant un ordre chronologique, le parcours entraîne le lecteur des écrits de jeunesse, en date des années trente, jusquau bilan dune vie de réflexion et dengagement, en passant par les analyses offertes durant la période de maturité : La Technique ou lenjeu du siècle (1954), Le jardin de Babylone (1969), Lespérance oubliée (1972), Tristes campagnes (1973), Le système technicien (1977), Le Feu vert (1980)… Études sociologiques et essais théologiques sentremêlent, en dialectique, autour de deux notions-phares : « la Grande Mue » des campagnes françaises tout au long du xxe siècle, décryptée par Bernard Charbonneau, et « léthique de la non-puissance » proposée par Jacques Ellul comme chemin spécifiquement chrétien, inspiré du geste du Christ, et qui veut en décliner une forme de fidélité pour notre temps, face aux enjeux environnementaux.

Lactualité de ces deux œuvres, pourtant rédigées au siècle passé, offre une ultime porte dentrée : le changement climatique, les promesses transhumanistes, la pandémie de la Covid-19, le succès relatif des partis écologistes, incitent à revisiter une pensée qui non seulement les avait prévus, mais en suggérait déjà, il y a cinquante ans, une grille de lecture. Cest cette dernière que le présent ouvrage expose dans ses différentes dimensions : la dialectique brisée entre liberté et responsabilité dans la tradition judéo-chrétienne, laspiration à une immortalité sans résurrection, la sacralisation de linnovation technologique accélérée et de la croissance économique exponentielle comme traductions modernes de lhybris, la mobilité permanente comprise en tant que droit inaliénable par nos contemporains, limpuissance des acteurs soucieux des générations futures à imaginer dautres formes dengagement que lintégration dans les formes politiques institutionnelles classiques, et finalement lesquisse dune issue aux impasses actuelles du côté dun « engagement dégagé » qui consiste à profaner la loi de Gabor.

Frédéric Rognon