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Classiques Garnier

Définition, apports et limites du concept gauchéen de religion séculière

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Revue d’Histoire et de Philosophie Religieuses
    2020 – 3, 100e année, n° 3
    . varia
  • Auteur : Vazeux (Paul Israël)
  • Résumé : Cet article se propose de mettre en relief l’apport proprement gauchéen du concept de religion séculière, tout en relevant les limites auxquelles il se heurte. Après avoir précisé l’enjeu herméneutique qui sous-tend la discussion sur les religions politiques et séculières, il montre comment la position intermédiaire adoptée par Marcel Gauchet trace une voie médiane entre, d’une part, les tenants et, d’autre part, les opposants de cette dénomination religieuse controversée des totalitarismes.
  • Pages : 385 à 404
  • Revue : Revue d'Histoire et de Philosophie religieuses
  • Thème CLIL : 4046 -- RELIGION -- Christianisme -- Théologie
  • EAN : 9782406109563
  • ISBN : 978-2-406-10956-3
  • ISSN : 2269-479X
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10956-3.p.0055
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 20/09/2020
  • Périodicité : Trimestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Controverse des religions politiques et séculières, querelle de la sécularisation, totalitarismes, eschatologie judéo-chrétienne, Raymond Aron, Hannah Arendt, Hans Blumenberg, Marcel Gauchet
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Définition, apports et limites
du concept gauchéen
de religion séculière

Paul Israël Vazeux

Faculté de Philosophie de lUniversité de Strasbourg

La controverse
des religions politiques et séculières

Dans À lépreuve des totalitarismes, le troisième tome de son ouvrage consacré à Lavènement de la démocratie, Marcel Gauchet convoque, pour penser les idéologies totalitaires, le concept de religions séculières. Ce faisant, il semble sinscrire dans la tradition interprétative des religions politiques et séculières, formulée initialement par certains auteurs chrétiens antinazis des années 30-40. Aussi comprendra-t-on mieux la spécificité de sa pensée si on la rapporte au débat houleux qui a opposé intellectuels français et allemands pendant et après-guerre concernant cette dénomination controversée donnée au phénomène totalitaire.

Les premières occurrences de lexpression « religions séculières », ainsi que de la dénomination voisine de « religions politiques », remontent au début des années 30. Elles apparaissent dabord sous la plume de certains penseurs chrétiens, comme Waldemar Gurian et Eric Voegelin, qui sinquiètent face à la montée en puissance des mouvements de masse nazi, fasciste et bolchévique. On retrouve ces expressions quelques années plus tard au cœur de la discussion entre les intellectuels européens émigrés aux États-Unis. Voici, par exemple, comment, en 1933 déjà, Waldemar Gurian expliquait comment il comprenait le mouvement communiste bolchévique :

386

Ce que les croyants, dans les religions traditionnelles, imputent à Dieu et ce que les chrétiens assignent à Jésus-Christ et à lÉglise, les bolcheviks limputent aux lois prétendument scientifiques du progrès social, politique et historique [] formulées dans la doctrine créée par Marx et Engels, Lénine et Staline. On peut, par conséquent, voir dans leur adhésion à ces lois doctrinales [] une religion séculière1.

De son côté, Luigi Sturzo, un prêtre et philosophe italien farouchement opposé au régime fasciste de Mussolini, écrivait en 1938 :

LÉtat totalitaire par sa nature même est amené à dépasser les limites observées jusquà lui. Tout le monde doit avoir foi en lÉtat nouveau et apprendre à laimer. Pas une idée opposée, pas une voix dissidente. De lécole primaire à lUniversité, il ne suffit pas de pratiquer un conformisme sentimental ; il faut une soumission intellectuelle et morale complète, un enthousiasme confiant, lardeur mystique dune religion. Le communisme, ou le fascisme, ou le nazisme, est et doit être une religion2.

Raymond Aron est le premier en France à avoir introduit le terme de « religions séculières ». Cette expression désigne avant tout, chez le sociologue français, la sécularisation de leschatologie judéo-chrétienne, cest-à-dire le transfert dans limmanence terrestre de lespérance en lau-delà3. Pourtant, dès le départ, cette interprétation religieuse du phénomène totalitaire fut loin de remporter lunanimité parmi les intellectuels allemands et français daprès-guerre. Elle fut vivement critiquée notamment par Hannah Arendt qui dénonçait dans lassimilation du nazisme et du bolchévisme à une religion une « fonctionnalisation des catégories qui les vide de tout contenu4 ». Arendt a, dailleurs, très bien saisi lenjeu philosophique de ce débat, qui réside dans le fait de remettre à lordre du jour de la science politique « le problème presque oublié des rapports entre religion et politique ». En effet, comme elle lécrit dans les premières lignes de son article « Religion and Politics », publié en 1953 dans la revue américaine Confluence,

La lutte entre le monde libre et le monde totalitaire a eu un effet secondaire surprenant : elle a fait apparaître une tendance marquée à interpréter ce conflit à laide de catégories religieuses. Le communisme, nous assure-t-on, constitue une « religion séculière » nouvelle vis-à-vis de laquelle le monde libre défend son propre « système religieux » transcendant. 387Or, cette représentation a des incidences qui dépassent la configuration immédiate qui la suscitée : elle a fait revenir la « religion » dans la sphère des affaires publiques doù elle était exclue depuis la séparation de lÉglise et de lÉtat. Du même coup, bien que les tenants de cette théorie en aient rarement conscience, elle a remis le problème presque oublié des rapports entre religion et politique à lordre du jour de la science politique5.

Mais cette controverse des religions politiques et séculières demande, pour être mieux comprise, dêtre elle-même resituée dans le cadre plus large de la discussion portant sur la sécularisation des temps modernes. Cette querelle herméneutique a mis en lice deux écoles interprétatives diamétralement opposées de la modernité politique, à savoir dun côté les tenants de la « théorie de la sécularisation », qui, comme Carl Schmitt, pensent que « tous les concepts prégnants de la théorie moderne de létat sont des schèmes théologiques sécularisés6 », et, de lautre côté, les opposants à cette « catégorie de lillégitimité historique » (comme la dénomme Blumenberg) qui défendent (précisément) la « légitimité des temps modernes » à se définir comme tels et à se penser selon leurs propres catégories. En effet, cest cette même problématique ‒ transposée sur le plan de la modernité politique ‒ que lon retrouve dans la discussion sur les religions séculières. De manière analogue, on reproche à cette dénomination de nier la modernité du phénomène totalitaire en ramenant ce qui en fait la nouveauté et la spécificité au recyclage dune structure religieuse plus ancienne. Cest pourquoi Arendt, qui cherche à penser le caractère absolument neuf et inédit de la modernité politique en général, et du phénomène totalitaire en particulier, lui refuse cette qualification. Elle trouve illégitime, voire scandaleux, de réduire le totalitarisme à une simple pseudomorphose déléments religieux traditionnels.

Il est significatif, à cet égard, que tous ceux qui adoptent cette dénomination religieuse des totalitarismes soient enclins à souligner la parenté quentretiennent ces régimes avec dautres formes plus anciennes de tyrannies politiques (et soient ainsi portés à considérer comme totalitaire toute une série de vieux régimes autoritaires). Ces auteurs, en effet, tendent à regrouper, à subsumer sous ce vocable diverses formations politiques historiques qui plongent leurs racines jusque dans lantiquité gréco-romaine, voire dans lÉgypte des 388pharaons. Ainsi Karl Popper voit-il dans le communisme de Platon une préfiguration du totalitarisme, tandis que Simone Weil discerne dans lEmpire romain une forme dÉtat totalitaire, alors quArendt, elle, établit une distinction très nette entre les totalitarismes et les différentes formes de tyrannies ou de régimes autoritaires ayant existé par le passé. Le totalitarisme constitue, selon cette dernière, une forme de gouvernement inédit, une dérive propre à la modernité politique ‒ et donc non concevable ni transposable dans le passé.

Pour une étude plus approfondie de cette controverse sur les religions politiques et séculières et des enjeux herméneutiques qui la sous-tendent nous renvoyons à notre premier article paru dans cette revue sur le sujet7.

Introduction à la pensée
du sociologue français

Pour saisir ce qui fait loriginalité de la réflexion de Marcel Gauchet sur les totalitarismes, il importe au préalable de la situer dans le cadre plus général de son œuvre, laquelle se propose de penser « lavènement de la démocratie » ainsi que le processus de « sortie de la religion » qui laccompagne. Gauchet soutient en effet que ce qui fait le nerf de la modernité, cest le passage de lhétéronomie religieuse à lautonomie politique de « lêtre-ensemble », cest-à-dire le passage de la structuration religieuse hétéronome des sociétés traditionnelles à la structuration politique autonome de nos sociétés occidentales. Le sociologue discerne dans le christianisme un ferment démancipation qui va conduire les communautés humaines à saffranchir du joug de « lUn hétéronome » pour accéder à lordre autonome des démocraties modernes8. Cette « sortie de la religion9 », en germe dans le christianisme, se traduit par un « désenchantement 389du monde », à entendre ici non pas au sens wébérien dune perte du rapport magique au monde mais dans le sens où le religieux nest plus le fondement instituant du politique.

Une fois ceci rappelé, nous pouvons mieux situer l« hapax historique » que représente, daprès Gauchet, le phénomène totalitaire fiché en plein cœur du xxe siècle. Pour être compris au mieux, les totalitarismes doivent être replacés dans ce long processus de sortie de la religion qui, amorcé par le christianisme, débouche sur lavènement de la démocratie. Ils correspondent à une phase bien déterminée de ce « mouvement déchange entre structuration religieuse et structuration politique de lêtre-ensemble10 » qui caractérise la modernité politique.

Une analogie médicale, celle dun corps en proie à la maladie, peut nous aider à mieux comprendre létape douloureuse (mais nécessaire ?) que représente lépisode totalitaire dans le processus de démocratisation de nos sociétés. Dans loptique de Gauchet, le phénomène totalitaire constituerait une réaction organique ; ce serait leffet symptomatique qui accompagne le processus de sortie de la religion – ce processus dautonomisation du politique vis-à-vis de la structuration religieuse des sociétés traditionnelles –, de la même manière quun organisme convalescent est secoué par des fièvres et des spasmes, qui sont les symptômes de la lutte de forces contraires (santé/maladie ou autonomie/hétéronomie), en même temps quelles annoncent la guérison prochaine, cest-à-dire, ici, lavènement de la démocratie.

Les convulsions dont le xxe siècle est le théâtre témoignent de ce jeu de forces antinomiques – entre poussée autonome et résistance hétéronome – qui travaille le corps social, en même temps quelles font apparaître lenjeu sous-jacent. Lampleur des forces en présence, la tension extrême qui accompagne lémergence des totalitarismes, ainsi que les proportions dantesques des conflits mondiaux quils vont générer, révèlent limportance de ce qui se joue : rien de moins que savoir sil existe « une alternative à la structuration religieuse11 ». Cest cette « question ultime ouverte par la modernité », « la question de savoir ce qui structure la communauté humaine et comment12 », qui va être « tranchée au fil daffrontements titanesques en chaîne », dans ce « siècle court mais décisif13 » quest le siècle des totalitarismes. 390Aussi, le « front antifasciste des vainqueurs de 1945 » ne doit pas nous empêcher de reconnaitre, écrit Gauchet, que « laxe du siècle était le conflit, non du progressisme et du fascisme, mais de la démocratie et des totalitarismes14 ». Depuis la tribune de lhistoire du xxie siècle nous assistons à laffrontement dramatique entre ces deux modèles incompatibles de structuration religieuse ou politique du vivre-ensemble, ainsi quà son dénouement final et inespéré : la victoire de la démocratie qui se solde par la défaite définitive des totalitarismes.

Là où les totalitarismes ont échoué dans leur prétention folle de reconstituer lunité religieuse à lintérieur et avec les éléments de la modernité, les démocraties ont réussi à lui substituer lunité par le politique. Cest cette relève de la forme religieuse par la forme politique qui a assuré leur victoire finale dans cette lutte de géants quelles avaient paru si longtemps condamnées à perdre15.

Cest « le chemin tortueux et tragique de cette découverte du passage vers lordre autonome16 » que Marcel Gauchet se propose de reconstituer dans À lépreuve des totalitarismes. Après avoir souligné, dans un chapitre initial, le rôle matriciel de la Grande Guerre dans la gestation et léclosion des religions séculières, Gauchet se livre à une description quasi phénoménologique du processus historique qui conduit à lémergence des régimes totalitaires bolchévique, fasciste et nazi. Puis, en un chapitre qui clôt cette grande fresque historique, il sattèle à définir le phénomène en question. Arrêtons-nous sur cette définition.

La définition et la triple dénomination gauchéenne du phénomène totalitaire

Aucun mot, selon Gauchet, ne permet à lui seul de cerner la nature spécifique de cette réalité. Car nous sommes en présence dun phénomène inédit et complexe qui oblige à recourir à plusieurs concepts complémentaires pour le circonscrire. Aussi notre auteur propose-t-il trois termes : « totalitarisme », « idéocratie » et 391« religion séculière », tous trois indispensables pour appréhender lessence particulière du phénomène (chacun saisissant une des dimensions constitutives de lobjet sans pouvoir pour autant se passer des deux autres). À travers cet attelage conceptuel, Marcel Gauchet veut faire « droit aux trois éléments fondamentaux qui interviennent manifestement dans la définition du phénomène : le politique, lidéologie et la religion17 ». Trois éléments que le sociologue considère comme « suffisamment déterminants pour justifier trois points de vue systématiques à son sujet, lun qui privilégie le mode dorganisation du régime (totalitarisme), lautre lesprit qui préside à son fonctionnement (idéocratie) et le dernier la source à laquelle il puise (religion séculière)18 ». Cest cette articulation que Gauchet entend mettre à jour et dont nous voudrions ici rendre compte.

Totalitarisme

Avec le premier concept, celui de totalitarisme, Gauchet entend identifier « le principe organisateur19 » du phénomène, à savoir la visée totalitaire dun État – détenant tous les pouvoirs et les concentrant en un seul – qui prétend régir et mouvoir lensemble de lexistence collective dune nation dans une direction par lui déterminée :

Descriptivement parlant, le parti totalitaire a pour spécificité de vouloir tous les pouvoirs. Par principe, il ambitionne de les concentrer en un seul. [] Le pouvoir totalitaire aspire à se subordonner toute espèce dautorité au sein de la société20.

Ce projet de totalisation dynamique21 de toutes les dimensions politiques, économiques et culturelles de la société, qui opère à la manière dun véritable rouleau compresseur (la terreur22), est relayé par un parti et sous-tendu par une idéologie. Ce projet exige, en effet, avant tout « un parti combinant la conscience davant-garde et lencadrement des masses, descendant dans la profondeur de la 392société et se ramifiant dans son étendue entière pour tisser un lien serré entre elle et lélite au pouvoir qui la mène23 ».

Il suppose ensuite une idéologie

à même de rendre compte de tout dans la société en fonction du but à atteindre. Le pouvoir totalitaire ne se conçoit pas sans une vision du monde, une doctrine, une science ambitionnant de dire le dernier mot sur lhistoire, la société, la destinée humaine et dembrasser dans cette lumière lensemble des rouages et des composantes de lexistence collective. Une prétention globalisante qui sétend volontiers jusquaux sciences de la nature, investies comme le reste, puisque tout est politique24.

On entrevoit ici la démence dune telle « ambition demprise totale » du politique sur la société, la démesure du dessein de « rendre le politique coextensif au social » afin d« assurer la présence de la société entière auprès du pouvoir25 ».

Nous verrons comment cette entreprise de totalisation du politique, propre au régime totalitaire, est indissociable dune recherche dunité, didentification et didentité qui trahit lambition de renouer avec lUn hétéronome des sociétés religieuses traditionnelles. Notons pour linstant que cette visée totalitaire se traduit par « la primauté absolue du politique26 » sur le social ; quelle érige le « primat absolu du politique, son omniprésence organisatrice, son règne monopolistique à tous les échelons et dans tous les compartiments de la vie sociale27 » ; quelle instaure le « règne direct et nu du politique pur28 ». Point nest besoin dinsister sur la terreur qui laccompagne ni sur la violence inouïe quelle exerce sur le corps social…

Cependant, précise Gauchet, cette « primauté du politique ne se soutient pas par elle-même. Elle requiert impérativement lappui dun discours sans lequel elle naurait pas lieu dêtre29 » : le discours idéologique, qui occupe une place centrale dans la définition du phénomène totalitaire.

393

Idéocratie

Si « toutes les définitions typologiques du totalitarisme font une place de choix à lidéologie unique et obligatoire parmi leurs critères – écrit Gauchet – on ne peut se contenter de mentionner le monopole idéologique comme un trait parmi dautres30 ». Lidéologie est en effet « le rouage décisif », le levier sans lequel la primauté absolue du politique est irréalisable. Toute idéologie na pas pour autant « vocation à lidéocratie », précise le sociologue : « Il y faut une idéologie conçue pour lexercice dun pouvoir radical et total. Cest cette vocation à lempire qui caractérise véritablement les idéologies totalitaires31. » En effet, si toute idéologie consiste en une explication de lhistoire justifiant une certaine action politique, lidéologie totalitaire se caractérise, elle, par son recours à une interprétation de lhistoire qui érige le moment présent en kairos décisif de lhistoire humaine. Elle élabore une Weltgeschichte qui sacralise laction du peuple et absolutise laction politique pour en faire le point de basculement de la sortie de lhistoire ou de son accomplissement, « deux scénarios convoquant labsolu à lintérieur de la sphère du devenir pour le placer à portée de laction humaine32. » Ainsi, les discours totalitaires mettent-ils en branle lhistoire en suscitant laction révolutionnaire, nationale ou socialiste. Seuls de tels discours, affirme Gauchet,

ont une vocation authentiquement idéocratique, en fonction du projet qui les anime de dominer lhistoire du dedans de lhistoire. Les autres nagent dans le relatif, le probable et le transitoire ; eux jouent dans la cour du certain et du définitif. Cest cette propriété qui les met en mesure de mobiliser la structure qui fait électivement du politique le représentant dautre chose et de plus haut que lui-même, afin de donner intégralement corps à cette image finale de la condition collective. Car labsolu profane qui se réalise dans lhistoire a des exigences beaucoup plus étendues, en matière de concrétisation, que labsolu sacral de jadis. Il requiert un instrument qui prend la vie collective en charge de part en part, sans rien laisser en dehors de son étreinte, puisquil a la raison de tout et que tout dépend de lui33.

Et notre auteur de conclure : « lomnipotence du politique est fonction de lomniscience de lidéologie34 ». Cette formule conclusive 394exprime clairement linterdépendance des deux concepts de totalitarisme et didéocratie ; elle dit comment ils se font écho en mettant chacun en lumière une facette complémentaire du même objet. Pourtant, selon Gauchet, ces deux termes ne suffisent pas à circonscrire la nature complexe du phénomène totalitaire ; ils font signe vers un troisième concept qui les éclaire en retour, le concept de religion séculière.

Religion séculière

Reprenons donc nos deux premiers concepts pour voir comment, en vue de lexplicitation intellectuelle du phénomène totalitaire, ils demandent à être relayés par un troisième terme.

Concernant la première dénomination, « totalitarisme », nous évoquions comment lentreprise de totalisation dynamique, inhérente à la visée totalitaire, trahit en réalité une recherche dunité religieuse dordre sacral, de forme hétéronomique. Lambition dune emprise totale du politique sur la société, qui la caractérise, affirme en effet Gauchet, « est inséparable de la recherche de lunité, quelle soit intellectuelle, sociale ou politique35 ». Aussi,

le régime totalitaire entend donner le spectacle de lunanimité. Il ne se contente pas de la proscription des opinions dissidentes ; il réclame ladhésion des esprits quil cultive méthodiquement par léducation de la jeunesse, lendoctrinement des cadres, la propagande de masse, la mobilisation des peuples. Davantage encore, il semploie à rendre manifeste et tangible cette communauté de conviction par lexpression publique et ostentatoire de la ferveur de la population pour lidéologie officielle. Il veut de la même façon le dépassement des divisions sociales36

Cette quête unitive, poursuit Gauchet, « culmine dans le culte rendu au leader, lequel culte a pour fonction de rendre sensible en lexaltant lidentité du pouvoir et du peuple37 ». Avec cette auto-sacralisation du chef, les régimes totalitaires versent en pleine hétéronomie religieuse puisque ce que réclament les fidèles des religions séculières, « ce qui enflamme les adeptes de ces régimes », « cest la communion spirituelle, organique et hiérarchique quils semblent en passe de ramener à lexistence38 ». Or, Gauchet reconnaît dans cette quête obsessionnelle dunité, dunanimité et didentité – cest-à-dire, au 395fond, de communion – qui sous-tend le projet totalitaire, la volonté de renouer avec lUn hétéronome de la structuration religieuse, une tentative pour faire revivre lordre sacral des sociétés traditionnelles : « La foi, la dévotion inconditionnelle, le fanatisme sacrificiel dont ils ont bénéficié procèdent de cette source dinspiration cachée39. » Aussi le terme de religion séculière traduit-il bien « cette reviviscence inconsciente de la figure de lordre sacral au milieu de la modernité [] qui constitue lâme de nos régimes idéocratiques40 ».

Quant à la seconde dénomination, « idéocratie », elle ne séclaire elle aussi pleinement quà laide de ce troisième terme. La notion didéocratie laisse en effet intacte « la question de la nature de ces “idées” auxquelles la possibilité de la domination totalitaire est suspendue41 ». Aussi, après avoir « précisé les structures formelles » de ces idées, Gauchet fait un pas de plus en cherchant à « en déterminer les caractéristiques substantielles42 ». Cest alors quil convoque – pour la première fois dans son analyse – le concept de religion séculière, « le seul à même de rendre pleinement compte de lorigine, de la teneur et du rayonnement de ces idées conçues pour un exercice sans partage du pouvoir – en même temps, dailleurs, que de leurs propriétés formelles43 ». Lidéocratie comme « projet de domination de lhistoire ou darrachement à lhistoire » ne se comprendrait en dernier ressort que comme « religion séculière », cest-à-dire, très précisément, comme « réinvention de la forme religieuse par des moyens séculiers44 ».

Le concept de religion séculière est donc la clef de voûte de la réflexion de Marcel Gauchet sur les totalitarismes ; il lui permet en effet de rendre compte « de la naissance et de la mort de linspiration qui a porté ces formations politiques sans précédent, de leur signification à léchelle de lhistoire aussi bien que de leur unité dans la division45 ». Voilà ce qui rend le concept de religion séculière indispensable : « il est le plus compréhensif de la série, il est celui qui permet daller le plus avant dans lintelligence de ces phénomènes énigmatiques46. »

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Apports du concept gauchéen
de religion séculière

Un concept oxymorique qui permet de circonscrire
la nature contradictoire du phénomène totalitaire

Les totalitarismes sont des religions séculières, au sens où ils cherchent à renouer avec la structuration religieuse hétéronome des sociétés traditionnelles mais avec les moyens de lautonomie moderne :

Le sens ultime des entreprises totalitaires réside dans le dessein de reconstituer les rouages de lunité religieuse de lintérieur et à partir de la modernité individualiste, égalitaire, représentative, futuriste. Ce quelles ont de plus profond en commun, cest lambition de faire revivre toutes ces dimensions qui résultaient de lassujettissement à lau-delà – lidentité dans le temps, linclusion communautaire, la conjonction hiérarchique, lunion avec le pouvoir – dans lélément de limmanence et sur la base des vecteurs de la structuration autonome47.

Si Gauchet préfère lexpression de « religion séculière » à la notion voisine de « religion politique », cest parce quelle lui permet, du fait de son caractère oxymorique, de conceptualiser la contradiction inhérente au projet totalitaire48. La dénomination de « religion séculière » met bien en lumière, en effet, la structure bâtarde, faite dautonomie et dhétéronomie, de religion et de sécularité, qui charpente le projet totalitaire et qui explique le caractère paradoxal du phénomène en présence49. Les deux formes antagonistes quil revêt sexpliquent par les deux manières dont il est possible dagencer ces éléments antinomiques50. Selon la 397manière dont on combine religiosité et sécularité, « selon lentrée quon privilégie dans ce couple contre nature51 », lon obtient en effet deux versions à la fois jumelles et opposées du même projet totalitaire : lune vise à reconstituer la structuration religieuse hétéronome, mais avec des moyens profanes (fascismes) ; lautre veut réaliser lautonomie démocratique moderne tout en recourant à des moyens hétéronomes (communisme).

Ainsi le nazisme veut-il retrouver la stabilité millénaire de lempire germanique (le Reich de « mil ans »), tout en ayant recours à des moyens techniques et politiques modernes : plébiscite, propagande idéologique, caractère scientifique de sa doctrine, armement dernier cri et moyens dexterminations de masses. Pareillement, lItalie fasciste prétend renouer avec le passé glorieux de la Rome impériale, tout en se drapant doripeaux futuristes (cf. le ralliement dune grande partie du mouvement futuriste au fascisme). Inversement, le bolchévisme est tourné vers lavènement futur dune humanité autonome, égalitaire, affranchie du travail et des contraintes économiques, en même temps quil verse en pleine hétéronomie religieuse avec ses cérémonies de masses ritualisées, son culte du chef, lorthodoxisation de la pensée et les procédés inquisitoriaux. « On se retrouve donc avec, face à face, une autonomie hétéronome et une hétéronomie autonome52 » : telle est la structure commune mais inversée des religions séculières.

La dénomination de « religion séculière » permet à Marcel Gauchet de conceptualiser la structuration bâtarde dune formation politique et idéologique inédite qui croise le neuf et lancien, le profane et le religieux. Ce concept antithétique le conduit ainsi à faire droit aux deux écoles interprétatives, de la modernité politique en général, et du phénomène totalitaire en particulier. Il peut faire sienne lidée dune religiosité intrinsèque aux totalitarismes (chère aux penseurs des religions séculières et politiques), et en même temps échapper au reproche d« iniquité historique » formulé par Blumenberg.

Au fond, les religions séculières, telles que les conçoit Gauchet, nont rien à voir avec les religions traditionnelles. Elles représentent un véritable « hapax historique », une formule inédite et mortifère de la religion, une combinaison hybride et monstrueuse de religiosité 398et de sécularité, propre à une étape bien déterminée du mouvement déchange entre structuration politique et structuration religieuse de lêtre-ensemble, et, à ce titre, entièrement révolue :

Lépoque des totalitarismes est derrière nous. Cela ne veut pas dire que nous sommes définitivement à labri de la barbarie politique, mais que si elle doit revenir, elle revêtira dautres formes et empruntera dautres canaux53.

Une clef herméneutique pour penser
les contradictions de la modernité politique

La pensée de Marcel Gauchet se révèle particulièrement novatrice, nous semble-t-il, en ce quelle propose une clef herméneutique qui fait droit aux deux lectures antagonistes de la modernité politique, en même temps quelle dépasse le clivage progressiste-conservateur qui grève le débat sur les religions politiques et séculières. On pourrait croire en effet, à une première lecture superficielle de lœuvre de Gauchet, que lon est en prise – au travers du processus de « sortie de la religion » à lœuvre dans la modernité – avec un mouvement linéaire de démocratisation des sociétés occidentales, allant dans le sens dune autonomisation croissante et irréversible du politique. En réalité, la pensée de Gauchet est plus complexe que cela54, car ce qui ferait, selon lui, le ressort intime du processus historique conduisant à la modernité, cest une tension contradictoire, un jeu de forces antinomiques – entre, dune part, la poussée autonome du politique et, dautre part, la résistance hétéronome de la structuration religieuse des sociétés traditionnelles –, et non pas un processus univoque qui irait dans un seul sens. Gauchet discerne en effet, dans le processus historique par lequel on entre dans la modernité, quelque chose de fondamental, à savoir :

à lintérieur de ce mouvement continu, toute lhistoire avance par des compromis renégociés en permanence entre, dans un sens, la poussée autonome qui récupère des éléments du monde hétéronome et, dans lautre sens, des défenseurs de la tradition qui sont modernes malgré eux, qui sont dans lautonomie tout en se réclamant de lhétéronomie55.

399

Le sociologue français nous livre ici une clef herméneutique féconde pour penser les contradictions qui ont émaillé lavènement de la modernité politique, et que lon retrouve portées à leur acmé dans les régimes totalitaires du xxe siècle. En effet, lire lhistoire moderne comme un processus historique qui avance par des compromis sans cesse renégociés entre la demande dautonomie du politique et lhétéronomie religieuse nous permet tout aussi bien de déchiffrer les paradoxes qui ont accompagné le processus de démocratisation des sociétés occidentales (par exemple le retour provisoire de la monarchie napoléonienne et, en même temps, le maintien de procédures démocratiques, ou bien linstallation du paradigme socialiste et ses références auto-sacralisées56), que de comprendre les contradictions auxquelles se heurte aujourdhui notre société. À savoir, la dérive, dun côté, dune laïcité qui tend de plus en plus à devenir une pseudo religion dÉtat et, de lautre, laporie que représente la recrudescence du fanatisme islamique en plein xxie siècle postmoderne ; ou, pour le dire autrement, le paradoxe dune modernité high-tech ultra sécularisée qui voit refluer en son sein une vague inédite de fondamentalisme religieux. Enfin, concernant notre objet, cette clef interprétative, mise à jour par Gauchet, se révèle dune portée heuristique particulièrement efficace pour penser les contradictions inhérentes aux régimes totalitaires :

Ce mouvement nous allons le retrouver porté à son paroxysme, dans lhistoire européenne, avec les idéologies totalitaires : le totalitarisme dextrême gauche est un projet dautonomie mais réalisé par des moyens hétéronomes (qui aboutit à des systèmes de domination particulièrement abominables) et, dans lautre sens, les totalitarismes dextrême droite sont explicitement au service dun projet de restauration dun ordre de domination traditionnelle hétéronome et, pour aboutir à ce projet, recourent à des moyens appartenant au monde de la politique autonome : plébiscite, culte du chef, idéologisation (choses tout à fait étrangères aux sociétés de domination traditionnelle dont ils se réclament)57.

Or, comme on la vu précédemment, cest précisément cette nature paradoxale du projet totalitaire – l« entreprise contradictoire de renouer avec lhétéronomie religieuse mais avec les moyens de lautonomie moderne58 » – dont rend si bien compte, chez Marcel Gauchet, le concept oxymorique de religion séculière.

400

Limites du concept gauchéen
de « religions séculières »

Le concept gauchéen de religion séculière se heurte toutefois à des difficultés que nous voudrions ici souligner.

Le premier point faible de son argumentation concerne le tour hégélien et systématique que Gauchet donne malgré lui au processus de « sortie de la religion », dont lépisode totalitaire marquerait une étape douloureuse – mais nécessaire ? Grâce à un habile tour de passe-passe intellectuel, Marcel Gauchet retourne lobjection qui pourrait lui être faite59 en disant que sil y a, avec les religions séculières, un retour apparent du type hétéronome de la structuration religieuse de la société, ce nest en réalité quun effet symptomatique qui manifeste que lon est effectivement en train den sortir, à la manière dont les convulsions qui secouent un corps convalescent annoncent sa guérison prochaine. Ainsi, au lieu que ce retour imprévu du religieux infirme son hypothèse de travail, il la validerait60.

Dautres points peuvent nous laisser dubitatifs : peut-on réduire le totalitarisme à une « pathologie de la transition » et le considérer comme un phénomène révolu ? Peut-on le ramener à un simple agencement bâtard de religion et de sécularité, dautonomie et dhétéronomie, de modernité et de tradition ? Ne risque-t-on pas ainsi dévacuer le drame moral et humain quil représente, den mésestimer les causes anthropologiques et spirituelles plus profondes ?

Un autre élément problématique de la pensée de Marcel Gauchet concerne plus particulièrement le contenu quil donne à lexpression « religion séculière », ainsi que lusage quil en fait. En effet, si Gauchet emprunte cette dénomination à une tradition interprétative particulière du phénomène totalitaire, cest pour lui conférer un contenu qui lui est propre, qui est en résonance avec sa pensée et qui rompt avec la définition traditionnelle de religion séculière, conçue comme « transposition sur terre de lidée du paradis céleste ». Toute 401son analyse est commandée par lidée de structuration religieuse. La religion est prise avant tout, chez Gauchet, en un sens structurant, au sens de ce qui structure la communauté humaine, et non comme un contenu de croyances et de rites déterminés. Religion séculière désignerait la persistance de la structuration religieuse hétéronome sous une forme moderne et profane, et non la sécularisation dune quelconque espérance millénariste.

Le problème, cest quen séloignant de la sorte de son emploi initial et de sa signification originelle, ce terme en vient, chez Marcel Gauchet, à revêtir un caractère équivoque. Il na plus du tout le même sens que celui quavaient en vue les intellectuels allemands et français des années 40-50 qui forgèrent ce concept61. Il désignait, comme on la vu avec Raymond Aron62, le transfert profane de lespérance eschatologique dans limmanence terrestre. Cette expression, qui chez ces auteurs revêtait un contenu déterminé, en vient, chez Gauchet, à être réduite à un usage purement fonctionnel. Ce qui fait quil tombe sous le feu de la critique arendtienne, qui dénonçait, on la vu : « cette fonctionnalisation des catégories qui les vide de tout contenu63 ». En effet, Gauchet fait sien ce présupposé des sciences sociales : « tout ce qui remplit la fonction dune religion est une religion64 » ; plus précisément, tout ce qui relie une communauté humaine, abstraction faite de son contenu. Cest pourquoi notre sociologue peut affirmer que le totalitarisme est une religion au sens où il renoue avec la structuration religieuse hétéronome des sociétés traditionnelles, indépendamment de tout contenu religieux. Paradoxalement, Gauchet se retrouve finalement bien plus proche de Blumenberg – qui admet malgré lui un certain « réinvestissement » fonctionnel déléments religieux dans la modernité, bien quil récuse le concept de sécularisation comme relevant dune catégorie de l« iniquité historique » –, que des auteurs à qui il emprunte lexpression de « religion séculière ». En effet, selon le philosophe allemand, « la fonction » quoccupait pour la conscience lhistoire du salut est « réassumée », ou « réinvestie » par lidée de progrès, « ce qui ne signifie pas que celle-ci découle de celle-là ». Car « lidée de “réinvestissement” nexplique 402pas doù provient lélément nouvellement engagé mais seulement quelle consécration il reçoit65 ».

En ce qui concerne plus précisément la question de leschatologie, Gauchet adopte une position que lon pourrait qualifier de minimaliste. Certes, il emprunte à leschatologie judéo-chrétienne tout un vocabulaire apocalyptique pour décrire lescalade paroxystique qui accompagne lascension nazie. Il dépeint notamment la « conjoncture eschatologique, secrétée par le succès66 » qui caractérise lapogée du nazisme, ainsi que « latmosphère de radicalisation apocalyptique dans laquelle évoluent les dirigeants nazis67 ». En réalité, si lon y regarde de plus près, cette terminologie apocalyptique lui sert surtout à décrire le vécu psychologique des acteurs en présence :

Cette conjoncture se manifeste psychologiquement, chez Hitler, sous laspect dun vif sentiment durgence. Son cinquantième anniversaire, loin de le détendre, sonne pour lui comme un rappel à lordre – il na plus beaucoup de temps devant lui. Cest ce quil déclare à ses convives, lors dun dîner, quelque temps après : « Jai maintenant cinquante ans, et je suis encore en pleine possession de mes moyens. Cest à moi de résoudre les problèmes, et je ne peux plus attendre. Dans quelques années, je ne serai plus en état, physiquement et peut être aussi mentalement. » Mais Hitler nest pas seul dans cette conviction. À son sentiment dêtre irremplaçable et davoir à saisir une occasion qui ne se représentera plus répond la conscience eschatologique diffuse au sein du peuple allemand de disposer en Hitler du génie providentiel appelé à le conduire vers une destinée grandiose68.

Aussi, le conflit inéluctable, lentrée en guerre inévitable suivie de linvasion de la Russie est-elle vécue par les nazis comme une « croisade eschatologique », un « affrontement apocalyptique » qui décidera du sort de lhumanité. À travers cette conflagration mondiale, cest en quelque sorte le « jugement de Dieu » qui sexerce ; ou plutôt, il sagit dune ordalie, dune épreuve par le feu et le sang qui doit révéler lélection particulière du peuple allemand et de la race aryenne. Leschatologie désigne donc avant tout, chez Gauchet, le mode expérimental, la manière dont les acteurs ont le sentiment de vivre une temporalité particulière, non un quelconque projet messianique ou millénariste. Mais si le grand mérite du sociologue est dêtre très précis dans la description quasi phénoménologique 403du vécu intérieur (psychique, émotif et intellectuel) des acteurs en présence, on peut se demander sil est légitime de dénier tout contenu eschatologique au phénomène totalitaire en le réduisant à un simple vécu psychologique. Cette formulation a minima suffit-elle à rendre compte du lien entre eschatologie et totalitarismes, ou devrait-on aller plus loin en affirmant que le contenu lui-même du projet totalitaire est eschatologique de part en part ? Pour répondre à cette question peut-être faudrait-il ici faire droit à lauto-compréhension que les religions ont delles-mêmes.

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Bibliographie

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Vazeux, P. I., « La controverse des religions politiques et séculières », RHPR 99, 2019, p. 491-515.

1 Gurian, 1933, p. 5.

2 Sturzo, 1938, p. 29.

3 Cf. Aron, 1990, p. 925-947.

4 Arendt, 1990, p. 155.

5 Ibid., p. 139.

6 Schmitt, 1988, p. 46.

7 Vazeux, 2019.

8 Le sociologue français considère le christianisme comme « la religion de la sortie de la religion » en ce quelle permet par lincarnation du Dieu fait homme de faire de lhomme légal de Dieu (lhomme-dieu), et donc douvrir un espace inédit aux sociétés affranchies du religieux.

9 Attention à la méprise, lexpression : « sortie de la religion » a un sens très précis et codifié chez Gauchet. Elle signifie que les religions ne sont plus des instances structurantes des sociétés occidentales, et non pas que les religions comme telles ont cessé dexister.

10 Gauchet, 2017, p. 137.

11 Ibid., p. 12.

12 Ibid., p. 19.

13 Ibid., p. 12.

14 Ibid., p. 17.

15 Ibid., p. 18.

16 Ibid., p. 12.

17 Ibid., p. 648.

18 Ibid.

19 Ibid., p. 653.

20 Ibid., p. 649 et 650.

21 « La visée propre du pouvoir totalitaire est de donner corps à cette puissance dentraînement du tout. » Ibid., p. 650.

22 La terreur qui laccompagne « ayant pour rôle symbolique de signifier que rien nest hors de son atteinte dans ce travail de totalisation dynamique ». Ibid., p. 651.

23 Ibid., p. 651.

24 Ibid.

25 Ibid., p. 669.

26 Ibid., p. 676.

27 Ibid., p. 677.

28 Ibid.

29 Ibid., p. 680.

30 Ibid., p 681.

31 Ibid.

32 Ibid.

33 Ibid., p. 681-682.

34 Ibid., p. 682.

35 Ibid., p. 651.

36 Ibid., p. 651-652.

37 Ibid., p. 652.

38 Ibid., p. 686.

39 Ibid., p. 685.

40 Ibid.

41 Ibid., p. 684.

42 Ibid.

43 Ibid.

44 Ibid.

45 Ibid., p. 692.

46 Ibid. Chez Marcel Gauchet les trois termes de totalitarisme, didéocratie et de religion séculière se relayent donc dans lanalyse conceptuelle du phénomène totalitaire, chacun poussant plus avant sa compréhension ; chacun mettant en lumière un élément fondamental de lobjet et réclamant léclairage complémentaire des deux autres concepts. Ainsi, si la dénomination de « religion séculière » « éclaire les tenants et les aboutissements de lidéocratie », celle-ci « précise larticulation interne de ces régimes dont le totalitarisme circonscrit la morphologie générale ». Ibid., p. 692.

47 Ibid., p 684-685.

48 À savoir cette « réinvention de la forme religieuse par des moyens séculiers », cette prétention folle à vouloir « reconstituer lunité religieuse à lintérieur et avec les éléments de la modernité ». Ibid., p. 18.

49 Aussi, ce nest « quen rapportant les phénomènes totalitaires à la religiosité dans laquelle ils senracinent que lon peut véritablement comprendre lexistence de deux versions radicalement antagonistes du même projet ». Ibid., p. 686.

50 « Nazisme, fascisme et bolchévisme constituent trois figures, aussi dissemblables que possible, dune même ambition. Ils se proposent semblablement de reconstruire lunité sacrale par des moyens profanes, chacun par des voies différentes. » Ibid., p. 644.

51 Ibid., p. 687.

52 Ibid., p. 687.

53 Ibid., p. 692.

54 On pourrait reprocher à Gauchet de présupposer une philosophie de lhistoire hégélienne qui induit une vision naïve et progressiste de lhistoire conçue comme un long mouvement ascensionnel vers les lumières de la démocratie. Mais le sociologue français ne tombe pas dans cette caricature, sa pensée est plus fine et nuancée que cela.

55 Intervention de Marcel Gauchet à la Librairie Kléber, à Strasbourg, le 08/11/2017.

56 On ne quitte pas lauto-sacralisation, au contraire, on la renforce au moment où sinstalle le paradigme socialiste.

57 Intervention citée n. 55.

58 Intervention citée n. 55.

59 À savoir que le reflux inédit du religieux en plein xxie siècle postmoderne montre bien quon nen est jamais sorti.

60 Relevons la limite dune telle argumentation qui prend la tournure logique dune proposition non falsifiable et donc non scientifique, pour parler en terme poppérien, car, quelle que soit la configuration en présence, elle manifeste que nous sommes en train de sortir de la religion.

61 Et lui conférèrent un véritable contenu ecclésiologique, sotériologique et eschatologique.

62 Voir Vazeux, 2019, p. 497.

63 Arendt, 1990, p. 155.

64 Arendt, 1989, p. 136.

65 Blumenberg, 1999, p. 59-60.

66 Gauchet, 2017, p. 612.

67 Ibid., p. 634.

68 Ibid., p. 612-613.